Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20171220


Dossier : IMM-2939-17

Référence : 2017 CF 1176

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2017

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

SARA HAMDY NASS FOUDA, YAHIA HAYTHAM FATHALLA, HATHAM MOHAMED FATHALLA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, datée du 31 mai 2017. La Section d’appel de l’immigration a rejeté l’appel interjeté par les demandeurs en application du paragraphe 63(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) quant au refus d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (CH) concernant la mesure de renvoi prise à leur encontre en raison de leur incapacité de satisfaire aux obligations de résidence des résidents permanents prévues à la LIPR.

Résumé des faits

[2]  Les demandeurs sont Hatham Mohamed Fathalla (le demandeur), son épouse Sara Hamdy Nass Fouda (la demanderesse) et leur fils de 10 ans, Yahia Haytham Fathalla (le demandeur mineur). Ils sont citoyens de l’Égypte. Les demandeurs adultes sont également les parents d’un fils de 8 ans, né au Canada en 2009 et citoyen canadien.

[3]  Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente en 2004. Il a épousé la demanderesse en 2006 et le demandeur mineur est né en octobre 2007. La demanderesse et le demandeur mineur ont été ajoutés à la demande du demandeur qui a été approuvée en juin 2008. Les demandeurs sont arrivés au Canada en juillet 2008 et ont obtenu le statut de résident permanent à leur arrivée.

[4]  En avril 2013, les demandeurs ont présenté une demande de renouvellement de leurs cartes de résident permanent. La demande comportait de faux renseignements quant à la résidence des demandeurs au Canada. Par conséquent, le demandeur et la demanderesse ont été tous deux accusés de fausses présentations en application de l’article 127 de la LIPR en mai et en juin 2014, respectivement. Les accusations à l’encontre de la demanderesse ont par la suite été retirées. Le demandeur a plaidé coupable aux accusations qui pesaient contre lui et s’est vu infliger une amende de 20 000 $.

[5]  Les demandeurs n’ont pas respecté l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la LIPR voulant qu’ils demeurent au Canada pendant au moins 730 jours au cours d’une période quinquennale. Par conséquent, ils sont interdits de territoire en application du paragraphe 44(2) de la LIPR et des mesures de renvoi ont été prises à leur encontre le 4 juin 2014. Les demandeurs ont interjeté appel de ces mesures de renvoi à la Section d’appel de l’immigration en application du paragraphe 63(3) de la LIPR. Les demandeurs n’ont pas contesté la légalité des mesures de renvoi; ils ont plutôt soutenu qu’ils devraient être autorisés à rester au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. Ils ont comparu devant la Section d’appel de l’immigration, qui a conclu que les demandeurs n’ont pas démontré qu’il existe des motifs d’ordre humanitaire et a rejeté leurs appels.

Décision faisant l’objet du contrôle

[6]  La Section d’appel de l’immigration a entendu ensemble les appels du demandeur et de la demanderesse, cette dernière représentant le demandeur mineur. Les faits énoncés précédemment ont été exposés et la Section d’appel de l’immigration a observé que les témoignages à l’audience du demandeur et de la demanderesse étaient crédibles. La Section d’appel de l’immigration a également exposé les critères dont il faut tenir compte au moment de prendre en considération des motifs d’ordre humanitaire et a précisé que ces facteurs ne sont pas exhaustifs et que la valeur à accorder à chacun variait selon les circonstances de l’affaire.

[7]  La Section d’appel de l’immigration a observé que, selon le témoignage des demandeurs adultes, la famille est arrivée au Canada le 24 juillet 2008 dans l’intention d’y rester quelques jours pour chercher un endroit où s’établir. La demanderesse est revenue au Canada en septembre 2009; le demandeur l’a rejointe quelques semaines plus tard et leur deuxième fils est né au cours de cette visite. Les demandeurs ont quitté le Canada en octobre 2009 en compagnie de leur fils né au Canada. La Section d’appel de l’immigration a observé que les demandeurs n’ont pas caché être venus au Canada pour que leur fils naisse ici, car ils croyaient que cela faciliterait leur établissement et s’inscrivait tout à fait dans leurs plans.

[8]  En outre, elle a observé que la demanderesse et le demandeur sont revenus au Canada en janvier et en juillet 2011, respectivement, pour passer leurs examens de reconnaissance de leurs titres en pharmacie. Ils sont alors demeurés au Canada seulement quelques jours. La Section d’appel de l’immigration a observé que la demanderesse s’est établie au Canada de façon permanente en août 2013 et qu’elle reste au Canada depuis avec ses enfants. Au cours de cette période, le demandeur a continué de travailler aux Émirats arabes unis; il est revenu au Canada en février 2017.

[9]  La Section d’appel de l’immigration a conclu que la demanderesse et le demandeur mineur avaient cumulé environ 312 jours de présence effective au Canada au cours de la période quinquennale allant du 29 mai 2008 au 28 mai 2014, et que le demandeur avait cumulé environ 100 jours au cours de cette période. La Section d’appel de l’immigration a tiré une conclusion défavorable à cet égard.

