Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20171220


Dossier : IMM-2164-17

Référence : 2017 CF 1172

[TRADUCTION FRANÇAISE]

À Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

TSINAT TESFAY YHDEGO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un agent des visas de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent des visas), rendue le 18 novembre 2016, qui a rejeté la demande de visa de résidence permanente du demandeur à titre de réfugié au sens de la Convention ou de personne protégée à titre humanitaire outre-frontières. L’agent des visas était préoccupé par le fait que le demandeur n’avait pas répondu honnêtement à toutes les questions qui lui avaient été posées dans le cadre de l’examen de sa demande conformément au paragraphe 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2]  Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que l’appel doit être rejeté.

II.  Exposé des faits

[3]  Le demandeur, Tsinat Tesfay Yhdego, est un citoyen d’Érythrée. Il affirme avoir peur du gouvernement érythréen depuis qu’il a déserté les forces armées érythréennes. Le demandeur prétend avoir été gardien dans une prison militaire à partir de janvier 2007. Il affirme également qu’il a été emprisonné et torturé entre juillet 2008 et décembre 2009 parce qu’il n’avait pas tiré sur des personnes qui avaient été soupçonnées d’avoir franchi illégalement la frontière et qui se sont évadées après avoir été détenues. Cet événement, la détention de personnes soupçonnées d’avoir franchi illégalement la frontière et l’emprisonnement subséquent du demandeur pour ne pas avoir tiré sur les personnes qui s’évadaient, est ci-après désigné l’événement clé.

[4]  Le demandeur s’est enfui au Soudan après sa libération de prison. Il prétend également avoir sans cesse peur de se faire arrêter et souffrir d’autres difficultés en tant que réfugié chrétien vivant au Soudan. La possibilité pour qu’il soit renvoyé en Érythrée fait partie de ces peurs qu’il éprouve.

[5]  Le demandeur a obtenu son statut de réfugié du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés au Soudan le 17 mai 2010. Le 5 février 2016, le demandeur a présenté sa demande de résidence permanente au Canada, annexant un récit des événements (y compris l’événement clé) qui ont mené à sa fuite d’Érythrée (le récit). L’ancien emploi du demandeur dans les forces armées érythréennes a amené l’agent des visas à avoir des préoccupations en matière de sécurité à l’égard du demandeur et a donné lieu à une entrevue avec le demandeur. Le demandeur a passé une entrevue le 19 juillet 2016, à Khartoum, à l’aide d’un interprète (l’entrevue).

[6]  L’agent des visas a noté plus tard que le demandeur n’avait pas mentionné l’événement clé au cours de l’entrevue. Vraisemblablement parce qu’on ne lui avait pas demandé d’expliquer cette omission pendant l’entrevue, une lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée au demandeur le 26 septembre 2016 (la LEP), dans laquelle il a été invité à s’expliquer. La formulation de cette invitation est importante et les passages pertinents de la LEP sont reproduits ici :

[traduction] Vous avez écrit dans votre récit au dossier : « […] Le 14 juillet 2008 quand un groupe de 20 hommes est allé chercher du bois de chauffage, nous avons vu trois jeunes personnes qui passaient par là. Notre chef a ordonné de [les] arrêter et nous avons appris plus tard qu’ils se dirigeaient vers le Soudan comme l’a confessé l’adolescente durant son interrogatoire. Le chef m’a confié la tâche de les ramener à la garnison et deux d’entre eux, les garçons, ont commencé à s’enfuir aveuglément tandis que je tirais des coups de feu d’avertissement en l’air et le seul moyen de les arrêter aurait été de leur tirer dessus, mais je me suis abstenu de le faire et je me suis retrouvé avec la fille seulement et je l’ai amenée à l’officier principal après lui avoir raconté ce qui s’était passé. Quand la patrouille est revenue, j’ai été appelé par l’officier principal. Ils me soupçonnaient d’avoir aidé les individus à fuir. Ils ont continué à faire des allégations non fondées contre moi et ont dit que j’essayais d’entraver leurs efforts visant à mettre fin au franchissement illégal de la frontière. Le chef principal de mon unité m’a dit : ”Vous aviez l’arme à feu dans la main, pourquoi ne leur avez-vous pas tiré dessus?” Donc, j’ai été tenu responsable de l’évasion des garçons et cette accusation m’a valu d’être emprisonné du 15 juillet 2008 au 10 décembre 2009 au centre d’incarcération de mon lieu respectif […] »

