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Date : 20171221


Dossier : T-624-15

Référence : 2017 CF 1184

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 21 décembre 2017

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

LA VILLE DE SHELBURNE

demanderesse

et

LE NAVIRE DÉNOMMÉ « FARLEY MOWATT », ET LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « FARLEY MOWATT », ET TRACY DODDS

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une requête présentée par la Ville de Shelburne (la demanderesse) pour obtenir un jugement sommaire ou, à titre subsidiaire, un procès sommaire, aux termes des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), en lien avec sa réclamation contre le navire « FARLEY MOWATT » (le navire défendeur), et les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire « FARLEY MOWATT », et Tracy Dodds (collectivement les défendeurs). Dans son avis de requête, la demanderesse sollicite la mesure de réparation suivante :

Une ordonnance :

1.  aux termes de l’article 213 des Règles, accordant un jugement sommaire en faveur de la demanderesse pour l’ensemble de sa demande et rejetant l’ensemble de la demande reconventionnelle des défendeurs;

2.  ordonnant l’enlèvement du navire « Farley Mowatt » du terminal portuaire de Shelburne (le terminal);

3.  adjugeant les dépens de la présente requête et de l’instance à la demanderesse sur une base avocat-client;

4.  assurant la mise en application de l’ordonnance de la Cour;

5.  ordonnant toute autre réparation que pourrait solliciter la demanderesse et que pourrait autoriser notre Cour.

II.  RÉSUMÉ DES FAITS

[2]  La demanderesse a introduit une action in rem par voie d’une déclaration datée du 21 avril 2015. Le 14 décembre 2015, la demanderesse a modifié sa déclaration pour ajouter Tracy Dodds en qualité de défendeur à titre personnel. Dans la déclaration modifiée, la demanderesse sollicite les mesures de réparation suivantes :

1.  Un jugement contre les défendeurs pour une somme de 14 009,28 $, représentant les droits d’amarrage et les services fournis jusqu’au 21 avril 2015, plus les intérêts.

2.  Les montants représentant les droits d’amarrage et les services fournis aux défendeurs après le 21 avril 2015, lesquels montants seront précisés avant le procès.

3.  Les montants représentant les frais et dépenses engagés après le naufrage du navire défendeur au terminal portuaire de la demanderesse le 25 juin 2015, lesquels montants seront précisés avant le procès.

4.  Tous les dépens de la présente action.

5.  À défaut de paiement, une ordonnance en vue de l’évaluation et de la vente du navire défendeur « FARLEY MOWATT ».

6.  Une ordonnance en vue de l’enlèvement immédiat du navire du terminal portuaire de la demanderesse.

7.  Toute autre mesure de réparation que pourra nécessiter la nature de l’instance et que la Cour estimera convenable et juste d’accorder.

[3]  Un mandat de saisie visant le navire défendeur a été délivré le 21 avril 2015. La saisie du navire défendeur a été levée le 25 janvier 2016.

[4]  Les détails qui suivent sont tirés de la déclaration modifiée, de la défense et demande reconventionnelle déposée par les défendeurs, de la réponse et défense à la demande reconventionnelle, ainsi que des affidavits de Kyle Ereaux et de Dylan Heide, lesquels affidavits ont été déposés par la demanderesse à l’appui de sa requête en jugement sommaire.

[5]  M. Ereaux est avocat au cabinet d’avocats Metcalf & Company, qui représente la demanderesse. M. Heide est le directeur des services municipaux pour la demanderesse.

[6]  La demanderesse exploite l’autorité portuaire de Shelburne, qui inclut le terminal portuaire de Shelburne. Le navire défendeur est entré dans le port de Shelburne le ou vers le 9 septembre 2014 et s’est amarré au terminal portuaire exploité par la demanderesse. Le ou vers le 10 septembre 2014, un [traduction] « contrat d’amarrage » (le contrat) a été signé entre l’autorité portuaire de Shelburne et le défendeur, M. Dodds. Entre autres, le contrat indiquait que les droits d’amarrage seraient payés par le défendeur, M. Dodds, à la demanderesse. Dans son affidavit, M. Heide a déclaré qu’aucun droit d’amarrage n’avait été payé depuis septembre 2014.

[7]  Le navire défendeur a coulé à quai en juin 2015. D’après le témoignage de M. Heide, la demanderesse a engagé des dépenses en lien avec l’opération de renflouement menée par la Garde côtière canadienne et la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires. Plus précisément, la demanderesse a payé les services de sécurité nécessaires durant l’opération de renflouement.

