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Date: 20171221


Dossier : T-2135-16

Référence : 2017 CF 1179

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2017

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

JÉRÔME BACON ST-ONGE

demandeur

et

LE CONSEIL DES INNUS DE PESSAMIT, RENÉ SIMON, ÉRIC CANAPÉ, GÉRALD HERVIEUX, DIANE RIVERIN, JEAN-NOËL RIVERIN

RAYMOND ROUSSELOT, MARIELLE VACHON

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. INTRODUCTION

[1] La Nation innue de Pessamit [la Bande] est une première nation située sur la Côte-Nord, au Québec. Elle est visée par la Loi sur les Indiens (LRC (1985), ch I-5) [Loi sur les Indiens] et administrée par le Conseil des Innus de Pessamit [le Conseil], anciennement connu sous le nom du Conseil de bande de Betsiamites.

[2] Le demandeur, M. Bacon St-Onge, membre de la Bande, conteste trois décisions liées, soit (1) la résolution du Conseil du 8 mars 2016 adoptant un nouveau code coutumier, le « Code électoral du Conseil des Innus de Pessamit  » [Code de 2015]; et subsidiairement, (2) les élections des membres du Conseil tenues le 17 août 2016 sous l’égide du Code de 2015 et (3) la décision de Me Kenneth Gauthier datée du 2 septembre 2016 rejetant sa contestation des élections du 17 août 2016.

[3] M. Bacon St-Onge affirme essentiellement que le Code de 2015 est invalide puisque la procédure de modification prévue au chapitre 9 du premier code coutumier, le « Code électoral concernant les élections de Betsiamites » [Code de 1994], est la seule procédure permettant de le modifier et que cette procédure n’a pas été suivie en l’instance. Il affirme aussi que le Conseil ne détient pas le pouvoir inhérent de modifier un code coutumier par voie de résolution et que les modifications proposées ne reflètent pas l’expression d’un large consensus au sein de la Bande. M. Bacon St-Onge soumet subsidiairement que les élections tenues le 17 août 2016 doivent aussi être déclarées invalides puisqu’elles ont été tenues sous l’égide du Code de 2015, lui-même invalide, et puisque, même si le Code de 2015 est valide, de nombreuses irrégularités dans le processus électoral en ont vicié le résultat. Enfin, il soutient que la contestation des élections qu’il a présentée au comité d’examen [le Comité] n’a été traitée ni selon la procédure établie ni selon les principes d’équité appropriés.

[4] Les défendeurs regroupent le Conseil, ainsi que chacune des personnes élues aux élections du 17 août 2016, soit M. Simon, au poste de chef, et M. Canapé, M. Hervieux, M. Riverin, M. Rousselot et Mmes Riverin et Vachon aux postes de conseillers.

[5] Les défendeurs répondent essentiellement que le Code de 2015 est valide puisque la procédure de modification prévue au Code de 1994 n’entre en jeu que si « un ou plusieurs électeurs » souhaitent proposer une modification et non pas si c’est le Conseil qui propose la modification. Ils avancent que le Conseil détient des pouvoirs inhérents, incluant celui de modifier le code coutumier écrit par simple résolution, pouvoirs inhérents dont le Conseil ne peut être privé que s’ils sont expressément restreints, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Au surplus, les défendeurs soutiennent que les modifications au Code de 1994 ont été adoptées validement puisqu’elles ont fait l’objet de consultations, qu’elles reflètent l’expression d’un large consensus au sein de la Bande et qu’à tout évènement, elles ne le modifient pas substantiellement. Les défendeurs considèrent aussi les élections du 17 août 2016 valides puisque le Code de 2015 est valide, puisqu’il était justifié de ne pas en respecter toutes les dispositions pendant la période de transition entre les deux codes et puisque les irrégularités soulevées n’ont pas eu d’incidence sur le résultat des élections. Enfin, les défendeurs soutiennent que la décision de Me Gauthier datée le 2 septembre 2016 est justifiée, puisque la plainte de M. Bacon St-Onge était bien irrecevable.

[6] Pour les motifs exposés ci-après, la Cour conclut que le Code de 2015 n’a pas été validement adopté et qu’il est donc invalide. La Cour accordera la demande de M. Bacon St-Onge sur ce motif et invalidera le Code de 2015 de même que les élections du 17 août 2016 tenues sous son égide.

[7] Cependant, considérant que des élections sont prévues pour le mois d’août 2018 aux termes du Code de 1994, et considérant les délais prévus au chapitre 9 pour mettre en œuvre le mécanisme de modification le cas échéant, la Cour suspendra l’exécution du présent jugement afin d’aider à préserver la stabilité politique et administrative de la Bande.

II. CONTEXTE FACTUEL

A. Le Code de 1994 et sa procédure de modification

[8] Jusqu’en 1994, l’élection du chef et des membres du Conseil est régie par les articles 74 à 80 de la Loi sur les Indiens. Cependant, en 1994, un code coutumier écrit est élaboré et est présenté à la communauté. Il n’est pas contesté que les dispositions du Code de 1994 reflètent alors l’expression d’un large consensus au sein de la Bande.

[9] Le 24 mai 1994, le code coutumier est adopté à l’assemblée ordinaire du Conseil et il est ensuite soumis au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de l’époque. Le 19 juillet 1994, le ministre modifie l’arrêté sur l’élection du conseil de bandes indiennes pris le 14 décembre 1989 et soustrait la Bande du processus électoral prévu à la Loi sur les Indiens. Le Code de 1994 entre alors en vigueur (chapitre 10) et le chef et les conseillers formant le Conseil doivent dorénavant être choisis par voie d’élections tenues conformément à ce code.

