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Date : 20171221


Dossier : IMM-2264-17

Référence : 2017 CF 1183

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2017

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

XULI KONG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), la demanderesse, Xuli Kong, demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 5 avril 2017 par un agent d’immigration (l’agent) à l’ambassade du Canada à Beijing, en Chine. L’agent a rejeté la demande de visa de résident temporaire présentée par Mme Kong et a conclu que la demanderesse avait fait de fausses déclarations ou omis des faits importants quant à sa situation financière personnelle. Plus précisément, l’agent a estimé que les relevés bancaires fournis par la demanderesse ne pouvaient être vérifiés et étaient frauduleux. En raison de cette conclusion de fausses déclarations, la demanderesse n’est pas autorisée à présenter une nouvelle demande pendant une période de cinq ans conformément à l’article 40 de la Loi.

[2]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs qui suivent. L’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale, mais a rendu une décision qui est déraisonnable.

I.  Contexte

[3]  En septembre 2016, la demanderesse, une citoyenne de Chine, a demandé un visa de résident temporaire pour rendre visite à son fils et à sa belle-fille au Canada, pour une période d’environ deux mois. Elle a présenté des documents à l’appui de sa demande, notamment une lettre de son employeur autorisant son congé, des renseignements à propos de la propriété qu’elle possède en Chine, son itinéraire de voyage accompagné de son billet de retour, ainsi que ses antécédents de voyage, lesquels comprenaient des séjours au Canada. Elle a également fourni des relevés bancaires de plusieurs banques, ainsi que des copies qu’elle a elle-même traduites en anglais, afin de démontrer qu’elle avait les ressources financières suffisantes pour soutenir son voyage.

[4]  Après réception d’une lettre de l’agent examinant sa demande (la lettre relative à l’équité procédurale), qui indiquait [traduction] « [p]lus particulièrement, les relevés bancaires de la BOC (Banque de Chine) que vous avez présentés à l’appui de votre demande ne me semblent pas authentiques », la demanderesse a fourni des copies additionnelles des relevés bancaires de la Banque de Chine, ainsi que des captures d’écran de ces relevés. Dans son affidavit, la demanderesse explique que dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, elle a affirmé avoir commis des erreurs dans la traduction d’un code de vérification imprimé sur les relevés bancaires (code à 16 chiffres), erreurs qu’elle a rectifiées. Elle a également produit une lettre de la banque pour confirmer ses comptes.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[5]  La décision consiste en une lettre type assortie de cases à cocher, selon le cas, datée du 5 avril 2017, et envoyée à la demanderesse. La lettre informe la demanderesse que sa demande est rejetée et qu’elle est interdite de territoire. Deux cases sont cochées sur la lettre, qui indique : [traduction] « [v]ous faites partie d’une catégorie de personnes non admissibles visées à [la Loi]. Par conséquent, vous êtes interdite de territoire au Canada en vertu de la disposition suivante... » [...] « pour fausse déclaration, l’alinéa 40(1)a) : directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi ».

[6]  Les notes inscrites par l’agent et son ou ses superviseurs dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) figurent également parmi les motifs de la décision. Les notes tirées du SMGC sont succinctes. Les entrées du 1er, du 2 et du 4 octobre 2016 indiquent que la demanderesse prévoyait rendre visite à son fils et à sa belle-fille à une certaine adresse au Canada. L’entrée du 13 octobre 2016, portant sur la vérification des relevés bancaires présentés par la demanderesse, indique que l’agent a communiqué avec l’institution financière de la demanderesse et que [traduction] « [s]elon le service de vérification de comptes en ligne, le code à 16 chiffres figurant sur le timbre officiel ne peut être repéré dans le système ». L’agent a conclu que [traduction] « les relevés bancaires de la demanderesse sont faux ». Une lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée à la demanderesse le 13 octobre 2016.

[7]  Les notes du SMGC indiquent que la réponse de la demanderesse à lettre relative à l’équité procédurale a été reçue le 31 octobre 2016.

