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Date : 20171220


Dossier : IMM-876-17

Référence : 2017 CF 1175

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2017

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

BINGQIU LIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le 22 mai 2016, le demandeur, M. Bingqiu Lin, est arrivé au Canada et a affirmé avoir qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger, aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). Lorsque la Section de la protection des réfugiés a rejeté sa demande d’asile le 24 août 2016, le demandeur a interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel des réfugiés. La Section d’appel des réfugiés a rejeté son appel le 1er février 2017.

[2]  Le demandeur affirme que la décision de la Section d’appel des réfugiés comprend des erreurs, comme le fait de ne pas avoir admis de nouveaux éléments de preuve pertinents, d’avoir décidé, de façon déraisonnable, du caractère frauduleux des documents et d’avoir mis en doute sa crédibilité. Il demande maintenant à la Cour de procéder au contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés.

[3]  Étant d’avis que la décision de la Section d’appel des réfugiés est transparente, justifiable et intelligible, que la Section d’appel des réfugiés n’a pas commis d’erreur en excluant les nouveaux éléments de preuves et qu’elle n’a pas manqué au droit à l’équité procédurale du demandeur, je rejette la demande de contrôle judiciaire pour les motifs qui suivent.

II.  Résumé des faits

[4]  Le demandeur affirme qu’il vivait en République populaire de Chine et qu’il craint d’y retourner parce qu’il sera arrêté et emprisonné pour avoir librement pratiqué sa religion.

[5]  Le demandeur allègue qu’en août 2015, suivant les conseils de son ami Guo Xiu, il s’est joint à une église dont les membres sont connus sous le nom de [traduction] « Crieurs », comme moyen de réduire le stress. Dans son récit, il soutient que le 26 mars 2016, quatre Crieurs, lui y compris, se trouvaient dans un parc public et distribuaient des brochures d’information. Il allègue que, par la suite, des membres du Bureau de la sécurité publique sont arrivés, que deux des Crieurs ont été arrêtés, mais qu’il a réussi à prendre la fuite et à se cacher. Il affirme que son employeur a appris qu’il était un Crieur et qu’il l’a congédié. Il soutient également que des membres du Bureau de la sécurité publique sont allés chez lui pour le chercher à trois reprises et qu’ils ont délivré une assignation qui a été remise à son épouse.

[6]  Le demandeur déclare donc qu’il a quitté la Chine le 12 mai 2016 et qu’il a entamé son périple vers le Canada avec l’aide d’un passeur. Il allègue avoir été en mesure de quitter la Chine en utilisant son propre passeport, lequel a été estampillé, mais non balayé, à l’aéroport. D’après le témoignage du demandeur, avant d’arriver au Canada, le passeur lui a dit de détruire son passeport, puis lui a pris tous ses documents de voyage, y compris ses cartes d’embarquement. Le demandeur affirme que son ami Guo Xiu a été arrêté alors qu’il tentait de quitter la Chine.

[7]  Le demandeur est arrivé au Canada le 22 mai 2016 et a présenté une demande d’asile. Son audience devant la Section de la protection des réfugiés s’est déroulée le 18 juillet 2016. Dans une décision rendue le 24 août 2016, la Section de la protection des réfugiés a rejeté sa demande en concluant 1) qu’il n’est pas un véritable adepte des Crieurs; 2) qu’il n’est pas recherché par les autorités chinoises.

[8]  Le demandeur a interjeté appel devant la Section d’appel des réfugiés et, le 1er février 2017, la Section d’appel des réfugiés a rejeté l’appel en confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés.

III.  Questions en litige

[9]  Les questions en litige soulevées par le demandeur sont les suivantes :

  1. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur en ne permettant pas la présentation de tous les nouveaux éléments de preuve du demandeur?
  2. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans son évaluation des documents du demandeur, plus précisément la lettre de congédiement et la lettre d’assignation du demandeur?
  3. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur en mettant en doute la crédibilité du demandeur parce qu’il n’avait pas présenté son passeport ou d’autres documents de voyage?
  4. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne pouvait pas quitter la Chine muni de son passeport authentique s’il était recherché par le Bureau de la sécurité publique?
  5. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la demande d’asile sur place du demandeur?

IV.  Norme de contrôle

[10]  La norme de contrôle qui s’applique aux décisions de la Section d’appel des réfugiés établie par la jurisprudence est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration c Huruglica), 2016 CAF 93, au paragraphe 35).