[10]  Elle a également pris en compte l’allégation du demandeur selon laquelle il n’a pas pu s’établir plus rapidement au Canada du fait que sa mère est tombée gravement malade en 2007. Atteinte d’une forme agressive de cancer, elle a dû subir plusieurs chirurgies et, ultimement, une amputation en 2013. Sa mère, qui avait des problèmes avec sa prothèse, a finalement déménagé aux Émirats arabes unis chez son fils pour y faire sa réadaptation. Le demandeur soutient qu’il n’avait d’autre choix que de continuer à travailler aux Émirats arabes unis pour payer les soins de sa mère ainsi que pour lui rendre visite en Égypte, pour consulter des médecins et pour parrainer sa résidence aux Émirats arabes unis. Ces coûts, ainsi que la nécessité de soutenir financièrement sa famille au Canada à compter de 2013, ont obligé le demandeur à reporter son arrivée au Canada et à recommencer au bas de l’échelle pendant qu’il obtenait ses équivalences en pharmacie. Compte tenu de cette situation, de ses études en vue de l’obtention d’un MBA ainsi que de la chirurgie subie en 2015, la Section d’appel de l’immigration a reconnu que la vie du demandeur était stressante et chaotique.

[11]  Cependant, la Section d’appel de l’immigration a indiqué qu’elle ne pouvait pas conclure que le demandeur était revenu au Canada pour s’y établir à la première occasion raisonnable. Le demandeur était au Canada seulement depuis février 2017, soit neuf ans après l’obtention de sa résidence permanente. Il ne voyait pas aux besoins immédiats de sa mère en Égypte alors qu’il travaillait aux Émirats arabes unis; et, sur le plan financier, la Section d’appel de l’immigration estimait qu’il n’avait pas examiné toutes les possibilités pour gagner sa vie au Canada ni envisagé de combiner son revenu à la possibilité que son épouse trouve un emploi. La Section d’appel de l’immigration n’a pas non plus accepté l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle ne pouvait pas obtenir la reconnaissance de ses compétences en pharmacie au Canada plus rapidement, car elle s’occupait de ses deux jeunes enfants. Le scénario aurait été différent si le demandeur avait été au Canada. De plus, la mère et la sœur de la demanderesse sont déménagées au Canada en 2010 et en 2012, respectivement, et habitent dans le même immeuble que les demandeurs. Elles auraient aussi pu les aider.

[12]  En outre, la Section d’appel de l’immigration a observé que les demandeurs ont fait une présentation erronée dans leurs documents de résidence permanente. Dans ces documents, remplis par le demandeur, la famille a soutenu qu’elle résidait à temps plein au Canada depuis quelques années et que le demandeur y travaillait. Ils ont produit des documents comme des factures de téléphone et autres, des relevés bancaires, le passeport du demandeur mineur, qui n’était pas à jour et ne faisait aucune mention des voyages, ce qui laissait croire que la famille résidait au Canada depuis 2008. La Section d’appel de l’immigration a souligné les accusations de fausses présentations qui en ont découlé, le plaidoyer de culpabilité du demandeur, l’amende infligée et payée ainsi que les remords du demandeur. La Section d’appel de l’immigration a indiqué qu’elle croyait que les demandeurs adultes étaient sincèrement repentants et que les motifs sous-tendant cette mauvaise décision n’étaient pas tous mauvais.

[13]  Cependant, elle a indiqué qu’elle ne pouvait pas permettre que les demandeurs tirent parti des facteurs favorables accumulés dans leur dossier du fait de leur tricherie. Mentionnons le fait que la demanderesse résidait au Canada avec les enfants depuis 2013; son intégration à la société canadienne par sa participation à l’école des enfants; le fait qu’elle travaille et suive des cours à l’université; le fait que les enfants ont passé une grande partie de leur vie au Canada; et le fait que le demandeur, résidant au Canada depuis quelques mois, a redoublé d’efforts pour s’intégrer dans sa collectivité. La Section d’appel de l’immigration a indiqué que rien de cela ne serait survenu si les demandeurs n’avaient pas fraudé le système.

[14]  La Section d’appel de l’immigration a reconnu que les demandeurs mettaient l’accent sur l’intérêt supérieur des enfants, qu’ils n’avaient pas résidé en Égypte depuis plus de dix ans et qu’ils n’y avaient jamais réellement exercé leur profession de pharmaciens. Ils ont également soutenu que la situation s’était considérablement détériorée en Égypte depuis leur départ. La demanderesse a également mentionné la présence de sa mère et de sa sœur au Canada, et qu’elle n’avait plus aucun membre de sa famille immédiate en Égypte.

[15]  La Section d’appel de l’immigration a reconnu que les enfants, l’un d’eux étant Canadien, avaient passé une bonne partie de leur vie au Canada et bénéficiaient de contacts fréquents avec leur grand-mère, leur tante et les enfants de celle-ci. La Section d’appel de l’immigration a également reconnu que la famille immédiate de la demanderesse se trouvait désormais au Canada et qu’elle bénéficiait de son soutien. Cependant, la Section d’appel de l’immigration a conclu que l’Égypte n’était pas complètement étrangère aux enfants, étant donné qu’ils s’y étaient rendus avec leur mère à plusieurs reprises pendant de longues périodes. De même, la famille immédiate du demandeur est toujours en Égypte. Par conséquent, l’intérêt supérieur des enfants est de rester avec leurs parents, et ce, peu importe le pays de résidence ultime de ceux-ci. Bien qu’il soit plus facile de demeurer dans un endroit connu en compagnie de la famille élargie, la Section d’appel de l’immigration a conclu que cela ne l’emportait pas sur le poids négatif des autres facteurs. La Section d’appel de l’immigration a indiqué qu’elle n’avait aucun élément de preuve selon lequel la sécurité et la situation politique en Égypte s’étaient détériorées au point qu’il serait déraisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs y retournent. De plus, le demandeur a obtenu son MBA, ce qui devrait faciliter sa recherche d’emploi si le domaine de la pharmacie n’est plus une option pour lui.

[16]  La Section d’appel de l’immigration a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existait des motifs d’ordre humanitaire pour accueillir les appels.