[8]  L’entrée inscrite le 5 avril 2017 par l’agent indique qu’il a examiné tous les renseignements pertinents, incluant, mais sans s’y limiter, les questions soulevées dans la lettre relative à l’équité procédurale, la réponse de la demanderesse, y compris les photos des relevés bancaires et les traductions des relevés, ainsi que la lettre de l’agent de la banque visant à certifier l’authenticité des relevés. L’agent a souligné que la lettre ne comportait ni en-tête ni timbre, n’était pas dans un format professionnel, et ne semblait pas avoir été rédigée par un responsable d’une banque. L’agent a ajouté que les captures d’écran des relevés bancaires n’affichent aucun solde. L’agent a conclu que [traduction] « dans l’ensemble », la réponse à la lettre relative à l’équité procédurale n’a pas permis de dissiper les doutes quant à l’authenticité des documents. Par conséquent, l’agent s’est dit convaincu, compte tenu de tous les renseignements, que la demanderesse avait présenté de faux documents, ce qui constitue une présentation erronée sur un fait important, et qui risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi si elle n’était pas détectée.

III.  Questions en litige

[9]  La demanderesse soulève des questions concernant l’équité procédurale et le caractère raisonnable de la décision.

IV.  La norme de contrôle

[10]  Les questions liées à l’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339). Lorsqu’il est jugé qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence envers l’auteur de la décision.

[11]  Pour rendre sa décision quant à l’admissibilité de la demanderesse à un visa de résident temporaire, l’agent a l’obligation d’évaluer la demande et d’exercer son pouvoir discrétionnaire; la décision doit, par conséquent, être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable (Obeta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1542, au paragraphe 14, 424 FTR 191 [Obeta]).

[12]  Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, la Cour se demande si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). La norme de la décision raisonnable signifie que la Cour ne devrait pas intervenir si la décision est transparente, justifiable, intelligible et appartient aux issues acceptables (Dunsmuir).

V.  Les observations de la demanderesse

[13]  La demanderesse soutient que l’agent a manqué à l’équité procédurale en omettant de souligner plus précisément ses doutes concernant les relevés bancaires, en omettant de divulguer les renseignements obtenus au téléphone de la part de la banque, qui constituent selon la demanderesse des éléments de preuve extrinsèques, et en n’offrant pas à la demanderesse la possibilité de répondre aux autres préoccupations soulevées par sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale.

[14]  La demanderesse affirme que l’agent a rejeté sa demande en raison de préoccupations qui ne lui ont pas été communiquées. Elle soutient qu’elle a répondu de façon générale à la lettre relative à l’équité procédurale, et qu’elle n’a pas abordé les préoccupations qu’avait l’agent, parce qu’elles n’avaient pas été portées à son attention.

[15]  La demanderesse ajoute qu’on ne lui a pas donné la possibilité de répondre aux préoccupations subséquentes soulignées par l’agent, sur lesquelles il a fondé sa conclusion, à savoir que les relevés bancaires étaient frauduleux, que la lettre de la banque ne semblait pas provenir d’un responsable de la banque, et que les captures d’écran n’affichaient pas les soldes bancaires. La demanderesse soutient que, si l’agent avait des doutes quant à l’authenticité des renseignements, il était tenu de la convoquer à une entrevue ou de lui donner une occasion de plus d’y répondre.

[16]  Elle soutient également que la décision n’est pas raisonnable; la gravité des conséquences d’une conclusion de fausses déclarations est telle qu’il convient d’agir avec prudence avant de tirer une telle conclusion, et d’offrir au demandeur la possibilité de se défendre contre une telle allégation et de connaître l’ensemble de la preuve.

[17]  La demanderesse affirme qu’elle a relevé l’erreur commise dans le code de vérification, puis qu’elle a corrigé cette erreur dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. Elle soutient que si l’agent avait tenu compte de cette information et communiqué avec la banque pour confirmer l’information, comme il l’avait fait auparavant, il aurait conclu que les relevés étaient authentiques. De la même façon, si l’agent doutait de l’authenticité de la lettre de la banque, il aurait dû effectuer un suivi avec la banque et appeler au numéro indiqué.