[10] Le chapitre 9 du Code de 1994 en énonce le « Mécanisme de modification interne ». Ce mécanisme prévoit que « si un ou plusieurs électeurs » veulent qu’une modification soit apportée, ils doivent obtenir l’appui écrit d’au moins la moitié des électeurs inscrits sur la liste électorale et présenter cet appui à une réunion du Conseil au moins six mois avant les élections. Si le nombre requis est atteint et si la modification est conforme aux lois en vigueur, le Conseil doit convoquer une assemblée générale des électeurs afin de leur soumettre la modification proposée. Un avis de la tenue de l’assemblée générale doit être affiché et la proposition de modification doit être discutée lors de l’assemblée. Ensuite, et pendant une période de temps déterminé par le Conseil, un registre doit être ouvert afin que les électeurs puissent y enregistrer leur opposition. La modification est apportée si le nombre d’électeurs opposés à la modification est inférieur à la moitié des électeurs inscrits sur la liste électorale.

[11] En 2015, la Bande compte 2773 électeurs inscrits et la moitié arrondie de ce nombre correspond donc à 1387 électeurs.

[12] Le Code de 1994 prévoit aussi, en outre, que les élections se tiennent vers le 17 août lors d’une année électorale (article 3.4), que le chef et les conseillers sont élus pour un mandat de deux ans (article 3.2) et que le chef et les conseillers entrent en fonction le premier jour du mois suivant la date de la tenue des élections (article 3.3), soit le ou vers le 17 septembre lors de l’année électorale.

B. Le Code de 2015

[13] Selon les informations contenues au dossier, à la suite de l’élection du mois d’août 2014, le Conseil décide de réformer en profondeur des institutions et des mécanismes relevant de sa compétence. Ainsi, en 2014, le Conseil déclenche un processus pour modifier le Code de 1994. M. Frank Hervieux est alors désigné pour piloter la réforme complète et en profondeur du Code de 1994 avec l’objectif d’assurer une plus grande transparence et un meilleur contrôle du mécanisme électoral.

[14] Le Code de 2015 est élaboré et proposé. Il prévoit notamment un mandat de 4 ans plutôt que de deux ans (article 6.2), le moment de l’assermentation des nouveaux élus (article 6.3), la fin du mandat du chef et des conseillers au deuxième lundi de juin lors d’une année électorale (article 6.4), une augmentation de la caution déposée par les candidats (article 6.10), la tenue de l’élection le deuxième lundi de juillet plutôt que vers le 17 août (article 6.9), la création d’un Comité mandaté pour examiner des plaintes et contestations liées aux élections, et pour enquêter sur une procédure de révocation (article 6.11), un appui obligatoire de cinq personnes pour la présentation d’une candidature (article 7.5), une disposition plus détaillée du processus de révocation d’un élu (chapitre 12), ainsi qu’une procédure d’amendement du code électoral à l’initiative d’un ou plusieurs électeurs nécessitant l’appui écrit de 200 électeurs inscrits plutôt « qu’au moins la moitié des électeurs inscrits sur la liste électorale » (article 14.1).

[15] En 2014 et 2015, le projet de Code de 2015 est soumis aux conseillers et à la population par le biais de séances d’information publiques et par la publication du texte proposé tant sur le territoire de la réserve ou de la Bande qu’à l’extérieur de celui-ci. Ainsi, le Conseil publie le texte proposé sur le site Web du Conseil, dans les périodiques, par affichage public, par message radio et par envoi postal dans les résidences.

[16] Le 21 juillet 2015, le Conseil adopte une résolution pour soumettre une question aux électeurs par référendum et pour fixer la date du référendum au 30 juillet 2015. La version française de cette question se lit : « Êtes-vous d’accord avec le nouveau code électoral du Conseil des Innus de Pessamit, version 2015, et que celui-ci soit appliqué à partir des élections du 17 août 2016? » (pièce D-1 du dossier des défendeurs).

[17] La résolution prévoit en outre, au titre des considérants, que « le nouveau code électoral ne sera effectif qu’à la seule condition que la majorité des membres s’exprime en faveur lors du vote référendaire ».

[18] Dans les jours suivants le référendum, la présidente de l’élection pour le référendum prépare deux relevés assermentés confirmant le résultat (pièce P-3 du dossier du demandeur et pièce D-2 du dossier des défendeurs). La présidente de l’élection confirme que le référendum s’est tenu à la date prévue, que les noms de 2273 électeurs admissibles figuraient sur la liste des électeurs, que 572 bulletins ont été déposés, dont 278 marqués d’un « oui », 276 marqués d’un « non » et 18 bulletins annulés. Dans l’un de ces relevés assermentés (pièce P-3), la présidente de l’élection réfère à l’article 9.1a) du Code de 1994 et conclut que « la modification du code électoral est rejetée parce que le nombre requis n’est pas atteint », mais elle ne le mentionne pas dans l’autre relevé.

[19] Le 17 décembre 2015, le secrétaire-greffier du Conseil transmet une note aux membres du Conseil au sujet du Code de 2015 et du référendum pour la modification. Il indique alors essentiellement que le Conseil n’a pas le pouvoir de modifier le Code de 1994 sans respecter le mécanisme prévu à son chapitre 9, car le code appartient à la Bande et non au Conseil, et que le relevé initial des résultats du référendum a été modifié.

[20] Dans son affidavit, le secrétaire-greffier du conseil, qui est aussi le rédacteur du Code de 1994, indique avoir rencontré les membres du Conseil en janvier 2016 pour les aviser de nouveau qu’ils devaient respecter le chapitre 9 pour apporter des modifications au Code de 1994.

[21] Le 8 mars 2016, le Conseil adopte le Code de 2015 et confirme sa mise en vigueur pour les élections du 17 août 2016 par voie de résolution. La Cour note qu’au titre des attendus, la résolution confirme qu’un projet final du Code de 2015 a été soumis aux membres de la communauté par vote référendaire, mais qu’elle ne réfère pas à la seule condition prévue dans la résolution du 21 juillet 2015 exigeant que « la majorité des membres » se soit exprimée en faveur (pièce P-5 du dossier du demandeur).

