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Date : 20180103


Dossier : T-888-17

Référence : 2018 CF 3

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 janvier 2018

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

KARIM HUSSAM FARGHAL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un juge de la citoyenneté a rejeté sa demande de citoyenneté pour motif de non-conformité aux exigences de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29. La présente demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

Contexte

[2]  Le demandeur est un citoyen de l’Égypte. Il est devenu résident permanent du Canada le 20 août 2004 et il a présenté une demande de citoyenneté le 10 janvier 2013. Par conséquent, la période pertinente aux fins de l’établissement de sa présence effective au Canada s’étend du 10 janvier 2009 au 10 janvier 2013. Le 11 avril 2016, un juge de la citoyenneté a rendu une décision rejetant sa demande. Le demandeur a retiré sa demande de contrôle judiciaire de cette décision par suite d’une entente visant le renvoi de l’affaire à un autre juge de la citoyenneté pour révision. L’audience en révision a été instruite le 4 avril 2017 par la juge de la citoyenneté Myriam Taschereau (la juge de la citoyenneté). Le 10 mai 2017, la juge a rendu une décision rejetant la demande de citoyenneté au motif que le demandeur n’avait pas établi qu’il avait résidé au Canada pendant au moins 1 095 jours au cours de la période pertinente.

Décision faisant l’objet du contrôle

[3]  La juge de la citoyenneté s’est fondée sur l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté ainsi que sur le cadre d’analyse proposé dans la décision Pourghasemi, lequel exige que le demandeur établisse sa présence effective au Canada pendant 1 095 jours au cours de la période pertinente (Pourghasemi (Re), [1993] ACS no 232 (Pourghasemi)). Elle a relevé que le demandeur n’a pas produit tous ses passeports dès le départ et que les nombreuses contradictions entre les documents fournis soulevaient des doutes quant à sa crédibilité.

[4]  La juge a passé en revue les passeports du demandeur : le premier était valide du 19 janvier 2003 au 18 janvier 2010 (le passeport no 1); le deuxième a été délivré à Montréal le 15 juillet 2009, alors que le demandeur se trouvait au Koweït, et il était valide jusqu’au 14 juillet 2016 (le passeport no 2); le troisième était valide du 26 août 2009 au 25 août 2016 (le passeport no 3). Comme il n’avait pas été présenté avec la demande initiale, le passeport no 3 a été transmis en cours de procédure.

[5]  D’autres documents ont été produits pour corroborer les déclarations du demandeur comme quoi il avait suivi des cours d’anglais du 28 septembre au 18 décembre 2009, et participé à un atelier sur la sécurité au travail en janvier et février 2010. La juge de la citoyenneté a pris acte d’une lettre de l’organisme Immigrant Settlement and Integration Services (ISIS) attestant la prestation de services à quatre dates différentes en 2009, mais elle a aussi constaté l’absence de preuve de la participation du demandeur à des cours d’anglais ou de la réception de services durant la période du 1er novembre 2009 à février 2010. La juge de la citoyenneté a conclu que les dépôts de paye et d’autres documents attestaient que le demandeur avait travaillé chez SNC Lavalin du 24 février 2010 au 10 janvier 2013.

[6]  Par ailleurs, les relevés bancaires couvrant la période du 31 août 2009 au 10 janvier 2013 indiquent quelques achats et quelques retraits, mais également de longs intervalles pendant lesquels aucune opération en personne n’est enregistrée, alors que le demandeur a prétendu qu’il se trouvait au Canada pendant cette période. La juge de la citoyenneté a constaté qu’il s’est écoulé près de quatorze mois sans qu’aucune opération en personne ne soit inscrite au compte, en excluant les périodes de séjour à l’étranger déclarées par le demandeur. De même, les relevés de sa carte de crédit Visa de la Banque Royale du Canada pour la période du 23 mai 2012 au 4 janvier 2013 indiquent très peu d’achats au Canada entre le 24 mai et le 3 octobre 2012, ainsi qu’entre le 5 décembre 2012 et le 4 janvier 2013.

[7]  La juge de la citoyenneté a également examiné l’historique des réclamations au titre de soins médicaux reçus en Nouvelle-Écosse du 1er janvier 2009 au 1er février 2013, lequel atteste que le demandeur a vu un médecin les 16 et 23 septembre 2009, ainsi que le 23 novembre 2009. Après l’audience, le demandeur a transmis un document mentionnant trois autres visites chez le médecin (le 2 novembre et le 1er décembre 2009, ainsi que le 7 janvier 2010). La juge de la citoyenneté a toutefois observé que ce document n’identifiait pas directement le patient, mais donnait seulement le nom et l’adresse du destinataire. D’autres documents corroborent la présence du demandeur au Canada le 18 octobre 2011 et le 4 décembre 2012.