VI.  Les observations du défendeur

[18]  Le défendeur soutient qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale et que la décision de l’agent, selon laquelle les relevés bancaires étaient frauduleux, est raisonnable.

[19]  Le défendeur souligne que la lettre relative à l’équité procédurale informait la demanderesse des préoccupations de l’agent concernant ses relevés bancaires. La réponse de la demanderesse, qui incluait d’autres copies des relevés bancaires ainsi qu’une lettre de la banque, ne comportait aucun élément prouvant que les documents provenaient réellement de la banque.

[20]  Le défendeur affirme que la réponse de la demanderesse à la lettre relative à l’équité procédurale ne traitait pas des préoccupations de l’agent. De plus, le défendeur soutient que l’agent n’était pas tenu de communiquer à la demanderesse les mêmes doutes une seconde fois.

[21]  Le défendeur soutient que l’agent est présumé avoir examiné tous les documents soumis à l’appui de la demande. Cependant, il reconnaît que les notes de l’agent ne font mention d’aucun document autre que les relevés bancaires, alors que la demanderesse a fourni plusieurs documents à l’appui de sa demande.

VII.  L’agent n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale

[22]  Il est bien établi que l’obligation d’équité procédurale varie selon le contexte et que, dans le cas d’une demande de visa, elle se situe à l’extrémité inférieure du spectre.

[23]  Comme l’a indiqué la juge Gagné dans la décision Asl c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1006, au paragraphe 23, [2016] ACF no 985 :

[23]  Tout d’abord, je désire souligner que l’obligation d’équité procédurale à laquelle sont soumis les agents des visas se situe à l’extrémité inférieure du spectre (Hamza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264, au paragraphe 23). Bien sûr, l’obligation d’équité dans ce contexte « impose aux agents des visas de communiquer leurs réserves aux demandeurs, de manière à ce qu’ils aient l’occasion de les dissiper ». Voir Talpur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 25, au paragraphe 21.

[24]  Dans Hamza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264, aux paragraphes 21 à 24, [2013] ACF no 284, la juge Bédard s’est penchée sur la décision de rejeter la demande de résidence permanente d’un demandeur au titre des travailleurs qualifiés; elle a passé en revue de façon exhaustive la jurisprudence applicable et a fourni un résumé utile des principes pertinents : il incombe aux demandeurs d’établir qu’ils satisfont aux exigences du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) en fournissant des éléments de preuve suffisants pour appuyer leur demande; l’obligation d’équité procédurale dont doivent s’acquitter les agents des visas se situe à l’extrémité inférieure du spectre; un agent des visas n’est pas tenu d’aviser un demandeur des lacunes relevées dans sa demande, ou dans les documents fournis à l’appui de la demande, et il n’est pas tenu de donner la possibilité au demandeur de dissiper ses doutes lorsque les documents sont incomplets, peu clairs ou insuffisants pour convaincre l’agent que le demandeur satisfait aux exigences. La juge Bédard a ajouté aux paragraphes 25 à 28 que, conformément à la décision rendue dans Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283, au paragraphe 24, 302 FTR 39 [Hassani], un agent peut avoir une telle obligation lorsque ses réserves sont liées à la crédibilité, à la véracité ou à l’authenticité des documents, et non au caractère suffisant de la preuve qui a été présentée.

[25]  Dans Hassani, le juge Mosley a réuni la jurisprudence existante et a conclu au paragraphe 24 (renvois internes omis) :

[24]  Il ressort clairement de l’examen du contexte factuel des décisions mentionnées ci-dessus que, lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Lorsque, par contre, des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister. C’est souvent le cas lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande, comme dans Rukmangathan, ainsi que dans John et Cornea, deux décisions citées par la Cour dans Rukmangathan, précitée.

