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Date : 20180109


Dossier : IMM-1710-17

Référence : 2018 CF 13

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

FANG CHEN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. INTRODUCTION

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), de la décision du 27 mars 2017 (décision) par laquelle la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Commission) a déclaré la demanderesse interdite de territoire au Canada pour grande criminalité et criminalité organisée.

II. RÉSUMÉ DES FAITS

[2] La demanderesse est une citoyenne de la Chine. Le 2 juin 2007, elle est arrivée au Canada à titre de résidente permanente sous le parrainage de son ex-mari.

[3] En décembre 2008, après la dissolution de son premier mariage, la demanderesse a commencé à cohabiter avec son conjoint actuel. Le 17 juin 2009, dans le cadre d’une enquête sur un réseau de culture de marijuana, la police a fait une descente dans la résidence de la demanderesse. La police a alors arrêté la demanderesse, son conjoint et deux autres personnes qui se trouvaient dans la résidence.

[4] Le 15 janvier 2010, la demanderesse et son conjoint ont plaidé coupables aux infractions suivantes :

  • complot (Code criminel, LRC (1985), c C-46, alinéa 465(1)c)) en vue de produire de la marijuana, une substance inscrite à l’annexe II de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19 (LRCDS), en violation du paragraphe 7(1) de la LRCDS;
  • possession en vue du trafic (paragraphe 5(2) de la LRCDS);
  • vol d’énergie d’une valeur supérieure à 5 000 $ (alinéa 326(1)a)) du Code criminel);
  • vol d’eau d’une valeur supérieure à 5 000 $ (article 334 du Code criminel).

[5] La demanderesse a été condamnée à la peine déjà purgée, soit les 135 jours de détention préventive, et à une peine d’emprisonnement avec sursis de 6 mois.

[6] Elle allègue maintenant qu’elle a plaidé coupable en raison de sa situation personnelle de l’époque et qu’elle avait été représentée par un avocat incompétent, qui n’était pas indépendant de son mari. La demanderesse a interjeté appel de ses déclarations de culpabilité devant la Cour d’appel de l’Ontario mais, après l’audition de la présente demande, il a été porté à l’attention de la Cour que son appel a été rejeté.

[7] En 2015, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a déféré l’affaire de la demanderesse à la Section de l’immigration pour qu’une enquête soit menée en vue de déterminer si elle est une personne visée aux alinéas 36(1)a) ou 37(1)a) de la LIPR.

III. DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[8] En premier lieu, la Section de l’immigration examine l’allégation selon laquelle la demanderesse est une résidente permanente interdite de territoire pour grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. Après avoir confirmé l’identité de la demanderesse, la Section de l’immigration dresse la liste de ses condamnations criminelles et des peines infligées. La Section de l’immigration conclut qu’il est [traduction] « manifeste et incontesté » que la demanderesse a été reconnue coupable au Canada d’infractions punissables d’un emprisonnement maximal d’au moins 10 ans, et qu’une peine d’emprisonnement de plus de 6 mois lui a été infligée. Pour ces motifs, la Section de l’immigration déclare la demanderesse interdite de territoire pour grande criminalité et prononce une mesure d’expulsion contre elle.

[9] La Section de l’immigration cherche ensuite à établir si la demanderesse est interdite de territoire pour criminalité organisée aux termes de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. Après avoir conclu que la demanderesse est interdite de territoire pour criminalité organisée, une mesure d’expulsion est prise contre elle.

[10] La Section de l’immigration reconnaît que la demanderesse a rétracté les aveux qu’elle avait faits devant la Commission pénale qui l’a déclarée coupable. La Section de l’immigration observe néanmoins que son témoignage [traduction] « ne concorde pas avec certaines déclarations antérieures qui apparaissent invraisemblables et incompatibles avec la preuve dans son ensemble, et n’est donc pas crédible ». La Section de l’immigration considère qu’en suggérant à la Commission de ne pas tenir compte de ses aveux et de ses condamnations criminelles, la demanderesse cherche indûment à remettre en cause ces condamnations. La Section de l’immigration souligne aussi que dans sa déclaration, la demanderesse allègue qu’elle a obtenu une prorogation du délai pour déposer un appel de ses condamnations qui n’est pas établie dans la preuve. Il est énoncé dans la décision que la Section de l’immigration [traduction] « doit conclure que la demanderesse a commis les actes sous-jacents à la déclaration de culpabilité et ceux qu’elle a avoués dans son plaidoyer de culpabilité ».

[11] La Section de l’immigration explose les conclusions de fait fondant sa conclusion liée à la criminalité organisée. Elle conclut que l’organisation criminelle Huang avait commencé à acheter des maisons dans l’est de l’Ontario en janvier 2007, soit avant que la demanderesse en devienne membre. Le 2 décembre 2008, la demanderesse a reçu un virement bancaire de la Chine; elle a utilisé ces fonds pour acheter la résidence du 30, Amanda Drive, à Toronto, où elle a par la suite été arrêtée. Des parties d’une installation de culture de marijuana démontée se trouvaient dans la résidence, ainsi que des reçus et des documents immobiliers liés à cette installation. La demanderesse louait aussi deux fourgonnettes qui étaient utilisées pour les activités de culture de marijuana, dont l’une était garée chez elle au moment de son arrestation. Des biens appartenant à d’autres membres de l’organisation criminelle Huang ont été découverts chez la demanderesse au moment de son arrestation. Dans son plaidoyer de culpabilité, elle a admis que sa résidence servait de base pour les opérations de l’organisation.

[12] La Section de l’immigration n’a pas prêté foi aux explications de la demanderesse selon lesquelles elle n’a jamais eu connaissance que son conjoint et son ami, qui était un locataire dans sa résidence, étaient impliqués dans des activités de culture de marijuana. Du matériel lié au complot criminel a été découvert partout dans la résidence, notamment dans la cuisine, où il était bien en vue, et dans des chambres où se trouvaient des pièces d’identité de la demanderesse. Comme le matériel était dispersé un peu partout dans la résidence, la Section de l’immigration a estimé que la demanderesse était au courant des activités criminelles qui s’y déroulaient ou a fait preuve d’aveuglement volontaire. La Section de l’immigration conclut qui si l’organisation Huang s’était méfiée de la demanderesse, elle n’aurait pas laissé du matériel exposé à la vue dans sa résidence. La demanderesse a déclaré à un agent de l’ASFC que son conjoint l’avait entraînée dans le complot malgré elle et à son insu, ce dont la Section de l’immigration a pris bonne note.

[13] Elle constate aussi que les faits admis dans le plaidoyer de culpabilité et dans la déclaration de culpabilité de la demanderesse contredisent son témoignage. Les incohérences entre son témoignage, ses déclarations antérieures et la preuve dans son ensemble portent atteinte à sa crédibilité. La Section de l’immigration observe que lors de son premier interrogatoire, la demanderesse a donné les noms de quelques-uns de ses locataires, mais pas celui de l’ami de son conjoint. Elle a pourtant déclaré à l’audience qu’elle n’avait jamais su les noms des autres locataires. La Section de l’immigration souligne que les locataires de la demanderesse n’ont pas été arrêtés, mais que d’autres personnes présentes dans la résidence durant la descente policière l’ont été. Sa conclusion est que les personnes arrêtées se trouvaient dans la résidence de la demanderesse parce qu’elle l’avait mise à la disposition de l’organisation Huang pour qu’elle en fasse sa base d’opération.

[14] La Section de l’immigration précise que l’une des fourgonnettes louées par la demanderesse a été aperçue à deux installations de culture de marijuana en activité. Le véhicule ne servait pas à l’usage personnel de la demanderesse, car elle possédait déjà une berline. Une seconde fourgonnette immatriculée au nom de son conjoint a aussi été aperçue à des installations en activité. La Section de l’immigration conclut que le témoignage de la demanderesse à l’audience ne concorde pas avec les déclarations qu’elle a faites à la police en 2009 au sujet des fourgonnettes, et que sa crédibilité s’en trouvait encore plus entachée.

[15] Après avoir donné certains détails de l’enquête policière sur le réseau de culture de marijuana, la Section de l’immigration tire des conclusions plus détaillées au sujet du matériel trouvé dans la résidence de la demanderesse le jour de son arrestation. Notamment, les policiers ont découvert des documents immobiliers et des pièces d’identité dans un sac verrouillé dans le placard également verrouillé de la demanderesse, mais il n’est pas précisé dans les notes des policiers à quels biens immobiliers se rapportaient les documents. Dans son témoignage, la demanderesse a affirmé que le sac contenait des documents liés à sa résidence de Toronto et à un autre appartement de copropriété qu’elle avait acheté. La Section de l’immigration note que la demanderesse a admis que le sac contenait des documents liés à d’autres biens immobiliers. Elle prétend toutefois qu’ils y ont été placés à son insu. Au moment de son arrestation, la demanderesse avait deux téléphones cellulaires sur elle et quatre autres ont été trouvés dans sa chambre, qui selon elle ne lui appartenaient pas. La police a également trouvé un portefeuille contenant plus de 2 300 $ en argent comptant dans sa chambre. La Section de l’immigration note qu’un reçu de location d’un local d’entreposage se trouvait sur la table de la cuisine dans la résidence de la demanderesse, et que la police a découvert du matériel de culture de marijuana dans ce local. Les images de vidéosurveillance ont révélé que le conjoint de la demanderesse avait loué le local. Compte tenu de l’ensemble de la preuve, la Section de l’immigration conclut la résidence de la demanderesse [traduction] « a joué un rôle central dans les activités de l’organisation ». Il est difficile de croire la demanderesse quand elle affirme qu’elle n’était pas au courant de ce qui se tramait dans sa résidence : du matériel se trouvait au vu et au su de tous, et des documents ont été découverts dans un sac verrouillé dans le placard également verrouillé de la demanderesse.

[16] La Section de l’immigration observe que l’organisation Huang a poursuivi ses activités après la première arrestation de la demanderesse. Une enquête policière ultérieure a révélé que celle-ci était la directrice d’une société à dénomination numérique qui avait acheté une propriété rurale à l’est de Kingston. Aucune installation de culture de marijuana en activité n’y a été découverte. La demanderesse n’a pas fait allusion à cet achat durant son témoignage. Toutefois, d’autres installations de culture de marijuana en activité ont été découvertes dans des propriétés achetées par les membres de l’organisation par l’entremise d’autres sociétés à dénomination numérique. La police ayant découvert qu’elle vivait dans sa résidence et non chez la personne s’étant portée caution pour elle, la demanderesse a de nouveau été arrêtée pour violation des conditions de sa mise en liberté sous caution.

[17] La Section de l’immigration reconnaît que la demanderesse et son conjoint étaient représentés par le même avocat lorsqu’ils ont plaidé coupables le 15 janvier 2010. La demanderesse a été détenue pendant 135 jours après sa deuxième arrestation. Dans son plaidoyer de culpabilité, elle admet que sa résidence a été utilisée comme base d’opération du groupe, que des reçus pour des matériaux de construction associés aux installations de culture de marijuana ont été trouvés dans un placard de sa chambre et que la fourgonnette qu’elle louait avait servi aux activités criminelles. Elle admet aussi que l’organisation Huang a utilisé des propriétés à Belleville, à Kingston et à Brighton, et qu’elle était responsable du vol d’électricité et d’eau. La Section de l’immigration conclut que la demanderesse n’a pas interjeté appel de sa déclaration de culpabilité ou de la conduite de son avocat à l’époque, et qu’elle a poursuivi sa relation avec son conjoint après sa mise en liberté.

[18] La demanderesse a finalement déposé un avis d’appel de sa déclaration de culpabilité le 17 février 2016, après que l’ASFC a déféré son affaire à la Section de l’immigration pour enquête. La Section de l’immigration conclut que [traduction] « [m]ême si l’appel est accueilli, la preuve établirait le bien-fondé de l’allégation ».