[11]  La norme de contrôle appropriée pour les questions liées à l’équité procédurale est celle de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43.

V.  Discussion

A.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur en ne permettant pas la présentation de tous les nouveaux éléments de preuve du demandeur?

[12]  Le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés aurait dû admettre tous les nouveaux éléments de preuve. Les éléments de preuve soumis par le demandeur à la Section d’appel des réfugiés comprennent : une lettre datée du 7 août 2016 de l’église à Toronto avec des photos non datées, une lettre de Bi Lan Wang (épouse de Guo Xiu) datée du 6 septembre 2016, la carte d’identité de résident chinois de Bi Lan Wang et une carte de visiteur d’un pénitencier pour le pénitencier de Min Jiang dans la province du Fujian.

[13]  Seule la lettre du 7 août 2016 de l’église à Toronto a été admise en preuve. Or, le demandeur soutient que la lettre de l’épouse de Guo Xiu et la carte de visiteur d’un pénitencier satisfaisaient également au critère de nouveauté, parce que les deux portent une date postérieure à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés et qu’elles contiennent des renseignements qui n’étaient pas disponibles à l’audience.

[14]  Selon le sous-alinéa 3(3)g)(iii) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257 (Règles de la Section d’appel des réfugiés), le demandeur doit expliquer la façon dont les nouveaux éléments de preuve satisfont au paragraphe 110(4) de la LIPR et dans quelle mesure ils se rapportent à lui. Le paragraphe 110(4) de la LIPR dispose qu’un nouvel élément de preuve est un élément de preuve qui : 1) est survenu depuis que la Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande du demandeur; 2) n’était pas normalement accessible avant l’audience devant la Section de la protection des réfugiés ou; 3) n’aurait raisonnablement pas pu être présenté à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés. Comme l’a souligné la Section d’appel des réfugiés, si l’élément de preuve respecte les exigences du paragraphe 110(4), les facteurs de crédibilité, de pertinence et de nouveauté de l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, s’appliquent. Le facteur de l’importance est abordé au paragraphe 110(6) de la LIPR.

[15]  En l’espèce, le demandeur a soutenu que les éléments de preuve sont pertinents puisqu’il s’agit d’éléments de preuve relatifs à une personne se trouvant dans une situation semblable. Or, les observations qu’il a présentées à la Section d’appel des réfugiés n’expliquent en rien la raison pour laquelle la lettre au sujet de Guo Xiu se rapporte au demandeur. Le demandeur a simplement dit [traduction] « ces nouveaux éléments de preuve et ceux présentés plus haut viennent corroborer davantage la demande (du demandeur) et ajoutent une certaine crédibilité aux éléments de preuve que le commissaire a précédemment rejetés ». Cette absence d’explication a entraîné le rejet de la lettre de l’épouse de Guo Xiu et de la carte de visiteur d’un pénitencier comme étant non pertinentes.

[16]  Il n’appartient pas au demandeur de renforcer maintenant son argument en m’expliquant pourquoi l’élément de preuve se rapporte à lui. Je ne peux pas soupeser de nouveau la preuve ou accepter de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Je crois que les éléments de preuve pourraient être pertinents puisqu’ils présentent la position d’une personne se trouvant dans une situation semblable, mais le problème réside toutefois dans le fait que le demandeur n’a soulevé cet argument pour la première fois qu’au cours de l’audience relative au contrôle judiciaire. Comme cet argument est soulevé pour la première fois, il ne peut pas avoir d’incidence sur le caractère raisonnable de la décision de la Section d’appel des réfugiés.

[17]  De plus, même si le demandeur avait suivi les Règles de la Section d’appel des réfugiés, une décision déraisonnable quant à ces éléments de preuve n’aurait pas d’incidence sur la décision dans son ensemble. La raison pour laquelle la Section d’appel des réfugiés a rejeté la demande relève de questions de crédibilité, donc les éléments de preuve relatifs à une personne se trouvant dans une situation semblable ne constituent pas un facteur déterminant. Ni la Section d’appel des réfugiés ni la Section de la protection des réfugiés n’ont poursuivi leur analyse au point où les éléments de preuve au sujet de ce qu’il était advenu des autres Crieurs sont devenus pertinents.

B.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans son évaluation des documents du demandeur, plus précisément la lettre de congédiement et la lettre d’assignation du demandeur?

