Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20171220


Dossier : IMM-1295-17

Référence : 2017 CF 1177

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

LIBARDO GALLEGO ALVAREZ

NORY ROSEIDEN GAMBOA PEREZ

SAMUEL DAVID GALLEGO GAMBOA

ISAAC ALEJANDRO GALLEGO GAMBOA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés, qui avait refusé la demande de redressement des demandeurs à l’encontre d’une décision défavorable de la Section de la protection des réfugiés.

[2]  Le demandeur principal, Libardo Gallego Alvarez, est citoyen du Venezuela et détient également la citoyenneté de Colombie. Son épouse et ses enfants mineurs sont citoyens du Venezuela. La famille est venue au Canada le 17 avril 2016 et a présenté une demande d’asile en raison d’une crainte alléguée de persécution au Venezuela et en Colombie. Le risque allégué concerne un conflit de travail entre M. Alvarez et son employeur vénézuélien et sa plainte au ministère du Travail. Selon M. Alvarez, cette plainte a entraîné de nombreuses menaces de parties inconnues l’incitant à laisser tomber l’affaire.

[3]  La Section de la protection des réfugiés n’a pas cru le récit de M. Alvarez selon lequel il avait reçu des menaces, et a rejeté son affirmation selon laquelle la plainte au ministère du Travail, qu’il avait en fait abandonnée, aurait plausiblement motivé qu’on se lance à sa recherche en Colombie où la famille aurait pu déménager en sécurité. Plus précisément, la Section de la protection des réfugiés a conclu que la preuve de contacts informels entre les autorités vénézuéliennes, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et l’Armée nationale de libération (ELN) dans les régions proches de la frontière n’avaient rien à voir avec le risque allégué par M. Alvarez. La Section de la protection des réfugiés a traité cet aspect de la demande comme suit :

[TRADUCTION]

[38]  Les demandeurs ont, en guise d’élément de preuve après l’audience, déposé avec leurs observations écrites, deux articles datés du 18 mars 2015 et du 28 avril 2010, faisant allusion aux liens entre les autorités vénézuéliennes, les trafiquants de drogue et les FARC. Le tribunal conclut que ces deux articles ne suffisent pas à établir une éventuelle possibilité de persécution ou de risque de préjudice en Colombie. En outre, le tribunal conclut que ces deux articles sont insuffisants pour établir que les FARC et l’ELN collaboreraient avec Daniel Castellanos et le cercle bolivarien afin de pourchasser le demandeur principal en Colombie.

[39]  Ayant conclu que les demandeurs n’ont pas établi la motivation des agents de persécution pour pourchasser le demandeur et sa famille au Venezuela, et ayant conclu que les deux articles déposés après l’audience étaient insuffisants pour établir un risque en Colombie et pour établir que les agents de persécution pourchasseraient le demandeur en Colombie, le tribunal conclut que les demandeurs n’ont pas établi la motivation des agents de persécution de pourchasser le demandeur et sa famille en Colombie. En outre, les demandeurs n’ont été en mesure de présenter aucun élément de preuve démontrant un risque en Colombie. [Notes de bas de page omises.]

[4]  La Section d’appel des réfugiés est parvenue à la même conclusion. Elle a également conclu que la crainte de persécution alléguée par M. Alvarez n’était autre que conjectures et que son épouse non plus n’avait pas de motif de se préoccuper de sa sécurité. Ces conclusions sont énoncées dans les passages suivants de la décision :

[TRADUCTION]

[38]   Les demandeurs ont formulé l’hypothèse que des chavistes ou des représentants du gouvernement vénézuélien obtiennent de l’aide des FARC ou de l’ELN afin de retrouver les demandeurs en Colombie et leur faire du tort. Toutefois, à part la preuve qu’il existe une certaine coopération transfrontalière dans la contrebande de drogues et d’armes entre les groupes terroristes et des gens d’affaires et fonctionnaires corrompus au Venezuela, l’hypothèse des demandeurs à cet égard n’a été établie par aucun élément de preuve substantiel. En outre, aucun élément de preuve n’indique que les agents du préjudice avaient encore la motivation de pourchasser l’un des demandeurs, étant donné qu’il n’y a pas eu de contact ni de tentative de la part de ces agents du préjudice de contacter les demandeurs depuis plus de six mois.