[19] La Section de l’immigration examine ensuite les éléments de preuve concernant l’organisation criminelle Huang et conclut que les faits s’y rapportant ne sont pas fondamentalement contestés. Il s’est par ailleurs avéré qu’un agent immobilier, M. Huang, a joué un rôle de premier plan dans l’organisation. Toutefois, d’autres membres de confiance s’occupaient des opérations directement liées à la production de marijuana et au fonctionnement des installations. La Section de l’immigration conclut que le rôle de la demanderesse au sein de l’organisation était lié plus particulièrement au soutien financier, au transport et au maintien d’une base d’opération, et qu’elle mettait sciemment sa résidence à disposition à cette fin. La résidence de la demanderesse se démarquait par le fait qu’elle était utilisée plus directement pour le soutien à la production de marijuana que d’autres propriétés dans lesquelles la police a découvert des documents se rapportant à l’organisation. Ce constat confirme, aux yeux de la Section de l’immigration, que l’organisation utilisait la résidence comme base d’opération. La Section de l’immigration ayant établi que la demanderesse avait sciemment mis sa résidence à disposition pour le soutien aux opérations de l’organisation Huang, il en découle qu’elle devait en être une membre de confiance. La Section de l’immigration souligne que peu importe les circonstances dans lesquelles la demanderesse a acheté la propriété, la Commission en a ordonné la saisie au motif qu’elle avait probablement servi à la perpétration des infractions.

[20] La Section de l’immigration convient qu’il n’existe pas de preuve que la demanderesse serait allée aux endroits où se trouvaient des installations de culture de marijuana. Néanmoins, tout comme elle a mis sa résidence à disposition, elle a permis à l’organisation d’utiliser les fourgonnettes qu’elle louait pour ses opérations. Il s’agit, conclut la Section de l’immigration, d’un rôle important qui témoigne d’une grande confiance mutuelle entre la demanderesse et les autres membres de l’organisation.

[21] La Section de l’immigration examine l’argument de la demanderesse selon lequel la Cour suprême du Canada a modifié l’interprétation de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR dans l’arrêt B010 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58 [B010]. Cependant, la demanderesse est visée à l’alinéa 37(1)a) selon l’interprétation que proposent les deux parties de la LIPR. Peu importe que l’on retienne la définition d’« organisation criminelle » donnée au paragraphe 467.1(1) du Code criminel ou celle de « groupe criminel organisé » de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, 2225 RTNU 209, aliéna 2a) [CNUCTO], l’appartenance à l’organisation Huang sous le coup de l’alinéa 37(1)a).

[22] Il n’était pas demandé à la Section de l’immigration de résoudre la question de l’interprétation de l’alinéa 37(1)a), mais elle en fait néanmoins une analyse détaillée. Elle parvient à la conclusion qu’il serait démesuré d’étendre les observations de la Cour suprême du Canada à propos de la criminalité transnationale organisée à l’alinéa 37(1)a) et de sortir ces observations du contexte de l’arrêt B010. La Section de l’immigration fait remarquer que dans l’arrêt B010, la Cour suprême ne se prononce pas sur la notion d’« appartenance », qui selon la demanderesse est au cœur du présent litige. Quoi qu’il en soit, la Section de l’immigration applique de manière rigoureuse son interprétation de l’alinéa 37(1)a) aux faits de la présente affaire, et conclut que la demanderesse [traduction] « faisait partie de l’organisation et qu’elle s’est livrée à des activités faisant partie du plan d’activités de cette organisation ». Elle conclut en outre que la demanderesse [traduction] « s’est livrée sciemment aux activités de l’organisation et a contribué à la réalisation de son but ».

[23] La Section de l’immigration a par conséquent déclaré la demanderesse interdite de territoire au sens des alinéas 36(1)a) et 37(1)a) de la LIPR.

IV. QUESTIONS EN LITIGE

[24] La demanderesse fait valoir que les questions suivantes sont en litige dans la présente demande :

  1. La Section de l’immigration a-t-elle fait un examen déraisonnable de la preuve?
  2. La Section de l’immigration a-t-elle fait une analyse et tiré une conclusion déraisonnables eu égard à l’aveuglement volontaire?
  3. La Section de l’immigration a-t-elle substitué le plaidoyer de culpabilité de la demanderesse à un aveu d’appartenance à une organisation criminelle organisée?
  4. La Section de l’immigration a-t-elle manqué à son obligation d’équité en tirant une conclusion défavorable à propos de la crédibilité de la demanderesse à laquelle il ne lui a pas donné l’occasion de répondre?
  5. La Section de l’immigration a-t-elle fait une analyse et une application déraisonnables de l’article 37 de la LIPR compte tenu de l’arrêt B010 de la Cour suprême du Canada?

[25] Le défendeur estime quant à lui que les première et deuxième questions de la demanderesse concernent le caractère raisonnable de la décision, et que les troisième et quatrième questions concernent l’équité procédurale.

V. NORME DE CONTRÔLE

[26] Par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En effet, si la jurisprudence établit de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à une question particulière portée devant la cour de révision, celle-ci peut adopter cette norme. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente des principes de contrôle judiciaire en common law que la cour de révision doit procéder à une analyse des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[27] De manière générale, la norme de contrôle qui doit s’appliquer aux conclusions de la Commission concernant l’interdiction de territoire est celle de la raisonnabilité (Suresh c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 28, au paragraphe 43 [Suresh]). Les première, deuxième et cinquième questions soulevées par la demanderesse seront donc examinées selon la norme de la décision raisonnable.

[28] Dans sa troisième question, la demanderesse soutient que la Section de l’immigration a manqué à son obligation d’équité en accordant une importance indue à son plaidoyer de culpabilité. Le défendeur considère lui aussi que la troisième question touche l’équité. En toute déférence, je ne vois pas comment on pourrait considérer le poids accordé au plaidoyer de culpabilité de la demanderesse et son interprétation par la Section de l’immigration comme une question d’équité procédurale. Le plaidoyer de culpabilité de la demanderesse faisait partie des éléments de preuve dont la Section de l’immigration a été saisie. Or, la pondération de la preuve relève de son champ d’expertise et doit par conséquent faire l’objet d’une grande retenue selon la norme de la décision raisonnable (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 38 [Mugesera]. En fait, la troisième question soulevée par la demanderesse correspond à une tentative pour que la valeur probante de son plaidoyer de culpabilité soit traitée comme une question d’équité procédurale. Dans la mesure où cette question puisse être dissociée de la première, elle doit s’examiner selon la norme de la raisonnabilité.

[29] En revanche, la quatrième question soulevée par la demanderesse concerne bel et bien l’équité procédurale, qui selon la Cour suprême du Canada sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 [Khosa]; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79 [Khela]). Toutefois, dans la foulée de l’arrêt Khela, la Cour d’appel fédérale a estimé que le droit « n’est pas encore fixé » en ce qui concerne la norme de contrôle à appliquer aux questions d’équité procédurale (Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, aux paragraphes 67 à 71). À quelques reprises, notre Cour a reconnu qu’il fallait faire preuve de retenue à l’égard de la Commission quand sa décision à l’égard d’une question procédurale repose essentiellement sur des éléments factuels ou probatoires (Suresh, précitée, aux paragraphe 38 à 42; B095 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 962, aux paragraphes 9 à 12). Je laisserai à d’autres le soin de concilier ces courants jurisprudentiels. En l’espèce, la question de savoir si la demanderesse s’est vu offrir une véritable possibilité de dissiper les doutes de la Commission constitue une question d’équité procédurale classique et elle est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[30] La norme de la décision raisonnable exige une analyse qui s’attache à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour doit intervenir seulement si la décision est déraisonnable, c’est-à-dire si elle ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[31] Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes en l’espèce :

Interprétation

Rules of interpretation

33 Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

33 The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

Grande criminalité

Serious criminality

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

36 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

Activités de criminalité organisée

Organized criminality

37 (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

37 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of organized criminality for

a) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan;

(a) being a member of an organization that is believed on reasonable grounds to be or to have been engaged in activity that is part of a pattern of criminal activity planned and organized by a number of persons acting in concert in furtherance of the commission of an offence punishable under an Act of Parliament by way of indictment, or in furtherance of the commission of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute such an offence, or engaging in activity that is part of such a pattern; or

b) se livrer, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités telles le passage de clandestins, le trafic de personnes ou le recyclage des produits de la criminalité.

(b) engaging, in the context of transnational crime, in activities such as people smuggling, trafficking in persons or laundering of money or other proceeds of crime.

VII. THÈSES DES PARTIES

A. Thèse de la demanderesse

[32] À titre préliminaire, la demanderesse fait savoir qu’elle acquiesce au verdict de grande criminalité et qu’elle ne conteste pas la conclusion de la Section de l’immigration à ce sujet dans la présente demande. La Commission avait à déterminer si la demanderesse était interdite de territoire pour criminalité organisée au sens de l’article 37 de la LIPR. Toutefois, la demanderesse s’est pourvue devant la Cour d’appel de l’Ontario sur les déclarations de culpabilité à l’origine de la conclusion sur la grande criminalité que la Section de l’immigration a tirée en application de l’alinéa 36(1)a). Au moment de l’audition de la présente demande, l’issue de cet appel n’était pas connue.

1) Conclusions déraisonnables compte tenu de la preuve

[33] La demanderesse soutient que la Section de l’immigration a tiré de nombreuses conclusions non corroborées par la preuve et que, de ce fait, la décision est déraisonnable. Plus précisément, la demanderesse conteste les conclusions suivantes de la Section de l’immigration : la demanderesse était une membre ou une dirigeante de l’organisation criminelle Huang; les documents liés au réseau de culture de marijuana qui ont été découverts dans sa résidence lui appartenaient personnellement; elle a acheté sa résidence avec les produits de la criminalité ou elle l’a utilisée à des fins criminelles; les locataires vivant dans la résidence de la demanderesse n’ont pas été arrêtés ou accusés relativement à la culture de marijuana; elle a loué deux véhicules pour l’usage de l’organisation criminelle; elle a avoué qu’elle était membre de l’organisation Huang. La demanderesse soutient que ces conclusions sont réitérées maintes fois dans la décision et ont mené la Section de l’immigration à établir qu’elle était une membre de confiance de l’organisation.

[34] Or, selon la demanderesse, les conclusions de la Section de l’immigration contredisent les analyses et les déclarations du commissaire tout au long de l’audience. Elle renvoie à un passage de la transcription de l’audience qui atteste que la Section de l’immigration a mis en doute l’affirmation du défendeur selon laquelle la demanderesse aurait avoué à des agents d’immigration qu’elle était membre d’une organisation criminelle. D’après les notes de cette entrevue, la demanderesse a dit aux agents que son conjoint l’avait [traduction] « entraînée malgré elle » dans cette affaire. Selon elle, l’interprétation logique de cette expression est qu’elle a été entraînée malgré elle dans un bourbier juridique, pas dans une organisation criminelle. Étant donné que le commissaire a exprimé des réserves, la demanderesse en a déduit qu’il était inutile pour elle de répliquer.

[35] D’autres parties de la transcription contredisent les conclusions de la Section de l’immigration. Notamment, le commissaire a demandé si, outre le plaidoyer de culpabilité de la demanderesse, d’autres éléments de preuve permettaient de l’associer aux activités criminelles de l’organisation Huang, et l’avocat du défendeur a convenu que la demanderesse avait acheté sa résidence avec des fonds provenant de Chine. La demanderesse affirme que la résidence a été confisquée parce qu’elle avait été achetée avec des produits de la criminalité et non parce qu’elle avait servi de base pour des activités criminelles. Elle ajoute qu’un courriel versé au dossier confirme que sa résidence n’a pas servi à des fins criminelles.

[36] À l’audience, le commissaire s’est demandé s’il était possible d’établir un lien entre les reçus et les documents immobiliers découverts dans la résidence et la demanderesse. Selon elle, aucun détail n’a été donné relativement au contenu des documents immobiliers trouvés dans son placard. Par conséquent, aucun document ne corrobore la conclusion selon laquelle la demanderesse était responsable des finances de l’organisation.

[37] À son avis, la Section de l’immigration a manqué à son obligation d’équité procédurale et au principe d’application régulière de la loi parce que les parties visées de la transcription révèlent des lacunes dans la preuve qui ne sont pas prises en compte dans la décision.