[8]  Dans sa déclaration modifiée, la demanderesse a sollicité une ordonnance en vue d’obtenir le retrait immédiat du navire défendeur de ses installations. Cet acte de procédure a été signifié le 14 décembre 2015 aux avocats des défendeurs. Au moyen d’une demande d’audition urgente, la demanderesse a déposé un avis de requête le 15 décembre 2015, afin d’obtenir une injonction interlocutoire obligeant le défendeur à enlever le navire de son terminal.

[9]  Dans le mémoire de défense déposé le 24 décembre 2015, les défendeurs ont reconnu les allégations exposées aux paragraphes 2, 3 et 4 de la déclaration modifiée. Le paragraphe 4 allègue que le défendeur, M. Tracy Dodds, [traduction] « était, selon ce qu’en comprend la demanderesse, le propriétaire du navire à l’époque des faits reprochés ».

[10]  Les défendeurs ont déposé une défense le 24 décembre 2015. Ils nient l’allégation contenue dans la déclaration relativement à la signature du contrat, mais affirment que l’amarrage était conforme à un contrat d’amarrage daté du 10 septembre 2014.

[11]  Dans leur défense, les défendeurs affirment que le contrat d’amarrage a été modifié oralement, et que la demanderesse savait que le navire défendeur serait envoyé à la ferraille, et que le produit de cette opération serait utilisé pour payer les droits d’amarrage.

[12]  Les défendeurs font aussi valoir que les agents et employés de la demanderesse leur ont bloqué l’accès au navire défendeur, ce qui aurait entraîné le naufrage du navire défendeur à quai. De plus, ils affirment que les agents et employés de la demanderesse ont perturbé la vente du moteur du navire défendeur.

[13]  Les défendeurs ont déposé une demande reconventionnelle, dans laquelle ils affirment que la demanderesse est responsable d’avoir empêché les défendeurs de réparer le navire défendeur alors qu’il était sous la garde de la demanderesse.

[14]  Les défendeurs affirment aussi que le moteur et d’autres pièces d’équipement, dont la valeur a été estimée à 60 000 $, ont été endommagés à la suite du naufrage du navire.

[15]  La demanderesse a déposé sa réponse à la défense le 29 décembre 2015. Elle nie les allégations contenues dans la défense, plus précisément l’allégation selon laquelle l’une ou l’autre des parties entendait que le navire défendeur serait démonté pour la ferraille au terminal, ou que le paiement des droits d’amarrage dépendrait du produit de la mise à la ferraille du navire défendeur.

[16]  De plus, la demanderesse nie aussi avoir pris possession du navire ou avoir assumé toute responsabilité relativement à son entretien.

[17]  Dans sa défense à la demande reconventionnelle des défendeurs, la demanderesse nie toutes les allégations et les obligations envers les défendeurs. Elle allègue que, si les défendeurs ont subi des préjudices, ces préjudices ont été causés par le défaut des défendeurs à entretenir le navire.

[18]  À la suite d’une audience tenue le 30 décembre 2015, le juge Fothergill a rendu une ordonnance le 31 décembre 2015, laquelle prévoyait entre autres ce qui suit :

[traduction] Tracy Dodds doit faire enlever le navire « Farley Mowatt » du terminal portuaire de Shelburne à ses propres risques et à ses propres frais dans les 15 jours suivant la date de la présente ordonnance;

[…]

Si des circonstances indépendantes de la volonté de M. Dodds rendent impossible ou raisonnablement irréalisable le retrait du navire « Farley Mowatt » du terminal portuaire de Shelburne dans les 15 jours suivant la date de la présente ordonnance, il pourra présenter une requête, avec preuve à l’appui, pour faire modifier la présente ordonnance;

[19]  Dans un avis de requête déposé le 21 janvier 2016, qui devait être jugé sur dossier aux termes des Règles, la demanderesse a sollicité une ordonnance obligeant le défendeur Tracy Dodds à expliquer pourquoi il ne devrait pas être reconnu coupable d’outrage au tribunal concernant l’ordonnance rendue le 31 décembre 2015, laquelle exigeait le retrait du navire défendeur dans les 15 jours suivant la date de cette ordonnance.

[20]  Une ordonnance de justification a été signée par le protonotaire Morneau le 11 février 2016, obligeant le défendeur, M. Dodds, à déplacer le navire défendeur avant le 26 février 2016, et, si le déplacement du navire ne pouvait se faire, à comparaître en audience à Halifax, en Nouvelle-Écosse, le 16 mars 2016, pour expliquer pourquoi il ne devrait pas être reconnu coupable d’outrage.