Pendant votre entrevue à Khartoum le 19 juillet 2016, vous avez omis de mentionner cet incident même quand l’agent des visas vous a posé plusieurs questions qui vous auraient donné amplement l’occasion de le faire. Par exemple, l’agent des visas vous a demandé :

– quelles étaient vos fonctions en tant que gardien?

– avez-vous vu des prisonniers en détention quand vous étiez gardien?

– avez-vous déjà vu quelqu’un essayer de s’évader?

– faisiez-vous partie de l’équipe de contrôle pour empêcher les tentatives d’évasion?

– que s’est-il passé pour que vous vous enfuyiez?

– quand vous étiez gardien, aviez-vous reçu l’ordre de tirer sur quiconque [sic] s’enfuyait?

Vos réponses à toutes ces questions ne reflètent pas les faits présentés dans le récit écrit. Il s’agit-là d’une divergence importante qui est hautement pertinente à l’examen de votre admissibilité.

Je souhaite vous donner l’occasion d’expliquer cette divergence.

[7]  Dans sa réponse à la LEP (la lettre de réponse), le demandeur a fait référence à l’événement clé et a développé ses réponses aux questions énumérées dans la LEP. Toutefois, le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il n’avait pas mentionné l’événement clé pendant l’entrevue.

III.  Décision contestée

[8]  L’agent des visas a rejeté la demande principalement parce que le demandeur n’avait pas fourni l’explication manquante. L’agent des visas a également noté plusieurs divergences entre l’exposé des faits, l’entrevue et la lettre de réponse. Les motifs de la décision de l’agent des visas figurent dans la lettre qui a été envoyée au demandeur, ainsi que dans les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC).

[9]  Les divergences mentionnées sont exposées ci-après.

[10]  En fin de compte, l’agent des visas était d’avis que les divergences minaient la crédibilité du demandeur, ce qui a nui à l’analyse de l’admissibilité effectuée par l’agent des visas. L’extrait suivant des notes du SMGC montre le raisonnement de l’agent des visas :

[traduction] Après avoir soigneusement tenu compte de tous ces faits et des divergences dans les renseignements qui ont été présentés par le demandeur principal, je ne suis pas convaincu de sa crédibilité. Il est essentiel de disposer de renseignements crédibles sur son expérience au cours de cette période pour mener à bien une évaluation appropriée de l’admissibilité du demandeur principal au Canada, précisément s’il peut être décrit ou non selon l’alinéa A35(1)a) comme ayant participé à des actes contre des prisonniers qui constitueraient un crime contre l’humanité. Étant donné le grand nombre d’éléments de preuve sous forme de rapports concernant les traitements violents de prisonniers en Érythrée à l’époque où le demandeur principal était gardien de prison, des faits clairs et crédibles concernant les activités du demandeur principal dans le cadre du service national sont essentiels à cette évaluation. Ils sont également essentiels pour déterminer si, selon son expérience, il serait persécuté en Érythrée. En l’absence de renseignements crédibles qui soient directement pertinents, je ne suis pas convaincu que le demandeur principal répond aux exigences pour l’immigration au Canada. Refusée.

IV.  Questions en litige

[11]  Le demandeur soulève deux catégories de questions. Premièrement, le demandeur soutient que la LEP ne demandait pas de façon suffisamment claire une explication concernant son omission de mentionner l’événement clé pendant l’entrevue. Le demandeur fait valoir que, sans l’avoir mis au courant des préoccupations de l’agent des visas, il était injuste de prendre une décision dans ces conditions.

[12]  La deuxième catégorie de questions soulevées par le demandeur concerne les nombreuses divergences notées par l’agent des visas dans les notes du SMGC. Le demandeur soutient que les divergences mentionnées sont mineures et qu’il était déraisonnable de les qualifier de divergences ou d’en tirer des conclusions défavorables.