Questions en litige et norme de contrôle

[17]  Ayant examiné les observations des parties, je définirais les questions en litige ainsi :

  1. Les motifs de la Section d’appel de l’immigration démontrent-ils qu’il existait une crainte raisonnable de partialité?
  2. La Section d’appel de l’immigration a-t-elle omis de bien soupeser l’intérêt supérieur des enfants?
  3. La Section d’appel de l’immigration a‑t‑elle fait abstraction de la preuve ou l’a-t-elle mal interprétée?

[18]  Il n’est pas contesté que les questions de partialité ont trait à l’équité procédurale et doivent donc être examinées en fonction de la norme de la décision correcte, selon laquelle il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence envers le décideur (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 (Khosa); Bi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 293, au paragraphe 12; Memari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1196, au paragraphe 30). Je suis également d’accord pour dire que la norme de contrôle des décisions de la Section d’appel de l’immigration sur la détermination des obligations de résidence et les motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tefera, 2017 CF 204, au paragraphe 18; Khosa, aux paragraphes 57 à 59, 64 et 67; Dandachi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 952, au paragraphe 13). L’analyse de décisions en fonction de cette norme portera sur la justification de la décision, sa transparence et son intelligibilité, ainsi que sur l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

Première question en litige : les motifs de la Section d’appel de l’immigration démontrent-ils qu’il existait une crainte raisonnable de partialité?

[19]  Les demandeurs soutiennent que l’énoncé de la Section d’appel de l’immigration voulant qu’elle ne pouvait pas [traduction] « permettre que les [demandeurs] tirent parti des facteurs favorables accumulés dans leur dossier du fait de leur tricherie » démontre qu’elle a estimé que les fausses présentations étaient déterminantes et, par conséquent, qu’elle n’était pas disposée à accueillir l’appel, peu importe les facteurs d’ordre humanitaire. Les demandeurs avancent, contrairement à la thèse du défendeur, que la Section d’appel de l’immigration n’a pas tenu compte seulement des fausses présentations dans son appréciation du facteur de l’établissement, mais qu’elle les a utilisées pour écarter tout facteur favorable d’ordre humanitaire. Toutefois, même si la fausse déclaration annule entièrement le facteur de l’établissement, son effet sur les autres facteurs pertinents énoncés dans Ribic est moins clair (Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4 (Ribic). Par exemple, les fausses présentations ne peuvent pas avoir d’incidence sur la présence de membres de la famille des demandeurs au Canada, sur les conditions défavorables en Égypte ou sur l’appréciation de l’intérêt supérieur des enfants, éléments qui pourraient éventuellement être favorables aux demandeurs et auraient dû être analysés adéquatement et non de façon superficielle comme l’a fait la Section d’appel de l’immigration. Selon les demandeurs, la LIPR permet clairement à un demandeur de réparer un acte répréhensible par le biais d’un examen de facteurs d’ordre humanitaire. Par conséquent, le fait de conclure que les demandeurs ne pouvaient pas obtenir gain de cause en appel en raison de fausses présentations fait abstraction de l’objectif sous-tendant l’exemption pour motifs d’ordre humanitaire de la LIPR et démontre un comportement partial.

[20]  Le défendeur soutient que le seuil élevé du critère relatif à la partialité (Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 541, au paragraphe 16) n’a pas été atteint. Les fausses présentations des demandeurs étaient pertinentes et ont été examinées par la Section d’appel de l’immigration dans un contexte très précis, soit en appréciant les facteurs d’ordre humanitaire liés au critère de l’établissement au Canada. Il est tout à fait valable que la Section d’appel de l’immigration examine les circonstances dans lesquelles les demandeurs se sont établis au Canada, étant donné que ceux-ci se fondent sur leur établissement pour obtenir une exemption de l’application d’une exigence prévue par la loi, soit l’obligation de résidence, qui n’a pas été remplie. De même, les considérations humanitaires n’ont pas pour effet d’immuniser les demandeurs contre les conséquences d’actions antérieures. L’alinéa 28(2)c) de la LIPR prévoit que le constat de l’existence de circonstances d’ordre humanitaire doit être tel qu’il « rend inopposable l’inobservation de l’obligation ». Ce libellé permet aux demandeurs de surmonter l’obligation de résidence effective au Canada pendant 730 jours au cours d’une période quinquennale, mais il ne les exempte pas des conséquences de toutes leurs actions antérieures. Rien dans l’article 28 n’empêche la Section d’appel de l’immigration de tenir compte d’une conduite qui a des répercussions directes sur les facteurs d’ordre humanitaire invoqués par les demandeurs. La Section d’appel de l’immigration a indiqué que les fausses présentations entraient en jeu dans l’appréciation des facteurs liés à l’établissement au Canada, mais pas que leur existence l’empêchait de tirer une conclusion favorable aux demandeurs. Il s’agit plutôt du fait que le critère de l’établissement a été examiné et soupesé différemment qu’il l’aurait été en d’autres circonstances. En l’espèce, la Section d’appel de l’immigration a tenu compte de l’établissement et d’autres facteurs, notamment l’intérêt supérieur des enfants, les conditions en Égypte, ainsi que la présence de la famille de la demanderesse au Canada. Elle a finalement conclu que les facteurs favorables ne l’emportaient pas sur les facteurs défavorables. Une telle conclusion ne démontre aucune partialité.

[21]  Tout d’abord, j’observe que la Cour suprême du Canada dans R. c RDS, [1997] 3 RCS 484 (RDS) a adopté le critère relatif à la crainte raisonnable de partialité défini par le juge de Grandpré dans Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369 :

[31]  [...] Le juge de Grandpré, aux pages 394 et 395, s’est exprimé ainsi :

[...] [...] [...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [...] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

Toutefois, les motifs de crainte doivent être sérieux et je [...] refuse d’admettre que le critère doit être celui d’« une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ».