[18]  Le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés a violé son droit à l’équité procédurale en ne lui donnant pas l’occasion de répondre à une nouvelle question. Cette nouvelle question a été soulevée au moment où la Section d’appel des réfugiés a trouvé des motifs supplémentaires de croire que son assignation et sa lettre de congédiement étaient frauduleuses. Le demandeur se fonde sur les décisions Ching c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725 [Ching] et Kwakwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 600 [Kwakwa] à l’appui de sa thèse selon laquelle un demandeur doit avoir la possibilité de répondre lorsqu’une nouvelle question est soulevée.

[19]  La Cour avait déjà conclu que, lorsque la Section d’appel des réfugiés soulève une nouvelle question, l’équité procédurale exige que le demandeur en soit informé et qu’il ait la possibilité de présenter des observations (Ching, au paragraphe 71). Dans le même ordre d’idées, dans la décision Kwakwa, le juge Gascon a conclu que la Section d’appel des réfugiés avait violé le droit de M. Kwakwa à l’équité procédurale parce qu’elle s’était fondée sur un nouvel ensemble d’arguments, soit un raisonnement et des conclusions d’invraisemblance, sans lui donner l’occasion de formuler des observations (Kwakwa, aux paragraphes 2 et 3). Au paragraphe 24 de la décision, le juge Gascon a fourni les explications suivantes :

En d’autres termes, la SAR est habilitée à tirer de façon indépendante des conclusions défavorables sur la crédibilité d’un demandeur, sans les lui exposer et sans lui donner la possibilité de formuler des observations, mais cela vaut seulement pour les situations où la SAR n’a pas ignoré les éléments de preuve contradictoires déposés au dossier ou tiré des conclusions supplémentaires au sujet d’éléments que le demandeur ignorait.

[20]  Bien que le défendeur soutienne que des conclusions de fait ne sont pas des questions en litige, la décision Kwakwa ne fait pas de distinction entre des questions de fait et des questions de droit.

[21]  Comme l’a soutenu le demandeur, dans la décision Ching la Cour a cité l’arrêt R c Mian, 2014 CSC 54 [Mian], dans lequel la Cour suprême du Canada (CSC) a défini l’expression « nouvelle question » au paragraphe 30 :

Une question est nouvelle lorsqu’elle constitue un nouveau fondement sur lequel on pourrait s’appuyer – autre que les moyens d’appel formulés par les parties – pour conclure que la décision frappée d’appel est erronée. Les questions véritablement nouvelles sont différentes, sur les plans juridique et factuel, des moyens d’appel soulevés par les parties (voir Quan c Cusson, 2009 CSC 62, [2009] 3 RCS 712, par. 39) et on ne peut pas raisonnablement prétendre qu’elles découlent des questions formulées par les parties. Vu cette définition, dans le cas de nouvelles questions, il faudra aviser les parties à l’avance pour qu’elles puissent en traiter adéquatement.

[Non souligné dans l’original].

[22]  Bien que la Section d’appel des réfugiés ait pu parvenir à des conclusions de fait distinctes, la question de savoir si le document était authentique était la question de droit dans les deux audiences (et, par conséquent, elle n’était pas différente sur les plans factuel et juridique, comme l’exigeait la CSC dans l’arrêt Mian). La question en litige était donc déjà connue du demandeur, et je conclus que ce dernier n’a pas démontré en quoi la Section d’appel des réfugiés a violé son droit à l’équité procédurale.

1)  Analyse des documents

[23]  En se fondant sur la décision de la Cour dans Cai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 577, aux paragraphes 16 et 17 [Cai], le demandeur fait valoir trois raisons pour lesquelles la Section d’appel des réfugiés n’a pas réfuté la présomption d’authenticité des documents d’un gouvernement étranger. Premièrement, le demandeur affirme que l’assignation vise un interrogatoire, et qu’il est donc possible qu’elle ne comprenne pas une infraction (autrement dit, il est possible que le demandeur n’ait pas fait l’objet d’accusations au criminel). Deuxièmement, le demandeur soutient que le sceau rouge de délivrance figurant sur l’assignation indique qu’elle a reçu l’approbation d’un agent responsable, et qu’une personne en situation d’autorité l’a approuvée. Troisièmement, le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés ne peut que supposer qu’une entreprise privée citerait un règlement dans une lettre de congédiement.

[24]  En règle générale, les documents gouvernementaux étrangers sont présumés valides (Cai, aux paragraphes 16 et 17). Cette présomption ne peut être réfutée sur le seul motif qu’il est facile d’obtenir des documents frauduleux. Certains éléments de preuve ou motifs supplémentaires sont nécessaires, et il doit y avoir une raison pour remettre en question l’absence de dispositifs de sécurité.