[21]  Le défendeur, M. Dodds, n’a pas déplacé le navire dans les délais prescrits et la demanderesse a sollicité une autre ordonnance afin d’obtenir le déplacement du navire. La juge McDonald a rendu une ordonnance sur consentement le 23 mars 2016, obligeant le déplacement du navire avant le 8 avril 2016.

[22]  Sur consentement des parties, la juge Mactavish a rendu une ordonnance le 10 mai 2016, laquelle reconnaissait le défendeur, M. Dodds, coupable d’outrage concernant les ordonnances rendues le 31 décembre 2015, le 11 février 2016 et le 11 avril 2016.

[23]  L’ordonnance du 10 mai 2016 condamnait M. Dodds à verser une amende de 5 000 $ à la demanderesse, et une amende de 5 000 $ au receveur général du Canada. L’ordonnance prévoyait aussi la délivrance d’un mandat pour l’arrestation et l’emprisonnement du défendeur, M. Dodds, pour une période de vingt jours.

[24]  Toutefois, les amendes et l’ordonnance pour l’incarcération et la détention de M. Dodds ont été suspendues jusqu’au 31 mai 2016, afin de permettre à M. Dodds de réparer l’outrage en enlevant le navire défendeur à [traduction] « ses propres frais, risques et dépens ».

[25]  Le navire défendeur n’a pas été déplacé en date du 31 mai 2016 et le 1er juin 2016, un mandat visant l’incarcération de M. Dodds a été signé par la juge Mactavish. Selon l’affidavit de M. Heide, M. Dodds a été arrêté et emprisonné en août 2016, conformément à l’ordonnance du 10 mai 2016.

III.  Requête en jugement sommaire

[26]  La demanderesse a déposé sa requête en jugement sommaire le 28 février 2017, et la requête a été débattue le 13 juin 2017.

[27]  Le défendeur, M. Dodds, n’a pas comparu à l’audience de la requête en jugement sommaire et n’a présenté aucun document en réponse.

IV.  Analyse et décision

[28]  Les requêtes en jugement sommaire sont régies par les articles 213 à 216 des Règles. La Cour rend un jugement sommaire s’il y a absence d’une véritable question litigieuse; voir l’arrêt Manitoba c Canada (2015), 470 NR 187 (CAF), aux paragraphes 11 à 17.

[29]  Lors d’une requête en jugement sommaire, chaque partie porte le fardeau de présenter « ses meilleurs arguments »; voir la décision Moroccanoil Israel Ltd. c Lipton, 2013 CF 667.

[30]  Pour trancher la présente requête, la Cour doit prendre en considération les actes de procédure et les éléments de preuve. Aucun élément de preuve ni argument n’a été présenté par les défendeurs ou en leur nom; leur position ne peut être appréciée qu’en se référant aux actes de procédure qu’ils ont déposés.

[31]  La demanderesse cherche à obtenir un jugement pour des droits d’amarrage impayés, ainsi que pour tous les frais et dépenses engagés à la suite du naufrage du navire défendeur au terminal le 25 juin 2015. Elle sollicite aussi le recouvrement de tous les dépens de la présente instance, ainsi qu’une ordonnance pour le retrait du navire défendeur du terminal.

[32]  L’affidavit de M. Heide contient des renseignements de fond sur les circonstances ayant donné lieu à la demande de la demanderesse. Cet élément de preuve n’est pas contesté, puisque M. Heide n’a pas été contre-interrogé.

[33]  Je suis convaincue que le contrat a été conclu par le défendeur, M. Dodds, dont la signature apparaît en page 4 du contrat en qualité de [traduction] « propriétaire du navire ». En outre, en l’absence d’un élément de preuve contraire, j’estime que le défendeur, M. Dodds, est le propriétaire du navire défendeur.

[34]  Le contrat indique clairement que le navire défendeur peut être amarré aux installations de la demanderesse, sous réserve des conditions énoncées, notamment le paiement des droits d’amarrage. Je rappelle la clause 6 du contrat, laquelle traite de l’obligation de payer les droits d’amarrage. La clause 6 prévoit ce qui suit :

[traduction] Le propriétaire du navire convient de payer des droits d’amarrage AVANT d’amarrer le navire, en fonction de la taille et du type du navire, et conformément à la grille tarifaire intégrée aux présentes à l’Annexe 1 (la grille tarifaire). Si le propriétaire du navire omet de payer les frais à l’avance, le tarif quotidien d’amarrage défini dans la grille tarifaire s’appliquera. Les droits d’amarrage devront par la suite être payés dans les 30 jours suivant la facturation.