[22] Il n’est pas sans intérêt de mentionner que la page frontispice du Code de 2015 indique qu’il a été « adopté le 30 juillet 2015 », date du référendum. Les défendeurs font aussi référence, dans leurs affidavits, au fait que le Code de 2015 a été accepté ou adopté par voie de référendum le 30 juillet 2015 (para 25 de l’affidavit de René Simon, para 9 de l’affidavit de M. Canapé, para 29 de l’affidavit de M. Hervieux).

[23] Or, l’article 15.1 du Code de 2015 prévoit quant à lui que « le Code électoral de 2015 entre en vigueur dès l’adoption, par le Conseil, d’une résolution à cet effet », ce qui est plutôt le 8 mars 2016.

[24] Le 25 mai 2016, M. Bacon St-Onge apprend que le Code de 2015 a été adopté.

C. Contestation du Code de 2015

[25] Le 3 juin 2016, MM. Bacon St-Onge, Picoutlaigan et Bacon signent une lettre qu’ils adressent au Conseil pour contester le processus de projet de modification du code électoral en détaillant leurs motifs. Le 21 juin 2016, n’ayant pas reçu de réponse, M. Bacon St-Onge met le Conseil en demeure de répondre à la contestation du 3 juin précédent. Le 30 juin 2015, Me Gauthier, représentant le Conseil, demande à M. Bacon St-Onge de lui transmettre des motifs précis de contestation ainsi que les autorités jurisprudentielles et législatives sur lesquelles est fondée la contestation. Le 14 juillet 2016, M. Bacon St-Onge transmet des précisions à Me Gauthier et le 12 août, n’ayant pas reçu de retour, il transmet une lettre de rappel à Me Gauthier.

[26] Le 15 août 2016, M. Bacon St-Onge reçoit la lettre de Me Gauthier datée du 3 août 2016. Me Gauthier répond alors essentiellement que le processus d’adoption du Code de 2015 a été fait légalement et de façon démocratique, que la Communauté de Pessamit a validement été consultée et informée afin que le Code de 2015 soit représentatif de la volonté de la population, que personne n’a présenté de contestations et que la participation de M. Bacon St-Onge en tant que candidat aux élections l’empêche désormais de contester le processus d’adoption du code électoral.

[27] Le 22 août 2016, M. Bacon St-Onge réitère sa contestation par voie de lettre adressée à Me Gauthier.

D. Les élections du 17 août 2016

[28] Le procès-verbal de l’assemblée politique du 9 juin 2016, à laquelle assistent quatre (4) conseillers, consigne l’adoption d’une résolution fixant des élections au 17 août 2016, nonobstant l’article 6.9 du Code de 2015 adopté le 8 mars précédent qui prévoit que l’élection a plutôt lieu le deuxième lundi de juillet.

[29] Par ailleurs, le 23 juin 2016, le Conseil adopte une autre résolution au même effet, et nommant en plus le président d’élection.

[30] Cependant, le Conseil ne prend en outre aucune mesure pour prolonger le mandat des élus qui se termine le deuxième lundi de juin (article 6.4 du Code de 2015) et les élus demeurent en poste après cette date.

[31] Le 8 juillet 2016, M. Bacon St-Onge soumet sa candidature à titre de conseiller.

[32] Le 17 août 2016, les élections sont tenues et les défendeurs sont élus chef et conseillers du Conseil. Le 4 septembre, les élus sont assermentés.

E. Plainte soumise au Comité

[33] Le 12 juillet 2016, le Conseil adopte une résolution nommant les trois personnes formant le Comité prévu à l’article 6.11 du Code de 2015.

[34] Le 23 août, M. Bacon St-Onge signe une lettre adressée au président d’élection pour loger une contestation formelle de l’élection tenue le 17 août 2016, alléguant notamment différents éléments factuels qui auraient compromis l’intégrité du processus électoral.

[35] Me Gauthier répond à M. Bacon St-Onge par deux courriels. Un premier pour lui indiquer que la Direction générale du Conseil ne peut donner suite à sa contestation et un deuxième pour préciser que sa plainte est irrecevable en vertu de l’art. 11.1 du Code de 2015 et qu’elle ne doit pas être soumise au Comité.

III. POSITION DES PARTIES

A. Position du demandeur

(1) Preuve soumise à la Cour

[36] Outre le sien, le demandeur a soumis les affidavits de quatre personnes, soit Mme Paul, Mme Crépeau, M. Vollant et Mme Rock.

(2) Délai

[37] Le 6 décembre 2016, madame la juge Tremblay-Lamer a accueilli la requête en prorogation de délai du demandeur. Ainsi, ce dernier plaide que la Cour n’a pas à aborder la question du non-respect du délai prévu à l’alinéa 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch F-7.

(3) Norme de contrôle

[38] M. Bacon St-Onge affirme tout d’abord que les décisions d’un conseil de bande peuvent être contestées devant la Cour fédérale (Vollant c Siouis, 2006 CF 487 au para 25; Hill c Nation des Onneiouts de la Thames et Clinton Wayne Hill, 2014 CF 796 au para 36 [Hill]; Sparvier c Bande indienne Cowessess, [1993] 3 CF 142 (1re instance) [Sparvier]).

[39] M. Bacon St-Onge soutient que les questions soulevées dans le présent dossier doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte et qu’aucune déférence n’est due par la Cour envers les décideurs (Jackson c Première nation des Piikani, 2008 CF 130; Joseph c Shielke, 2012 CF 1153 au para 25 [Joseph]). Il affirme également que les questions visant à déterminer si le conseil a outrepassé sa compétence ou s’il y a une crainte raisonnable de partialité est également la norme de la décision correcte (Prince c Première Nation de Sucket Creek, 2008 CF 1268 au para 21; Hill au para 45).

(4) Code de 2015

[40] M. Bacon St-Onge affirme que le Conseil doit respecter la primauté du droit et il réfute l’allégation des défendeurs selon laquelle le Conseil est l’organe suprême de la gouvernance de la Nation innue de Pessamit (Nation crie de Long Lake c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord) [1995] ACF n 1020 au para 31 [Nation crie de Long Lake], Balfour c Nation Crie de Norway House, 2006 FC 213 au para 12 [Balfour]).