[38] La décision fait aussi abstraction de son témoignage sur le fait qu’elle n’aimait pas les amis de son conjoint, mais qu’elle n’en parlait pas pour préserver sa relation avec lui. De plus, le contexte culturel, personnel et historique de la relation de la demanderesse avec son conjoint est oublié dans la décision. La Section de l’immigration a conclu que les membres de l’organisation avaient été déclarés coupables de crimes qui se sont échelonnés sur une longue période, mais la demanderesse signale qu’elle était mariée depuis quelques mois à peine. Elle n’aurait pu devenir une membre de confiance de l’organisation en un si court laps de temps.

2) Aveuglement volontaire

[39] La demanderesse fait valoir que la Section de l’immigration n’a présenté aucune analyse à l’appui de sa conclusion que la demanderesse avait au minimum fait preuve d’aveuglement volontaire à l’égard des activités qui se déroulaient dans sa résidence. Il s’agit selon elle d’une conclusion sans fondement.

3) Importance accordée au plaidoyer de culpabilité de la demanderesse

[40] La demanderesse fait valoir que la Section de l’immigration a interprété son plaidoyer de culpabilité comme un aveu de son implication dans la criminalité organisée. Elle observe qu’elle n’a pas plaidé coupable à une accusation d’appartenance à une organisation criminelle. Dans sa décision, la Section de l’immigration a affirmé que dans son plaidoyer de culpabilité, la demanderesse a admis que sa résidence servait de base d’opération pour l’organisation et, partant, qu’elle en avait eu connaissance. Elle a nié avoir admis qu’elle avait eu connaissance de ces activités, mais la Section de l’immigration a estimé qu’elle n’était pas crédible. Par conséquent, l’audience devant la Section de l’immigration représentait un [traduction] « exercice futile » puisqu’elle avait déjà tranché que ce plaidoyer était déterminant. Il s’agit aux yeux de la demanderesse d’un manquement à l’obligation d’équité.

4) Possibilité de dissiper les doutes quant à la crédibilité

[41] La demanderesse soutient que la Section de l’immigration a manqué à son obligation d’équité en ne lui donnant pas l’occasion d’élucider les prétendues incohérences dans son témoignage lors de l’audience. Il est souvent mentionné dans la décision que la demanderesse n’était pas crédible. Apparemment, le commissaire ne lui aurait jamais demandé d’élucider ces prétendues incohérences au cours de l’audience. La demanderesse affirme que si la Section de l’immigration entretenait des doutes quant à la véracité de son témoignage, elle devait lui en expliquer la source et lui offrir l’occasion de les dissiper lors de l’audience.

5) Arrêt B010

[42] La demanderesse fait valoir que l’arrêt B010 de la Cour suprême du Canada marque un changement dans l’état du droit applicable à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. Dans l’arrêt Sittampalam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CAF 326, au paragraphe 40 [Sittampalam], la Cour d’appel fédérale a conclu que les textes internationaux et la jurisprudence en matière pénale ne s’appliquaient pas à l’interprétation du terme « organisation » à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. S’agissant du contexte de l’immigration, la Cour a conclu que l’intention de la LIPR commandait une définition libérale et sans restriction de ce terme. La demanderesse soutient que la Cour a conclu dans l’arrêt B010 que l’alinéa 37(1)b) devait être interprété en concordance avec le Code criminel et la CNUCTO puisque les dispositions portent sur la criminalité transnationale. Cette interprétation de l’alinéa 37(1)a) est bien établie en droit et l’appartenance à une organisation criminelle [traduction] « devrait désormais être établie en fonction des normes du droit pénal ». Or, son appartenance à une organisation criminelle n’a pas été établie, peu importe la norme invoquée.

[43] La demanderesse sollicite pour ces raisons l’accueil de sa demande de contrôle judiciaire, l’annulation de la décision, la révocation de la mesure d’expulsion et le renvoi de son dossier à la Section de l’immigration pour réexamen.

B. Défendeur

1) Norme de la décision raisonnable

[44] Le défendeur estime que la Section de l’immigration a conclu de manière raisonnable que la demanderesse a été membre de l’organisation criminelle Huang. Selon l’exposé conjoint des faits, elle a plaidé coupable aux infractions de complot, de possession en vue du trafic et de vol. Par conséquent, sa culpabilité a été établie hors de tout doute raisonnable et la Section de l’immigration était amplement justifiée de la déclarer interdite de territoire selon la norme de preuve moins exigeante des « motifs raisonnables de croire ». Le défendeur souligne que la demanderesse n’a pas contesté ses déclarations de culpabilité durant l’enquête menée par la Section de l’immigration en application de l’article 36 de la LIPR, et qu’elle n’a pas déposé de demande de contrôle judiciaire de l’interdiction de territoire en ayant découlé. La Section de l’immigration s’est raisonnablement fondée sur le plaidoyer de culpabilité de la demanderesse pour la déclarer interdite de territoire pour grande criminalité (voir, notamment, Burton c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 727, au paragraphe 43).

[45] Le défendeur estime que l’admission de la demanderesse d’avoir été impliquée dans un complot criminel ourdi par une organisation criminelle, pour lequel de nombreuses autres personnes ont été accusées, emporte interdiction de territoire pour criminalité organisée. Le défendeur renvoie à l’arrêt États-Unis d’Amérique c Dynar, [1997] 2 RCS 462, au paragraphe 88, où la Cour suprême du Canada a conclu qu’« [u]n complot doit être le fait de plus d’une personne ».

[46] Le défendeur observe qu’en plus de la déclaration de culpabilité pour complot, d’autres conclusions formulées dans la décision étayent l’interdiction de territoire pour criminalité organisée. Notamment, la demanderesse possédait une maison qui servait de base d’opération du complot, et elle vivait dans cette maison. La police a découvert du matériel lié au complot dispersé partout dans la résidence, y compris dans deux chambres où se trouvaient des pièces d’identité de la demanderesse. Ce matériel comprenait de l’équipement démonté pour la culture de marijuana, des sacs contenant des feuilles de marijuana, des listes de produits chimiques, des reçus d’achat de matériel de culture de marijuana et des documents immobiliers associés à des propriétés utilisées pour la culture de marijuana. Les documents immobiliers ont été découverts dans un sac verrouillé, dans une armoire également verrouillée, avec des pièces d’identité de la demanderesse. Les membres de l’organisation possédaient d’autres propriétés où ils auraient pu garder ce matériel. La demanderesse louait aussi deux fourgonnettes dont les membres se servaient pour se rendre aux installations de culture de marijuana, et toutes les deux ont été confisquées à titre de biens infractionnels. La demanderesse dirigeait en outre une société à dénomination numérique qui a acheté une propriété rurale où l’organisation exploitait diverses installations de culture de marijuana. Après avoir examiné l’ensemble des faits, la Section de l’immigration a conclu que la demanderesse [traduction] « était membre de l’organisation et exerçait des activités » pour son compte. Le défendeur soutient que la demanderesse a admis ces faits pertinents dans son plaidoyer de culpabilité.

[47] La Section de l’immigration a conclu que l’organisation criminelle Huang a fait preuve d’une grande confiance à l’endroit de la demanderesse au vu du caractère unique de sa résidence par rapport aux autres propriétés ayant fait l’objet de perquisitions dans la région de Toronto. Le matériel trouvé dans sa résidence [traduction] « servait plus directement au soutien de la production de marijuana ». Comme ce matériel était exposé au vu et au su de tous, la Section de l’immigration en a conclu que l’organisation faisait confiance à la demanderesse. Par ailleurs, la Section de l’immigration a raisonnablement conclu que le rôle de la demanderesse était lié plus particulièrement au soutien financier, au transport et au maintien d’une base d’opération. Le défendeur estime que le désaccord de la demanderesse avec ces conclusions et les déductions qui en découlent n’établit pas une erreur susceptible de contrôle (L’Écuyer c Canada, 2010 CAF 117, aux paragraphes 4 et 5).

2) Équité procédurale

[48] Selon le défendeur, la Section de l’immigration n’a pas fait un examen inéquitable des faits liés à la criminalité de la demanderesse. Lors de l’audition de sa cause devant la Cour de justice de l’Ontario, elle a bénéficié des services d’un interprète désigné par la Cour et elle était représentée par un avocat. La demanderesse a volontairement inscrit un plaidoyer de culpabilité et son affaire a été déférée à la Section de l’immigration en raison des déclarations de culpabilité. Dans la décision Clare c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 545, le juge O’Reilly conclut au paragraphe 17 qu’un individu faisant l’objet d’un rapport modifié visé à l’article 44 avait été traité équitablement, car il avait été informé de l’essentiel des accusations portées contre lui. En l’espèce, le défendeur indique que la Section de l’immigration a expliqué la procédure à la demanderesse au début de son audience.

[49] Bien qu’elle ait tenté d’interjeter appel de ses condamnations criminelles, la demanderesse ne les a pas contestées durant l’enquête. Le défendeur affirme que la Section de l’immigration ne disposait d’aucun élément de preuve indiquant que la demanderesse aurait plaidé de quelque façon son innocence auprès de son avocat spécialisé en matière criminelle. Par conséquent, la Section de l’immigration ne disposait d’aucun élément de preuve qui aurait justifié une intervention relativement au plaidoyer et à la déclaration de culpabilité de la demanderesse, et elle n’a pas agi de manière inéquitable en s’appuyant sur des faits non contestés. Le défendeur ajoute que la demanderesse n’a pas non plus produit de preuve pouvant fonder son allégation d’incompétence de son ancien avocat.

3) Alinéa 37(1)a) de la LIPR

[50] Le défendeur fait valoir que l’analyse que fait la Cour suprême du Canada du terme « organisation » figurant à l’alinéa 37(1)b) de la LIPR dans l’arrêt B010 ne s’applique pas en l’espèce puisque la Section de l’immigration devait trancher les questions de l’appartenance de la demanderesse à l’organisation Huang et du rôle qu’elle y jouait. L’existence de l’organisation et son caractère criminel n’ont pas été contestés devant la Commission. Le défendeur souligne également que la Section de l’immigration n’a pas jugé bon d’examiner l’incidence de l’arrêt B010 sur l’interprétation de l’alinéa 37(1)a) eu égard à ces faits puisqu’elle avait conclu que la demanderesse était visée par l’alinéa 37(1)a), peu importe l’interprétation de l’une ou l’autre partie.

[51] Quoi qu’il en soit, le défendeur soutient que la Section de l’immigration a fait une analyse raisonnable de l’incidence de l’arrêt B010 sur l’application de l’alinéa 37(1)a). La disposition législative pertinente en l’espèce diffère de celle qui est en cause dans l’arrêt B010. Qui plus est, l’arrêt B010 visait à définir l’expression « criminalité organisée » en tenant pour sous-entendue l’existence d’une « organisation » lorsque la Cour suprême a établi que l’alinéa 37(1)b) englobait la « criminalité transnationale organisée ».

[52] Comme je l’ai déjà souligné, la demanderesse n’a pas contesté l’existence de l’organisation Huang ni son caractère criminel. Elle conteste plutôt la nature de sa relation avec cette organisation. Le défendeur souligne qu’après avoir déclaré qu’elle ne connaissait rien de l’organisation, la demanderesse ne peut pas prétendre qu’elle avait une autre raison d’être. Il ajoute que l’ensemble de la preuve étaye la conclusion que l’organisation Huang se livrait à la criminalité.

[53] Au reste, même si l’interprétation que fait la demanderesse de l’alinéa 37(1)a) est juste, elle serait quand même interdite de territoire au sens de cette disposition. La demanderesse a fourni des véhicules et une base d’opération à l’organisation. La Section de l’immigration a conclu qu’elle était membre de l’organisation ou [traduction] « qu’elle s’est livrée à des activités faisant partie du plan d’activités de cette organisation ».