[25]  En l’espèce, la Section d’appel des réfugiés avait un motif pour réfuter le document du gouvernement. Plus précisément, elle a passé en revue l’article 82 de la loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité publique de la République populaire de Chine (Public Security Administration Punishment Law of the People’s Republic of China). L’article 82 nécessite l’approbation d’une personne responsable et exige que [traduction] « la personne qui reçoit l’assignation soit informée des motifs qui sous-tendent l’assignation ». Comme l’assignation ne contenait pas ces exigences, la Section d’appel des réfugiés a conclu que cela était suffisant pour réfuter la présomption.

[26]  Le demandeur soutient également que le document est une convocation pour un interrogatoire, et qu’il n’exige probablement pas que des accusations réelles soient portées. La Section d’appel des réfugiés a toutefois conclu qu’il s’agissait d’une citation à comparaître en matière de sécurité publique en comparant l’assignation aux spécimens figurant dans le cartable national de documentation. Par la suite, la Section d’appel des réfugiés a examiné l’article 82 afin de cerner les caractéristiques de ce type d’assignation. Bien que le demandeur ait fourni d’autres possibilités, la décision de la Section d’appel des réfugiés concernant l’assignation était raisonnable et fondée sur la preuve.

[27]  Même si la Section d’appel des réfugiés n’a pas discuté de la présence du sceau rouge de délivrance figurant sur l’assignation, en l’espèce, l’absence de dispositifs de sécurité ou d’estampe n’est pas ce qui a amené la Section d’appel des réfugiés à conclure que les documents étaient frauduleux. Après avoir discuté des exigences de l’article 82, dans sa décision, la Section d’appel des réfugiés explique que l’assignation [traduction] « tente de citer le bon article en matière de délivrance d’une assignation, mais qu’elle ne cite pas l’infraction matérielle réelle ». C’est le fait que le document tente, mais ne parvient pas, à citer la bonne infraction qui a mené la Section d’appel des réfugiés à conclure au caractère frauduleux du document.

[28]  Pour ce qui est de la lettre de congédiement, le demandeur a soutenu que la Section d’appel des réfugiés a déclaré, de manière déraisonnable, que le document était frauduleux parce qu’aucun élément de preuve n’avait été présenté voulant qu’une entreprise privée cite un règlement. En l’espèce, la Section d’appel des réfugiés déclare qu’il n’est fait aucune mention à un tel règlement et [traduction] « selon la loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité publique de la République populaire de Chine, les Crieurs n’y sont pas expressément mentionnés. » Sans la mention des Crieurs comme motif de punition en Chine, il est raisonnable que l’entreprise ait cité le règlement invoqué pour mettre fin à l’emploi du demandeur. La Section d’appel des réfugiés a examiné cette information ainsi que les lacunes de l’assignation et a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que la lettre de congédiement était également fausse. L’explication et le raisonnement de la Section d’appel des réfugiés sont raisonnables, même si j’avais pu trancher différemment, mais là n’est pas le critère à appliquer dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

C.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur en mettant en doute la crédibilité du demandeur parce qu’il n’avait pas présenté son passeport ou d’autres documents de voyage?

Aucun document de voyage

[29]  Le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés a commis trois erreurs en analysant la raison pour laquelle il n’avait aucun passeport ou document de voyage.

[30]  Premièrement, le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés n’a pas expliqué pourquoi ses allégations n’ont pas réussi à la convaincre qu’un passeur lui a dit de détruire son passeport.

[31]  Deuxièmement, le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés s’est fondée à tort sur la décision Elazi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 191 FTR 205 (CF) parce que [traduction] « les questions d’identité et de preuve de parcours qui nécessitaient le passeport dans la décision Elazi n’étaient pas importantes en l’espèce ». Il établit également une distinction entre la décision Elazi et sa situation en affirmant qu’il était plus vulnérable en raison du fait qu’il était en transit, alors que dans la décision Elazi, le demandeur se trouvait déjà au Canada.

[32]  Troisièmement, le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés n’a pas tenu compte de la jurisprudence portant sur les passeurs. Plus précisément, le demandeur soutient que la jurisprudence établit qu’[traduction] « une conclusion défavorable ne peut être tirée à l’encontre d’un demandeur d’asile qui a suivi les directives d’un passeur ». À l’appui de sa position, le demandeur a cité les décisions suivantes : Kandot c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1275; Takhar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 7544 (CF); Koffi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 4; Rasheed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 587.