[22]  La Cour suprême a également affirmé que la partialité dénotait un état d’esprit prédisposé de quelque manière à un certain résultat ou fermé sur certaines questions (RDS, au paragraphe 105), puis a poursuivi :

[106]  Ces principes sont exposés de manière similaire dans R. c Bertram, [1989] O.J. No. 2123 (H.C.), où le juge Watt a fait observer ceci, aux pp. 51 et 52 :

[traduction] Dans la langue courante, le terme partialité désigne une tendance, une inclination ou une prédisposition conduisant à privilégier une partie plutôt qu’une autre ou un résultat particulier. Dans le domaine des procédures judiciaires, c’est la prédisposition à trancher une question ou une affaire d’une certaine façon qui ne permet pas au juge d’être parfaitement ouvert à la persuasion. La partialité est un état d’esprit qui infléchit le jugement et rend l’officier judiciaire inapte à exercer ses fonctions impartialement dans une affaire donnée.

Voir également R. c Stark, [1994] O.J. No. 406 (Div. gén.), au paragraphe 64; Gushman, précitée, au paragraphe 29.

[23]  Il incombe aux demandeurs de démontrer que les actions ou les motifs de la Section d’appel de l’immigration démontrent une partialité réelle ou perçue (RDS, au paragraphe 114). À cet égard, le seuil à atteindre est très élevé (Zhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1139, au paragraphe 2; AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1385, au paragraphe 141).

[24]  En l’espèce, les demandeurs, en se fondant sur un seul commentaire dans sa décision, allèguent que la Section d’appel de l’immigration a fait preuve de partialité. À mon avis, il importe de mettre ce commentaire dans le contexte de la décision. Ainsi, j’observe qu’avant de formuler le commentaire contesté, la Section d’appel de l’immigration a dressé la liste non exhaustive des facteurs à prendre en compte au moment d’évaluer des facteurs d’ordre humanitaire dans le genre d’appel dont elle était saisie, soulignant que le poids accordé à chaque facteur dépend des circonstances de l’affaire. Elle a ensuite tenu compte du nombre de jours de présence effective de chacun des demandeurs ainsi que des motifs énoncés pour expliquer un tel retard dans l’établissement au Canada. Elle a ensuite abordé les fausses présentations.

[25]  Ayant mis les fausses présentations en contexte, elle a ensuite affirmé qu’elle ne pouvait pas permettre que les demandeurs tirent parti des facteurs favorables accumulés dans leur dossier du fait de leur tricherie. La Section d’appel de l’immigration a indiqué que les demandeurs s’appuyaient sur le fait que la demanderesse vivait au Canada avec leurs enfants depuis 2013 et qu’elle s’était intégrée à la société en prenant part aux activités à l’école des enfants, en occupant un emploi et en poursuivant des études universitaires; que les enfants avaient passé de nombreuses années de leur vie au pays; et que le demandeur, depuis son arrivée au Canada, a déployé beaucoup d’efforts pour s’intégrer dans sa collectivité. La Section d’appel de l’immigration a affirmé que rien de cela ne serait survenu si les demandeurs n’avaient pas fraudé le système. La Section d’appel de l’immigration a poursuivi en examinant les autres facteurs d’ordre humanitaire, soit l’intérêt supérieur des enfants, les conditions en Égypte et la présence de la famille de la demanderesse au Canada.

[26]  Compte tenu de cette situation, je ne partage pas l’avis des demandeurs selon lequel le commentaire contesté démontrait que la Section d’appel de l’immigration a estimé que les fausses présentations étaient déterminantes et, par conséquent, qu’elle n’était pas disposée à accueillir l’appel d’emblée et qu’elle a mal appliqué la loi. Cette allégation n’est pas appuyée par les motifs de la Section d’appel de l’immigration. À mon avis, le commentaire contesté portait uniquement sur le facteur CH de l’établissement et était distinct de l’analyse et de l’appréciation des autres facteurs par la Section d’appel de l’immigration. Finalement, le commentaire de la Section d’appel de l’immigration traite plutôt du poids à accorder au facteur de l’établissement. Néanmoins, bien que la Section d’appel de l’immigration aurait peut-être pu s’exprimer plus clairement, ce commentaire n’indique pas, à mon avis, qu’elle a fait preuve de partialité (voir Bhatia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1000, au paragraphe 32). De plus, même si l’analyse des autres facteurs d’ordre humanitaire était [traduction] « superficielle », comme le font valoir les demandeurs, il s’agit d’un argument quant au caractère raisonnable de la décision, plutôt que d’un argument quant à l’équité procédurale et à la partialité.

[27]  Les demandeurs soutiennent également que l’article 28 de la LIPR permet à un demandeur de réparer un acte répréhensible par le biais d’un examen de facteurs d’ordre humanitaire, mais que la Section d’appel de l’immigration a conclu qu’ils ne pouvaient pas avoir gain de cause en appel en raison des fausses présentations sous-jacentes. Comme je n’estime pas que la Section d’appel de l’immigration a conclu qu’ils ne pourraient pas avoir gain de cause en appel en raison des fausses présentations, il n’est pas nécessaire que j’examine cette question.

[28]  Les demandeurs n’ont pas fait valoir l’existence d’autres éléments de preuve démontrant de la partialité, ni dans les motifs ni dans le déroulement de l’audience devant la Section d’appel de l’immigration. Je ne suis pas convaincue qu’ils ont établi l’existence d’une partialité en raison du commentaire attaqué.

Deuxième question en litige : La Section d’appel de l’immigration a-t-elle omis de bien soupeser l’intérêt supérieur des enfants?

