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Date : 20180111


Dossier : IMM-2992-17

Référence : 2018 CF 23

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 janvier 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

MIRNA JOSEFINA PALACIOS DE MARTINEZ

ERICK DANIEL PALACIOS MIRANDA

CARLOS ENRIQUE MARTINEZ CALDERON

MARIA FERNANDA MARTINEZ PALACIOS

ANDRES ENRIQUE MARTINEZ PALACIOS

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs sont les membres d’une famille salvadorienne ayant réclamé l’asile au Canada parce qu’ils craignent le gang MS-13. Leurs demandes, fondées sur les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), ont été rejetées par la Section de la protection des réfugiés (SPR) pour des considérations relatives à la crédibilité et à l’existence d’une protection de l’État.

Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie parce que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État.

I.  Résumé des faits

[2]  Le père demandeur est un militaire de l’armée salvadorienne depuis 2000.

[3]  En février 2014, les demandeurs ont reçu un appel de menaces du gang MS-13, qui leur ordonnait de quitter leur résidence. Le père a par la suite écrit une lettre à un colonel de l’armée, qui lui a conseillé de quitter la maison sur-le-champ.

[4]  Les demandeurs sont allés habiter chez un parent pendant sept mois, puis ils ont regagné leur foyer en septembre 2014.

[5]  En août 2016, alors qu’il assurait la garde au domicile de la fille du président du Salvador, le père a été témoin d’une fusillade. À ses dires, même s’il a signalé l’attaque au responsable de la sécurité du président, l’incident n’a jamais été consigné.

[6]  En septembre 2016, selon les demandeurs, les menaces téléphoniques se sont multipliées. Le père prétend en avoir informé la police et son supérieur immédiat.

[7]  Le fils raconte quant à lui qu’en décembre 2016, trois hommes masqués l’ont agressé alors qu’il rentrait chez lui après le travail. Le père affirme qu’il a signalé ce nouvel incident et les appels de menaces à la police et au bureau du procureur général de la République d’El Salvador. Cependant, les incidents allégués n’ont jamais fait l’objet d’une enquête.

[8]  Le 26 janvier 2017, les demandeurs ont quitté le Salvador. Le père n’ayant pas démissionné de l’armée, il prétend qu’il est recherché parce qu’il est un déserteur. Après s’être rendus aux États-Unis, les demandeurs ont réclamé l’asile au Canada le 10 février 2017.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[9]  La Section de la protection des réfugiés a conclu à l’absence de motif permettant d’attribuer aux demandeurs la qualité de réfugiés au sens de la Convention. Le père a fait valoir qu’à titre de militaire des forces de sécurité salvadoriennes, il appartient à un « groupe social » au sens de l’article 96 de la LIPR. Cependant, la Section de la protection des réfugiés s’est appuyée sur la jurisprudence de la Cour fédérale pour conclure que les motifs visés à l’article 96 de la LIPR, y compris celui qui a trait au groupe social, renvoient aux attributs identitaires d’une personne plutôt qu’à ses activités professionnelles. Les autres demandeurs ont été déboutés de leurs revendications parce qu’elles découlaient de celle du père.

[10]  Pour ce qui est de la revendication fondée sur l’article 97, la Section de la protection des réfugiés n’a pas jugé crédibles les allégations concernant les menaces reçues au Salvador et elle a conclu que les demandeurs ne risquaient aucunement d’y être pris pour cibles. Sa conclusion est fondée sur quatre contradictions relevées dans les témoignages et les éléments de preuve documentaire des demandeurs.

[11]  Elle a conclu également que le père et sa famille bénéficieraient d’une protection efficace de l’État salvadorien parce qu’il est un militaire.

III.  Questions en litige

[12]  Les demandeurs ont soulevé plusieurs questions, mais celle de savoir si la Section de la protection des réfugiés a correctement analysé la protection de l’État est déterminante quant à l’issue de la présente demande.

IV.  Norme de contrôle

[13]  Eu égard à l’application du critère approprié en matière de protection de l’État, la norme de contrôle est celle de la décision correcte (Mata c Canada (Immigration et Citoyenneté), 2017 CF 1007, au paragraphe 10).

V.  Discussion

[14]  Les demandeurs soutiennent que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en se concentrant sur [traduction] « l’efficacité de la protection de l’État ». Selon eux, elle aurait dû appliquer le critère de la « protection adéquate de l’État » (Kovacs c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 337, au paragraphe 67).

[15]  Le critère relatif à la protection de l’État est axé sur la question de savoir s’il fournit réellement une protection (Vidak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 976, au paragraphe 8). Il a été établi dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Flores Carrillo), 2008 CAF 94, que l’efficacité de la protection de l’État n’est pas en soi le critère applicable. Force est d’admettre cependant que pour être adéquate, la protection doit présenter un certain niveau d’efficacité (Bledy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 210, aux paragraphes 46 à 49).

[16]  Dans ses motifs, la Section de la protection des réfugiés aborde uniquement la question de l’efficacité de la protection de l’État salvadorien. Elle convient que pour la majorité de ses citoyens, [traduction] « l’État salvadorien n’offre pas une protection efficace », mais que le statut de militaire du père [traduction] « lui permet d’obtenir une aide efficace [...] qui s’apparente à une protection efficace de l’État ».

[17]  Hormis le fait que le raisonnement de la Section de la protection des réfugiés ne repose pas sur le bon critère, rien dans le dossier de preuve ne permet de présumer que le père obtiendra la protection de l’État simplement parce qu’il a été membre de l’appareil étatique. C’est plutôt le contraire. Comme l’a fait observer la Section de la protection des réfugiés, certains rapports sur la corruption endémique des policiers par les gangs sont loin de laisser entendre qu’il est en règle générale possible de se réclamer de la protection de l’État salvadorien. Par ailleurs, il n’existe aucune raison de présumer que l’État salvadorien offrirait une protection adéquate et réelle au père et à toute sa famille, et notamment à ses enfants.

[18]  Parce qu’elle n’a pas fait un examen rigoureux des éléments de preuve portant sur la protection de l’État, la Section de la protection des réfugiés a conclu qu’il est [traduction] « invraisemblable » que le père ne puisse pas l’obtenir puisqu’il est militaire. La Section de la protection des réfugiés peut tirer des conclusions sur la crédibilité qui sont fondées sur la logique et la rationalité, mais elle ne peut conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7). Dans le cas qui nous occupe, la conclusion d’invraisemblance est manifestement contredite par la preuve objective, et elle n’est aucunement justifiée.

[19]  Dans les circonstances, la Section de la protection des réfugiés n’a pas appliqué le bon critère en matière de protection de l’État et elle n’a pas porté un regard objectif sur les éléments de preuve. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2992-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section de la protection des réfugiés est annulée et l’affaire est renvoyée aux fins d’un réexamen.

  2. Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et aucune n’est soulevée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2992-17

INTITULÉ :

MIRNA JOSEFINA PALACIOS DE MARTINEZ, ERICK DANIEL PALACIOS MIRANDA, CARLOS ENRIQUE MARTINEZ CALDERON, MARIA FERNANDA MARTINEZ PALACIOS, ANDRES ENRIQUE MARTINEZ PALACIOS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 décembre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 11 janvier 2018

COMPARUTIONS :

John Grice

Pour les demandeurs

Nicole Rahaman

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davis and Grice

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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