[8]  Au vu de l’ensemble des documents produits, la juge de la citoyenneté a conclu qu’il n’existait aucun élément de preuve se rapportant à 2 périodes de 35 et 46 jours respectivement, et elle a donc compté un total de 81 jours d’absence. Plus précisément, elle a considéré que le demandeur n’a pas pu établir sa présence au Canada du 2 décembre 2009 au 6 janvier 2010 et du 8 janvier au 23 février 2010 (la période en litige). L’addition de ces jours d’absence non déclarés aux 330 jours déclarés donne un total de 411 jours d’absence du Canada. Le demandeur compterait donc 1 049 jours de présence effective au Canada, soit moins que les 1 095 jours requis.

[9]  La juge de la citoyenneté a ajouté que le demandeur ne l’avait guère convaincue en ponctuant son témoignage de refus de répondre à certaines questions et d’explications parfois vagues et incohérentes. Il a aussi éludé certains sujets en tentant d’expliquer, sur un ton arrogant et déplacé, comment Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada devrait faire les choses. Même si elles ne se rapportent pas à la période pertinente, certaines déclarations contradictoires et trompeuses ont fortement contribué à entacher la crédibilité du demandeur. Considérant qu’un passeport ne peut à lui seul être considéré comme une preuve irréfutable de présence au Canada, que les documents produits recèlent un certain nombre de contradictions, qu’aucun élément de preuve n’a été fourni pour deux longues périodes et que la crédibilité du demandeur soulève des doutes sérieux, la juge de la citoyenneté a conclu qu’il ne s’était pas acquitté de la charge d’établir que l’exigence de l’alinéa 5(1)c) en matière de résidence était remplie. Elle a par conséquent rejeté sa demande de citoyenneté.

Questions en litige et norme de contrôle

[10]  Le demandeur soulève les questions suivantes :

  • 1) La juge de la citoyenneté a-t-elle commis une erreur de droit en interprétant ou en analysant incorrectement la preuve dont elle a été saisie?

  • 2) La juge de la citoyenneté a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de fournir des motifs suffisants?

  • 3) La juge de la citoyenneté a-t-elle enfreint les principes de l’équité procédurale et de la justice naturelle en ne traitant pas correctement le dossier du demandeur et en s’appuyant sur une preuve extrinsèque, ou en omettant de lui faire part de ses préoccupations à l’égard des exigences en matière de résidence?

[11]  Le défendeur soutient que la seule question à trancher est celle de savoir si le demandeur a relevé une erreur de la juge de la citoyenneté qui serait susceptible de contrôle.

[12]  À mon avis, la question déterminante en l’espèce a trait au caractère raisonnable de la décision de la juge de la citoyenneté, qui doit être examinée dans le contexte de ses conclusions défavorables quant à la crédibilité. La décision d’un juge de la citoyenneté sur la question de savoir si l’exigence de l’alinéa 5(1)c) en matière de résidence a été remplie est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Shabuddin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 428, au paragraphe 7; Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 19, au paragraphe 13; Saad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 570, au paragraphe 18), et ses conclusions commandent la déférence (Al-Askari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 623, au paragraphe 18 [Al-Askari]; El Falah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 736, au paragraphe 14), y compris ses conclusions quant à la crédibilité (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Gouza, 2015 CF 1322, au paragraphe 17; Martinez‑Caro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 640, au paragraphe 46 [Martinez-Caro]).

[13]  S’agissant des questions d’équité procédurale, la norme de contrôle de la décision correcte s’applique et il n’est pas requis de faire preuve de déférence à l’égard du décideur (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Miji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1324, au paragraphe 12; Balta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1509, au paragraphe 6; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Abdulghafoor, 2015 CF 1020, au paragraphe 17 [Abdulghafoor]).