[33]  Le demandeur a cité une jurisprudence abondante établissant qu’un passeur peut très bien donner des directives aux réfugiés pour qu’ils posent certains actes. La Section d’appel des réfugiés a pourtant conclu, dans sa décision, que le transport commercial aérien constituait des documents. Le demandeur aurait pu obtenir ces documents, puisqu’il a voyagé avec son propre passeport. Si l’on communiquait avec la compagnie aérienne, elle pourrait fournir des copies des documents ou une preuve de fuite, mais, comme le souligne la Section d’appel des réfugiés, le demandeur n’a pas tenté d’obtenir des copies des documents de voyage après son arrivée au Canada. J’estime qu’il n’est pas déraisonnable dans cette situation d’exiger que le demandeur tente d’obtenir une preuve de sa présence en Chine au cours de la période pertinente.

D.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne pouvait pas quitter la Chine muni de son passeport authentique s’il était recherché par le Bureau de la sécurité publique?

[34]  Le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en concluant qu’une personne recherchée ne peut pas fuir la Chine en utilisant son propre passeport. Le demandeur déclare qu’il s’agit là d’une erreur parce que la Section d’appel des réfugiés 1) a mal interprété les éléments de preuve documentaire; 2) n’a pas tenu compte des éléments de preuve contradictoire.

[35]  Premièrement, le demandeur soutient que les éléments de preuve documentaire ont été mal interprétés, parce qu’ils n’indiquent pas qu’on ne peut pas toujours empêcher un départ. En outre, le demandeur soutient que son passeport n’a jamais été balayé; ce qui n’a donc pas pu activer la base de données Bouclier d’or. Il dit que cela différencie les éléments de preuve, parce que les seuls exemples que la Section d’appel des réfugiés a cités portaient sur des personnes dont les passeports avaient été balayés.

[36]  Deuxièmement, le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés et la Section de la protection des réfugiés ont toutes deux fait abstraction de toute la documentation communiquée.

[37]  Troisièmement, le demandeur se fonde sur la jurisprudence afin d’illustrer qu’il est plausible qu’une personne puisse quitter la Chine munie de son propre passeport, par la subornation : Sun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 387[Sun]; Ren c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1402; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 533; Yao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 927; Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 543.

[38]  Le demandeur a également soutenu qu’[traduction] « il existe une jurisprudence pertinente et constante qui veut que les personnes recherchées par les autorités en Chine puissent contourner la sécurité à la frontière en utilisant leurs propres passeports ».

[39]  En réalité, la jurisprudence illustre que le demandeur a tort d’affirmer qu’elle est constante. Bien que les faits de la décision Sun soient semblables à ceux dont il est question en l’espèce, des décisions récentes l’ont différenciée comme étant de l’ancien droit fondé sur des conclusions de fait particulières. Par exemple, dans la décision Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 539, au paragraphe 29, [Chen], le juge Mosley a fait une distinction entre les décisions Chen et Sun parce que dans Chen, le demandeur n’avait fourni aucun élément de preuve sur la façon de soudoyer les agents des douanes et aucune explication sur les arrangements pris pour quitter la Chine. Dans une autre affaire, soit Yan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 146, au paragraphe 20, le juge Brown a fourni l’explication suivante :

[les] renseignements sur la situation dans le pays en cause [sont] plus à jour que ceux qui avaient été présentés à notre Cour lors des décisions antérieures, notamment au sujet des contrôles à la sortie en Chine et du projet Bouclier d’or. À mon humble avis, on ne peut considérer comme déterminantes dans l’examen de demandes ultérieures comme celle présentée en l’espèce les décisions sur le système de contrôle des sorties en Chine, qui sont fondées sur des éléments de preuve antérieurs ou différents sur la situation dans le pays en cause, bien que ces décisions appuient le principe voulant que chaque affaire doive être tranchée en fonction des éléments de preuve présentés. Les décisions sont fondées sur des faits et sur des conclusions qui commandent un certain degré de déférence, car la SPR et la SAR sont toutes deux des tribunaux spécialisés.

[40]  En l’espèce, la décision de la Section d’appel des réfugiés traitait de l’allégation du demandeur selon laquelle son passeport n’avait pas été balayé. Selon les éléments de preuve, la Section d’appel des réfugiés a conclu que, bien que le demandeur ait pu contourner certains points de contrôle, il est très peu probable qu’il ait pu tous les contourner. Par exemple, la Section d’appel des réfugiés a affirmé que l’infrastructure de voyages est entièrement informatisée [traduction] « il est raisonnable de dire que le (demandeur) n’obtiendrait pas de carte d’embarquement ou qu’on l’empêcherait de quitter la Chine s’il était recherché par les autorités ».