V.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[13]  Les parties ne semblent pas être en désaccord sur l’objet de la norme de contrôle applicable. La question de l’équité procédurale est examinée en fonction de la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43). Les nombreuses divergences relevées par l’agent des visas, et les conclusions qu’il en a tirées, sont des conclusions de fait et des conclusions mixtes de fait et de droit qui sont examinées selon la norme de la décision raisonnable : Rocha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1070, au paragraphe 19.

B.  Équité procédurale

[14]  Selon moi, il était raisonnable que l’agent des visas s’inquiète de l’omission du demandeur de mentionner l’événement clé pendant l’entrevue. L’événement clé (l’évasion de détenus et l’emprisonnement subséquent du demandeur) était le facteur déclencheur principal mentionné dans le récit pour justifier sa fuite d’Érythrée.

[15]  La LEP était importante parce que la question de savoir pourquoi le demandeur n’avait pas expliqué son omission ne lui avait pas été posée pendant l’entrevue. L’équité procédurale requiert qu’il ait la possibilité de fournir une explication. C’était particulièrement important selon l’agent des visas, comme il l’a indiqué subséquemment dans les notes du SMGC, car c’était une [traduction] « divergence majeure » qui constituait la « préoccupation principale ».

[16]  Le demandeur prétend que la LEP n’a pas posé la question se rapportant précisément à cette préoccupation principale : [traduction] « Pourquoi n’avez-vous pas mentionné l’événement clé pendant l’entrevue? » Le demandeur soutient qu’au lieu de poser cette question précise, l’agent des visas a simplement souligné l’omission et a ensuite fourni une liste de questions en réponse auxquelles l’événement clé aurait pu avoir été mentionné. Il soutient que la demande subséquente d’expliquer la divergence n’est pas suffisamment claire pour informer le demandeur de la préoccupation principale de l’agent des visas. Cette demande est reproduite ici pour des raisons pratiques :

[traduction] Vos réponses à toutes ces questions ne reflètent pas les faits présentés dans le récit écrit. Il s’agit-là d’une divergence importante qui est hautement pertinente à l’examen de votre admissibilité.

Je souhaite vous donner l’occasion d’expliquer cette divergence.

[17]  J’admets que la LEP aurait pu communiquer de manière plus claire la préoccupation principale de l’agent des visas. Je suis de cet avis parce que la demande d’explication porte sur « la divergence », qui est définie dans le paragraphe précédent de la LEP, et ne peut être réellement comprise que par référence à l’extrait du récit du demandeur qui est cité plusieurs paragraphes avant dans la LEP. Une question explicite comme celle fournie dans le paragraphe précédent aurait été plus claire.

[18]  Néanmoins, je ne suis pas convaincu que le demandeur n’a pas été avisé de façon équitable que l’agent des visas souhaitait obtenir une explication de la raison pour laquelle il avait omis de mentionner l’événement central de son récit pendant son entrevue. D’abord, il s’agissait clairement d’une omission importante, particulièrement lorsqu’on considère certaines des questions qui ont été posées pendant l’entrevue (voir la discussion ci-dessous). Ensuite, une lecture soigneuse de la LEP montre que la référence à l’omission était claire, suivie de la caractérisation de cette omission en tant que « divergence importante », suivie d’une demande d’explication de cette « divergence ». Dans les circonstances de l’espèce, je suis d’avis que les préoccupations de l’agent des visas et son désir d’obtenir une explication ont été présentés au demandeur de manière équitable, et le simple fait que la demande dans la LEP aurait pu être écrite de manière plus claire n’est pas suffisant pour prouver qu’il en est autrement.

[19]  Le fait que le demandeur a manifestement des difficultés avec la langue anglaise ne modifie en rien mon point de vue. La difficulté du demandeur à comprendre la préoccupation principale de l’agent des visas semble être davantage liée à l’empressement du demandeur à lire la LEP plutôt qu’à un problème de traduction quelconque.