Discussion

[14]  En bref, le demandeur reproche à la juge de la citoyenneté d’avoir commis une erreur en concluant qu’il n’avait présenté aucune preuve de sa présence effective au Canada pendant la période en litige. Il soutient qu’il a fourni une abondante preuve directe et circonstancielle, mais que la juge de la citoyenneté a refusé d’y prêter attention. Les timbres apposés dans ses trois passeports concordent selon lui avec les déclarations énoncées dans sa demande, son questionnaire sur la résidence, ses cartes d’embarquement, le rapport du Système intégré d’exécution des douanes (SIED) de l’Agence des services frontaliers du Canada et d’autres documents qui attestent également qu’il n’a pas utilisé les passeports de manière interchangeable. La juge de la citoyenneté a malgré tout refusé d’admettre en preuve les timbres apposés aux passeports de manière distincte ou en combinaison avec d’autres pièces justificatives, et elle n’a fait aucune analyse comparative. Elle a donc commis une erreur en n’examinant pas la preuve dans son intégralité et en accordant une importance démesurée à la présence effective du demandeur au Canada en dehors de la période pertinente, à ses « antécédents » familiaux et à d’autres considérations liées à un critère de citoyenneté qualitatif plutôt que quantitatif. Il est aussi reproché à la juge d’avoir tiré des conclusions qui non seulement étaient erronées, contradictoires et arbitraires, mais encore qui n’avaient rien à voir avec la question de sa présence effective au Canada pendant la période pertinente. La juge a de plus manqué à son obligation d’équité procédurale en omettant de faire part au demandeur de ses préoccupations concernant les documents soumis en preuve et en lui posant des questions portant sur des périodes en dehors de la période pertinente.

[15]  Je signalerais d’entrée de jeu que la juge de la citoyenneté n’a pas remis en doute la preuve du demandeur relativement à sa présence au Canada pendant la période pertinente, exception faite des 81 jours constituant la période en litige. Par conséquent, il lui était seulement demandé d’établir sa présence effective au Canada pendant les 46 jours manquants sur les 1 075 jours requis.

[16]  Je conviens avec le demandeur que la juge de la citoyenneté a commis une erreur en concluant qu’il n’a pas fourni la preuve qu’il avait suivi des cours d’anglais ou reçu des services entre le 1er novembre 2009 et février 2010, un intervalle compris dans la période en litige. Le certificat de l’ISIS qui est daté du 18 décembre 2009 et qui atteste que le demandeur a terminé le cours d’anglais pour ingénieurs n’établit pas en soi sa présence au Canada, mais le dossier remis à la juge de la citoyenneté contenait également l’évaluation que l’ISIS a remise au demandeur et qui indique un taux de présence au cours de 95 % du 29 septembre au 18 décembre 2009. Dans ses motifs, la juge de la citoyenneté ne fait pas état du formulaire d’évaluation et n’en propose aucune analyse aux fins de l’établissement de la présence effective du demandeur au Canada pendant la période en litige. La juge a tiré une conclusion de fait erronée en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents qui contredisaient expressément sa conclusion selon laquelle il n’y avait [traduction] « aucune trace de la participation à un cours d’anglais ou de la réception de services entre le 1er novembre 2009 et février 2010 » (Cepeda-Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 1998 CanLII 8667, au paragraphe 17 (CF)).

[17]  Le défendeur concède que la juge de la citoyenneté a commis une erreur en concluant, malgré les faits, à l’inexistence d’élément de preuve attestant la présence effective du demandeur au Canada à l’époque du cours d’anglais pour ingénieurs. En revanche, l’erreur ne rend pas la décision déraisonnable puisqu’elle concerne seulement 17 jours de la période en litige, de sorte qu’il reste un déficit de 29 jours par rapport aux 1 095 requis.

[18]  À mon avis, il s’impose d’examiner la décision de la juge de la citoyenneté sur ce point au vu du dossier dans son intégralité pour déterminer si elle fait partie des issues raisonnables. Il faut aussi apprécier le traitement que la juge a accordé aux autres éléments de preuve en tenant compte de ses conclusions quant à la crédibilité, lesquelles commandent une grande déférence (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACS no 732, au paragraphe 4 (CAF) [Aguebor]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vijayan, 2015 CF 289, au paragraphe 64).

[19]  Notamment, la juge a pris acte de la déclaration du demandeur concernant sa participation à des ateliers de santé et de sécurité au travail à l’ISIS en janvier et en février 2010. Le dossier contient les documents justificatifs suivants : un certificat daté du 10 février 2010 attestant que le demandeur a terminé le cours Occupational Health and Safety Committee de l’organisme Safety Services Nova Scotia, membre de la Canadian Association of Provincial Safety Councils, ainsi qu’un certificat délivré le 12 janvier 2010 et attestant que le demandeur a terminé un cours sur le Système d’information sur les matières dangereuses utilisées au travail. Cependant, la date figurant sur ces certificats ou leur date de délivrance n’indiquent pas où et quand ces cours ont eu lieu, combien de temps ils ont duré, ni si le demandeur y a participé en personne ou en ligne. Par conséquent, ces documents n’établissent pas la présence effective au Canada du demandeur pendant la période en litige, et le défaut de la juge de la citoyenneté d’en faire un examen poussé n’a pas porté un coup fatal à sa décision.