[26]  En l’espèce, l’agent a informé la demanderesse de ses préoccupations, mentionnant [traduction] « [p]lus particulièrement, les relevés bancaires de la BOC (Banque de Chine) que vous avez présentés à l’appui de votre demande ne me semblent pas authentiques ». À mon sens, cela suffisait pour informer la demanderesse de la nature de ses préoccupations. La demanderesse a eu la possibilité d’y répondre, ce qu’elle a fait.

[27]  L’agent n’était pas tenu d’être plus précis et de l’informer que c’était le code à 16 chiffres qui posait problème. L’affidavit de la demanderesse ainsi que sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale montrent qu’elle avait saisi la nature des préoccupations de l’agent. Elle affirme avoir corrigé l’information quant au code, au moins sur un relevé, puis avoir fourni une lettre, de la banque, ainsi que des captures d’écran.

[28]  Je ne crois pas que l’agent ait manqué à l’équité procédurale en fondant sa conclusion sur les renseignements [traduction] « extrinsèques » fournis par la banque, sans divulguer ces renseignements et fournir à la demanderesse la possibilité de répondre. Un agent a le droit de vérifier les renseignements fournis par un demandeur. La demanderesse a été informée des préoccupations de l’agent quant à l’authenticité des relevés bancaires, lesquelles découlaient de la tentative faite par l’agent pour vérifier les relevés en téléphonant à la banque et utilisant le libre-service en ligne.

[29]  Dans la décision Baybazarov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 665, 191 ACWS (3d) 580, la juge Snider a souligné que la jurisprudence avait clarifié l’obligation d’équité procédurale de l’agent des visas en ce qui concerne les éléments de preuve extrinsèques (au paragraphe 10). La juge Snider a réitéré, au paragraphe 11, que l’agent des visas n’est nullement tenu « d’informer le demandeur de ses réserves qui découlent directement des exigences de la loi ». L’agent n’est pas tenu non plus de fournir au demandeur un « résultat intermédiaire » des lacunes que comporte sa demande. La juge Snider a expliqué cette obligation au paragraphe 12 :

[12]  Ensuite, l’agent doit informer le demandeur a) s’il a des doutes quant à la crédibilité, à l’exactitude ou à l’authenticité des renseignements fournis (voir Nabin, précitée, au paragraphe 8); b) s’il s’est fondé sur des éléments de preuve extrinsèques (voir Rukmangathan, précitée, au paragraphe 22; Nabin, précitée, au paragraphe 8; Mekonen, précitée, au paragraphe 4). Cette obligation vise à ce que le demandeur ait une occasion équitable et raisonnable de savoir ce qui lui est reproché et de dissiper les doutes.

[30]  Au paragraphe 14, la juge Snider a expliqué que, dans tous les cas, il importe d’offrir au demandeur une occasion raisonnable de dissiper les doutes, citant Mekonen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1133, au paragraphe 27, 66 Imm LR (3d) 222 :

[14]  En définitive, quand un agent utilise des éléments de preuve extrinsèques, la question à se poser est la suivante (Mekonen, précitée, au paragraphe 27) :

[...] la question ne consiste pas à savoir si le rapport constitue ou contient la preuve de faits inconnus de la personne touchée par la décision, mais bien à savoir si la communication du rapport est requise pour que cette personne ait une possibilité raisonnable de participer d’une manière significative au processus de prise de décision.

[31]  En l’espèce, les doutes entourant les relevés bancaires ont été mentionnés et la demanderesse a eu une possibilité raisonnable d’y répondre.

[32]  La demanderesse avance, de plus, que l’obligation d’équité procédurale continue de s’appliquer aux préoccupations découlant de sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale et elle estime qu’elle aurait dû bénéficier d’une ou de plusieurs autres occasions de dissiper ces doutes, jusqu’à ce qu’ils aient disparu, ou, subsidiairement, qu’elle aurait dû être convoquée à une entrevue. La demanderesse cite la décision Ge c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 594, 280 ACWS (3d) 587 [Ge], où le juge Southcott a conclu que l’agent aurait dû accorder aux demandeurs du statut de résident permanent une deuxième occasion de répondre aux préoccupations découlant de leur réponse à la première lettre relative à l’équité procédurale.