[35]  La clause 11c) est aussi pertinente, et prévoit ce qui suit :

[traduction] La présente autorisation d’amarrer le navire peut être révoquée sur-le-champ par l’autorité portuaire dans les cas suivants : (i) les droits d’amarrage et les autres frais et sommes dus demeurent impayés durant 30 jours ou plus; (ii) les conditions du présent contrat ne sont pas respectées; (iii) l’autorité portuaire, à sa seule discrétion, établit que cela est nécessaire pour le fonctionnement efficace et/ou sûr des installations ou du terminal.

[36]  M. Heide a déclaré dans son témoignage que le 23 décembre 2014, il a donné un avis écrit au propriétaire défendeur pour qu’il enlève le navire défendeur sur-le-champ pour non-respect du contrat. Au paragraphe 13 de son affidavit, il a déclaré que la demanderesse était disposée à renoncer aux frais impayés si le navire défendeur était enlevé avant le 5 janvier 2015. Le navire défendeur n’a pas été enlevé et aucune somme n’a été versée pour l’amarrage.

[37]  La clause 11c) accorde le pouvoir de mettre fin au contrat si les droits d’amarrage demeurent impayés durant 30 jours ou plus. Selon les éléments de preuve déposés, c’est le cas en l’espèce. M. Heide a déclaré, au paragraphe 10 de son affidavit, qu’aucun droit d’amarrage n’avait été payé et que d’autres dispositions du contrat n’avaient pas été respectées.

[38]  En conséquence, la question qui se pose est celle de savoir si le contrat d’amarrage a été résilié.

[39]  Le navire défendeur était présent dans les installations de la demanderesse conformément au contrat d’amarrage, mais aucun droit n’avait été payé avant l’instruction de la présente instance et avant l’audience sur la requête en jugement sommaire.

[40]  À mon avis, le contrat a été résilié par suite du défaut du propriétaire du navire défendeur d’acquitter les droits d’amarrage; voir la décision False Creek Harbour Authority c Shodan (Le), 2002 CFPI 275.

[41]  Néanmoins, je suis convaincue que les défendeurs ont l’obligation de payer les droits d’amarrage, et qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse à cet égard.

[42]  La clause 12 du contrat encadre les conséquences d’une révocation et prévoit ce qui suit :

[traduction] Sur révocation de la présente autorisation d’amarrer, le propriétaire du navire devra payer tous les droits d’amarrage impayés, ainsi que les frais et autres sommes en souffrance, et déplacer le navire et tout autre bien sur-le-champ. Dans le cas contraire, l’autorité portuaire pourra saisir le navire, l’enlever de ses installations et, même s’il est convenu que l’autorité portuaire n’est pas un dépositaire du navire, elle pourra vendre le navire par une vente non judiciaire comme si elle était un exploitant d’entrepôt aux termes de la Storage Warehouse Keepers Act, RSNS, c 447, et recouvrer les droits d’amarrage impayés ou les autres sommes en souffrance, ainsi que toutes les dépenses connexes, notamment les frais d’expertise, de remorquage, d’entreposage, de huissier et les honoraires d’avocat. L’autorité portuaire n’encourra aucune responsabilité quelle qu’elle soit pour la garde en lieu sûr et l’entretien du navire.

[43]  Cette clause impose au propriétaire d’un navire amarré l’obligation de payer tous les droits d’amarrage en souffrance et les [traduction] « autres sommes en souffrance, ainsi que toutes les dépenses connexes » au moment de la révocation de l’autorisation d’amarrer.

[44]  La demanderesse demande aussi à recouvrer les droits d’amarrage engagés après le 21 avril 2015 et le coût des autres services fournis au navire défendeur. La demanderesse réclame la somme de 73 034,95 $, comme il est indiqué à la pièce T de l’affidavit de M. Heide, pour la période du 10 septembre 2014 au 8 avril 2017.

[45]  À mon avis, l’obligation qu’avaient les défendeurs de payer les droits d’amarrage se poursuivait, même après la révocation de l’autorisation d’amarrer. Il n’y a aucune véritable question litigieuse à cet égard, à la lumière de la clause 6 du contrat, précitée. Le montant des droits d’amarrage recouvrables fera l’objet d’une discussion ci-après.

[46]  La demande relative au recouvrement des coûts des services accessoires sera examinée ci-après.

[47]  La demanderesse a engagé des frais pour renflouer et stabiliser le navire défendeur après le naufrage de juillet 2015, et pour assurer la sécurité des lieux. Elle demande le recouvrement de ces dépenses, à hauteur de 13 823,34 $, comme l’indique la pièce U de l’affidavit de M. Heide.