[54] Le défendeur avance que si jamais elle décide d’examiner les arguments de la demanderesse au sujet de l’application de l’arrêt B010 à l’interprétation de l’alinéa 37(1)a),’il serait inapproprié pour la Cour d’adhérer à l’interprétation étroite et formaliste que la demanderesse propose. Au paragraphe 36 de l’arrêt Sittampalam, précité, la Cour d’appel fédérale a jugé que le terme « organisation » employé à l’alinéa 37(1)a) devrait recevoir une interprétation « libérale, sans restriction aucune », pour respecter l’intention de la LIPR de « donner la priorité à la sécurité des Canadiens ». La Cour fait observer que le législateur n’a pas adopté la définition d’organisation criminelle qui figure au Code criminel dans l’alinéa 37(1)a) de la LIPR (Sittampalam, précité, au paragraphe 40). Le défendeur mentionne qu’à l’article 121.1 de la LIPR, le législateur adopte la définition du Code criminel pour d’autres dispositions. En l’occurrence, le défendeur soutient que si la Cour suprême du Canada avait voulu infirmer l’arrêt Sittampalam et introduire un changement dans le sens à donner à l’alinéa 37(1)a) dans une décision relative à l’alinéa 37(1)b), elle l’aurait formulé expressément. Il s’ensuit que l’arrêt Sittampalam reste valable et que l’interprétation de la demanderesse doit être rejetée.

[55] Pour ces raisons, le défendeur sollicite le rejet de la demande de contrôle judiciaire.

VIII. DISCUSSION

[56] La Section de l’immigration a conclu que la demanderesse est interdite de territoire pour criminalité organisée au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR en raison [traduction] « des verdicts de culpabilité rendus contre ses comparses et de l’ensemble des éléments de preuve décrivant en détail les activités de l’organisation » (au paragraphe 31).

A. Caractère déraisonnable

[57] La demanderesse résume comme suit les raisons pour lesquelles les conclusions de la Section de l’immigration sont déraisonnables :

[traduction]

7. La Commission tire des conclusions de la preuve qui ne sont pas étayées par le dossier dont il dispose :

- La Commission conclut que la demanderesse était une membre ou une dirigeante de l’organisation criminelle pour un nombre de motifs exposés ci-après qui ne sont pas étayés par la preuve au dossier.

- La Commission se fonde sur des déclarations et des affirmations générales pour conclure que les documents non identifiés concernant les opérations de culture de marijuana qui auraient été découverts dans la résidence de la demanderesse lui appartenaient personnellement et qu’ils confirment son rôle dans l’organisation. Cette conclusion n’est pas corroborée par le dossier ni par les résultats de l’enquête policière.

- Même si aucun de ces aveux n’est corroboré par les éléments de preuve examinés par la Commission, elle conclut que la demanderesse a admis que sa résidence avait été achetée avec des produits de la criminalité ou utilisée à des fins criminelles. Le ministre a reconnu, tel que le révèle la preuve, que la demanderesse a acheté sa résidence avec les économies qu’elle avait en Chine.

- La Commission conclut que la demanderesse a joué un rôle important dans l’organisation parce qu’il y avait sur sa table de cuisine un reçu de location d’un local d’entreposage situé à Belleville et dans lequel du matériel de culture de marijuana était entreposé, même s’il avait été établi que le reçu ne lui appartenait pas. La demanderesse ne connaissait ni l’existence de ce reçu ni celle du local d’entreposage, et elle n’est jamais allée au local de Belleville.

- La Commission conclut que les locataires de la demanderesse n’ont pas été accusés ou arrêtés relativement aux crimes, contrairement à ce qui ressort de la preuve à sa disposition. Cette conclusion a fait en sorte que la Commission a indûment attribué à la demanderesse toutes les preuves d’activité criminelle découvertes dans l’appartement des locataires.

- La Commission se méprend sur une preuve liée à une fourgonnette ou à un véhicule utilitaire sport qui a été loué au nom de la demanderesse : elle avait été contrainte de louer ce véhicule pour le compte et aux frais d’un ami ou parent de son conjoint. La Commission laisse entendre à tort que la demanderesse a loué les deux fourgonnettes, sans tenir compte de son témoignage eu égard au contexte personnel et culturel dans lequel elle l’a fait.

- La Commission conclut sans fondement que la demanderesse a avoué avoir été membre de l’organisation criminelle.

- Dans la décision, la Commission réitère à maintes reprises et sous diverses formes ses conclusions fondées sur de prétendus éléments de preuve desquels elle infère que la demanderesse était une membre de confiance de l’organisation et qu’elle était responsable de ses finances. Là encore, la Commission ne disposait d’aucun élément de preuve directement attribuable à la demanderesse et confirmant qu’elle aurait occupé un tel rôle alors qu’elle était une nouvelle arrivante. Même si elle reconnaît l’absence d’élément de preuve corroborant son implication dans les activités criminelles de l’organisation, la Commission estime néanmoins que ces éléments de preuve confirment que la demanderesse en était une dirigeante. La Commission tente d’établir un lien entre la demanderesse et l’agent immobilier qui, de l’avis de la police, était la tête dirigeante derrière les activités des groupes. Il est soutenu que cette conclusion est absurde et abusive à la lumière de la preuve au dossier concernant ces deux individus.

1) Déclarations générales et documents non identifiés

[58] Les arguments de la demanderesse sur ce point sont les suivants :

[traduction]

14. La Commission a fait une interprétation erronée ou elle a exagéré l’importance des éléments de preuve documentaires découverts dans la résidence de la demanderesse et sur la foi desquels elle a conclu qu’elle a joué un rôle de premier plan dans l’organisation criminelle. Il ressort clairement de l’échange ci-dessous que le ministre n’a pas présenté d’élément de preuve identifiable qui indique que la demanderesse a joué un rôle quelconque dans l’organisation criminelle. La preuve présentée par le ministre consistait en des renvois généraux aux documents et aux affirmations. Le reçu mentionné ci-dessous se rapporte à un local d’entreposage à Belleville, dans lequel du matériel de culture de marijuana aurait été conservé. Toutefois, ce reçu n’appartenait pas à la demanderesse. Sa source a été identifiée, mais la Commission semble l’avoir attribué à tort à la demanderesse dans ses motifs :

[traduction]

AVOCAT DU MINISTRE : En fait, il est surtout important de retenir que toute l’information recueillie indique que c’était le centre des opérations. Tout donne à penser que tous les ordres émanaient de cet endroit.

Donc, si on applique la jurisprudence telle que Thanaratnam pour tirer des conclusions au sujet de l’organisation et que le lieu fait partie des facteurs pris en considération, il est évident que la résidence située au 30, Amanda Drive servait le lieu de rencontre et d’entreposage des renseignements et documents importants. Tout porte à croire que Mme Fang était la responsable des finances de l’organisation.

Comme vous pouvez le voir dans le […]

COMMISSAIRE : D’accord. J’ai posé une question concernant la remarque au sujet des documents immobiliers et financiers découverts dans une valise verrouillée dans le placard d’une chambre. Ces documents sont mentionnés dans les actes d’accusation et le plaidoyer de culpabilité.

Je n’ai pas trouvé d’explication détaillée qui permettrait de comprendre à quelles propriétés ces documents se rapportaient et quand les transactions ont eu lieu. Ces documents contiennent-ils des descriptions qui nous donneraient des réponses à ce sujet?

AVOCAT DU MINISTRE : Pas à ma connaissance. Ce que je peux dire, c’est qu’on a découvert des reçus pour l’achat de matériel utilisé pour des installations de culture de marijuana.

COMMISSAIRE : Je crois que c’était... Corrigez-moi si je me trompe, mais je crois que des reçus ont aussi été trouvés dans le séjour, ou quelque chose du genre?

AVOCAT DU MINISTRE : Je crois qu’ils étaient éparpillés un peu partout.

COMMISSAIRE : Oui. Le reçu pour le local d’entreposage était sur la table de la salle à manger. Il était établi au nom de son conjoint, mais l’adresse était différente. C’est à la page 256. Il y avait aussi des inscriptions au service interagences [inaudible], un sac dans le véhicule Nissan Quest garé à l’extérieur... C’est à la page 257.

15. Pendant son témoignage, la demanderesse a déclaré (ce qui n’a pas été mise en cause) que les seuls documents immobiliers qui lui appartenaient étaient ceux concernant l’appartement en copropriété à construire et sa résidence située au 30, Amanda Drive, à Toronto. Il a été mentionné que le dossier de preuve produit par le ministre ne contient aucune mention de la copropriété. Il est donc évident que les seuls documents immobiliers produits en preuve qui appartenaient à la demanderesse sont ces deux documents. De plus, le ministre a reconnu qu’aucune précision n’a été donnée au sujet des documents produits en preuve devant la Commission. Les documents non identifiés ne peuvent pas et ne doivent pas mener à la conclusion que la demanderesse était responsable des affaires immobilières ou financières du groupe, contrairement à ce qu’a fait la Commission. Le dossier ne renfermait aucun document identifiable permettant de conclure que la demanderesse était responsable des affaires financières. Le ministre n’a pas rempli son obligation d’établir que la demanderesse était membre d’une organisation criminelle.

[Mis en évidence dans l’original; renvois omis.]

[59] La demanderesse ajoute les précisions suivantes dans sa réponse :

[traduction]

7. Le ministre renvoie aux éléments de preuve suivants dans son témoignage : des « documents » portant sur des « transactions financières et immobilières », apparemment découverts dans la résidence de Mme Chen, et notamment dans sa chambre à coucher (qu’elle partageait avec son mari, ce dont la Commission n’a pas tenu compte). Le ministre a attribué ces « documents » à la demanderesse, mais il n’a produit aucun document comme tel qui se rapporterait à des « transactions financières et immobilières », et aucun élément de preuve de la sorte n’a été soumis à la Commission. De plus, lorsqu’il a été interrogé par la Commission, le ministre a admis qu’il ne pouvait fournir aucun détail concernant lesdits documents, et qu’il ne pouvait donc pas préciser de quel genre de documents il s’agissait, à quelles propriétés ou transactions financières ils se rapportaient, ni pourquoi et comment ils pouvaient être attribués à la demanderesse. Par surcroît, comme en atteste le dossier présenté à la Commission, la demanderesse a déclaré que les seuls documents financiers ou immobiliers en sa possession se rapportaient à ses affaires personnelles, y compris un appartement en copropriété à construire et la résidence achetée en décembre 2008, soit près de six mois avant qu’elle soit arrêtée et accusée en juin 2009. Elle a aussi produit la preuve qu’elle avait acheté sa résidence avec des fonds que sa famille l’avait aidée à transférer de la Chine après son immigration, un fait que le ministre a aussi reconnu à l’audience.

8. Les références ou les déclarations concernant des éléments de preuve qui n’ont pas été produits et pour lesquels aucun détail d’identification n’a été fourni ne peuvent servir de preuve devant un tribunal et dans le cadre d’une instance de cette nature, dont l’issue peut avoir des conséquences extrêmement graves pour la demanderesse. Les déclarations générales de ce genre ne constituent pas une preuve. Elles nuisent considérablement à la cause de la demanderesse, et il est impossible de contrôler ou de vérifier leur fiabilité ou leur véracité. La demanderesse considère, en toute déférence, que ce point à lui seul justifie l’annulation de la décision de la Commission étant donné son influence importante et déterminant dans ses conclusions relatives à tous les éléments de la disposition. Cette influence est manifeste dans les motifs de la Commission et le mémoire du ministre.

9. Le mémoire du ministre traite également, notamment au paragraphe 17, des liens de la demanderesse avec le groupe et de la question de l’appartenance, et du fait que le commissaire n’a pas conclu qu’elle en était une dirigeante ni qu’elle était responsable de ses finances. Le ministre ajoute que la décision de la Commission est raisonnable entre autres parce qu’elle a comparé la situation de la demanderesse à celles de M. Huang et Zeng (les prétendus chefs), qui avaient aussi des propriétés dans lesquelles ont été découverts des documents immobiliers et hypothécaires. Comme il a été vu précédemment et comme l’a reconnu le ministre devant la Commission, elle n’avait à sa disposition aucun document pouvant être attribué à la demanderesse. Même si le défendeur semble vouloir les écarter, les concessions que le ministre a faites devant la Commission sont corroborées par le dossier. Il était déraisonnable de la part de la Commission de faire une telle comparaison en l’absence de documents. À défaut de documents contenant les renseignements requis, la Commission ne pouvait pas attribuer un rôle ou un lien quelconque à la demanderesse, ou alléguer qu’elle avait un rapport de « confiance » avec l’organisation. Les motifs de la Commission sont entièrement le fruit d’hypothèses et de conjectures.