[33]  Or, les faits en l’espèce se distinguent de ceux de la décision Ge. Dans la décision Ge, les doutes de l’agent quant à la crédibilité des demandeurs découlaient de leurs réponses à la lettre relative à l’équité procédurale et n’avaient aucun lien avec les préoccupations mentionnées dans ladite lettre (au paragraphe 27).

[34]  Dans la décision Ge, le juge Southcott a tenu les propos suivants, au paragraphe 29 :

[29]  À mon avis, les doutes sur lesquels le défendeur se fonde pour défendre les décisions de l’agente soulèvent manifestement la question de la crédibilité, car elle a conclu que les réponses des demandeurs aux lettres relatives à l’équité procédurale manquaient de franchise. Par contre, les demandeurs n’ont pas été informés de ces doutes puisqu’ils sont apparus seulement après que l’agente a reçu leurs réponses, et elle a rendu ses décisions sans avoir tenté de communiquer de nouveau avec eux.

[Non souligné dans l’original.]

[35]  Le juge Southcott a conclu que, dans les circonstances, ces doutes auraient dû être communiqués aux demandeurs, qui auraient dû avoir l’occasion d’y répondre, c’est-à-dire qu’une seconde lettre relative à l’équité procédurale était nécessaire.

[36]  En l’espèce, même si les documents présentés par la demanderesse en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale soulevaient toujours des doutes quant à la véracité des relevés bancaires, il s’agissait néanmoins des mêmes doutes que précédemment, et il n’en découlait aucune obligation d’équité procédurale supplémentaire. Les doutes de l’agent quant à l’authenticité des renseignements ont été communiqués sans détour à la demanderesse. Considérant les principes jurisprudentiels, il est clair que la demanderesse a le fardeau de s’assurer que sa demande est appuyée de renseignements suffisants, exacts et authentiques. La preuve que la demanderesse qualifie d’[traduction« extrinsèque » constituait le fondement même des doutes de l’agent quant à l’authenticité des relevés bancaires. Ces doutes lui ont été directement communiqués et elle a eu l’occasion d’y répondre. Même si la demanderesse soutient qu’elle ne connaissait pas les préoccupations exactes de l’agent, sa propre réponse visait à rectifier les erreurs dans les codes au bas des relevés. L’agent a conclu que la réponse de la demanderesse, ainsi que les documents supplémentaires fournis, ne permettaient pas de dissiper ses doutes. Il n’était pas tenu de lui donner une autre occasion de répondre à ses préoccupations. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

VIII.  La décision n’est pas raisonnable

[37]   Bien que les conséquences d’une conclusion de fausses déclarations soient graves, l’obligation d’équité procédurale à laquelle sont soumis les agents des visas n’est pas pour autant plus élevée. Comme je l’ai mentionné précédemment, la jurisprudence est claire quant à l’obligation d’équité procédurale dans le contexte d’une demande de visa, et elle se situe à l’extrémité inférieure du spectre. Les conséquences des fausses déclarations découlent de l’application de la Loi. Cependant, une décision menant à une conclusion de fausses déclarations doit être raisonnable et justifiée par la preuve au dossier.

[38]  En l’espèce, la demanderesse a présenté une série de documents à l’appui de sa demande; or, les notes du SMGC n’en font aucune mention, sauf pour les relevés bancaires. Par le passé, la demanderesse a voyagé dans d’autres pays, y compris le Canada, et est toujours retournée en Chine par la suite. La demanderesse occupait un poste de professeure et avait présenté une lettre de son employeur mentionnant qu’elle était tenue d’être de retour en poste à la fin de décembre 2016. Elle a fourni des documents pour établir qu’elle était propriétaire d’une résidence en Chine et qu’elle y avait d’autres actifs financiers et responsabilités familiales. Bien que l’agent soit censé avoir examiné tous les éléments de preuve à l’appui de la demande, aucune mention n’est faite des éléments de preuve qui auraient pu soutenir une réponse favorable à la demande de visa. L’agent s’est exclusivement concentré sur les relevés bancaires de la Banque de Chine. Les autres documents justificatifs semblent avoir été écartés.