[20]  Par ailleurs, le demandeur estime que la juge aurait dû l’informer de ses préoccupations concernant ces documents et d’autres aspects de sa preuve pendant l’audience, mais elle n’était nullement tenue de fournir continuellement des commentaires sur le caractère suffisant de sa preuve (Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1311, au paragraphe 14 [Zheng]). Il incombait au demandeur de fournir les documents requis pour établir sa présence au Canada pendant la période pertinente et, comme il s’agissait d’une révision, il aurait dû savoir que sa crédibilité avait été mise en doute. J’aimerais aussi faire remarquer que malgré les prétentions du demandeur comme quoi il aurait volontiers produit des documents supplémentaires à l’appui de sa demande de citoyenneté, l’affidavit qu’il a fourni à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire ne contient aucun nouveau document indiquant la date des cours ou attestant sa participation en personne.

[21]  Le demandeur déclare en outre que le 21 janvier 2010, il a rencontré un représentant de la Municipalité régionale de Halifax qui lui aurait remis un chèque d’indemnisation pour des blessures subies lors d’un accident d’autobus en 2009. Selon le demandeur, la juge de la citoyenneté n’a pas tenu compte de ses déclarations concernant cette rencontre, même s’il a offert de lui transmettre des courriels qui confirment cette information.

[22]  Le dossier contient une facture d’ambulance des services de santé d’urgence, datée du 2 novembre 2009; une facture de lunettes de Hakim Optical, datée du 3 novembre 2009, ainsi qu’un courriel daté du 16 décembre 2009. Dans ce courriel, un assistant chargé des réclamations d’assurance de la Municipalité régionale de Halifax informe le demandeur que la demande de paiement de la facture d’ambulance a été transmise au service des comptes, que le règlement serait envoyé directement aux services de santé d’urgence, et qu’il recevrait un chèque couvrant la totalité des frais de remplacement de ses lunettes dès qu’il serait prêt. Le demandeur fait valoir qu’un relevé bancaire figurant au dossier confirme le dépôt d’un chèque de 609 $ le 21 janvier 2010.

[23]  Dans un affidavit fourni à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur a inclus une série de courriels qu’il a échangés avec l’assistant aux réclamations de la Municipalité régionale de Halifax. Toutefois, ces documents ne se trouvaient pas dans le dossier que la juge de la citoyenneté avait en main et, en principe, le dossier de preuve qui est soumis à une cour de révision chargée du contrôle judiciaire d’une décision se limite à celui dont disposait le décideur (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux paragraphes 19 et 20; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, aux paragraphes 23 à 28). Certaines exceptions à ce principe général englobent notamment le dépôt devant la cour de révision d’un élément de preuve absent du dossier original afin qu’elle puisse trancher s’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Quoi qu’il en soit, il n’est pas possible de savoir, d’après les courriels versés au dossier, si une rencontre a bel et bien eu lieu entre l’assistant aux réclamations et le demandeur pendant la période en litige. Par ailleurs, le relevé bancaire mentionné n’indique pas un dépôt, mais un virement entre succursales de 609 $.

[24]  Également, l’affidavit souscrit par le demandeur à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire comprend des pièces de correspondance avec SNC Lavalin concernant une entrevue d’emploi dont la juge de la citoyenneté ne disposait pas et qui n’indiquent pas clairement si le demandeur a participé à l’entrevue en personne.

[25]  Le demandeur reproche également à la juge de n’avoir accordé aucun poids à un document de la Régie de la santé de la Nouvelle-Écosse au motif qu’il y est identifié à titre de destinataire, mais non de patient, alors que ce document confirme ses visites chez un médecin le 2 novembre et le 1er décembre 2009, ainsi que le 7 janvier 2010, soit pendant la période en litige dans ce dernier cas. Il est intéressant de souligner que le document susmentionné semble renvoyer à une copie papier d’un document intitulé « NS Health (Central Zone) Visit History » (historique des consultations, Régie de la santé de la Nouvelle-Écosse, zone du Centre) et que, malgré les réserves exprimées par la juge de la citoyenneté, elle paraît avoir admis cette copie papier comme preuve de la présence du demandeur au Canada le 7 janvier 2010 puisqu’aucun autre élément de preuve n’atteste ce fait.