[20]  Je suis également attentif au fait que, même en ce moment, la Cour n’a toujours pas reçu une explication convaincante de la raison pour laquelle le demandeur a omis de mentionner l’événement clé pendant l’entrevue.

[21]  Après que l’agent des visas a exposé de manière équitable ses préoccupations au demandeur tout en lui demandant une explication, il n’était pas nécessaire de répéter la demande dans une deuxième lettre relative à l’équité procédurale, et ce, même en l’absence de l’explication demandée dans la lettre de réponse du demandeur.

C.  Divergences mentionnées

[22]  Comme je l’ai mentionné précédemment, le demandeur a répondu à la LEP en développant ses réponses aux six questions qui y sont énumérées. L’agent des visas a conclu qu’il y avait des divergences dans les déclarations du demandeur relativement à chacune de ces six questions. Chacune de ces dernières est exposée séparément sous leurs rubriques respectives ci-dessous. Je commence chaque section avec une reproduction du passage pertinent des notes de l’agent des visas dans le SMGC. Pour en faciliter la lecture, j’ai reformaté ces notes, sans par contre en modifier la formulation. Je n’ai pas essayé d’apporter de corrections à l’orthographe, à la grammaire ou à la syntaxe. À noter que les références aux déclarations du demandeur et aux réponses dans les notes du SMGC ne sont pas toujours rendues textuellement. Toutefois, à mon avis, elles représentent équitablement ce qu’a dit le demandeur, aux fins de la présente analyse.

1)  Question : Quelles étaient vos fonctions en tant que gardien?

[23]  Texte des notes du SMGC :

[TRADUCTION]

Récit : Le 1er janvier 2007, j’ai été affecté à la sixième brigade de l’unité de l’armée au centre militaire de détention, de réadaptation et de réforme de Mietr pour y travailler comme sentinelle pour les prisonniers.

Réponse donnée lors de l’entrevue : J’étais posté à la porte et notre travail consistait à surveiller les membres du personnel de la prison pour les empêcher d’aider les prisonniers à s’évader et nous vérifiions qui allait et venait parce que la porte se situait à 100 mètres de la prison.

Réponse à la LEP : Les fonctions consistaient à patrouiller à la porte, dans toute l’enceinte de la prison, et à contrôler les entrées et les sorties de la prison. Les fonctions principales consistaient à être à la porte pour inscrire tout le monde ou les objets ou mes collègues et différents membres de la police et du personnel de bureau, à travailler et très vite à remettre tous les documents que j’avais reçus du gardien avant moi au gardien suivant.

Divergences entre les réponses fournies : Le demandeur principal a fourni de l’information contradictoire concernant ses responsabilités de surveillance à la prison et des prisonniers ou simplement à la porte sans avoir de contact direct avec les prisonniers. Bien que dans le récit il mentionne être une sentinelle pour les prisonniers, en réponse à la LEP, il a déclaré qu’il était responsable de toute l’enceinte de la prison, et à l’entrevue, il fait la déclaration suivante : [traduction] « Nous étions un peu loin d’eux [des prisonniers] et ils ont leur propre personnel. Nous pouvons les voir de loin, mais je n’étais jamais à proximité de la prison parce qu’elle était entourée par une porte grillagée. »

[24]  Selon moi, il n’est pas déraisonnable que l’agent des visas ait constaté une divergence entre la suggestion dans le récit du demandeur selon laquelle il était en contact avec les prisonniers et la suggestion faite pendant l’entrevue selon laquelle il n’avait aucun contact avec eux.

[25]  En outre, la déclaration du demandeur pendant l’entrevue selon laquelle il n’avait jamais été à proximité de la prison est particulièrement difficile à concilier avec la déclaration qu’il a faite dans le récit, à savoir qu’il y a passé 17 mois en tant que prisonnier. Bien que l’agent des visas ne se soit pas penché sur cette divergence particulière, il s’agit d’une considération additionnelle importante par rapport au fait que le demandeur a omis de mentionner l’événement clé pendant l’entrevue, ou l’emprisonnement et la torture qui a suivi.

2)  Question : Avez-vous vu des prisonniers en détention quand vous étiez gardien?