[41] M. Bacon St-Onge soutient que le Code de 1994 appartient à la Bande, que le Conseil ne détient pas de pouvoirs inhérents lui permettant de le modifier par voie de résolution et que l’alinéa 2(3)b) de la Loi sur les Indiens invoqué par les défendeurs ne confère pas au Conseil de pouvoirs inhérents.

[42] M. Bacon St-Onge maintient que le Code de 1994 a été adopté à la suite de consultations et d’examens approfondis, qu’il codifie les coutumes de la Bande, qu’il appartient à la Bande et que le Conseil doit respecter la procédure du chapitre 9 (Gabriel c Mohawk Council of Kanesatake, 2002 CFPI 483 au para 21) pour le modifier. Ainsi, le processus de modification ne peut être amorcé que par « un ou des électeurs » et les modifications ne peuvent être adoptées que si la procédure prévue est respectée. Selon M. Bacon St-Onge, cette approche est cohérente avec le principe que le Code de 1994 appartient à la Bande et non au Conseil.

[43] M. Bacon St-Onge soutient aussi que les modifications au Code de 1994 ont des conséquences importantes sur la Bande, prolongeant notamment la durée du mandat des élus. Il soutient que, lorsque les droits et intérêts des membres d’une bande sont affectés par une décision d’un conseil, la bande doit être informée des faits qui justifient la décision de manière transparente et intelligible, sans quoi la décision doit être mise de côté (Jack Woodward, Native Law, Toronto, Carwell, 2017 au para 7-1211).

[44] M. Bacon St-Onge plaide donc que le Code de 2015 est invalide, car le seul mécanisme de modification, celui prévu au Code de 1994, n’a pas été respecté. Il s’appuie sur la décision Joseph dans laquelle le juge Phelan a décidé qu’une modification au code électoral était invalide, car le processus de modification prévue dans le code n’avait pas été respecté.

[45] M. Bacon St-Onge relève également que les défendeurs ne peuvent invoquer la Loi sur les élections au sein des premières nations, LC 2014, ch 5 [Loi sur les élections au sein des premières nations], pour justifier l’adoption du Code de 2015 par voie de résolution, puisque cette loi ne s’applique pas à la Bande.

(5) Contestation de l’élection du 17 août 2016

[46] M. Bacon St-Onge soutient que l’invalidité du Code de 2015 entraîne l’invalidité de l’élection de 2016 tenue sous l’égide du Code de 2015.

[47] Au surplus, M. Bacon St-Onge soutient que même si le Code de 2015 est valide, l’élection du Conseil est néanmoins invalide, car de nombreuses dispositions du Code de 2015 n’ont pas été respectées lors de l’élection du 17 août 2016, de nombreuses irrégularités ont été commises et les résultats de l’élection sont conséquemment viciés.

(6) Décision à la suite de la plainte soumise au Comité

[48] M. Bacon St-Onge soutient que la plainte qu’il a soumise au Comité concernant les élections du 17 août 2016, n’a pas été traitée conformément aux dispositions du Code de 2015, n’ayant pas fait l’objet d’une enquête et n’ayant pas été soumise au Comité. Il affirme que ni Me Gauthier ni la Direction générale du Conseil ne pouvaient répondre à sa plainte. Selon les dispositions du chapitre 11 du Code de 2015, seul le Comité peut rendre une décision à l’égard de la contestation d’élection.

[49] M. Bacon St-Onge affirme que le Comité n’a jamais signifié sa plainte aux candidats (article 11.5 du Code de 2015) et qu’il n’a jamais été appelé à témoigner dans le cadre d’une enquête du comité d’examen (article 11.9 du Code de 2015). Enfin, M. Bacon St-Onge souligne que sa participation comme candidat aux élections du 17 août 2016 ne représente en rien une ratification du Code de 2015 comme le soutiennent les défendeurs. Il rappelle avoir soumis sa contestation initiale le 3 juin 2016, avant même que l’élection ne soit confirmée et avant de poser sa candidature.

(7) Préjudice

[50] M. Bacon St-Onge soutient que les défendeurs ne subiraient aucun préjudice et que ce serait les membres de la Bande qui subiraient un préjudice important si la demande de contrôle judiciaire n’est pas accueillie. Il affirme que la demande de contrôle judiciaire est d’intérêt public, car elle porte sur la validité du Code de 2015 et des élections de 2016.

(8) Affidavits des défendeurs

[51] Le demandeur soutient que plusieurs des allégations contenues aux affidavits ne portent pas sur des faits dont le déclarant a eu personnellement connaissance (alinéas 81(1) et (2) des Règles des Cours fédérales DORS/98-106 [les Règles]) et qu’elles peuvent donc donner lieu à des conclusions défavorables.

B. Position des défendeurs

(1) Preuve soumise par les défendeurs

[52] Les défendeurs ont chacun soumis un affidavit, ainsi que M. Bacon, le président d’élection, Mme Létourneau, conseillère et soutien juridique lors de l’élection de 2016, et M. Hervieux, responsable du processus de modification du Code de 1994.

(2) Délai

[53] Les défendeurs soutiennent d’abord que M. Bacon St-Onge n’a pas soumis sa demande de contrôle judiciaire dans le délai prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales et que sa demande doit être rejetée. À l’audience, ils ont indiqué croire que la Cour pouvait se pencher de nouveau sur cette question malgré l’ordonnance rendue par la juge Tremblay-Lamer accordant la requête en prorogation de délai.

(3) Norme de contrôle

[54] Les défendeurs soutiennent que la norme de contrôle applicable à des décisions liées à l’interprétation d’un code électoral et à la compétence du conseil de bande est celle de la décision raisonnable. Ils précisent que la norme de la décision correcte énoncée dans Martselos c Première Nation de Salt River, 2008 CF 8 n’est plus utilisée pour effectuer un contrôle judiciaire des décisions liées à l’interprétation des règlements sur les élections. Ils s’appuient sur les décisions postérieures de la Cour d’appel fédérale, notamment Première nation de Fort McKay c Orr, 2012 CAF 269 [Première nation de Fort McKay] et D’Or c St. Germain, 2014 CAF 28 [D’Or], ainsi sur que la décision de la Cour fédérale dans Testawich c Duncan’s First Nation, 2014 CF 1052 [Testawich].