[48]  La demanderesse a aussi dépensé des sommes pour les coûts de nettoyage et les services d’entretien nécessaires après l’abandon effectif du navire défendeur après juillet 2016. Ces dépenses d’entretien sont établies ainsi dans l’affidavit de M. Heide, au paragraphe 47 :

[traduction] La somme de 21 338 $ au titre des frais engagés par la Ville à ce jour du fait de l’abandon du navire par son propriétaire au terminal après juillet 2016 [...] :

Facture

Montant

Description

a. Harlow Construction :

644 $

Élimination des débris du navire laissés par le propriétaire au terminal

b. West Green Harbour C&D :

271,20 $

Redevances de déversement pour l’élimination des débris

c. Robicheau’s Pumping :

16 795,75 $

Pompage du navire

d. Spartan Marine :

3 602,49 $

Corde pour sécuriser le navire

e. Faye’s Marine Services :

24,56 $

Main d’œuvre pour installer la corde pour sécuriser le navire

[49]  Des factures à l’appui de ces dépenses sont jointes à l’affidavit de M. Heide en tant que pièce V.

[50]  La clause 4c) du contrat d’amarrage prévoit ce qui suit : [traduction]

c)  En plus de ce qui précède, le propriétaire du navire sera responsable de toute perte et tout dommage en lien avec l’utilisation des installations et du terminal y compris, sans limiter la généralité de ce qui précède (i) tout dommage à la propriété du groupe de l’autorité portuaire, incluant les installations et le terminal, (ii) toute lésion ou blessure mortelle subie par un membre du groupe de l’autorité portuaire, (iii) toute responsabilité liée au déplacement d’une épave ou à la prévention ou à la réduction de la pollution produite par le groupe du propriétaire du navire et (iv) toute perte, tout dommage, ou toute lésion ou blessure mortelle subis par des tiers, découlant en tout ou en partie de tout acte ou de toute omission du groupe du propriétaire du navire, ou de l’occupation ou de l’utilisation des installations ou du terminal par le groupe du propriétaire du navire, sans égard à la cause; le propriétaire du navire indemnisera, défendra, protégera et dégagera de toute responsabilité le groupe de l’autorité portuaire contre toute réclamation, dépense, action, poursuite, demande et obligation découlant de ces pertes, dommages ou lésions ou blessures mortelles, ou en lien avec ceux-ci.

[51]  À mon avis, le libellé de cette clause est suffisamment général pour englober la réclamation de la demanderesse, qui souhaite recouvrer les frais engagés pour renflouer le navire défendeur après son naufrage en juin 2015, ainsi que les frais d’entretien au terminal à partir de juillet 2016. Il s’ensuit qu’il n’existe aucune véritable question litigieuse relativement à l’interprétation et à l’application de cette clause.

[52]  La demanderesse réclame des droits d’amarrage, plus les intérêts, pour un total de 62 336,50 $, comme il est indiqué dans la pièce T jointe à l’affidavit de M. Heide, aux pages 109 à 139 du dossier de la demanderesse. Toutefois, je ne suis pas convaincue que la pièce T établit de manière exacte les droits d’amarrage recouvrables.

[53]  Les frais pour la période du 9 septembre 2014 au 8 janvier 2015 apparaissent aux pages 123, 124, 125 et 126 de ce dossier. Chaque facture pour ces quatre mois indique des frais de 1 674,86 $, en incluant la TVH, pour un total de 6 699,44 $.

[54]  Les frais pour la période du 9 janvier 2015 au 8 décembre 2015 apparaissent aux pages 127 à 139 du dossier de la demanderesse. Il y a 11 factures, de 1 674,86 $ chacune, incluant la TVH; les frais totaux pour cette période s’élèvent à 18 423,46 $.

[55]  Les frais pour la période du 9 janvier 2016 au 8 décembre 2016 sont indiqués aux pages 121, 120, 119 et 117 du dossier de la demanderesse. Ces frais s’élèvent au total à 18 423,46 $.

[56]  Les frais pour la période du 9 décembre 2016 au 8 avril 2017 sont indiqués aux pages 116, 112, 113, et 114 du dossier de la demanderesse. Ils s’élèvent au total à 6 699,44 $.

[57]  Le grand total de ces frais s’élève à 50 245,80 $.

[58]  Les pages 122, 118, 135 et 136 font aussi partie de la pièce T de l’affidavit de M. Heide.

[59]  La page 122 fait état de droits d’amarrage, payables par M. Tracy Dodds, pour le « Kings Endeavour », pour le 16 septembre 2014. Aucun élément de preuve ne démontre que ces frais sont liés à la présente requête en jugement sommaire et ils ne seront pas pris en considération.