[60] Voici les conclusions de la Section de l’immigration à ce sujet :

[traduction]

[33] La Commission conclut qu’il est raisonnable de penser que le rôle de Mme Chen était lié plus particulièrement au soutien financier, au transport et au maintien d’une base d’opération. Elle a sciemment accepté que sa résidence soit une des bases d’opération de l’organisation. Des activités de planification, de mise en place, de soutien aux installations de culture de marijuana et de stockage de matériel ont eu lieu dans cette résidence. À cet égard, sa résidence se démarquait des autres propriétés de la région du Grand Toronto ayant fait l’objet d’une perquisition. Il se trouvait aussi dans les propriétés de MM. Huang et Zeng des documents immobiliers et hypothécaires, mais pas de reçu pour du matériel, de listes de produits chimiques ou d’installations de culture démontées. Le matériel trouvé dans la résidence de la demanderesse servait plus directement au soutien de la production de marijuana; rien de tel n’a été découvert dans les autres propriétés de la région du Grand Toronto. Cette particularité appuie fortement la conclusion selon laquelle sa résidence servait de base d’opération de l’organisation.

[34] Plusieurs personnes directement impliquées dans les opérations de production se trouvaient chez Mme Chen le jour de son arrestation. M. Chen, M. Wang et Mme Huang s’y trouvaient. Mme Chen prétend que M. Wang et Mme Huang avaient passé la nuit chez elle, sans plus. La Commission juge cette explication invraisemblable. L’explication la plus raisonnable serait qu’ils se trouvaient dans cette propriété pour participer à la planification des opérations de l’organisation. Le matériel découvert dans la résidence de Mme Chen comprenait entre autres des biens appartenant à M. Zeng, qui était très impliqué dans les opérations. Le fait que le matériel était étalé sur la table de cuisine de Mme Chen et un peu partout dans sa résidence laisse penser que la planification du complot se déroulait ouvertement chez elle. De l’avis de la Commission, il est raisonnable de croire que les membres de l’organisation planifiaient leurs activités dans ce lieu et qu’ils étaient à l’aise de le faire ouvertement devant Mme Chen. Il juge tout aussi raisonnable de croire, au vu de l’ensemble de la preuve, que Mme Chen a sciemment accepté que sa résidence soit utilisée pour des transactions financières, des activités de planification et d’exécution des opérations de culture de marijuana, ainsi que pour l’entreposage de matériel. De plus, l’ensemble de la preuve permet raisonnablement de croire que Mme Chen était une membre de confiance de l’organisation. Peu importe qu’elle ait ou non acheté sa propriété avec ses propres économies dans le but d’y résider, Mme Chen a reconnu dans son plaidoyer de culpabilité qu’elle avait sciemment permis que sa propriété serve de base d’opération pour un groupe qui, a conclu la Commission, était une organisation criminelle. La Cour a ordonné la saisie de la propriété au motif de son utilisation probable pour la perpétration des infractions.

[61] Rien dans ces motifs ne suggère que le commissaire s’est [traduction] « fondé sur le compte rendu du ministre selon lequel elle aurait déclaré précédemment avoir été « entraînée malgré elle dans cette affaire » avant de se dédire. Le commissaire s’intéresse au matériel et aux personnes qui se trouvaient dans la résidence de la demanderesse au moment de l’arrestation.

[62] Elle a plaidé coupable, entres autres, à des accusations de possession en vue du trafic, de complot pour produire une substance (marijuana) et de vol d’électricité et d’eau. Comme le défendeur l’a souligné, quand elle a pris son plaidoyer de culpabilité devant la cour criminelle, la demanderesse n’a pas contesté qu’elle était la propriétaire du 30, Amanda Drive (elle ne conteste pas non plus ce fait en l’espèce) ou que sa résidence [traduction] « est considérée comme la base d’opération de ce groupe » (instance tenue à Belleville le 15 janvier 2010 devant le juge Hunter de la Cour de justice de l’Ontario, page 351 du dossier certifié du tribunal).

[63] En l’espèce, la demanderesse semble vouloir mettre en doute la valeur des éléments de preuve examinés et cités lors de l’instance criminelle dans le but d’établir que si elle n’avait pas plaidé coupable, la norme du doute raisonnable aurait pu s’appliquer. Cette question n’a pas été soumise à la Section de l’immigration. Elle devait déterminer, compte tenu du plaidoyer de culpabilité de la demanderesse et d’autres éléments de preuve au dossier, s’il existait des « motifs raisonnables de croire » que certains faits emportaient une conclusion d’interdiction de territoire au sens de l’article 33 de la LIPR. Dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tran, 2016 CF 760, au paragraphe 22 [Tran], le juge LeBlanc renvoie à la définition des motifs raisonnables donnée dans l’arrêt Mugesera au regard de l’alinéa 37(1)a). Concernant la question de savoir si la norme de preuve des « motifs raisonnables de croire » s’applique à l’appartenance à une organisation, le juge LeBlanc tient les propos suivants au paragraphe 21 de la décision Tran :

La jurisprudence a bien établi qu’il n’est pas nécessaire, selon les articles 33 et 37 de la LIPR, de prouver que la personne concernée est membre d’une organisation criminelle, mais plutôt de démontrer qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle soit membre d’une telle organisation ou qu’elle se soit livrée à des activités faisant partie d’un tel plan d’activités criminelles (Castelly, au paragraphe 26; He c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 C.F. 391, 367 F.T.R. 28, aux paragraphes 28 et 29; Toussaint, au paragraphe 38).

Le juge Elliott insiste sur le fait que la norme des motifs raisonnables de croire s’applique à une décision relative à l’appartenance dans la décision Odosashvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 958, au paragraphe 34.

[64] En l’espèce, des éléments de preuve crédibles et convaincants militent pour l’application de la norme des motifs raisonnables de croire :

  • a) le plaidoyer de culpabilité de la demanderesse aux accusations de complot, de possession et de vol d’eau et d’électricité;

  • b) le fait que la demanderesse est propriétaire de la résidence située au 30, Amanda Drive, où elle a été arrêtée et où se trouvaient d’autres personnes directement impliquées dans les opérations de production de marijuana;

  • c) la présence dans la résidence de matériel, dans certains cas bien en vue, qui pouvait raisonnablement être associé à la culture de marijuana;

  • d) la probabilité raisonnable que les autres personnes présentes au moment de l’arrestation étaient des membres de l’organisation criminelle.

[65] Si ces faits ne fournissent pas une preuve hors de tout doute raisonnable, ils fournissent certainement des motifs raisonnables de croire, à mon avis.

[66] Dans son plaidoyer de culpabilité devant le juge Hunter, la demanderesse n’a pas contesté la description de sa résidence comme étant [traduction] « la base d’opération du groupe ».

[67] La demanderesse ajoute maintenant qu’il n’existe [traduction] « aucune preuve que la mention de la confiscation de sa résidence dans son plaidoyer de culpabilité constitue un aveu d’implication dans les activités de l’organisation criminelle ou d’appartenance à celle-ci ». Cependant, la Section de l’immigration n’a pas considéré isolément la confiscation de la résidence, et le commissaire n’a pas fondé sa conclusion de l’existence de « motifs raisonnables de croire » sur ce seul fait. Le commissaire ne prétend pas non plus que la demanderesse a fait un « aveu ». Simplement, ce fait constitue l’un de ceux dont l’examen cumulatif a débouché sur une conclusion de l’existence de motifs raisonnables de croire. Le commissaire a bien entendu que la demanderesse a acheté la propriété avec ses propres économies et qu’elle souhaitait en faire sa résidence, mais cela ne lui est d’aucun secours au vu des autres éléments de preuve. Le commissaire n’a pas fait abstraction de ces éléments.

[68] Le commissaire ne fait pas [traduction] « l’hypothèse que le plaidoyer de la demanderesse correspond à un aveu de l’utilisation de sa résidence comme centre des activités criminelles ». En plaidant coupable, entre autres, aux accusations de complot et de trafic, la demanderesse a avoué son implication, aux côtés d’autres personnes, dans la perpétration d’une infraction criminelle. Le commissaire explique en détail que d’autres maisons ont été achetées et utilisées par les membres de l’organisation, et qu’il existe des motifs raisonnables de croire que la résidence de la demanderesse était la plaque tournante.

[69] Selon l’interprétation des faits que la Section de l’immigration a présentée au juge Hunter, le commissaire a aussi souligné d’autres éléments du plaidoyer de culpabilité :

[traduction]

[28] En plaidant coupable, Mme Chen a reconnu qu’elle avait sciemment pris part à ces infractions et que la Couronne a donné une description essentiellement exacte des faits. Elle a avoué dans ce plaidoyer que sa résidence avait servi de base d’opération pour le complot de production de marijuana. Elle a reconnu que des reçus d’achat de matériaux de construction d’installations de culture de marijuana se trouvaient dans le placard de sa chambre à coucher. Elle a reconnu qu’elle savait que sa fourgonnette était utilisée pour les opérations. Elle a reconnu qu’elle savait que l’organisation utilisait les propriétés de Belleville, de Kingston et de Brighton. Elle a reconnu sa responsabilité en ce qui a trait au vol d’électricité et d’eau dans les propriétés. À l’époque, elle n’a pas tenté d’interjeter appel de sa déclaration de culpabilité ou de sa peine, et elle n’a pas formulé d’allégation concernant la conduite de M. Barrs. Après sa mise en liberté, elle a poursuivi sa relation avec M. Chen.

[70] La demanderesse affirme maintenant que la Section de l’immigration [traduction] « a fait une interprétation erronée ou a exagéré l’importance des éléments de preuve documentaires découverts dans la résidence de la demanderesse et sur la foi desquels elle a conclu qu’elle a joué un rôle de premier plan dans l’organisation criminelle ». La Section de l’immigration n’a pas conclu que la demanderesse a joué un « rôle de premier plan » pour la déclarer interdite de territoire. Pour ce faire, il suffisait d’une conclusion comme quoi elle était « membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire […] » (soulignement ajouté), tel qu’il est prévu à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR.

[71] De fait, la Section de l’immigration a jugé qu’il était [traduction] « raisonnable de conclure que Mme Chen avait un rôle important qui témoignait d’une grande confiance mutuelle entre elle et les autres membres de l’organisation ».

[72] Répétons que le commissaire n’était pas tenu d’établir que la demanderesse jouait un rôle « important » au sens de « prépondérant ». Il ressort clairement du contexte qu’elle jouait un rôle « important » en permettant [traduction] « sciemment que sa propriété serve de plaque tournante aux opérations du groupe », et en louant deux fourgonnettes qui n’étaient pas destinées à son usage personnel, mais qui ont beaucoup servi pour la conduite des opérations ».

[73] La preuve permet certainement d’établir que la demanderesse a grandement facilité les activités de l’organisation en offrant sa résidence comme base d’opération ainsi que des moyens de transport pour l’exécution des opérations.