(4) Validité du Code de 2015

[55] Les défendeurs soutiennent que le libellé « Si les électeurs » de l’article. 9.1 du Code de 1994 démontre bien que la disposition vise la procédure à suivre lorsque les électeurs souhaitent une modification, mais non la procédure à suivre lorsque le Conseil souhaite une modification. Selon les défendeurs, il n’est pas nécessaire de prévoir une disposition prévoyant le processus à suivre lorsque le Conseil souhaite modifier le Code de 1994 parce qu’il détient un pouvoir inhérent de le faire.

[56] Les défendeurs soutiennent que le Conseil est souverain et qu’il a le pouvoir de modifier le Code de 1994 par simple résolution, puisqu’il n'a pas abdiqué son pouvoir inhérent de le faire et qu’aucune disposition législative ne limite sa compétence.

[57] Dans leur mémoire, les défendeurs réfèrent à la Loi sur les Indiens et à la Loi sur les élections au sein de premières nations, pour soutenir l’argument que le Conseil possède des pouvoirs inhérents, sans préciser les dispositions pertinentes. Cependant, lors de l’audience, les défendeurs ont précisé que les pouvoirs inhérents du Conseil découlent de l’alinéa 2(3)b) de la Loi sur les Indiens, dont le texte est reproduit en annexe, que ces pouvoirs inhérents incluent celui de modifier le Code de 1994 par voie de simple résolution, pouvoir que le Conseil peut exercer puisqu’il n’a pas été expressément limité.

[58] En lien avec la Loi sur les élections au sein de premières nations, les défendeurs ont souligné que l’alinéa 3(1)a), reproduit en annexe, permet à une première nation de devenir une première nation participante au sens de cette loi par simple résolution. Ainsi, il s’agirait là d’une indication que le Conseil peut modifier le Code de 1994 par voie de résolution.

[59] Au surplus, les défendeurs soutiennent que le processus suivi par le Conseil pour adopter le Code de 2015 respecte les critères élaborés dans la jurisprudence pour constater la coutume de la Bande puisque le processus a été public et que les modifications ont fait l’objet d’un large consensus au sein de la Bande (Awashish c Première Nation des Atikamekw d’Opitciwan, 2007 CF 765 [Awashish] et Taypotat c Taypotat, 2012 CF 1036). Les défendeurs soulignent qu’il faut interpréter la notion de large consensus de manière souple (Awashish, aux para 40, 41 et 44).

[60] À cet égard, les défendeurs allèguent que les modifications proposées ont été largement diffusées, qu’elles ont été soumises à la Bande par voie de référendum le 30 juillet 2015, que le résultat du référendum illustre justement le large consensus au sein de la Bande puisque les électeurs s’étant abstenus doivent être considérés comme ayant exprimé leur approbation, et que l’adoption a été contestée uniquement par M. Bacon St-Onge.

[61] Les défendeurs soulignent que le demandeur n’a pas reçu l’appui d’autres membres de la Bande pour contester le Code de 2015, qu’il a de plus ratifié le Code de 2015 en présentant sa candidature aux élections et que sa seule opposition concerne la prolongation du mandat des élus.

[62] Les défendeurs ajoutent que de toute façon, les modifications apportées au Code de 1994 n’ont rien changé aux principes démocratiques, qu’elles ne visent qu’à accroître la durée du mandat des élus de 2 à 4 ans et à renforcer la transparence et la protection du système électoral. Somme toute, elles ne justifient pas l’imposition d’un carcan procédural rigide.

(5) Contestation de l’élection du 17 août 2016

[63] Les défendeurs affirment que, de façon générale, les irrégularités relevées par le demandeur sont d’ordre procédural et qu’elles n’ont pas d’incidence sur le résultat du scrutin.

[64] Ils affirment qu’il s’agissait d’une élection de transition entre les deux codes et que des adaptations étaient nécessaires, mais qu’elles n’ont pas compromis le processus électoral (Pahtayken c Oakes, 2009 CF 134 aux para 76-77, et Poker c Première nation des Innus Mushuau, 2012 CF 1).

[65] Ils soutiennent que le demandeur conteste le Code de 2015 et l’élection de 2016, car il n’a pas été élu à titre de conseiller.

(6) Plainte soumise au Comité

[66] Les défendeurs plaident que la plainte soumise au Comité est bien irrecevable, car elle ne vise pas un candidat précis et ne respecte donc pas les articles 11.6 et 11.10. du Code de 2015.

(7) Préjudice

[67] Les défendeurs indiquent que si la Cour accueille les demandes du demandeur, ils subiront un préjudice irréparable. Ils soutiennent avoir été élus de façon démocratique et que le demandeur n’a pas contesté le résultat du scrutin. Ils affirment que le demandeur demande à la Cour de rejeter l’expression démocratique des électeurs sans justification ou fondement juridique. Ils soutiennent également que les cautions payées par le demandeur ne sont pas remboursables.

(8) Affidavits des défendeurs

[68] Les défendeurs affirment que les allégations du demandeur ne sont pas fondées.

IV. QUESTIONS EN LITIGE

[69] Selon les représentations des parties, le présent litige soulève les questions suivantes :

  1. La Cour doit-elle se pencher sur l’allégation des défendeurs selon laquelle la demande de contrôle judiciaire est hors délai?
  2. Quelle norme de contrôle la Cour doit-elle utiliser?
  3. Le Conseil détient-il des pouvoirs inhérents lui permettant de modifier le Code de 1994 par voie de résolution?
  4. L’adoption du Code de 2015 résulte-t-elle de l’expression d’un large consensus au sein de la Bande?
  5. Les élections doivent-elles être annulées?
  6. La décision du 2 septembre est-elle raisonnable?
  7. Les affidavits des défendeurs sont-ils valides?
  8. Si elles sont accueillies, les demandes demandées par le demandeur causeraient-elles un préjudice irréparable aux défendeurs et à l’ensemble de la communauté?
  9. Quels remèdes la Cour peut-elle accorder?