[39]  Quant aux doutes de l’agent à l’égard des relevés bancaires de la Banque de Chine, ce dernier s’en est remis à un système de vérification en ligne en libre-service, plutôt que sur les renseignements d’un agent de la banque, qui auraient peut-être pu dissiper la confusion quant au timbre ou au code bancaire. Les documents et les explications supplémentaires fournis par la demanderesse en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, quoique plutôt alambiqués, auraient dû être examinés plus attentivement par l’agent. Les explications n’ont pas fait l’objet d’une analyse suffisante ou, du moins, aucune analyse de la sorte ne peut être décelée dans les notes très cryptiques figurant au SMGC. Par ailleurs, l’agent n’a pas tenté de communiquer avec la banque pour confirmer les renseignements obtenus ou, subsidiairement, pour valider ses doutes, lesquels découlaient du service en ligne. Je remarque également que les relevés bancaires originaux ont été présentés, et même s’ils sont en chinois, ils auraient pu éclaircir la confusion quant aux codes de validation.

[40]  Bien qu’on ne s’attende pas à ce que les motifs d’une décision concernant une demande de visa soient très étoffés, se limitant le plus souvent aux notes inscrites dans le SMGC, en l’espèce, ils ne permettent pas à la Cour de conclure que la décision est « justifiable au regard des faits et du droit ». Étant donné l’ensemble des renseignements fournis par la demanderesse, tant au moment de présenter sa demande que dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, l’agent a commis une erreur en se concentrant uniquement sur une série de relevés bancaires, ne s’intéressant à rien d’autre. Je peux uniquement conclure que l’agent a omis d’examiner les autres documents à l’appui de la demande ainsi que les explications fournies en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. Par conséquent, la décision n’est ni justifiable ni intelligible.

IX.  Une adjudication des dépens n’est pas justifiée

[41]  L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 prévoit ce qui suit :

Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens.

No costs shall be awarded to or payable by any party in respect of an application for leave, an application for judicial review or an appeal under these Rules unless the Court, for special reasons, so orders.

[42]  La demanderesse soutient qu’elle a droit à des dépens en raison des erreurs commises par l’agent, du retard dans le traitement de sa demande de visa, ainsi que du refus du défendeur de régler le dossier, ce qui a entraîné des frais supplémentaires pour les deux parties, tout en gaspillant des ressources judiciaires. La demanderesse s’appuie sur la décision Ndererehe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 880, 317 FTR 23, et soutient que la Cour n’a pas besoin d’une preuve de mauvaise foi pour conclure à l’existence de raisons spéciales lui permettant d’adjuger des dépens dans une procédure d’immigration.

[43]  Dans la décision Ndererehe, le juge Mosley a souligné ce qui suit, au paragraphe 28 :

[28]  Dans la décision Johnson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1262, [2005] ACF n° 1523, la juge Eleanor Dawson s’exprimait ainsi, au paragraphe 26 :

On peut conclure à des raisons spéciales si une partie a inutilement ou de façon déraisonnable prolongé l’instance ou lorsqu’une partie a agi d’une manière qui peut être qualifiée d’inéquitable, d’oppressive, d’inappropriée ou de mauvaise foi.

[29]  C’est là, je crois, un énoncé exact de ce que le gouverneur en conseil entendait par l’expression « raisons spéciales ». Il s’agit de quelque chose qui s’écarte considérablement des failles ou lenteurs administratives ordinaires dont peut souffrir le traitement de demandes d’asile ou de demandes de visa. En l’espèce, il ne s’agit pas de savoir si le défendeur a agi d’une manière que l’on pourrait qualifier d’inéquitable ou d’oppressive, mais de savoir si le défendeur a inutilement ou déraisonnablement prolongé la procédure. Comme je l’ai dit plus haut, je crois que le défendeur aurait dû hâter le dénouement de cette affaire.