[74] La demanderesse insiste beaucoup sur le fait que, selon elle, des documents non identifiés fondent la conclusion comme quoi elle était responsable des affaires immobilières ou financières du groupe. Toutefois, selon ce que la Section de l’immigration explique dans sa décision, elle s’est fondée sur les éléments de preuve suivants :

[traduction]

[13] Peu d’éléments de preuve directs ont été fournis relativement aux activités de Mme Chen après son arrivée. Elle a indiqué à la police qu’elle avait passé six mois par année en Chine après son arrivée au Canada, mais elle n’a présenté aucun élément de preuve le confirmant. Au moment de son arrestation, elle a déclaré qu’elle tentait de lancer une entreprise d’importation et d’exportation dont elle n’avait pas encore tiré de revenu. Elle a également déclaré qu’elle était étudiante. Le 2 décembre 2008, Mme Chen a reçu un virement de 500 000 yuans (91 450 dollars canadiens) en provenance de la Chine. Il s’agissait selon elle d’argent qu’elle avait épargné et qui n’avait rien à voir avec les infractions. Elle a aussi mentionné à la police qu’avant de venir s’établir au Canada, elle avait travaillé pour un partenariat commercial international en Chine. Peu de temps après avoir reçu le virement, Mme Chen a acheté la propriété située au 30, Amanda Drive, à Toronto. Elle soutient qu’elle a fait une mise de fonds de 42 000 $ en utilisant l’argent qui lui été envoyé de la Chine. Elle a contracté un emprunt hypothécaire pour lequel elle devait faire des paiements mensuels de 2 300 $. Elle prétend que son fiancé, Liang Chen, vivait avec elle dans sa résidence, qu’il travaillait comme chef et qu’il gagnait 2 000 $ par mois. Elle déclare qu’il l’aidait à payer les charges de la résidence. Selon les versions, elle avait 2 ou 3 locataires qui lui versaient un loyer mensuel de 1 000 $ environ. Du matériel provenant d’installations de culture démontées, ainsi que des reçus et des documents immobiliers liés aux installations ont été découverts dans ladite propriété. Mme Chen a loué deux fourgonnettes qui servaient pour les opérations, et une autre était garée à son domicile. Les biens de quatre autres membres de l’organisation ont été trouvés chez elle. Elle a admis dans son plaidoyer de culpabilité que la propriété située au 30, Amanda Drive servait de base d’opération pour le complot, et qu’elle a été confisquée à titre de bien infractionnel.

[14] Mme Chen nie maintenant les faits sous-jacents à son plaidoyer et elle prétend qu’elle ignorait que sa propriété servait de base d’opération de l’organisation. Liang Chen, son fiancé, et son ami Ben Hong Song, qui était son locataire à elle, étaient impliqués dans l’organisation criminelle. Elle ajoute que deux autres de ses locataires, dont elle avait toujours ignoré les noms, étaient aussi impliqués. M. Chen, M. Song et d’autres personnes se seraient livrés à des activités criminelles chez elle, mais à son insu, et le matériel lié au complot qui a été découvert dans sa résidence leur aurait appartenu. Du matériel était dispersé dans presque toutes les pièces de la maison, y compris dans les deux chambres où des pièces d’identité de Mme Chen ont été trouvées, ainsi que dans la cuisine, où du matériel était exposé au vu et au su de tous. La Commission ne l’a pas crue quand elle a affirmé qu’elle n’avait rien vu et qu’elle n’avait jamais surpris de conversation au sujet de l’organisation. Le matériel trouvé au moment de la perquisition était si dispersé dans la maison que, de l’avis de la Commission, c’était suffisant pour conclure qu’il était raisonnable de croire que la propriétaire et résidente principale, Mme Chen, connaissait la nature de l’activité criminelle ou qu’elle a fait preuve d’aveuglement volontaire. S’il n’y avait pas eu de lien de confiance avec Mme Chen, ce matériel n’aurait pas été étalé au vu et au su de tous. Quand un agent de l’ASFC l’a questionnée à ce sujet, elle a prétendu que M. Chen l’avait entraînée à son insu dans ce complot.

[15] Dans son plaidoyer et sa déclaration de culpabilité, Mme Chen admet des faits dont l’effet contraignant contredit son témoignage. Celui-ci ne concorde pas non plus avec ses déclarations précédentes et la preuve dans son ensemble, avec pour résultat que sa crédibilité est considérablement entachée. Lors du premier interrogatoire de la police, elle n’a pas mentionné que ses locataires étaient impliqués dans les infractions et elle a donné le nom de deux locataires, mais pas celui de Ben Hong Song. Pourtant, elle prétend maintenant qu’elle n’a jamais su les noms des autres locataires. Aucune autre personne désignée parmi les résidents du 30, Amanda Drive n’a été arrêtée relativement aux activités criminelles. Des pièces d’identité et divers biens appartenant à quatre autres membres de l’organisation ont été trouvés, mais aucun n’appartenait à un certain Ben Hong Song. Il n’y a jamais eu d’allégation concernant l’implication, l’arrestation ou la déclaration de culpabilité de Ben Hong Song pour une infraction rattachée à cette organisation. Rien ne permet de penser qu’il s’agit d’un nom d’emprunt de l’un des comploteurs. Il a été noté que M. Chen résidait dans une propriété située à une autre adresse et appartenant à un autre membre de l’organisation. Les personnes présentes dans la résidence de Mme Chen quand elle était en détention en septembre 2009 étaient des locataires et n’ont pas été accusées. Les personnes présentes exploitaient des installations de culture de marijuana à Belleville, à Kingston et à Brighton. Ces personnes utilisaient les fourgonnettes trouvées sur place pour leurs opérations de culture de marijuana. Les documents et d’autres éléments de matériel découverts sur les lieux étaient liés aux activités de culture menées à des centaines de kilomètres de chez elle. Toutes ces personnes avaient d’autres résidences où elles auraient pu garder ce matériel. La preuve dans son ensemble montre que les autres personnes se trouvaient dans la résidence de la demanderesse au moment de son arrestation parce que c’était la base d’opération de l’organisation.

[75] À mon avis, la demanderesse a échoué à établir, de quelque façon, que la Section de l’immigration s’est fondée sur des faits qui rendent la décision déraisonnable. La décision donne aussi les précisions suivantes concernant l’enquête policière contre l’organisation Huang :

[traduction]

[18] En mai 2009, à la suite de plaintes du public concernant un certain nombre de propriétés, la police a lancé une enquête sur des cultures intérieures de marijuana à Belleville et dans les environs. À l’aide de la technologie d’imagerie infrarouge à vision frontale, la police a détecté des émissions de chaleur élevées autour de trois des propriétés. Dans le cadre d’opérations d’observation, la police a repéré le bourdonnement de matériel de ventilation, l’éclairage vif dans les sous-sols et une forte odeur de marijuana dans deux des propriétés. Les propriétés ont été mises sous surveillance, et les policiers ont vu des véhicules sortir des garages et aller vers des commerces de matériel de ventilation et de plomberie. Il a de plus été découvert que le même agent immobilier a négocié l’achat de toutes les propriétés. Durant les inspections, l’agent et les acheteurs se sont beaucoup attardés aux sous-sols et aux systèmes de ventilation. Ils ont choisi des résidences qui leur permettaient de dissimuler le plus possible leurs activités illicites. Un voisin d’une des propriétés s’est fait demander si des agents de police habitaient sur la rue, et il a répondu par l’affirmative. La propriété a été mise en vente peu après cette conversation.

[19] M. Chen a été vu arrivant à l’une des propriétés de Belleville; il se trouvait dans une Dodge Caravan argentée, immatriculée à son nom. Il a aussi été aperçu arrivant à une propriété située à Kingston et qui abritait une installation de culture de marijuana, tel qu’il a été établi ultérieurement. La Dodge Caravan dorée de Mme Chen a été vue arrivant à deux des propriétés de Belleville qui était utilisées pour la culture de marijuana. La Dodge Caravan argentée et immatriculée au nom de M. Chen a été vue arrivant à deux des propriétés de Belleville et à celle de Kingston. La police a continué d’observer d’autres personnes impliquées dans l’organisation. Elles ont pu être vues à bord d’une Nissan Quest et d’un fourgon alors qu’elles se rendaient aux propriétés de Kingston et de Belleville. Des recherches de titres ont permis d’identifier les propriétaires des résidences et des véhicules en cause.

[20] Sur la base des éléments de preuve recueillis, des mandats ont été délivrés pour la perquisition de cinq propriétés dans les régions de Belleville et de Kingston. Lorsqu’elle a exécuté les mandats de perquisition le 16 juin 2009, la police a découvert des installations de culture de marijuana en activité ou démantelées dans chacune des cinq propriétés. Au total, plus de 9 700 plants de marijuana ont été découverts. D’importantes modifications avaient été apportées aux systèmes de ventilation, d’électricité et de plomberie pour favoriser la croissance de la marijuana. Des transformations avaient aussi été faites en vue du vol d’électricité et d’eau dans le cadre des opérations. Les vols associés aux propriétés se chiffraient à 53 000 $ pour l’électricité et à 14 000 $ pour l’eau.

[21] D’autres mandats ont été délivrés pour la perquisition de cinq propriétés dans la région du Grand Toronto. Ces propriétés avaient été associées à l’organisation criminelle grâce à l’observation d’individus qui se rendaient aux installations de culture et aux registres de propriété des résidences et des véhicules. Le 17 juin 2009, la police a exécuté ces mandats et découvert une autre installation de culture en activité de plus de 2 700 plants dans une résidence de Brighton, en Ontario. Une somme de 15 000 $ en argent comptant a été trouvée chez l’agent immobilier, à Markham, ainsi que les fiches d’inscription de toutes les propriétés utilisées pour la culture, sauf celle de Brighton. L’enquête a révélé qu’elles avaient été choisies avec soin. Des comptes rendus des études effectuées ont été trouvés. Les fiches descriptives des résidences abritant les cultures connues portaient des annotations indiquant si les propriétés se prêtaient à la production de marijuana, par exemple sur les plans de l’éclairage et de la ventilation. La valeur de l’ensemble des propriétés a été estimée à plus de 3 millions de dollars, et la valeur nette réelle à plus de 1 million de dollars. Les fiches descriptives de cinq autres propriétés situées dans les régions rurales de Bancroft et de Napanee ont aussi été découvertes; elles portaient des annotations similaires, y compris l’emplacement de cours d’eau à proximité. La police a lancé une enquête sur les propriétés rurales que des membres de l’organisation avaient acquises.

[22] Les policiers se sont rendus à la résidence de Mme Chen, située au 30, Amanda Drive, à Toronto, et ont exécuté le mandat de perquisition dont elle faisait l’objet. Mme et M. Chen ont été arrêtés. Lors de la perquisition, du matériel provenant d’une installation de culture de marijuana démantelée et des sacs de feuilles de marijuana ont été découverts. Des imprimés d’ordinateur indiquant des quantités de produits chimiques couramment utilisés pour la culture de marijuana, de même que des reçus de matériel de réfrigération et de construction identique à celui qui a été trouvé dans les propriétés abritant les installations avaient été laissés sur la table de la cuisine. Des reçus d’achat de matériel utilisé dans les installations de culture étaient dispersés un peu partout dans la résidence. Les fiches descriptives et les documents financiers liés à l’achat et à la vente de propriétés utilisées pour la culture de marijuana ont aussi été trouvés dans la résidence. Dans leurs notes, les policiers qui ont effectué la perquisition précisent qu’ils ont découvert un sac verrouillé dans le placard également verrouillé de Mme Chen. Ce sac contenait des documents immobiliers se rapportant à une propriété non identifiée, ainsi que des pièces d’identité de Mme Chen. Celle-ci allègue qu’elle a seulement déposé des documents se rapportant à l’achat du 30, Amanda Drive et d’un appartement en copropriété dans ce sac. Bien qu’elle ait reconnu la présence d’autres documents immobiliers dans les sacs, elle allègue que d’autres personnes les y ont déposés à son insu. Elle nie avoir eu connaissance que du matériel associé à la culture de marijuana se trouvait chez elle. Au moment de son arrestation, elle avait deux téléphones cellulaires en sa possession, et quatre autres ont été trouvés dans sa chambre à coucher. Elle prétend que ces téléphones ne lui appartenaient pas. Un autre portefeuille découvert dans sa chambre contenait plus de 2 300 $ en argent comptant. Un troisième portefeuille contenant ses pièces d’identité a été trouvé dans une autre chambre, ainsi que du matériel de culture.

[Renvois omis.]

[76] Il ressort de la décision qu’il était connu que le conjoint résidait à l’adresse de Mme Chen, qu’il était membre de l’organisation criminelle et qu’il était impliqué dans ses activités. Qu’elles soient véridiques ou non, les allégations de la demanderesse concernant sa réticence ne l’ont pas empêchée de prendre part aux opérations de l’organisation de la manière décrite par le commissaire.