V. ANALYSE

A. Délai

[70] Le 6 décembre 2016, madame la juge Tremblay-Lamer a accueilli la requête en prorogation de délai du demandeur. Ainsi, la Cour n’a pas à aborder la question du non-respect du délai prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales et l’argument des défendeurs à cet égard n’est pas fondé.

B. Norme de contrôle

[71] La Cour se range à la position des défendeurs et utilisera la norme de la décision raisonnable pour évaluer les questions d’interprétation de dispositions d’un code électoral. En effet, dans les décisions récentes de la Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale citées par les défendeurs (Première nation de Fort McKay et D’Or, ainsi que dans la décision Testawich rendue par le juge Mosley), la Cour a déterminé que ce n’était plus la norme de la décision correcte qui s’appliquait à l’interprétation de dispositions d’un code électoral, mais bien la norme de la décision raisonnable. Cependant, il est utile de noter que dans la décision Première nation de Fort McKay c Orr 2012, CAF 269 aux para 11 et 12, le juge Stratas « a souligné que la norme de la décision raisonnable, dans ce type d’examen, est similaire à la norme de la décision correcte et que la décision doit être justifiée par le libellé du code électoral, ou toute autre source de pouvoir » (Mckenzie c Bande Indienne Lac La Ronge, 2017 CF 559 au para 39).

C. Le Conseil détient-il des pouvoirs inhérents lui permettant de modifier le Code de 1994 par voie de résolution?

[72] Les défendeurs affirment qu’ils ne sont pas liés par le mécanisme de modification prévu au chapitre 9 du Code de 1994 puisqu’ils disposent d’un pouvoir inhérent de modification du code électoral, dont la source se situe à l’alinéa 2(3)b) de la Loi sur les Indiens. Or, dans cet article, il est question de pouvoirs conférés et non de pouvoirs inhérents. Au surplus, dans la décision Bone c Bande indienne no 290 de Sioux Valley, (1996), 107 FTR 133, [1996] 3 CNLR 54 [Bone], la Cour, bien qu’appelée à interpréter l’alinéa 2(3)a) de la Loi sur les Indiens, a néanmoins confirmé que « [...] l’article 2 est une disposition qui renferme des “définitions” plutôt qu’une disposition “habilitante” » et que le pouvoir de la Bande de choisir les méthodes de sélection des membres de son conseil n’est pas un pouvoir conféré mais un pouvoir inhérent de la Bande (Bone, aux para 31 à 34). Ainsi, le pouvoir inhérent, s’il en est un, appartient à la Bande et non pas au Conseil.

[73] Les défendeurs s’appuient également sur le libellé de l’article 3 de la Loi sur les élections au sein de premières nations qui permet à une première nation de devenir une première nation participante au sens de cette loi par simple résolution. Il faut noter d’abord que la Bande n’est pas une première nation participante et que cette Loi ne s’applique donc pas à ses élections. Au surplus, le fait de prévoir le pouvoir du Conseil de procéder par voie de résolution dans un tel cas peut plutôt laisser croire que le Conseil n’a pas de pouvoir inhérent à cet égard.

[74] Enfin, la Cour note que les défendeurs n’ont pas soumis de jurisprudence pour étayer leur argument.

[75] Il semble opportun de réitérer d’emblée que le Code de 1994 a été adopté au terme d’un processus exigeant, à l’issue de nombreuses consultations et il n’est pas contesté qu’il représentait bien, lors de son adoption, le reflet de l’expression d’un large consensus au sein de la Bande quant à sa coutume. Le Conseil ne pouvait adopter, seul et par voie de résolution le premier code coutumier, en l’instance le Code de 1994, pour soustraire les élections au processus prévu aux articles 74 à 80 de la Loi sur les Indiens. Il paraitrait pour le moins incohérent d’octroyer au Conseil les pouvoirs de le modifier ensuite à sa guise par voie de simple résolution.

[76] Au surplus les parties n’ayant pas soulevé d’indications au contraire, tout porte à croire que le Code de 1994 est utilisé et suivi par la Bande depuis plus de 20 ans.

[77] La Cour a certes reconnu que le chef et les conseillers jouissent d’une expertise quant à l’interprétation des coutumes de la bande et qu’il faut faire preuve d’une retenue considérable à l’égard de leurs décisions (Shotclose c Première Nation Stoney, 2011 CF 750 aux para 58-59). Toutefois, il faut noter de nouveau que le pouvoir de définir la coutume appartient à la bande et non au conseil (Bone, aux para 31 à 34).

[78] Les défendeurs allèguent également que la procédure de modification prévue au Code de 1994 ne s’applique pas au Conseil en raison de son libellé, réservant l’initiative de la modification à « un ou des électeurs », et qu’il n’a pas à la respecter. Or, les membres du Conseil doivent être des électeurs selon l’article 3.5 du Code de 1994, qui prévoit qu’un électeur désigne une personne sur la liste de la Bande et qui a dix-huit ans révolus. La disposition ne semble pas exclure de son application les membres du Conseil, car pour se porter candidat lors d’une élection, il faut qu’une personne ait justement qualité d’électeur (alinéa 4.1a) du Code de 1994).

[79] La Cour souscrit à la position du demandeur selon laquelle le Conseil doit respecter la primauté du droit et la démocratie, et donc se soumettre à la procédure de modification prévue dans le Code de 1994 qui a été validement adoptée par la Bande (décision Nation crie de Long Lake au para 31, citée par la Cour dans la décision Balfour, au para 12).