[26]  Le demandeur affirme aussi que la juge de la citoyenneté a omis de prendre en considération les timbres apposés sur ses passeports, distinctement ou en combinaison avec d’autres éléments de preuve, mais elle a en fait examiné les trois passeports et constaté au passage qu’ils n’avaient pas été produits dès le départ. En outre, le passeport no 1 a été déclaré perdu par le demandeur et retrouvé en 2016 (la preuve au dossier indique qu’il a été retrouvé en 2009) mais, même s’il était valide du 19 janvier 2003 au 18 janvier 2010, il ne contient aucun timbre d’entrée au Canada antérieur au 1er mai 2009. Par conséquent, malgré ses déclarations lors de l’audience, aucun élément de preuve n’atteste que le demandeur a été présent à quelques reprises au Canada entre le 3 septembre 2004 et son retour en 2009. La juge de la citoyenneté n’a relevé aucune contradiction entre les timbres d’entrée apposés dans les passeports nos 2 et 3 et les déplacements déclarés du demandeur pendant la période pertinente ou d’autres périodes, ni aucun indice que les passeports auraient pu être utilisés de manière interchangeable. Malgré ce qu’affirme le demandeur concernant l’omission de la juge de la citoyenneté de tenir compte des timbres apposés dans ses passeports, distinctement ou en combinaison avec d’autres éléments de preuve, elle a pris la peine de préciser qu’elle n’avait relevé aucune contradiction, outre celle qui est liée au passeport no 1, entre ses déclarations sur ses entrées au Canada et au Koweït, ainsi que sur ses sorties de ce pays. Autrement dit, elle a admis en preuve les timbres de passeport, mais elle a conclu qu’ils ne constituaient pas à eux seuls une preuve irréfutable de la présence du demandeur au Canada pendant la période en litige. Le demandeur ne cherche pas à faire reconnaître que les documents justificatifs qu’il a produits, comme le rapport du SIED, établissent sa présence au Canada pendant la période en litige. Pour ma part, je ne relève aucune erreur dans la manière dont la juge de la citoyenneté a traité les passeports et les autres éléments de preuve liés.

[27]  Le demandeur fait également valoir qu’à l’inverse de la conclusion de la juge de la citoyenneté, il a bel et bien fourni une convention de bail établie à son nom ainsi qu’une lettre du propriétaire confirmant que sa résidence familiale se trouvait au 36, chemin Abbey lors de la première audience et avec son questionnaire sur la résidence. Je souligne que dans le modèle pour la préparation et l’analyse du dossier daté du 8 janvier 2016, l’agent d’immigration confirme la production d’une demande de location datée du 24 août 2004 et signée par le père du demandeur, ainsi que d’une copie du registre des locataires attestant des paiements de loyer pour la période du 1er septembre 2004 au 8 juillet 2013 pour l’appartement du chemin Abbey, et que le demandeur a déclaré que son père payait le loyer. Il est également indiqué dans le modèle pour la préparation et l’analyse des dossiers que le demandeur a fourni une demande de location, mais qu’il n’a pas fourni de document attestant le [traduction] « renouvellement du bail » ou un quelconque [traduction] « avis de renouvellement ». Le demandeur aurait dû joindre au questionnaire sur la résidence des documents liés à la période pertinente, y compris des [traduction] « conventions de location ou de bail, ainsi que la preuve de paiement du loyer ».

[28]  Le dossier ne contient pas de copie du bail; on y trouve seulement une copie de la demande de location de l’appartement en question établie au nom du père du demandeur, Hussam Eldin Mohammad Farghal, ainsi que le registre des locataires de Universal Property Management attestant que celui-ci a payé le loyer pour la période du 1er septembre 2004 au 8 juillet 2013. Le demandeur a joint une copie du bail à l’affidavit soumis à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire.

[29]  Il m’est donc impossible de conclure que la juge de la citoyenneté a commis une erreur en constatant que le demandeur n’a pas fourni de copie du bail. Les nombreuses contradictions que la juge a constatées entre les documents présentés l’ont amenée à douter de la crédibilité du demandeur. Elle souligne le défaut de produire bail, et ajoute que [traduction] « selon les renseignements consignés au Système mondial de gestion des cas, le système unique et intégré de Citoyenneté et Immigration Canada, le demandeur a donné une adresse qui semble avoir été utilisée par d’autres demandeurs de la citoyenneté au cours de la même période ».