[77] On peut en dire autant des facteurs culturels. Ces considérations pourraient contribuer à un allégement de la peine, mais elles ne peuvent emporter la conclusion que la demanderesse n’a jamais, fût-ce avec réticence, participé en tant que membre aux opérations d’une organisation criminelle de la manière établie par le commissaire.

[78] La Commission n’ajoute pas foi non plus à l’argument selon lequel la demanderesse était arrivée au Canada depuis trop peu de temps pour faire partie d’une telle organisation, et encore moins pour avoir gagné sa confiance au point d’être chargée de ses finances. Comme elle était la conjointe d’un membre de l’organisation, il était facile pour elle de s’y intégrer rapidement et d’y jouer un rôle [traduction] « important ». Le commissaire a expliqué comment de nouvelles recrues étaient trouvées pour remplacer les membres arrêtés. (Voir la décision au paragraphe 32.)

[79] Le fondement de la conclusion relative à l’aveuglement volontaire est expliqué en détail dans la décision (au paragraphe 24) et résiste à un examen.

[80] La demanderesse allègue non seulement que la décision est déraisonnable, mais qu’un [traduction] « examen attentif des témoignages et de la preuve révèle que la Commission n’était aucunement justifiée de tirer une conclusion » d’aveuglement volontaire [soulignement ajouté]. Ce n’est pas convaincant.

B. Questions relatives à l’équité procédurale

[81] La demanderesse affirme que la Section de l’immigration [traduction] « a déduit de son plaidoyer de culpabilité qu’elle avait avoué son implication dans la criminalité organisée » et que « les déclarations de culpabilité ne signifient pas en elles-mêmes qu’elle était membre d’une organisation criminelle » puisqu’« elle n’a jamais plaidé coupable à une telle accusation ». La prétendue iniquité tiendrait au fait que [traduction] « le commissaire a déterminé que son plaidoyer de culpabilité était déterminant sur ce point ».

[82] Il est indiqué clairement dans la décision que le commissaire a fondé ses conclusions [traduction] « sur les déclarations de culpabilité inscrites contre les comploteurs et sur l’ensemble de la preuve, dans lesquelles se trouve une description détaillée des activités de l’organisation » (au paragraphe 31). Du reste, il se dégage clairement de la décision que le commissaire ne s’en est pas tenu au plaidoyer de culpabilité. La demanderesse a plaidé coupable à l’accusation de « complot », et aucune preuve ne permet de croire qu’elle a pu comploter avec quiconque d’autre que les membres de l’organisation criminelle Huang, à laquelle appartenait son conjoint.

[83] La demanderesse soutient de plus que la Section de l’immigration ne l’a pas trouvée crédible en raison de certaines incohérences dans la preuve, mais que le commissaire ne l’a pas interrogée à ce sujet et ne lui a donc pas donné la possibilité de les expliquer.

[84] De manière générale, la décision repose sur des faits non contestés. Cependant, la demanderesse estime qu’ils ne donnent pas matière suffisante à une conclusion de son appartenance à une organisation criminelle. Il est incontestable que la demanderesse a plaidé coupable aux infractions susmentionnées. Elle ne peut contester ce fait, et elle ne conteste pas non plus les faits clés de la preuve sur lesquels s’est fondé le commissaire. La demanderesse plaide cependant que ces faits n’étayent pas les conclusions du commissaire et qu’il en a omis d’autres. La principale incohérence a trait à son plaidoyer de culpabilité et à la déclaration qu’elle fait maintenant de ne pas avoir été véritablement impliquée dans une organisation criminelle. Le désaccord entre les parties concerne ce que la preuve est censée établir, y compris le plaidoyer de culpabilité. La demanderesse a eu amplement la possibilité de présenter ses arguments sur cette question.

C. Questions relatives à l’arrêt B010 – Analyse de l’article 37

[85] Je conviens avec le défendeur que les observations de la demanderesse concernant l’application de l’arrêt B010 de la Cour suprême du Canada, précité, ne s’appliquent pas aux faits de l’espèce.

[86] Dans l’arrêt B010, la Cour suprême se prononce sur l’application de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR et l’interprétation de l’expression « criminalité transnationale organisée ».

[87] L’alinéa 37(1)a) de la LIPR, sur lequel la Section de l’immigration se fonde ici, a été analysé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sittampalam, précité. Voici sa conclusion :

[55] Je suis convaincu que le juge a interprété correctement l’alinéa 37(1)a) de la LIPR lorsqu’il a examiné les conclusions de la Commission. Je serais d’avis de répondre ce qui suit aux questions certifiées :

[…]

b) le terme « organisation », employé à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, doit être interprété d’une façon libérale et sans restriction. Bien qu’aucune définition précise ne puisse être formulée en l’espèce, les facteurs énumérés par le juge O’Reilly dans Thanaratnam par le commissaire et peut‑être aussi par d’autres personnes sont utiles, mais aucun d’eux n’est essentiel. La structure des organisations criminelles varie, et la Commission doit disposer d’une certaine latitude pour apprécier l’ensemble de la preuve à la lumière de l’objet de la LIPR – donner la priorité à la sécurité – lorsqu’elle décide si un groupe est une organisation aux fins de l’application de l’alinéa 37(1)a). Comme la Commission et le juge l’ont conclu, la bande A.K. Kannan est une telle organisation.

[88] La demanderesse affirme maintenant ce qui suit :

[traduction]

35. Il est allégué que cette règle n’a plus cours. La Cour suprême a maintenant reconnu que l’objet des dispositions était similaire. Le Code criminel et la CNUCTO ont une incidence directe sur l’interprétation de l’alinéa 37(1)a) ainsi que sur celle de l’alinéa 37(1)b), qui doit se faire en harmonie avec les principes du droit pénal national et international. Par exemple, voici la définition de « groupe criminel organisé » selon la CNUCTO :

a) L’expression « groupe criminel organisé » désigne un groupe structuré de trois personnes ou plus existant depuis un certain temps et agissant de concert dans le but de commettre une ou plusieurs infractions graves ou infractions établies conformément à la présente Convention, pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel; b) L’expression « infraction grave » désigne un acte constituant une infraction passible d’une peine privative de liberté dont le maximum ne doit pas être inférieur à quatre ans ou d’une peine plus lourde; c) L’expression « groupe structuré » désigne un groupe qui ne s’est pas constitué au hasard pour commettre immédiatement une infraction et qui n’a pas nécessairement de rôles formellement définis pour ses membres, de continuité dans sa composition ou de structure élaborée; […]

36. Ces éléments n’étaient sans doute pas en cause dans l’affaire de M. Sittampalam ou dans de nombreuses affaires d’immigration introduites en application de l’article 37, de la LIPR. Par conséquent, si cette affaire était instruite à nouveau au regard de la nouvelle interprétation que la Cour suprême donne à la disposition, il n’aurait pas forcément été visé. Une preuve d’appartenance à un groupe criminel organisé doit dorénavant satisfaire aux normes du droit pénal.

[89] La présente demande ne contient pas d’objection de la sorte. La demanderesse n’a jamais contesté l’existence de l’organisation Huang ou sa nature criminelle, ni dans sa déclaration de culpabilité au criminel, ni lors de l’enquête de la Section de l’immigration, ni dans la présente demande. Le seul point en litige porte sur la description de sa relation avec l’organisation. Dans sa décision, la Section de l’immigration a conclu que la demanderesse était interdite de territoire selon l’une ou l’autre interprétation de l’alinéa 37(1)a) :

[39] La Commission estime qu’il n’est pas nécessaire de résoudre ces questions en l’espèce. La conclusion de la Commission serait que Mme Chen est visée à l’alinéa 37(1)a), peu importe quelle interprétation de la LIPR proposée par les parties est retenue. Tous les éléments factuels des définitions du Code criminel et de la CNUCTO ont été établis en l’espèce. L’organisation criminelle Huang était composée de trois personnes ou plus. Elle a existé pendant 20 mois. Ses membres ont agi de concert pour commettre plus d’un crime grave. Le complot de production de marijuana et la possession en vue du trafic sont punissables d’une peine d’emprisonnement de plus de quatre ans, tel que le prévoit la définition de la CNUCTO.

[40] Les membres de l’organisation cherchaient à toucher directement ou indirectement un avantage financier, et l’organisation a cultivé des plants de marijuana dont la valeur dépassait 3 millions de dollars. Il s’agissait d’un groupe structuré; il ne s’est pas formé au hasard pour la perpétration immédiate d’une seule infraction. L’organisation a soigneusement planifié et commis de nombreuses infractions qui se sont échelonnées sur une période de 20 mois, ses membres ont assumé différents rôles et ils ont sciemment agi de concert pour produire de la marijuana à grande échelle. L’organisation disposait d’une structure souple qui facilitait la réalisation de son but. La plupart des membres ont participé à divers degrés à la gestion des opérations de production de marijuana, le but principal de l’organisation. D’autres individus ont été associés uniquement aux transactions immobilières ou à la mise à disposition d’une base de soutien ou de véhicules aux exécutants, mais leur rôle n’en était pas moins important pour l’accomplissement du but criminel de l’organisation.

[41] Le même raisonnement s’applique à la définition d’« organisation criminelle » selon le Code criminel. L’organisation criminelle Huang était composée de trois personnes ou plus au Canada. Un de ses principaux objets ou une de ses activités principales était de commettre plusieurs infractions criminelles graves. Les complots de production de marijuana et de possession en vue d’en faire le trafic sont punissables d’une peine d’emprisonnement de plus de cinq ans, et constituent donc des crimes graves au sens du Code criminel. Ces infractions étaient le fait de membres de l’organisation et elles étaient susceptibles de procurer au groupe et à l’un ou à plusieurs des membres du groupe, directement ou indirectement, un avantage financier. Le groupe a investi plus de 1 million de dollars dans l’achat de biens immobiliers, de véhicules et de matériel afin de produire de la marijuana dont la valeur dépassait 3 millions de dollars. La Commission estime qu’il est raisonnable de conclure que les membres du groupe ont produit de la marijuana en vue de tirer un avantage financier de son trafic. Parmi les membres du groupe, sept ont été déclarés coupables d’un complot visant à produire de la marijuana et de possession en vue d’en faire le trafic, dont Mme Chen.

[90] La demanderesse n’a aucunement expliqué comment la définition d’« organisation criminelle » qui figure au Code criminel pourrait conduire à la conclusion que l’organisation Huang n’en est pas une. Le commissaire a tiré des conclusions précises à l’égard de chaque élément de la définition du Code criminel. Toutes ces conclusions sont raisonnables. La demanderesse n’a pas réussi à établir que l’une d’elles ne l’est pas.

D. Article 36(1)a)

[91] Même si j’avais conclu que la Section de l’immigration a commis une erreur susceptible de contrôle dans ses conclusions concernant l’alinéa 37(1)a) – ce qui n’est pas le cas à mon avis –, la demanderesse demeurerait interdite de territoire au sens de l’alinéa 36(1)a). D’autres recours lui sont offerts pour obtenir le statut de résidente permanente, et elle pourrait interjeter appel auprès de la Section d’appel de l’immigration en application de l’alinéa 36(1)a). Cela dit, l’existence de ces recours ne change rien à ma décision concernant la présente demande puisque je ne relève aucun motif de contrôle judiciaire dans la manière dont la Section de l’immigration applique les alinéas 36(1)a) ou 37(1)a) de la LIPR. Par ailleurs, l’appel interjeté par la demanderesse devant la Cour d’appel de l’Ontario, qui était en instance au moment de rendre la décision, n’a aucune incidence sur la conclusion d’interdiction de territoire de la Section de l’immigration. Les déclarations de culpabilité de la demanderesse étaient en vigueur lorsque la Section de l’immigration a rendu sa décision, qui resterait valable advenant leur annulation (Johnson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 2, aux paragraphes 19 à 29; Pascale c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 881, aux paragraphes 45 et 46). Alors que je m’apprêtais à rendre la présente décision, il a été porté à mon attention que la Cour d’appel de l’Ontario avait rejeté l’appel de la demanderesse visant sa condamnation criminelle (R v Chen, 2017 ONCA 946). Bien que ce ne soit pas nécessaire pour les fins de la demande dont je suis saisi, je tiens à souligner que la Cour d’appel de l’Ontario a tiré des conclusions qui vont entièrement dans le sens de la décision faisant l’objet du présent contrôle :

[traduction]

Les plaidoyers de culpabilité de l’appelante ont-ils été pris en connaissance de cause?

