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Date : 20180110


Dossier : IMM-2760-17

Référence : 2018 CF 20

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

ANDRASNE LAKATOS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse est une ressortissante hongroise d’origine rome. Elle sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 5 mai 2017 faisant suite à un examen des risques avant renvoi (ERAR) et concluant qu’elle n’avait pas droit à l’asile au titre des articles 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Par les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie étant donné que l’analyse de la protection de l’État effectuée par l’agent d’ERAR (l’agent) est viciée.

I.  Résumé des faits

[2]  En 2011, la demanderesse a quitté la Hongrie parce qu’elle craignait la persécution de groupes organisés, dont les skinheads et le parti Jobbik. La demanderesse est arrivée au Canada et a demandé l’asile en invoquant la discrimination généralisée envers les Roms.

[3]  La Section de la protection des réfugiés a conclu que la persécution en Hongrie alléguée par la demanderesse ne reposait sur aucun fondement crédible et, par conséquent, elle a conclu qu’elle n’avait pas qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la LIPR. Le 11 décembre 2013, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable de la Section de la protection des réfugiés présentée par la demanderesse.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[4]  En considérant les risques que court la demanderesse, l’agent a abondamment cité les éléments de preuve documentaire sur la discrimination que subissent les Roms dans plusieurs aspects de leur vie, y compris l’accès à l’éducation, au logement, à l’emploi ou aux services sociaux. L’agent reconnaît que des actes de violence et de discrimination ont lieu contre les Roms. Toutefois, l’agent a conclu que tous les Roms ne subissent pas de la discrimination en Hongrie et la discrimination dont il est question ne constitue pas de la persécution.

[5]  L’agent a ensuite conclu que la Hongrie est une démocratie qui offre des avenues de recours contre la discrimination et que [traduction] « l’État fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens ».

[6]  L’agent n’a pas tenu compte de l’application d’autres décisions de la Section d’appel des réfugiés, de la Section de la protection des réfugiés et de la Cour fédérale où des conclusions favorables concernant la persécution contre les demandeurs roms ont été adoptées. L’agent a décidé que la présente affaire était différente [traduction] « parce que de graves préoccupations relatives à la crédibilité de la demanderesse soulevées par la Section de la protection des réfugiés n’ont pas été renversées par les nouveaux éléments de preuve ».

III.  Questions en litige

[7]  Les questions suivantes sont déterminantes de l’espèce :

  1. L’agent a-t-il appliqué le bon critère concernant la protection de l’État?
  2. L’agent a-t-il examiné de façon appropriée la preuve concernant la protection de l’État?

IV.  Norme de contrôle

[8]  La norme de contrôle applicable à l’application du critère approprié concernant la protection de l’État est celle de la décision correcte (Mata c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1007, au paragraphe 10, [Mata]).

[9]  La norme de contrôle applicable à l’appréciation par l’agent de la preuve sur le caractère adéquat de la protection de l’État est celle de la décision raisonnable (G.S. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 599, au paragraphe 12).

V.  Discussion

A.  L’agent a-t-il appliqué le bon critère concernant la protection de l’État?

[10]  Dans une demande présentée au titre de l’article 96, le demandeur doit démontrer 1) le bien-fondé de la crainte de persécution qu’il éprouve, ce qui est subjectif, et 2) que cette crainte est objectivement justifiée (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 [Ward]). La protection de l’État touche la question de savoir si la crainte est objectivement raisonnable (Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 42), et les conclusions concernant la protection de l’État s’appliquent également en application de l’article 97 de la LIPR (Horvath c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 670, au paragraphe 7).

[11]  Bien qu’il existe une présomption voulant que l’État soit capable de protéger ses citoyens, cette présomption peut être réfutée au moyen « d’une preuve claire et convaincante » (Ward, à la page 724). La demanderesse doit démontrer qu’elle ne peut pas obtenir la protection de l’État ou qu’elle craint de la réclamer par peur d’être persécutée (Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 30, [Ruszo]).

[12]  L’agent doit tenir compte de l’efficacité réelle de la protection de l’État dans le pays d’origine et non des efforts déployés par l’État (Mata, au paragraphe 13).

[13]  Voici les motifs énoncés par l’agent : [traduction] « [L]a documentation indique que la collectivité rome fait continuellement face à de la discrimination en matière de logement, d’emploi, d’éducation et de soins de santé. Pour aborder ces inégalités, le gouvernement hongrois a fait des efforts en matière d’éducation, d’emploi et de soins de santé ».