[30]  Cependant, cela ne révèle pas une contradiction entre les documents présentés par le demandeur. De plus, si la juge de la citoyenneté avait fondé sa conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur uniquement sur des renseignements dont elle était la seule à disposer, elle lui en aurait parlé lors de l’entrevue et lui aurait donné la possibilité de répondre (Irani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1273, au paragraphe 17). Cependant, d’autres contradictions et préoccupations ont renforcé cette conclusion : l’adresse de Halifax donnée par le demandeur dans sa demande initiale et son questionnaire sur la résidence; sa déclaration dans le questionnaire sur la résidence comme quoi son père avait vécu au Canada et en Égypte pendant la période pertinente, alors que dans les faits il avait perdu son statut de résident permanent, de même que sa reconnaissance à l’audience du fait que son père travaillait au Koweït depuis les années 1970; le refus initial du demandeur de révéler son lieu de résidence de septembre 2004 à septembre 2009, puis sa déclaration comme quoi il avait vécu au Koweït pendant environ un an et, quand il a été confronté à son profil LinkedIn, son admission du fait qu’il avait vécu et travaillé au Koweït comme ingénieur d’avril 2004 à décembre 2009; sa déclaration lors de l’audience selon laquelle il aurait séjourné au Canada à quelques reprises entre le 3 septembre 2004 et son retour en 2009, alors que le passeport no 1 n’indique aucune entrée avant le 1er mai 2009. La juge de la citoyenneté a également trouvé son témoignage vague et évasif.

[31]  Il ne fait aucun doute qu’il incombait au demandeur de fournir tous les éléments de preuve requis pour établir sa conformité aux exigences en matière de résidence de la Loi sur la citoyenneté (Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 145, au paragraphe 8; Zheng, au paragraphe 14). La jurisprudence est également bien fixée pour ce qui concerne la déférence qui s’impose à l’égard des conclusions d’un décideur sur la crédibilité (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Abidi, 2017 CF 821, au paragraphe 40; Aguebor, au paragraphe 4), y compris celles d’un juge de la citoyenneté (Martinez-Caro, au paragraphe 46). De plus, la juge de la citoyenneté avait toute latitude pour apprécier la preuve sous l’angle général de la crédibilité du demandeur (Al-Askari, au paragraphe 22; Ozlenir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 457, au paragraphe 37).

[32]  Je suis d’accord avec le demandeur que la juge semble centrer bon nombre de ses observations factuelles sur le fait qu’il a vécu et travaillé au Koweït pendant de nombreuses années entre les périodes où, à ses dires, il revenait au Canada, et que cette analyse ne respecte pas le cadre d’analyse proposé dans la décision Pourghasemi. Cependant, dans sa conclusion, elle énonce quatre motifs qui, considérés ensemble, permettent de conclure que le demandeur ne s’est pas conformé à l’exigence en matière de résidence. Tout d’abord, elle a jugé que les passeports ne constituent pas en soi une preuve irréfutable de présence au Canada, une conclusion appuyée par la jurisprudence (Haddad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 977, au paragraphe 27; Moradi-Zirkohi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 463, au paragraphe 17). Ses motifs énoncent également un certain nombre de contradictions relevées dans les documents justificatifs. Même si la juge se trompe quand elle affirme qu’il n’existe pas d’éléments de preuve pour la période en litige, ceux qu’elle a ignorés confirment seulement 17 jours de présence durant cette période. Finalement, elle a accordé peu de poids au témoignage du demandeur. Il s’ensuit que même s’il lui était loisible de décréter que la preuve était suffisante, selon la prépondérance des probabilités, pour établir la conformité du demandeur à l’exigence en matière de résidence, la juge n’y était pas obligée étant donné que la preuve était insuffisante pour établir sa présence effective au Canada pendant la période en litige et ses conclusions défavorables quant à la crédibilité.

[33]  Je conclus donc que les motifs de la juge de la citoyenneté sont suffisants dans l’ensemble, même s’ils sont loin d’être parfaits (Abdulghafoor, au paragraphe 31; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16), et qu’on ne m’a pas convaincue que la décision n’appartient pas aux issues raisonnables ou qu’il y a eu atteinte à l’équité procédurale.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-888-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et l’affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne seront adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-888-17

 

INTITULÉ :

KARIM HUSSAM FARGHAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 décembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 3 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

Mirsada Stasevic

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sarah Drodge

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mirsada Stasevic

Avocate

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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