La thèse des demandeurs

[29]  Les demandeurs soutiennent que la Section d’appel de l’immigration n’a pas véritablement examiné l’intérêt supérieur des enfants mineurs en l’espèce. Ils soutiennent que l’analyse de la Section d’appel de l’immigration fait abstraction des facteurs figurant dans le manuel des politiques de Citoyenneté et Immigration Canada, notamment l’âge des enfants, le degré de dépendance entre l’enfant et l’auteur de la demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire, le degré d’établissement de l’enfant au Canada, les liens de l’enfant avec le pays à l’égard duquel la demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire est examinée; les conditions qui règnent dans ce pays et l’incidence possible sur l’enfant, les problèmes de santé ou les besoins particuliers de l’enfant, le cas échéant, les conséquences sur l’éducation de l’enfant et les questions relatives au sexe de l’enfant (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 40 (Kanthasamy). En outre, bien que la prise en compte de l’intérêt supérieur d’un enfant exige que cet intérêt doit être « bien identifié et défini, puis examiné avec beaucoup d’attention » (Kanthasamy, au paragraphe 39), en l’espèce, la Section d’appel de l’immigration a effectué une analyse superficielle et insuffisante et sa conclusion selon laquelle l’intérêt supérieur des enfants est de demeurer avec leurs parents, peu importe le pays où ils se trouvent, vient miner l’importance de l’analyse de l’intérêt supérieur. Bien que le facteur de l’intérêt supérieur de l’enfant ne soit pas déterminant, il est unique et mérite qu’on lui accorde un poids considérable (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 46 (Baker). En l’espèce, la Section d’appel de l’immigration n’a pas véritablement tenu compte de ce facteur en regard de la tradition humanitaire du Canada et des lignes directrices pertinentes (Baker, au paragraphe 75).

[30]  Les demandeurs soutiennent que l’expression « réceptif, attentif et sensible » n’est pas vide de sens et indique à la Section d’appel de l’immigration la marche à suivre lorsqu’elle analyse l’intérêt supérieur d’un enfant (Kolosovs c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 165, aux paragraphes 9, 11 et 12 (Kolosovs), ce que la Section d’appel de l’immigration n’a pas fait.

[31]  Selon les demandeurs, la Section d’appel de l’immigration a omis d’établir l’intérêt supérieur des enfants, puis de soupeser cet intérêt en regard des facteurs défavorables découlant du renvoi des enfants du Canada. De plus, la Section d’appel de l’immigration a omis, dans son analyse, de tenir compte du fait que l’un des deux enfants touchés par la décision est citoyen canadien, faisant ainsi abstraction de son droit, à ce titre, de résidence au Canada, à l’accès une éducation et à des soins de santé de qualité et de son droit à la sécurité. Dans un tel contexte, la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant comprend l’évaluation du préjudice subi par l’enfant des suites du renvoi du parent ou de son départ volontaire s’il désire accompagner son parent à l’étranger (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475, au paragraphe 5 (Hawthorne).

Thèse du défendeur

[32]  Le défendeur soutient que la Section d’appel de l’immigration, tout en devant se montrer réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur d’un enfant, conserve le pouvoir discrétionnaire de soupeser ce facteur dans le contexte de l’évaluation globale des motifs d’ordre humanitaire (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Legault, 2002 CAF 125, au paragraphe 12 (Legault). En l’espèce, la Section d’appel de l’immigration s’est montrée réceptive à l’intérêt supérieur des enfants et a examiné la preuve en regard de celui-ci. Cependant, bien que l’intérêt supérieur des enfants soit un facteur favorable, il ne s’agit que d’un seul élément et il ne sera pas toujours déterminant (Choudhary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 412, au paragraphe 35). La Section d’appel de l’immigration n’a pas fait abstraction de l’intérêt supérieur des enfants; elle a examiné l’ensemble de la preuve présentée et a soupesé ce facteur dans son analyse globale des motifs d’ordre humanitaire.

Discussion

[33]  L’examen de l’intérêt supérieur d’un enfant est une analyse hautement contextuelle qui exige que le décideur ne se contente pas seulement de mentionner qu’il a pris en compte l’intérêt de l’enfant (Hawthorne, au paragraphe 32). Cet intérêt doit être bien déterminé, défini, puis examiné avec beaucoup d’attention à la lumière de tous les éléments de preuve (Legault, aux paragraphes 12 et 31; Kolosovs, aux paragraphes 9 à 12), comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy (au paragraphe 39) (voir également Louisy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 254, au paragraphe 9 (Louisy). Cependant, et contrairement à la thèse des demandeurs, il n’existe aucun critère ou formule rigide pour analyser l’intérêt supérieur d’un enfant; ainsi, la forme ne devrait pas surpasser le fond lorsqu’on évalue les motifs d’un décideur (Kanthasamy, au paragraphe 35; Hawthorne, au paragraphe 32; Louisy, au paragraphe 9).

[34]  À mon avis, la Section d’appel de l’immigration a effectué une évaluation adéquate de l’intérêt supérieur des enfants en examinant les facteurs énoncés dans Kanthasamy à la lumière de la preuve dont elle était saisie.

[35]  Il incombe au demandeur de présenter des éléments de preuve importants à l’appui d’une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant (Osorio Diaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 373, au paragraphe 29 (Osorio); Celise c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 642, au paragraphe 35; Louisy, au paragraphe 11 (Celise). À ce chapitre, il importe de souligner que les demandeurs ont produit très peu d’éléments de preuve documentaire à la Section d’appel de l’immigration pour soutenir leur allégation selon laquelle leur renvoi en Égypte aurait des répercussions défavorables sur les enfants.