[26]  Texte des notes du SMGC :

[TRADUCTION]

Récit : comme cité dans la LEP, le récit décrit un événement où le DP participe directement à la détention de prisonniers qui s’étaient enfuis.

R. : Nous étions un peu loin d’eux et ils ont leur propre personnel. Nous pouvons les voir de loin, mais je n’étais jamais à proximité de la prison parce qu’elle était entourée par une porte grillagée.

Réponse à la LEP : « Lorsque j’étais en poste, il était absolument nécessaire que je veille à ce que les prisonniers fassent l’objet d’une surveillance quand ils sortent et quand ils entrent par la porte où j’avais été affecté pour patrouiller. »

Le demandeur principal a fourni des renseignements contradictoires concernant le fait que les prisonniers franchissaient ou non la porte qu’il gardait. Dans le récit, il décrit qu’il observait les prisonniers qui sortaient pour aller chercher du bois de chauffage et en réponse à la LEP il a déclaré que les prisonniers franchissaient la porte qu’il gardait, mais à l’entrevue il a déclaré qu’il surveillait le personnel de la prison et ceux qui apportaient de la nourriture et de l’eau à la prison.

[27]  Le demandeur prétend que le récit suggère que les jeunes qui sont mentionnés dans le contexte de l’événement clé, qui ont été détenus et qui se sont ensuite évadés, n’étaient pas des prisonniers, mais de simples passants qui avaient été détenus parce qu’ils étaient soupçonnés de vouloir passer la frontière illégalement. Le demandeur prétend également qu’il n’y a aucune divergence entre sa déclaration selon laquelle il observait les prisonniers et la suggestion selon laquelle il n’était pas responsable de les garder. Le demandeur soutient qu’il était alors déraisonnable pour l’agent des visas d’y voir une divergence.

[28]  Il peut être techniquement correct de dire que les personnes soupçonnées de vouloir traverser la frontière illégalement sont des détenus et non des prisonniers. Toutefois, je ne suis pas convaincu qu’il était déraisonnable pour l’agent des visas de percevoir une divergence à cet égard. Dans son récit, le demandeur décrit sa participation à l’activité de collecte de bois de chauffage par un groupe de 20 hommes (probablement des prisonniers) et sa mission de prendre en charge les détenus. Sa proximité avec les prisonniers et les détenus décrite dans le récit dans le contexte de l’événement clé tranche nettement avec l’impression donnée pendant l’entrevue qu’il avait très peu de contact avec les prisonniers.

[29]  Encore une fois, il est difficile de concilier la déclaration qu’il a faite en réponse à cette question pendant l’entrevue, selon laquelle il voyait les prisonniers de loin, mais qu’il n’avait jamais été à proximité de la prison, avec sa déclaration selon laquelle pendant 17 mois il avait lui-même été prisonnier dans cette prison.

3)  Question : Avez-vous déjà vu quelqu’un essayer de s’évader?

[30]  Texte des notes du SMGC :

[TRADUCTION]

Récit : le récit décrit un événement précis où il participait directement à la détention de prisonniers qui avaient essayé de s’évader.

R. : Ce n’est pas un endroit duquel on peut tenter de s’évader. C’est un endroit désertique et les températures y sont élevées. Personne ne peut s’évader de cet endroit et la surveillance est sérieuse.

Réponse à la LEP : Oui, bien sûr […]

Bien que le demandeur principal ait déclaré dans le récit et la réponse à la LEP qu’il avait vu des prisonniers s’évader à au moins une occasion mémorable, il n’a fait aucune mention de cet événement clé lors de son entrevue. Il s’agit d’une divergence importante.

[31]  Encore une fois, il est possible que les détenus qui se sont évadés alors qu’ils étaient sous la garde du demandeur ne fussent pas techniquement des prisonniers à ce moment-là. Mais encore une fois, je ne suis pas convaincu que la caractérisation de « prisonniers » qu’en fait l’agent des visas équivaut à une erreur susceptible de révision. En essayant de concilier les renseignements contenus dans son récit et les réponses qu’il a données pendant l’entrevue, le demandeur n’a pas expliqué qu’il ne considérait pas les évadés décrits dans le récit comme des prisonniers. Il semble plutôt se pencher sur le fait que c’était inhabituel pour lui d’avoir des détenus à sa charge.