[60]  La page 118 indique des frais pour la facture no 487554 de Woodworkers pour du ruban à conduits et des affiches « Défense d’entrer » pour le navire « Farley Mowatt », pour un montant total de 14,88 $. Cet élément de preuve est daté du 2 septembre 2016. Il s’agirait de frais accessoires engagés par la demanderesse.

[61]  La page 135 indique des frais pour l’achat de fournitures destinées à sécuriser le quai en lien avec le navire défendeur. Parmi ces fournitures, on note du ruban « DANGER », un cordage tissé en polyester, une lampe de poche à D.E.L. et des affiches « Défense d’entrer ». La facture est datée du 13 août 2015, et indique un total de 47,44 $. Ces dépenses seront acceptées, en plus du montant indiqué à la pièce C.

[62]  La page 136 est une facture pour des services de sécurité fournis entre le 16 et le 31 juillet 2015, au montant de 10 558,44 $. La facture ne fait pas référence à l’embauche d’une entreprise de l’extérieur et est au nom de la demanderesse. Toutefois, ces dépenses se rapportent à une période couverte par les factures de la pièce V et rien ne justifie ce recouvrement en double. Ces dépenses ne seront pas acceptées.

[63]  Les pages 110 et 111 montrent un compte rendu des dépenses de la demanderesse. Ce compte rendu est erroné puisqu’il contient certaines dépenses en double et ne peut donc être considéré comme fiable. Cependant, la page 111 indique également des frais d’intérêt s’élevant à 12 090,70 $.

[64]  La clause 9 du contrat prévoit ce qui suit au sujet des intérêts :

[traduction] Si les droits d’amarrage et les autres sommes dues en vertu des présentes ne sont pas intégralement payés dans les 30 jours suivant la facturation, des intérêts seront exigibles conformément à la grille tarifaire.

[65]  Aucune grille n’est jointe au contrat présenté comme pièce B de l’affidavit de M. Heide. Dans ces circonstances, je ne suis pas convaincue que la demanderesse a démontré son droit à recouvrer des intérêts.

[66]  La demanderesse sollicite une ordonnance pour que le navire défendeur soit retiré de ses installations à Shelburne.

[67]  Une ordonnance à ce sujet a été rendue par le juge Fothergill le 31 décembre 2015, mais le navire défendeur n’a pas été déplacé.

[68]  Après l’audience de la présente requête, une lettre en date du 4 août 2017 a été produite par l’avocat de la demanderesse, indiquant que le navire défendeur avait été déplacé du terminal. La question est maintenant sans objet et il n’y a plus lieu de s’y intéresser davantage.

[69]  Je me pencherai maintenant sur la demande reconventionnelle présentée par les défendeurs.

[70]  Dans leur demande reconventionnelle, les défendeurs avancent que la demanderesse a bloqué l’accès au navire défendeur et empêché les opérations d’entretien et de maintenance. Ils allèguent que la demanderesse avait la garde du navire défendeur et que le naufrage est attribuable à une négligence de la demanderesse. Ils affirment aussi que le moteur, le propulseur d’étrave et d’autres pièces revendables ont subi des dommages évalués à 60 000 $.

[71]  Les défendeurs cherchent à attribuer la responsabilité de la détérioration du navire défendeur aux actions de la demanderesse. Ils cherchent aussi à recouvrer des dommages-intérêts pour la réduction alléguée de la valeur du moteur et d’autres pièces d’équipement.

[72]  Dans sa défense à la demande reconventionnelle, la demanderesse nie que le défendeur a subi tout dommage que ce soit; mais, si un quelconque dommage a été subi, la demanderesse s’en remet aux clauses sur l’indemnisation et les assurances prévues dans le contrat d’amarrage. La demanderesse fait valoir que tout dommage subi par les défendeurs est attribuable à la négligence des défendeurs.

[73]  À mon avis, la demande reconventionnelle des défendeurs ne soulève aucune véritable question litigieuse.

[74]  Les conditions du contrat d’amarrage prévoient que le propriétaire défendeur était responsable de l’entretien du navire défendeur. Quoi qu’il en soit, rien ne prouve que les actions ou omissions de la demanderesse ont contribué aux dommages subis par le navire défendeur ou à toute réduction de sa valeur. J’estime qu’aucune véritable question litigieuse ne découle de la demande reconventionnelle des défendeurs, laquelle sera rejetée.

[75]  La demanderesse demande le recouvrement des honoraires d’avocat engagés pour intenter la présente action en jugement.

[76]  La clause 12 du contrat d’amarrage prévoit que la demanderesse peut demander le recouvrement de ses honoraires d’avocat liés au recouvrement des droits d’amarrage impayés ou des [traduction] « autres sommes en souffrance, ainsi que toutes les dépenses connexes », y compris les honoraires d’avocat, sur révocation de la « permission d’amarrer » prévue au contrat.