[36]  Quoi qu’il en soit, la Section d’appel de l’immigration a examiné ces questions. La Section d’appel de l’immigration a demandé à la demanderesse de lui communiquer l’âge des enfants, de lui exposer leur parcours scolaire et les répercussions qu’aurait le renvoi sur les demandeurs. La demanderesse a dit dans son témoignage n’avoir pas réfléchi aux conséquences qu’aurait un renvoi sur les demandeurs. Elle a ensuite affirmé que son plus jeune fils est asthmatique; que cette condition n’était pas maîtrisée et qu’il avait dû être hospitalisé. Il prend maintenant du Singulare et va très bien; il prend également du Ventolin, au besoin, mais peu fréquemment. Elle a dit dans son témoignage que ces médicaments n’étaient pas encore disponibles en Égypte ou qu’ils étaient difficiles à obtenir en raison [traduction] « de la chute du dollar ou de quelque chose du genre » et que l’Égypte était polluée. Parmi les documents produits en preuve figure une lettre du 8 mai 2017 du médecin de Yousef qui indique qu’il souffre d’asthme, mais que cet état est bien contrôlé par le Singulare et qu’il détient une ordonnance pour une pompe, mais qu’il n’en a pas besoin souvent.

[37]  Lorsque la question lui a été posée, la demanderesse a répondu ne pas avoir abordé la question de la possibilité de vivre en Égypte avec ses enfants. Elle a ensuite relaté que lors de leurs vacances d’un mois en Égypte, son fils a vu une pelure de banane dans un ascenseur, ce qui l’a beaucoup troublé. La demanderesse a indiqué qu’elle ne savait pas comment les gens pouvaient vivre ainsi, laisser des pelures de banane dans les ascenseurs. Il y avait également des difficultés pour traverser les rues. Quant à la question de l’éducation, la demanderesse a expliqué que son fils aîné avait d’excellents résultats scolaires au Canada et elle a soulevé ses préoccupations quant à sa relocalisation, soulignant que ce serait un choc pour lui, car il est bien établi et heureux. Elle a relaté dans son témoignage que le système d’éducation en Égypte était vraiment mauvais et qu’elle avait appris que ce pays se situait au 139e rang sur 150. Elle a suggéré que la Section d’appel de l’immigration vérifie cette information sur Google. Elle a affirmé que le système d’éducation était désastreux, alors que le système canadien était gratifiant. Elle a également relaté que l’Égypte était un pays dangereux et qu’il était difficile d’y vivre, que les enfants étaient enlevés, puis [traduction] « vendus 150 $ ou un autre montant juste pour prélever leurs organes ».

[38]  Dans ses motifs, la Section d’appel de l’immigration a examiné les liens des enfants au Canada, soulignant l’effet bénéfique pour les enfants de vivre à proximité de la mère, de la sœur et des enfants de la sœur de la demanderesse. La Section d’appel de l’immigration a également soupesé ce facteur par rapport au lien des enfants à l’Égypte, ce qui comprenait des visites de longue durée en vacances et la présence de la famille élargie du demandeur. La Section d’appel de l’immigration a aussi reconnu que les enfants ont passé une bonne partie de leur vie au Canada.

[39]  Bien que l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant ait été brève, il ne s’agit pas d’une erreur lorsque peu d’éléments de preuve sont présentés en regard de l’enfant (Semana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082, au paragraphe 30; Samad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 30, au paragraphe 36). En l’espèce, la demanderesse a relaté dans son témoignage que les médicaments pour le traitement de l’asthme étaient difficiles, voire impossibles, à obtenir en Égypte. Par contre, elle n’a produit aucun élément de preuve pour étayer cette affirmation. Il en va de même pour sa prétention selon laquelle le système d’éducation égyptien est terrible et que les enlèvements d’enfants sont un risque dans ce pays. À ce chapitre, la Section d’appel de l’immigration a observé que les demandeurs avaient omis de fournir des éléments de preuve qui démontrent que la sécurité ou la situation politique en Égypte s’étaient détériorées au point qu’il serait déraisonnable qu’ils y retournent.

[40]  Il incombait aux demandeurs d’établir, à l’aide d’éléments de preuve, le bien‑fondé de leurs prétentions; le seul fait de mentionner que les conditions générales sont pires en Égypte ne suffit pas (Osorio, au paragraphe 29). De même, le fait d’être exposé à un renvoi dans un pays moins développé en compagnie de parents compétents n’est pas, en soi, un fondement suffisant pour demander une dispense pour motifs d’ordre humanitaire (Celise, au paragraphe 33).

[41]  Je ne suis pas d’accord non plus pour dire que la Section d’appel de l’immigration a omis de reconnaître le statut de citoyen canadien de l’enfant le plus jeune. La Section d’appel de l’immigration l’a mentionné et, comme indiqué dans Hawthorne (au paragraphe 5), on peut supposer qu’un décideur sait que le fait de vivre au Canada peut offrir à un enfant de nombreuses possibilités et que, de façon générale, un enfant vivant au Canada avec son parent a plus de chances qu’un enfant vivant au Canada sans son parent. Toutefois, l’enfant le plus jeune a 8 ans et dépend par conséquent de ses parents. Rien dans le dossier ne laisse entendre qu’il est question que ses parents quittent le Canada et le confient aux soins de sa grand-mère et de sa tante.