[32]  À mon avis, il était raisonnable que l’agent des visas y perçoive une divergence. Il n’y a aucun doute, quand on lui a posé la question s’il avait déjà vu quelqu’un essayer de s’évader, l’omission de mentionner l’événement clé pendant l’entrevue était flagrante et devait être expliquée.

4)  Question : Faisiez-vous partie de l’équipe de contrôle pour empêcher les tentatives d’évasion?

[33]  Texte des notes du SMGC :

[TRADUCTION]

Récit : décrit un événement quand il faisait partie d’une équipe de surveillance pour s’assurer que personne ne s’évade.

R. : Je n’étais pas responsable de cela. J’étais responsable du personnel qui entrait et sortait. Il y a une porte, on vérifiait le camion d’eau quand il entrait et quand il sortait.

Réponse à la LEP : Non.

Encore une fois, il y a une contradiction importante dans les réponses à cette question.

[34]  Là encore, les réponses du demandeur pendant l’entrevue semblent ne pas tenir compte de l’événement clé, et ce, de manière flagrante. Le fait que les omissions du demandeur concernent des événements pendant lesquels il était responsable des prisonniers ou détenus justifie les préoccupations de l’agent des visas. Selon l’ensemble des motifs, y compris le passage qui est cité dans le paragraphe [10] ci-dessus, l’agent des visas semble avoir été préoccupé par le fait que, pendant l’entrevue, le demandeur a peut-être cherché à minimiser le rôle qu’il jouait auprès des prisonniers.

[35]  Je ne constate aucune erreur en l’espèce.

5)  Question : Que s’est-il passé pour que vous vous enfuyiez?

[36]  Texte des notes du SMGC :

[TRADUCTION]

Récit : après avoir été accusé de ne pas avoir tiré sur des prisonniers en fuite, le demandeur principal a été emprisonné pendant 18 mois. Après cette expérience, quelques jours après sa libération de prison, il s’est enfui.

R. : J’ai grandi avec ma grand-mère et quand j’ai été enrôlé dans l’armée pour la première fois, ce n’était pas de mon propre gré, c’était parce que j’avais atteint l’âge requis et ils ont dit que je ne pouvais pas poursuivre mes études et je n’aimais pas ça. Et j’étais resté 3 ans dans l’armée et ce n’était pas ce que je voulais. Il y a toujours du stress et les gens avec qui j’ai fait affaire n’avaient pas la même mentalité que moi alors j’ai décidé de quitter le pays.

Réponse à la LEP : a fuit après avoir été torturé et emprisonné et privé d’éducation.

Divergence importante dans les réponses, à savoir que pendant l’entrevue, le demandeur principal n’a pas mentionné l’emprisonnement comme motif de sa décision de quitter l’Érythrée.

[37]  Le demandeur soutient qu’une personne peut avoir plus d’une raison de fuir son pays d’origine, et que la perception qu’il y a une divergence en l’espèce était déraisonnable de la part de l’agent des visas.

[38]  Bien que j’admette qu’une personne puisse avoir plus d’une raison de fuir, il était raisonnable que l’agent des visas soit préoccupé par l’omission de mentionner l’événement clé pendant l’entrevue, particulièrement parce qu’il constituait le motif principal mentionné dans le récit. Il était également raisonnable que l’agent des visas ne soit pas convaincu par la lettre de réponse du demandeur, qui n’a pas essayé d’expliquer pourquoi l’événement clé n’avait pas été mentionné.

[39]  Étant donné le silence du demandeur concernant l’événement clé pendant l’entrevue, il aurait été raisonnable que l’agent des visas ait l’impression que le demandeur n’avait pas cet événement en tête à ce moment-là, et qu’il se soit demandé comment cela était possible. J’ai moi-même eu cette impression et me pose cette question.