[80] Les défendeurs n’ont déposé aucune autorité ou décision au soutien de leur position et ils n'ont pas convaincu la Cour du bien-fondé de leurs arguments. La Cour ne peut pas conclure que le Conseil détient des pouvoirs inhérents, dont celui de modifier le Code de 1994 par voie de résolution.

[81] Les modifications auraient plutôt dû être apportées conformément au processus de modification du Code de 1994. Dans la décision Joseph, aux para 28, 34, 44 et 45, la Cour a déterminé que si un code électoral coutumier prévoit une procédure de modification pour ce code, elle doit être respectée.

[82] La décision du Conseil d’adopter un nouveau Code par résolution parait donc déraisonnable et incorrecte.

D. L’adoption du Code de 2015 résulte-t-elle de l’expression d’un large consensus au sein de la Bande ?

[83] Si la Cour arrivait à la conclusion que le Conseil détenait le pouvoir inhérent invoqué et qu’il n’était pas assujetti au chapitre 9 du Code de 1994, il faudrait néanmoins que les modifications apportées au Code de 1994 fassent l’objet d’un « large consensus » tel que défini dans la jurisprudence, car il s’agit d’une modification à la coutume. La Cour doit donc vérifier si les propositions modifiées font l’objet d’un large consensus tel que le plaident les défendeurs : Bigstone c Big Eagle [1992] ACF no 16, [1993] 1 CNL. 25 (CF 1re inst.), Bande indienne de McLeod Lake c Chingee, [1998] FCJ No 1185, [1999] 1 CNLR 106 (Fed. T.D.) aux para 12 et 13 [Bande indienne de McLeod Lake].

[84] En effet, les défendeurs soutiennent que le Conseil a suivi un processus démocratique acceptable, que les modifications proposées ont fait l’objet d’un large consensus au sein de la Bande, que seul le demandeur s’est opposé et que les électeurs qui ne se sont pas prononcés lors du référendum doivent être comptés au titre de ceux ayant approuvé les modifications. Ainsi, le critère permettant l’adoption d’une nouvelle coutume aurait été respecté.

[85] Dans le cas qui nous occupe, le mécanisme de modification prévu au Code de 1994 exigeait a priori l’appui écrit de la moitié des membres de la Bande pour apporter une modification. Aussi, le texte même de la résolution adoptée le 21 juillet 2015 pour soumettre la question référendaire exigeait que « le nouveau code électoral ne sera effectif qu’à la seule condition que la majorité des membres s’exprime en faveur lors du vote référendaire ».

[86] Or, tel que mentionné plus haut, seulement 572 membres des 2273 personnes figurant sur la liste électorale ont participé au référendum, établissant le taux de participation à 25 %, loin de la moitié exigée, et seulement deux voix séparent les membres en faveur des modifications de ceux en défaveur des modifications, soit 278 en accord et 276 en désaccord; 18 bulletins rejetés.

[87] Au surplus, le demandeur et deux autres électeurs ont soumis une contestation et, tant la présidente d’élections au référendum que le secrétaire-greffier du Conseil ont indiqué que les modifications proposées ne pouvaient être adoptées, car l’appui requis n’était pas atteint. Le Conseil n’a pas mis en place un processus officiel de contestation et il n’a pas informé la Bande de l’adoption du Code de 2015 suivant l’adoption de la résolution du 8 mars 2016.

[88] Vu ces faits, la Cour ne peut souscrire à la position des défendeurs que les électeurs qui se sont abstenus lors du référendum doivent être considérés comme ayant appuyé les modifications suggérées. Cet énoncé général a certes été entériné par exemple dans la décision Bande indienne de McLeod Lake, mais dans cette affaire, la bande n’avait pas prévu de processus de modification de système électoral comme c’est le cas ici. De plus, au paragraphe 30 de la décision Francis c Mohawk Council of Kanesatake CFPI 115, la Cour a précisé que « l’approbation de la majorité des membres adultes de la bande constitue probablement un bon indice d’un large consensus » et que la « question de savoir si une décision prise à la majorité des membres présents à une assemblée générale démontre l’existence d’un large consensus dépend des circonstances entourant cette assemblée ».

[89] Ainsi, les circonstances actuelles ne permettent pas de conclure que les personnes s’étant abstenues doivent être considérées comme ayant approuvé les modifications.

[90] La Cour ne peut souscrire à la position des défendeurs que le Code de 2015 ne change pas substantiellement celui de 1994. Un changement dans la durée du mandat conféré aux élus n’est pas mineur ou anodin, ce changement seul suffit pour réfuter l’argument des défendeurs.

E. Les élections doivent-elles être annulées ?

[91] Ayant conclu que le Code de 2015 est invalide, les élections du 17 août 2016, qui ont été tenues en vertu de ce code, doivent être invalidées et annulées.

F. La décision du 2 septembre est-elle raisonnable?

[92] La Cour n’a pas à se prononcer sur cette question subsidiaire étant donné qu’elle a accueilli la demande d’annulation des élections du demandeur en raison de l’adoption invalide du Code de 2015.

G. Les affidavits des défendeurs sont-ils valides?

[93] Le demandeur soutient que de nombreuses allégations dans les affidavits des défendeurs sont fondées sur leurs opinions et portent sur des questions de droit devant être tranchées par la Cour, mais il n’a pas désigné de paragraphes précis et n’a pas demandé leur radiation. La Cour n’invalidera donc pas les affidavits.

H. Préjudice

[94] La Cour est d’avis qu’elle n’a pas à se prononcer sur cette question, car le critère du préjudice s’inscrit habituellement dans une demande d’injonction. Or, ni le demandeur ni les défendeurs n’ont présenté d’arguments à ce sujet.

I. Remèdes

[95] Selon l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, la « Cour fédérale a la compétence exclusive, en première instance, pour décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral ».

[96] Le demandeur a notamment demandé des injonctions. Or, il n’a pas présenté d’arguments à l’égard du triple critère cumulatif qui exige que le demandeur établisse l’existence d’une question sérieuse à juger, que le fait de refuser la réparation demandée causerait un tort irréparable et que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi de la mesure de redressement demandée (RJR Macdonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311).