[77]  La clause 13 encadre elle aussi le recouvrement des honoraires d’avocat et prévoit ce qui suit :

[traduction] L’autorité portuaire aura un privilège à l’égard du navire, relativement à toute somme due, de quelque manière que ce soit ou de quelque nature que ce soit, à l’autorité portuaire en vertu du présent contrat, et le propriétaire du navire devra payer à l’autorité portuaire tout frais et dépenses raisonnables pour le recouvrement de ces dettes, y compris les honoraires d’avocat, quels qu’ils soient, engagés par l’autorité portuaire ou en son nom.

[78]  J’ai examiné les factures d’honoraires juridiques présentées par l’avocat de la demanderesse. Ces factures couvrent les services rendus du 21 avril 2015 au 12 décembre 2016. Le total des honoraires pour les services, incluant la TVH, s’élève à 65 929,31 $.

[79]  Les factures pour les honoraires juridiques indiquent aussi des débours de 5 775,31 $.

[80]  Je ne suis pas convaincue que la demanderesse devrait recevoir le montant total réclamé pour les services juridiques. Les honoraires chargés sont liés à des services qui ne semblent pas directement liés à la présente action pour recouvrer des frais impayés d’amarrage et d’entretien du navire défendeur; par exemple, des heures ont été facturées pour le travail effectué dans la préparation de communiqués de presse.

[81]  De plus, les factures d’honoraires juridiques concernent des services relatifs à des mesures qui n’ont pas été prises, par exemple le dépôt d’une requête en jugement par défaut et les démarches en vue de vendre le navire défendeur. J’autoriserai le recouvrement de 75 p. 100 du montant réclamé au titre des services juridiques, incluant la TVH, soit 49 446,99 $.

[82]  Le montant réclamé au titre des débours, incluant la TVH, sera autorisé.

[83]  La demanderesse demande des dépens majorés en lien avec la présente requête, et avec l’instance, de manière générale.

[84]  La demanderesse avance aussi que des dommages-intérêts punitifs devraient être accordés compte tenu du mépris persistant du propriétaire défendeur, M. Tracy Dodds, à l’égard de multiples ordonnances de la Cour lui dictant de déplacer le navire défendeur. Elle soutient que le fait que le défendeur, M. Dodds, a été reconnu coupable d’outrage devrait justifier l’adjudication de dommages-intérêts punitifs; les dépens adjugés par le juge Fothergill devraient être « majorés » et des dépens sur la base solliciteur-client devraient être accordés à la demanderesse.

[85]  Je ne suis pas convaincue par les arguments de la demanderesse concernant la question des dépens majorés et des dommages-intérêts punitifs.

[86]  L’ordonnance du 11 février 2016 était une ordonnance de « justification » rendue conformément à l’article 467 des Règles, lequel prévoit ce qui suit :

(1) Sous réserve de la règle 468, avant qu’une personne puisse être reconnue coupable d’outrage au tribunal, une ordonnance, rendue sur requête d’une personne ayant un intérêt dans l’instance ou sur l’initiative de la Cour, doit lui être signifiée. Cette ordonnance lui enjoint :

(1) Subject to rule 468, before a person may be found in contempt of Court, the person alleged to be in contempt shall be served with an order, made on the motion of a person who has an interest in the proceeding or at the Court’s own initiative, requiring the person alleged to be in contempt

 

a) de comparaître devant un juge aux date, heure et lieu précisés;

(a) to appear before a judge at a time and place stipulated in the order;

 

b) d’être prête à entendre la preuve de l’acte qui lui est reproché, dont une description suffisamment détaillée est donnée pour lui permettre de connaître la nature des accusations portées contre elle;

(b) to be prepared to hear proof of the act with which the person is charged, which shall be described in the order with sufficient particularity to enable the person to know the nature of the case against the person; and

 

c) d’être prête à présenter une défense.

(c) to be prepared to present any defence that the person may have.

 

[87]  La demanderesse affirme que le défendeur, M. Dodds, a enfreint plusieurs ordonnances, dont celles du 11 février, du 23 mars et du 11 avril 2016.

[88]  Une seule ordonnance pour outrage au tribunal a été rendue, et ce le 10 mai 2016. Je ne vois pas comment le défendeur, M. Dodds, pourrait être reconnu coupable d’outrage au tribunal pour avoir désobéi aux ordonnances du 11 février, du 23 mars et du 11 avril, alors qu’aucune conclusion d’outrage n’a été prononcée.