[42]  Ainsi, bien que les demandeurs critiquent la Section d’appel de l’immigration d’avoir limité son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, la Section d’appel de l’immigration disposait d’éléments de preuve extrêmement limités et la transcription indique que d’autres facteurs ont été examinés à l’audience. La Section d’appel de l’immigration a tenu compte de l’âge des enfants, de leur établissement au Canada et de leurs liens à l’Égypte, de l’asthme du cadet ainsi que de l’éducation des enfants. Dans ces circonstances, l’analyse était suffisante et le dossier indique que la Section d’appel de l’immigration s’est montrée réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants. De plus, étant donné leur jeune âge, le fait que la Section d’appel de l’immigration conclue que l’intérêt supérieur des enfants commande qu’ils restent avec leurs parents, que ce soit au Canada, en Égypte ou dans un autre pays choisi par les parents, ne minimise pas l’intérêt supérieur des enfants. Il ne s’agit pas d’une conclusion déraisonnable.

Troisième question en litige : La Section d’appel de l’immigration a‑t‑elle fait abstraction de la preuve ou l’a-t-elle mal interprétée?

La thèse des demandeurs

[43]  Les demandeurs soutiennent que la Section d’appel de l’immigration a commis une erreur en concluant qu’ils étaient crédibles, puis en doutant de leur crédibilité ultérieurement dans la décision. Plus précisément, la Section d’appel de l’immigration a rejeté les explications de la demanderesse pour ne pas avoir obtenu ses titres en pharmacie plus rapidement, bien qu’elle l’ait estimée crédible, et a plutôt fourni d’autres explications conjecturales. De plus, les motifs de la demanderesse pour expliquer ce retard comprenaient d’autres facteurs, hormis le soin de ses enfants, comme les nombreuses étapes à suivre pour l’obtention de l’agrément en pharmacie, l’offre d’examen de qualification deux fois par année, la limite stricte sur le nombre de fois que ces examens peuvent être passés, ainsi que son emploi et son engagement communautaire. On ne sait pas trop au juste pourquoi la Section d’appel de l’immigration n’a pas estimé que ces motifs étaient crédibles. Les explications de la demanderesse à ce chapitre font état du retour du demandeur au Canada à la première occasion raisonnable pour s’y établir. Ainsi, le fait que la Section d’appel de l’immigration ait rejeté ces explications ou ait refusé de justifier ce refus vient miner son analyse de ces facteurs et de l’examen des motifs d’ordre humanitaire dans son ensemble.

[44]  Les demandeurs soutiennent également que la Section d’appel de l’immigration a omis de tenir compte des circonstances et facteurs propres à chaque demandeur, ce qui est déraisonnable. Les appels ont été entendus ensemble; la Section d’appel de l’immigration les a traités comme une seule affaire. Par exemple, la Section d’appel de l’immigration a conclu que le demandeur n’était pas revenu au Canada à la première occasion raisonnable, mais elle a omis d’examiner de façon indépendante si la demanderesse et l’enfant l’avaient fait. Le retour en dehors des délais prescrits du demandeur, un facteur jugé défavorable, semble avoir eu une incidence sur la demanderesse et l’enfant, bien qu’ils soient arrivés au Canada trois ans et demi plus tôt.

Thèse du défendeur

[45]  Le défendeur soutient que la Section d’appel de l’immigration a dûment soupesé la preuve qui lui a été présentée; elle ne l’a pas mal interprétée et n’en a pas fait abstraction. La conclusion selon laquelle la demanderesse aurait pu s’établir plus rapidement au Canada n’équivaut pas à un rejet des éléments de preuve ou à une conclusion quant à la crédibilité. Il s’agissait plutôt de la conclusion de la Section d’appel de l’immigration qui a soupesé les éléments de preuve, en particulier les éléments témoignant du soutien qu’avait la demanderesse au Canada. Il lui était loisible de parvenir à une conclusion fondée sur les éléments de preuve, plutôt que de les rejeter pour défaut de crédibilité.

[46]  Pour ce qui est d’entendre les demandes ensemble et de rendre une seule décision, la Section d’appel de l’immigration a tenu compte des circonstances de chaque demandeur, y compris la durée de leurs séjours respectifs au Canada, qui étaient différents et ne respectaient pas l’exigence prévue par la loi, des dates de l’établissement au Canada, les motifs pour ne pas l’avoir fait plus tôt et le lieu de résidence des membres de leur famille. Le fait que la Section d’appel de l’immigration ait rendu une seule décision pour la famille, les appels ayant été entendus ensemble et la plupart des éléments de preuve étant les mêmes, n’est pas une erreur, d’autant plus que les faits propres à chaque demandeur sont soulignés.

Discussion

[47]  À mon avis, la Section d’appel de l’immigration n’a pas mal interprété les éléments de preuve dont elle disposait ou n’en a pas fait abstraction de façon à rendre une conclusion de fait erronée. Elle n’a pas non plus rejeté les explications des demandeurs au motif qu’ils n’étaient pas crédibles.

[48]  À l’audience, lorsqu’on lui a posé la question, la demanderesse a expliqué qu’elle était une nouvelle mère et qu’elle disposait de peu de temps pour étudier. Elle a passé un examen en janvier 2011, mais a échoué. Elle l’a passé de nouveau en 2013, cette fois avec succès. Elle se préparait en vue d’autres examens, a travaillé comme aide-pharmacienne de février 2016 à janvier 2017 et se préparait en vue d’un stage et donne des cours particuliers six heures par semaine. Lorsqu’on lui a demandé quand elle prévoyait satisfaire aux exigences nécessaires à l’exercice de la profession de pharmacienne au Canada, elle répondu souhaiter y parvenir d’ici un an. Hormis son statut de mère, le témoignage de la demanderesse n’explique pas très clairement pourquoi elle a mis six ans pour se rendre au stade actuel, exception faite de l’examen échoué en 2011, mais qu’elle a passé avec succès en 2013. Par exemple, elle a dit dans son témoignage que son père avait été malade et était décédé en 2011.