[41]  En règle générale, le décideur est présumé avoir examiné les éléments de preuve pertinents. Bien que le demandeur soutienne que l’on n’a pas tenu compte de la documentation communiquée intitulée [traduction] « Demandeurs d’asile utilisant des passeports valides pour fuir la Chine », la Section d’appel des réfugiés affirme qu’elle a examiné les éléments de preuve documentaire dont elle était saisie, mais qu’elle en a trouvé très peu renfermant [traduction] « des renseignements pertinents qui s’appliquent aux activités visant à contourner les mesures de sécurité en place aux contrôles frontaliers ».

[42]  En l’espèce, la sortie n’est pertinente que dans la mesure où elle établit que le demandeur est recherché ou non en Chine. En outre, le passeport du demandeur n’était pas seulement valide, il s’agissait de son propre passeport. Le demandeur ne m’a pas convaincue ou ne m’a pas présenté d’élément précis indiquant que les documents n’ont pas été pris en compte. Il ne s’agit pas d’une erreur susceptible de contrôle.

E.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la demande d’asile sur place du demandeur?

[43]  Le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en concluant que le fait d’avoir fréquenté l’église à Toronto ne l’a pas exposé à un risque. Il affirme que les éléments de preuve ont démontré que l’église est de la même confession ou philosophie que les Crieurs et que la Section d’appel des réfugiés a mal interprété la lettre rédigée par l’église de Toronto. Il dit être un Crieur pratiquant et il n’y a aucun élément de preuve contredisant ses affirmations, mais beaucoup d’éléments de preuve établissent que les Crieurs sont persécutés en Chine. Par conséquent, le demandeur soutient que la décision de la Section d’appel des réfugiés était incorrecte et déraisonnable.

[44]  Les observations du demandeur n’ont pas abordé l’addenda à la lettre de l’église à Toronto :

[traduction] « en ce qui concerne la soi-disant secte chinoise de l’« Église des Crieurs », nous souhaitons noter que l’église de Toronto n’est aucunement liée au groupe susmentionné »

[Gras dans l’original; je souligne.]

[45]  Il est loisible à la Section d’appel des réfugiés d’accorder plus ou moins de poids à la lettre ou aux éléments de preuve documentaire, y compris cette déclaration de l’église de Toronto. Le demandeur demande à la Cour d’apprécier de nouveau les éléments de preuve, ce qui ne peut pas être fait. De plus, le demandeur a présenté lui-même à la Section d’appel des réfugiés la lettre contenant cette modification apportée aux renseignements. La Section d’appel des réfugiés n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle.

[46]  Au sujet des observations du demandeur selon lesquelles même les chrétiens ordinaires font face à un risque de persécution future en Chine, le défendeur a fait valoir que cet argument avait été présenté pour la première fois à l’audience devant la Cour fédérale et qu’il doit donc être écarté.

[47]  Toutefois, puisque la Section d’appel des réfugiés a conclu qu’[traduction] « [i]l n’y a aucun élément de preuve convaincant qu’il ne serait pas en mesure de pratiquer le christianisme s’il retournait en Chine, » cette conclusion fait partie de la décision de la Section d’appel des réfugiés et est donc susceptible de contrôle devant la Cour.

[48]  Dans sa décision, la Section d’appel des réfugiés ne conclut pas à l’absence d’éléments de preuve, mais plutôt à l’absence d’éléments de preuve convaincants établissant que le demandeur ne serait pas en mesure de pratiquer le christianisme en Chine. Les allégations du demandeur voulant que la Section d’appel des réfugiés ait fait abstraction de cet élément de preuve dénaturent la décision de la Section d’appel des réfugiés. Je ne constate aucune erreur susceptible de contrôle et, je le répète, je n’apprécierai pas de nouveau les éléments de preuve.

[49]  Je rejette la demande puisque la décision de la Section d’appel des réfugiés est raisonnable et que je n’ai relevé aucune iniquité procédurale.

[50]  Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et aucune question n’a été soulevée.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-876-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-876-17

 

INTITULÉ :

BINGQIU LIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 OCTOBRE 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 DÉCEMBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

Jordan Duviner

POUR LE DEMANDEUR

 

Stephen Jarvis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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