[89]  Dans les circonstances, je refuse d’accorder des dépens particuliers en lien avec ces ordonnances. Il semble qu’aucuns dépens n’ont été accordés lors du prononcé de l’ordonnance du 10 mai 2016, et aucuns dépens ne seront adjugés aujourd’hui.

[90]  Le défendeur, M. Dodds, a été reconnu coupable d’outrage, a été condamné et a purgé une peine d’emprisonnement. Je ne suis pas convaincue qu’il faudrait majorer les dépens adjugés à l’encontre des défendeurs en ce qui concerne l’ordonnance pour outrage.

[91]  La décision rendue dans l’affaire Louis Vuitton Malletier S.A. c Singga Enterprises (Canada) Inc., 392 F.T.R. 258, concernant la protection des droits de propriété, n’est d’aucun secours pour la demanderesse.

[92]  La demanderesse n’a pas invoqué une atteinte à un droit propriétal. Les principes concernant l’évaluation des dommages-intérêts et l’adjudication de dépens dans le contexte de la décision Louis Vuitton Malletier S.A., précitée, ne s’appliquent pas au présent contexte de rupture d’un contrat d’amarrage d’un navire.

[93]  La demanderesse sollicite les dépens pour la présente requête et l’instance comme entre procureur et client.

[94]  L’attribution de dépens relève entièrement du pouvoir discrétionnaire de la Cour; voir le paragraphe 400(1) des Règles. L’attribution de dépens comme entre procureur et client est exceptionnelle; voir l’arrêt Young c Young, [1993] 4 R.C.S. 3, en page 134, où la Cour a affirmé ce qui suit :

La Cour d’appel s’est fondée sur les principes suivants, auxquels je souscris. Les dépens comme entre procureur et client ne sont généralement accordés que s’il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d’une des parties. [...]

[95]  Le défendeur, M. Dodds, a consenti à ce qu’une ordonnance pour outrage soit rendue contre lui, mais il n’y a rien au dossier qui montre une « conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante » de la part des défendeurs, et qui justifierait d’accorder des dépens comme entre procureur et client en l’espèce.

[96]  Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, les dépens à l’égard de la présente requête seront fondés sur la colonne III du tarif B, comme le prévoit l’article 407 des Règles.

V.  Conclusion

[97]  Vu ce qui précède, la requête en jugement sommaire présentée par la demanderesse est accueillie en partie. La demanderesse a le droit de recouvrer les montants ci-après :

  • i) droits d’amarrage en souffrance pour la période allant du 9 septembre 2014 au 8 avril 2017, s’élevant à 50 245,80 $;

  • ii) droits d’amarrage impayés du 9 avril 2017 jusqu’à la date où le navire défendeur a été déplacé;

  • iii) frais de nettoyage et d’entretien du navire défendeur après juillet 2016, soit 21 338 $;

  • iv) frais accessoires pour sécuriser le navire défendeur s’élevant à 62,32 $;

  • v) frais de sécurité de 13 823,24 $;

  • vi) recouvrement partiel des honoraires d’avocat et de la TVH, pour un total de 49 446,99 $;

  • vii) recouvrement des débours, y compris la TVH, pour un total de 5 775,31 $;

  • viii) dépens à l’égard de la présente requête d’après la colonne III du Tarif B, conformément à ce que prévoient les Règles.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la requête en jugement sommaire présentée par la demanderesse est accueillie, selon ce qui est indiqué ici :

  1. droits d’amarrage en souffrance pour la période allant du 9 septembre 2014 au 8 avril 2017, s’élevant à 50 245,80 $;

  2. droits d’amarrage impayés du 9 avril 2017 jusqu’à la date où le navire défendeur a été déplacé;

  3. frais de nettoyage et d’entretien du navire défendeur après juillet 2016, soit 21 338 $;

  4. frais accessoires pour sécuriser le navire défendeur s’élevant à 62,32 $;

  5. frais de sécurité de 13 823,24 $;

  6. recouvrement partiel des honoraires d’avocat et de la TVH, pour un total de 49 446,99 $;

  7. recouvrement des débours, y compris la TVH, pour un total de 5 775,31 $;

  8. dépens à l’égard de la présente requête d’après la colonne III du Tarif B, conformément à ce que prévoient les Règles.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de février 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-624-15

INTITULÉ :

VILLE DE SHELBURNE c LE NAVIRE DÉNOMMÉ « FARLEY MOWATT » ET AUTRES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 juin 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :

Le 21 décembre 2017

COMPARUTIONS :

Eric Machum

Kyle Ereaux

Pour la demanderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Metcalf & Company

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Pour la demanderesse

 

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