[40]  Si le demandeur avait l’événement clé en tête pendant l’entrevue, il semble avoir fait un certain effort pour éviter de le mentionner. Je note un passage des notes du SMGC où on demande au demandeur pendant l’entrevue combien de temps il a occupé le poste de gardien dans la prison. Sa réponse est indiquée comme suit : « un an et cinq mois, de janvier 2007 à décembre 2009. » Cela fait référence à deux périodes différentes. « Un an et cinq mois » reflète correctement le temps de l’arrivée du demandeur à la prison jusqu’à son emprisonnement. Toutefois, « de janvier 2007 à décembre 2009 » comprend toute la période où il était à la prison comme gardien et comme prisonnier. Là encore, il est difficile de comprendre comment le demandeur aurait pu omettre de mentionner l’événement clé pendant l’entrevue.

6)  Question : Quand vous occupiez la fonction de gardien, aviez-vous reçu l’ordre de tirer sur quiconque s’enfuyait?

[41]  Texte des notes du SMGC :

[TRADUCTION]

Récit : Le demandeur principal a tiré des coups de feu d’avertissement dans les airs comme seul moyen d’arrêter les prisonniers en fuite et on lui a ensuite reproché de ne pas leur avoir tiré dessus.

R. : Parce que nous étions à la porte et nous n’avions pas ce genre d’ordre?

Réponse à la LEP : non, mais il a été accusé de ne pas avoir tiré sur des jeunes le jour de l’évasion.

Le demandeur principal a fourni des réponses légèrement différentes aux trois questions à trois occasions différentes. Dans l’ensemble, ma plus grande préoccupation est que l’incident qui est le plus important dans son histoire de réfugié, tel qu’il a été présenté dans le récit soumis avec la demande originale, n’a pas du tout été mentionné à l’entrevue. En réponse à la LEP, le demandeur principal a confirmé que l’événement décrit dans le récit s’est produit, il n’a pas expliqué pourquoi il avait omis de le mentionner à l’entrevue.

[42]  Le demandeur soutient qu’il n’a jamais indiqué avoir reçu l’ordre de tirer sur les prisonniers. Il admet avoir été emprisonné pour ne pas avoir tiré sur les évadés, mais il n’admet pas avoir reçu l’ordre de le faire. Le demandeur note également que l’agent des visas a admis que les différences entre les diverses déclarations du demandeur à cet égard étaient légères. Le demandeur fait valoir que l’absence de légères différences dans ses réponses aux mêmes questions qui lui ont été posées trois fois serait plus suspecte.

[43]  Premièrement, le fait que l’agent des visas admette que les différences dans les déclarations du demandeur sont légères suggère que moins d’importance a été donnée à ces différences. Les préoccupations initiales de l’agent des visas à l’égard de l’ordre d’ouvrir le feu ne sont pas indiquées dans les notes du SMGC comme étant une divergence.

[44]  Plus important encore, il s’agit d’un autre cas où l’omission du demandeur de mentionner l’événement clé au cours de l’entrevue est manifeste et où la préoccupation de l’agent des visas selon laquelle cette omission n’a pas été expliquée est raisonnable. Il est difficile de comprendre que le demandeur, après qu’on lui a posé la question pendant l’entrevue concernant l’ordre de tirer sur quelqu’un, ait pu omettre de mentionner l’événement central de son récit, à savoir qu’il avait été sévèrement puni et torturé pour ne pas avoir tiré sur des gens.

7)  Conclusion concernant les divergences perçues.

[45]  À mon avis, toutes les préoccupations exprimées par l’agent des visas dans les notes du SMGC sont raisonnables. Je ne vois aucune erreur susceptible de révision dans les conclusions rendues à l’égard des divergences dans les diverses déclarations et réponses du demandeur.

VI.  Conclusions

[46]  La présente demande devrait être rejetée.

[47]  Les parties ont convenu qu’il n’y avait aucune question grave de portée générale à certifier en l’espèce.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2164-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’a été certifiée.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour de décembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2164-17

 

INTITULÉ :

TSINAT TESFAY YHDEGO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 décembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 décembre 2017

 

COMPARUTIONS :

David Matas

 

Pour le demandeur

 

Marcia Jackson

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.