[97] Le demandeur n’a pas convaincu la Cour concernant le remboursement des cautions déposées pour la Cour. Il faut noter également que la Cour ne peut accorder des dommages-intérêts dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Hinton, 2008 CAF 215 au para 45).

[98] La Cour réfère aux propos de Mme la Juge Strickland dans Beardy c Beardy, 2016 CF 383 au para 153, laquelle citant l’arrêt Ballantyne c Nasikapow, [2000] FCJ no 1896 au para 79, indique que la Cour peut élaborer une réparation adaptée aux circonstances de l’espèce. Cet exercice d’un pouvoir discrétionnaire prévoit qu’une cour décidant du moment de l’entrée en vigueur de son ordonnance doit s’assurer, dans la mesure du possible, que l’entrée en vigueur de son ordonnance n’entraîne pas une perturbation inutile de l’administration de la bande (Sparvier, au para 101).

[99] Ainsi, la Cour susprendra l’exécution du jugement afin de permettre, le cas échéant, une modification au Code de 1994 selon le processus prévu au chapitre 9 du Code de 1994. À défaut de quoi les élections se tiendront vers le 17 août 2018, sous l’égide du Code de 1994 et tel qu’il y est prévu.

J. Dépens

[100] Dans un délai de 30 jours à compter du prononcé du jugement, les parties doivent présenter leurs observations écrites sur les dépens. Les observations ne doivent pas dépasser cinq pages.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La demande d’ordonnance de certiorari est accordée. La résolution du Conseil du 8 mars 2016 est annulée; le Code de 2015 est déclaré invalide; l’élection tenue le 17 août 2016 est annulée.

  3. Il est déclaré que le Code de 1994 reste en vigueur.

  4. Cependant, l’ordonnance de certiorari est par la présente suspendue jusqu’aux prochaines élections afin de permettre à la Nation innue de Pessamitd’apporter des modifications au Code de 1994, si tel est le consensus, et que ces modifications soient mises en vigueur conformément aux exigences en matière de modifications du Code de 1994.

  5. Si le Code de 1994 n’est pas modifié, les élections seront tenues à la date prévue, soit le ou vers le 17 août 2018, si le Code de 1994 est modifié, les élections seront tenues à la date prévue au nouveau Code.

  6. Le chef actuel et le conseil composé doivent continuer d’exercer leurs fonctions et de gérer les affaires de Nation innue de Pessamitnormalement jusqu’aux prochaines élections.

  7. Les parties doivent soumettre des représentations quant aux dépens dans un délai de 30 jours selon les motifs précités.

« Martine St-Louis »

Juge


ANNEXE

Loi sur les Indiens, LRC (1985), ch I-5

Indian Act (RSC, 1985, c I-5)

2(3)b) un pouvoir conféré au conseil d’une bande est censé ne pas être exercé à moins de l’être en vertu du consentement donné par une majorité des conseillers de la bande présents à une réunion du conseil dûment convoquée.

2(3)b) a power conferred on the council of a band shall be deemed not to be exercised unless it is exercised pursuant to the consent of a majority of the councillors of the band present at a meeting of the council duly convened.

Loi sur les élections au sein de premières nations (LC 2014, ch 5)

First Nations Elections Act (S.C. 2014, c. 5)

3(1) Le ministre peut, par arrêté, ajouter le nom d’une première nation à l’annexe dans les cas suivants :

3(1) The Minister may, by order, add the name of a First Nation to the schedule if

a) le conseil de la première nation visée lui fournit une résolution dans laquelle il lui en fait la demande;

(a) that First Nation’s council has provided to the Minister a resolution requesting that the First Nation be added to the schedule;

Code électoral concernant les élections du Conseil de bande de Betsiamites (Code de 1994)

Chapitre 9 Mécanisme de modification interne

9.1 Si un ou plusieurs électeurs veulent que des modifications soient apportées au présent code, la procédure suivante doit être suivie :

a) l’électeur désirant une modification doit avoir l’appui écrit d’au moins la moitié des électeurs inscrits sur la liste électorale;

b) au moins six mois avant la date de la prochaine élection l’électeur doit présenter cet appui à une réunion du Conseil de bande de Betsiamites qui doit convoquer une assemblée générale des électeurs afin de leur soumettre cette modification proposée aux conditions suivantes :

1- si le nombre requis est atteint et,

2- si la modification est conforme aux lois en vigueur;

c) Le directeur général du Conseil doit alors afficher au moins deux semaines à l’avance un avis de la tenue de l’assemblée générale dans au moins deux endroits publics à l’intérieur de la communauté. L’avis en question doit indiquer la date, le lieu, l’heure et le but de l’assemblée;

d) Suite à l’assemblée générale où la modification aura été discutée, un registre tenu par une personne désignée par le Conseil est ouvert pendant une période de temps déterminée par le Conseil afin d’enregistrer les objections à la modification. Les détails concernant ce registre sont communiqués à la population générale.

e) À moins que plus d’électeurs n’enregistrent leur objection tel que prévu au paragraphe a) du présent article, la modification est apportée au code et est effective à partir du premier lundi suivant la fermeture du registre.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Dossier :

T-2135-16

INTITULÉ :

JÉRÔME BACON ST-ONGE c LE CONSEIL DES INNUS DE PESSAMIT, RENÉ SIMON, ÉRIC CANAPÉ, GÉRALD HERVIEUX, DIANE RIVERIN,

JEAN-NOËL RIVERIN, RAYMOND ROUSSELOT,

MARIELLE VACHON

LIEU DE L’AUDIENCE :

QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 OCTOBRE 2017

JUGEMENT ET MOTIFS:

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 21 DÉCEMBRE 2017

COMPARUTIONS :

Me François Boulianne

pour le demandeur

Me Kenneth Gauthier

pour leS défendeurS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Neashish & Champoux

Québec (Québec)

pour le demandeur

Kenneth Gauthier

Québec (Québec)

pour leS défendeurS

 

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