[44]  Le juge Mosley a indiqué, au paragraphe 35, qu’un manquement à l’équité procédurale, ou autre erreur de droit « n’équivaudra pas à lui seul à des raisons spéciales justifiant une adjudication de dépens ». Néanmoins, il a estimé que dans les circonstances, il existait des raisons spéciales permettant d’adjuger des dépens.

[45]  Dans la décision Adewusi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 75, 403 FTR 258, au paragraphe 23, la juge Mactavish a indiqué que le critère permettant d’établir l’existence de « raisons spéciales » est rigoureux, et a donné quelques exemples tirés de la jurisprudence pour lesquels ce critère a été satisfait. Ces exemples incluent les cas où une partie s’est comportée d’une manière que l’on peut qualifier d’inéquitable, d’oppressive ou d’inappropriée, ou d’attribuable à de la mauvaise foi (citant la décision Manivannan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1392, au paragraphe 51[2008] ACF no 1754 (QL)); il existe aussi des raisons spéciales dans le cas d’une conduite qui prolonge inutilement ou déraisonnablement l’instance (citant la décision M Untel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 535, [2006] ACF no 674 (QL); Johnson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1262, [2005] ACF no 1523 (QL), au paragraphe 26; et Qin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1154, [2002] ACF no 1576 (QL)).

[46]  Dans la décision Ge, précitée, le juge Southcott s’est plus récemment penché sur la question des dépens et a réitéré ces mêmes principes et exemples, soulignant, au paragraphe 40 :

[40]  Parmi les raisons spéciales justifiant l’adjudication de dépens se trouve le fait pour une partie de s’être conduite d’une manière inéquitable, abusive, inconvenante, de mauvaise foi ou ayant occasionné une prolongation indue de l’instance (voir Kargbo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 469, au paragraphe 19; Johnson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1262, aux paragraphes 26 et 27). Toutefois, notre Cour a également soutenu que des erreurs de la part d’un agent des visas qui ne mettent pas sa bonne foi en cause ne peuvent figurer parmi les raisons spéciales donnant lieu à des dépens (voir Ndererehe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CC 880; Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 54).

[47]  En l’espèce, il n’y a aucune preuve de mauvaise foi ou d’une autre conduite ayant inutilement retardé la décision de l’agent, bien que celle-ci eut été rendue cinq mois après la date prévue du voyage de la demanderesse. Les agents des visas doivent examiner de nombreuses demandes; il est essentiel que cela se fasse de façon rigoureuse. Malgré la conclusion de la Cour selon laquelle la décision n’est pas raisonnable et la demande doit être réexaminée par un autre agent des visas, les circonstances ne satisfont pas, à mon avis, au critère rigoureux des raisons spéciales justifiant une adjudication de dépens.

[48]  Les observations de la demanderesse, notamment le fait que les erreurs étaient manifestes et que le défendeur a refusé de régler le dossier, entraînant des frais supplémentaires et le gaspillage de ressources judiciaires, ne constituent pas « quelque chose qui s’écarte considérablement des failles ou lenteurs administratives ordinaires dont peut souffrir le traitement de demandes d’asile ou de demandes de visa. » (Ndererehe, au paragraphe 29). Les faits de l’espèce ne s’apparentent pas tous à ceux de la décision Ndererehe, où on a jugé qu’il existait des raisons spéciales justifiant une adjudication de dépens.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2264-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La conclusion selon laquelle la demanderesse a fait une présentation erronée sur un fait important et que par conséquent elle ne peut présenter une demande de visa pendant une période de cinq ans, conformément à l’article 40 de la Loi, est annulée.

  3. La demande de visa de résident temporaire de la demanderesse devra être réexaminée par un autre agent.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  5. Aucune question n’a été posée aux fins de certification.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de décembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2264-17

 

INTITULÉ :

XULI KONG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 décembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 décembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Matthew Jeffery

 

Pour la demanderesse

 

Khatidja Moloo-Alam

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthew Jeffery

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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