44 Pour être valide, le plaidoyer de culpabilité doit être volontaire, non équivoque et pris en connaissance de cause (R. v T. (R.) (1992), 10 O.R. (3d) 514 (C.A. Ont.), au paragraphe 14). L’appelante ne s’oppose pas aux deux premiers volets du critère.

45 Pour que le plaidoyer de culpabilité soit pris en connaissance de cause, l’accusé doit connaître la nature des allégations ainsi que les effets et les conséquences de son plaidoyer (T. (R.), au paragraphe 14; voir aussi R. v Quick, 2016 ONCA 95, 129 OR (3d) 334 (C.A. Ont.)).

46 Durant la plaidoirie, l’avocat de l’appelante a reconnu que si on retient le témoignage de M. Barrs comme quoi il l’a informée des conséquences possibles en matière d’immigration et, plus particulièrement, du risque qu’elle soit expulsée si elle plaide coupable, il s’ensuit que l’appelante a pris ses plaidoyers de culpabilité en connaissance de cause.

47 L’appelante a soutenu que M. Barrs lui a dit que ses plaidoyers de culpabilité ou sa peine n’auraient aucune incidence sur la mesure d’expulsion.

48 Pour plusieurs motifs, nous retenons le témoignage de M. Barrs au détriment de celui de l’appelante.

49 Premièrement, certains éléments clés du témoignage de M. Barrs sont corroborés par le dossier ou ne sont pas contestés. Par exemple, il a déclaré qu’il avait obtenu une directive manuscrite que l’appelante a signée avec l’aide d’un interprète. Bien que son contenu n’ait pas été confirmé, il est mentionné au dossier qu’une directive a été donnée, et l’appelante l’a reconnu. Par ailleurs, même s’ils ne sont pas d’accord avec M. Barrs à propos de leur teneur, l’appelante et son conjoint ont reconnu que des discussions ont eu lieu concernant les conséquences de leurs plaidoyers respectifs sur leur dossier d’immigration. M. Chen a de plus confirmé que la directive qu’il a signée précisait qu’il plaiderait coupable à certaines infractions et reconnaîtrait ainsi sa culpabilité. Il nous apparaît inconcevable que cette précision puisse avoir figuré dans la directive de M. Chen et non dans celle de l’appelante.

50 Deuxièmement, les déclarations de M. Barrs comme quoi il n’aurait pas autorisé l’appelante à plaider coupable si elle avait proclamé son innocence sont tout à fait crédibles considérant qu’il est avocat criminaliste depuis plus de 40 ans.

51 Troisièmement, l’appelante prétend qu’elle a dit à M. Barrs qu’elle était innocente et qu’elle lui a demandé pourquoi elle devait plaider coupable. Il lui aurait répondu que comme son conjoint était impliqué et qu’elle n’avait rien fait pour qu’il arrête, elle était coupable. Il s’agit à nos yeux d’un témoignage intéressé et, qui plus est, absurde. Nous rejetons en outre l’argument voulant qu’il s’agisse d’un simple malentendu provoqué par des erreurs d’interprétation. Il n’existe aucune preuve que c’est le cas.

52 Quatrièmement, plusieurs éléments de l’affidavit et du contre-interrogatoire de l’appelante semblent invraisemblables. Par exemple, elle prétend qu’elle aurait acheté la fourgonnette, qui a été aperçue sur la route entre les installations de culture de marijuana, au bénéfice de son locataire parce qu’il était un parent de l’ami de son conjoint et un demandeur d’asile qui ne pouvait acheter de véhicule. L’appelante a aussi déclaré qu’elle avait loué la fourgonnette à d’autres personnes pour payer ses propres charges mensuelles, mais qu’elle ne savait pas à quoi elle servait et qu’elle-même conduisait un autre véhicule. C’est tout simplement insensé.

53 Cinquièmement, puisqu’elle a reconnu avoir discuté des conséquences de ses plaidoyers sur son dossier d’immigration de ses plaidoyers, nous considérons comme invraisemblables les allégations de l’appelante et de son conjoint comme quoi M. Barrs leur aurait affirmé qu’il n’y aurait pas d’incidence sur la mesure d’expulsion ou qu’ils ne seraient pas expulsés si leur peine était inférieure à deux ans.

54 En 2010, quand l’appelante a pris ses plaidoyers de culpabilité, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), prévoyait qu’un résident permanent pouvait être déclaré interdit de territoire au Canada pour « grande criminalité » en application de l’article 36, ou pour « criminalité organisée » en application de l’article 37. À l’époque, un résident permanent pouvait en appeler d’une décision d’interdiction de territoire pour grande criminalité fondée sur l’article 36 s’il avait reçu une peine d’emprisonnement inférieure à deux ans, mais il n’avait pas droit d’appel s’il était reconnu coupable de criminalité organisée.

55 Même en supposant que M. Barrs ne connaissait pas la teneur de l’article 37, il est invraisemblable qu’il puisse avoir dit à un client qu’une condamnation à une peine d’emprisonnement de moins de deux ans n’aurait aucune conséquence. Une peine de moins de deux ans accorde tout au plus un droit d’appel à une personne interdite de territoire. Il apparaît plus vraisemblable que M. Barrs, tel qu’il en a témoigné, ait dit à l’appelante et à son conjoint que leurs plaidoyers de culpabilité pouvaient entraîner une expulsion. Le cas de M. Chen est un exemple type. Même s’il a été reconnu coupable de complot, les autorités de l’immigration ont intenté une poursuite fondée sur l’article 36 uniquement et, bien qu’il ait été déclaré interdit de territoire, son appel a été accueilli pour des motifs d’ordre humanitaire.

56 Compte tenu des motifs qui précèdent, le témoignage de M. Barrs doit être privilégié par rapport à ceux de l’appelante et de son conjoint s’il y a contradiction. Nous sommes convaincus que M. Barrs a informé l’appelante qu’un aveu de culpabilité entraînerait des conséquences sur son dossier d’immigration, à savoir une expulsion dans son cas. Par conséquent, nous ne retiendrions pas ce moyen d’appel.

M. Barrs se trouvait-il en situation de conflit d’intérêts?

57 Nous rejetons l’argument de l’appelante comme quoi elle n’a pas eu droit à l’assistance effective d’un avocat parce que M. Barrs se trouvait en situation de conflit d’intérêts.

58 Cette question exige un examen des faits propres à l’espèce. Selon le témoignage de M. Barrs, que nous avons retenu, il a rencontré l’appelante la première fois le 15 janvier 2010. Ce jour-là, l’avocate du ministère public avait offert à l’appelante et à son conjoint de prendre des plaidoyers de culpabilité assortis de conditions avantageuses. L’offre avait une durée limitée et l’avocate avait une position ferme eu égard aux infractions que les parties devraient avouer ainsi qu’aux peines et aux ordonnances de confiscation qui seraient demandées.

59 M. Barrs avait l’obligation de présenter l’offre du ministère public à l’appelante et à son conjoint. Selon le témoignage de M. Barrs, que nous avons retenu, l’appelante et son conjoint ont reconnu leur culpabilité et voulaient accepter l’offre du ministère public.

60 Compte tenu de ces faits, nous ne sommes pas convaincus que les intérêts de l’appelante et de son conjoint étaient immédiatement et directement opposés. Nous ne sommes pas convaincus non plus de la présence de facteurs pouvant « raisonnablement être perçus comme influençant le jugement » (Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c McKercher LLP, 2013 CSC 39, [2013] 2 RCS 649, au paragraphe 38, citant D. W. M. Waters, M. R. Gillen et L. D. Smith, dir., Waters’ Law of Trusts in Canada (4e éd., Toronto, Carswell, 2012), à la page 968; voir aussi R. v Baharloo, 2017 ONCA 362, 348 CCC (3d) 64 (C.A. Ont.), au paragraphe 36). Quand M. Barrs s’est rendu à Belleville le 15 janvier 2010, il ne s’attendait pas à représenter l’appelante ou son conjoint relativement aux plaidoyers de culpabilité. Étant donné l’offre ferme de l’avocate du ministère public et l’aveu de culpabilité des deux accusés, nous ne sommes pas convaincus que M. Barrs était en situation de conflit par rapport à son obligation de loyauté quand il a décidé de représenter l’appelante et son conjoint relativement à leurs plaidoyers de culpabilité.

L’appelante a-t-elle été privée de l’assistance effective d’un avocat?

61 Nous rejetons également l’argument de l’appelante selon lequel elle n’aurait pas eu droit à l’assistance effective d’un avocat au motif que M. Barrs n’a pas passé en revue avec elle la preuve communiquée par le ministère public, qu’il n’a pas recueilli sa version des faits et qu’il ne l’a pas informée de ses moyens de défense.

62 Dans son témoignage, M. Barrs a affirmé que l’appelante était au fait des accusations portées contre elle, qu’il l’a informée que le ministère public avait une « preuve solide », et qu’il lui a fait part de sa quasi-certitude qu’elle serait renvoyée à procès après l’enquête. Les nouveaux éléments de preuve au dossier nous portent à conclure que M. Barrs a raisonnablement jaugé la situation. De plus, l’appelante a accepté de plaider coupable et a donc avoué qu’elle avait commis les infractions sur lesquelles portait l’offre du ministère public. Pour les motifs exposés ci-dessus, nous retenons le témoignage de M. Barrs lorsqu’il diverge de celui de l’appelante. À notre avis, l’appelante a échoué à faire la preuve que des lacunes dans la représentation que lui a offerte M. Barrs ont entraîné des erreurs judiciaires (R. c G.D.B, 2000 CSC 22, [2000] 1 RCS 520, aux paragraphes 26 à 29).

Est-ce que les faits que le ministère public a versés au dossier des plaidoyers de culpabilité étayent les conclusions sur la culpabilité?

63 Les faits versés au dossier des plaidoyers de culpabilité établissent tout au plus un lien ténu entre l’appelante et le complot en vue de produire de la marijuana ainsi que les autres infractions se rapportant aux cultures de marijuana, mais nous estimons qu’ils sont suffisants, s’ils sont conjugués à ses plaidoyers de culpabilité, pour étayer les conclusions sur sa culpabilité. Plus précisément, les déclarations suivantes ainsi que les plaidoyers de culpabilité de l’appelante ont établi qu’elle était impliquée dans le complot et qu’elle était coupable des autres infractions associées aux stratagèmes de culture de marijuana :

l’appelante était la propriétaire de la résidence située au 30, Amanda Drive;

la résidence située au 30, Amanda Drive servait de base d’opération aux comploteurs, dont certains possédaient et exploitaient plusieurs résidences abritant des installations hautement perfectionnées de culture de marijuana, auxquelles étaient associés des vols de volumes importants d’eau et d’électricité et dans lesquelles quelque 24 000 plants ont été découverts;

des véhicules suspectés par les policiers lors de leurs opérations de surveillance, y compris un véhicule appartenant à l’appelante, ont été aperçus au 30, Amanda Drive;

des reçus de matériaux de construction qui ont été associés aux stratagèmes de culture de marijuana ont été trouvés dans le placard de la chambre de l’appelante et de son conjoint au 30, Amanda Drive.

64 S’ils sont conjugués aux plaidoyers de culpabilité de l’appelante, les faits versés au dossier établissent que même si elle n’a jamais été aperçue à aucune des propriétés abritant des cultures de marijuana, elle en connaissait l’existence et l’usage, et elle a prêté assistance aux individus impliqués directement dans les opérations de culture.

E. Question à certifier

[92] Les parties n’ont soulevé aucune question à certifier, et la Cour est d’accord.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1710-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour de juillet 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1710-17

 

INTITULÉ :

FANG CHEN c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 novembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

Hadayt Nazami

Pour la demanderesse

 

Christopher Ezrin

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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