[49]  Elle a également dit qu’elle prévoyait être soutenue par sa mère. Elle n’est pas demeurée au Canada en 2008, malgré sa résidence permanente, en raison des engagements professionnels de son mari et du fait qu’elle n’était pas en mesure de s’établir seule à l’époque. En 2009, elle est venue au Canada pour donner naissance à son fils, puis elle est repartie parce qu’elle avait deux jeunes enfants et qu’elle avait présenté une demande pour que sa mère vienne au Canada comme visiteuse, mais la demande de sa mère avait été refusée. Lorsqu’on lui a posé la question, la demanderesse a expliqué que ce refus avait eu une incidence sur sa décision de rester ou non au Canada en 2009, puisque sa mère aurait pu lui prêter main-forte alors qu’elle élevait deux jeunes enfants dans un nouveau pays. Sa sœur est arrivée au Canada en 2010, sa mère en 2013. Elle a dit dans son témoignage qu’elles étaient très proches.

[50]  La Section d’appel de l’immigration a accepté les éléments de preuve de la demanderesse et en a tenu compte, mais n’a tout simplement pas été convaincue par ses explications quant aux raisons du retard dans l’obtention de ses titres de compétences, étant donné surtout le soutien disponible de sa mère et de sa sœur et le fait qu’elle aurait également pu bénéficier du soutien de son mari, si le demandeur s’était établi plus tôt au pays. Par conséquent, ce volet de son établissement au Canada ne constituait pas un fondement suffisant pour obtenir une dispense pour considérations d’ordre humanitaire.

[51]  Je ne suis pas non plus convaincue que la Section d’appel de l’immigration a confondu les circonstances propres à chaque demandeur ou a omis d’en tenir compte. Bien que la Section d’appel de l’immigration ait entendu les appels ensemble et rendu une seule décision sans la diviser en sections indépendantes, ses motifs traitent néanmoins des circonstances de chaque demandeur. Plus précisément, la Section d’appel de l’immigration a fait état du temps passé par chacun des demandeurs au Canada et à l’étranger, du lieu de résidence de leurs familles élargies, des explications qu’ils ont présentées, ainsi que de leurs rôles dans les fausses présentations antérieures. La transcription démontre aussi de façon claire que la Section d’appel de l’immigration s’est enquise des motifs qui expliquent pourquoi la demanderesse n’est pas revenue au Canada à la première occasion raisonnable.

[52]  Lorsqu’ils ont comparu devant moi, les demandeurs ont insisté sur le fait que ni la demanderesse ni l’enfant ne tiraient parti des fausses présentations. Ils soutiennent que la demanderesse est revenue au Canada en 2013 à l’aide de sa première carte de résidente permanente, qui était toujours valide. Des accusations de fausses présentations ont été déposées à l’encontre de la demanderesse et du demandeur en mai et en juin 2014, respectivement, soit dix mois plus tard. Ainsi, si les fausses présentations avaient été mises au jour plus tôt, la demanderesse et le demandeur mineur auraient pu s’établir au Canada jusqu’à l’issue d’un appel. Seule la chronologie des événements aurait changé. Les demandeurs soutiennent qu’ils ont conservé leur statut de résidence permanente au Canada, ainsi que les droits qui en découlent, et ce, jusqu’à ce que leur appel soit tranché de façon définitive. Par conséquent, l’établissement de la demanderesse au Canada n’était pas le résultat d’une « tricherie », comme l’a conclu la Section d’appel de l’immigration. Elle a donc commis une erreur en ne tenant pas compte de ses facteurs d’établissement favorables pour cette raison.

[53]  Bien que je reconnaisse que la demanderesse a conservé son statut de résidente permanente, il n’en demeure pas moins que les fausses présentations ont été faites en avril 2013, soit avant l’expiration des premières cartes de résidence permanente des demandeurs, et dans le but d’obtenir une prorogation de ces cartes. La demanderesse est revenue au Canada pour s’y établir en août 2013, après les fausses présentations, mais avant l’expiration de sa première carte de résidence permanente. Elle savait que sa première carte de résidence permanente arrivait à échéance; elle savait qu’elle ne satisfaisait pas à l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la LIPR; et elle savait qu’une demande de prorogation avait été faite sur fond de fausses présentations.

[54]  Notre Cour a maintenu que l’existence de fausses présentations est un facteur pertinent à examiner lorsqu’on examine le degré d’établissement d’une personne. Agir autrement équivaut à placer le fait de frauder l’immigration sur un pied d’égalité avec la personne qui a respecté la loi. En outre, la détermination du degré d’incidence de la fraude sur l’établissement, que ce soit de réduire l’établissement à zéro ou à quelque chose de plus est une question laissée à la discrétion du décideur sur la foi des faits particuliers qui lui sont présentés (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Liu, 2016 CF 460, au paragraphe 29).

[55]  Dans l’ensemble, je ne suis pas convaincue que la Section d’appel de l’immigration a commis une erreur susceptible de révision ou que sa décision n’était pas raisonnable. Sur la foi du dossier, il lui était loisible de tirer la conclusion que, selon la prépondérance de probabilités, il n’y avait pas suffisamment de considérations d’ordre humanitaire pour accueillir l’appel.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2939-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne seront adjugés.

  3. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier et aucune question ne se pose en l’espèce.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour d’avril 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2939-17

 

INTITULÉ :

SARA HAMDY NASS FOUDA ET AL. c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 décembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 décembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Lee Cohen

Scott McGirr

 

Pour les demandeurs

 

Sarah Drodge

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Lee Cohen & Associates

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.