[14]  L’agent conclut ainsi : [traduction]

Je remarque que les éléments de preuve révèlent également que la Hongrie a pris l’initiative d’apporter des changements ainsi que de poursuivre ses efforts pour favoriser l’intégration du groupe et d’aborder la situation et le traitement des Roms [...] Selon les éléments de preuve documentaire, la demanderesse peut envisager un recours grâce à un mécanisme établi en Hongrie en réponse au défaut de la police de faire son travail comme il se doit, c’est-à-dire comme le prescrit l’ombudsman, le comité indépendant des plaintes de la police, l’autorité traitant de l’égalité des droits et le commissaire aux droits fondamentaux. Je conclus que, selon les éléments de preuve documentaire, l’État fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens, même s’il n’y arrive pas toujours, puisqu’un gouvernement ne peut pas garantir la protection de ses citoyens en tout temps. [Non souligné dans l’original].

[15]  Ces déclarations de l’agent démontrent qu’il a évalué les avenues de recours en Hongrie en tenant compte du fait que l’État faisait des efforts pour améliorer la situation des Roms. Toutefois, l’agent n’a pas traité de l’efficacité réelle de ces avenues de recours.

[16]  Cette erreur à elle seule est susceptible de contrôle (Kotlarova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 444, au paragraphe 22) et rend la décision de l’agent déraisonnable.

B.  L’agent a-t-il examiné de façon appropriée la preuve concernant la protection de l’État?

[17]  Le défendeur soutient que la demande présentée à la Section de la protection des réfugiés par la demanderesse n’avait [traduction] « aucun fondement crédible »; cette conclusion défavorable liée à la crédibilité ne peut être surmontée en s’appuyant sur des éléments de preuve sur la situation dans le pays. Le défendeur invoque la décision Kocsis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 737, au paragraphe 6, et Samuels c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 366, au paragraphe 27, pour étayer cette proposition.

[18]  Bien que l’absence d’une crainte subjective de persécution puisse suffire à justifier le rejet d’une demande d’asile au titre de l’article 96, une demande en application de l’article 97 est objective par nature, ce qui signifie qu’une conclusion défavorable liée à la crédibilité n’a pas nécessairement d’incidence sur l’analyse de la nature objective du risque (Bouaouni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1211, au paragraphe 41). Cela vaut également pour la protection de l’État parce que « l’omission du demandeur de s’adresser à l’État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l’État [TRADUCTION] “aurait raisonnablement pu être assurée” » (Ward, à la page 724).

[19]  Par conséquent, le simple fait de conclure que la demanderesse n’était pas crédible n’est pas automatiquement déterminant pour une demande faite au titre de l’article 97. Lorsque le dossier « comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur », une conclusion sur le manque de crédibilité n’est pas déterminante (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381, au paragraphe 3), particulièrement lorsque la protection de l’État dépend d’un examen objectif.

[20]  En l’espèce, bien que la demanderesse ne semble pas avoir demandé la protection de l’État, l’agent a omis de tenir compte de la « preuve documentaire indépendante et crédible » au dossier qui surmonterait une conclusion sur la crédibilité et démontrerait qu’il est objectivement déraisonnable pour la demanderesse de demander la protection de l’État (Ruszo, au paragraphe 34). L’agent a omis à la fois de considérer les éléments de preuve pertinents au dossier qui ont été soulevés à l’audience de la Section de la protection des réfugiés et de faire la distinction entre les éléments de preuve contradictoires qu’il a expressément copiés en détail dans sa décision.

[21]  Cette même erreur a été relevée dans Sanchez Mestre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 375, au paragraphe 15, et illustre bien les motifs de l’agent dans ce cas :

Comme la protection de l’État était la seule question en litige dans la présente affaire, et que la SPR avait rejeté les demandes d’asile des demandeurs principalement parce qu’ils auraient pu se prévaloir d’une protection de l’État s’ils s’étaient adressés aux autorités, la SPR aurait dû au moins fournir des explications concernant la preuve qui contredisait directement cette conclusion.

[22]  Moins la preuve a été analysée, plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que la décision est déraisonnable (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF), au paragraphe 17). En l’espèce, la preuve contraire indique que les avenues de recours citées précisément par l’agent comme constituant une protection de l’État étaient en fait très limitées. Cela constitue un élément de preuve important.

[23]  En outre, notre Cour a déjà établi que les avenues particulières de recours auxquelles fait référence l’agent sont inadéquates en Hongrie : Katinszki c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1326, aux paragraphes 14 et 15; Racz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 824, au paragraphe 38; Vidak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 976, au paragraphe 13.

[24]  Par conséquent, il y avait suffisamment d’éléments de preuve au dossier pour soutenir une conclusion objectivement raisonnable expliquant pourquoi la demanderesse n’a pas demandé la protection de l’État dans cette affaire. L’agent a commis une erreur en omettant de tenir compte de l’ensemble de ces éléments de preuve. L’analyse doit être conduite de nouveau à la lumière de conclusions appropriées concernant la protection de l’État.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2760-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
  2. Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et aucune n’est soulevée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2760-17

INTITULÉ :

ANDRASNE LAKATOS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 décembre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 10 janvier 2018

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

POUR LA DEMANDERESSE

Aleksandra Lipska

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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