[...]

[52]   Il est fort improbable que ces chavistes liés au gouvernement pourchassent le demandeur plus d’une année après qu’il eut porté plainte au ministère du Travail. Le harcèlement de l’épouse du demandeur est encore plus improbable. Elle n’a invoqué aucune menace personnelle directe au Venezuela. Le seul risque auquel elle a allégué être exposée est en tant que membre de la famille du demandeur et puisque j’ai conclu qu’il y a moins qu’un simple risque que le demandeur soit persécuté, je conclus qu’il n’y a pas non plus de possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée.

[5]  Les demandeurs ont soulevé plusieurs questions à l’appui de leur demande de redressement. Ils affirment tout d’abord que la Section d’appel des réfugiés a tiré des conclusions voilées quant à leur crédibilité et [traduction] « a traité l’affaire comme si la crédibilité n’avait aucune incidence sur les autres conclusions » : voir le paragraphe 18 du mémoire des arguments des demandeurs.

[6]  Bien que la Section d’appel des réfugiés ait manifestement des réserves concernant le récit de M. Alvarez au sujet du risque, ces dernières n’étaient pas déterminantes de l’appel. La question déterminante pour la Section d’appel des réfugiés était sa conclusion selon laquelle, quelle que soit la situation au Venezuela, la famille n’était exposée à aucun risque plausible en Colombie. C’était une conclusion raisonnable au vu de l’affirmation non fondée de M. Alvarez voulant que son conflit de travail le suive en Colombie.

[7]  M. Alvarez reproche à la Section d’appel des réfugiés d’avoir commis un manquement au principe d’équité procédurale en s’appuyant sur la preuve ex post facto d’un accord de paix entre les FARC et le gouvernement colombien. Cette preuve et la « nouvelle » question qu’elle a soulevée auraient dû, selon lui, être soumises aux demandeurs pour obtenir une réponse.

[8]  Il est vrai que la preuve d’un accord de paix était ultérieure à l’appel, mais elle ne créait pas une question tout à fait nouvelle ou différente pour les demandeurs. Le fait qu’un accord de paix était recherché et que les FARC avaient une capacité d’action réduite en Colombie avait également été mentionné par la Section d’appel des réfugiés, et les parties étaient libres de formuler des observations à ce sujet. Le fait que, plus tard, un accord eut été signé ajoutait peu d’importance au risque auquel étaient prétendument exposés les demandeurs et ne reflétait pas de changement fondamental de la situation générale dans le pays : voir la décision Zhang c Canada, 2015 CF 1031, aux paragraphes 54 à 60, 258 ACWS (3d) 160. Ce point était en outre essentiellement non pertinent dans la conclusion déterminante de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle les agents de persécution allégués au Venezuela n’auraient aucune motivation de pourchasser M. Alvarez jusqu’en Colombie en raison d’une plainte surannée concernant un emploi, quelles que puissent être les capacités des FARC ou de l’ELN.

[9]  Cette situation est très différente de celle examinée par le juge Keith Boswell dans la décision Ehondor c Canada, 2016 CF 1253, 48 Imm LR (4th) 112. Dans cette affaire, la Section d’appel des réfugiés s’est écartée des conclusions de la Section de la protection des réfugiés concernant la crédibilité et a effectué sa propre évaluation défavorable sans bénéficier d’observations de la part de la demanderesse. Il a été conclu que cela constituait un manquement au principe d’équité procédurale, étant donné que la crédibilité de la demanderesse n’avait jamais été contestée au cours de l’appel. Le juge Boswell a décrit l’approche de la Section d’appel des réfugiés comme étant un [traduction] « caprice ».

[10]  En l’espèce, la question d’un accord de paix avec l’un des deux auteurs présumés du préjudice n’avait pas d’importance pour la conclusion finale de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle M. Alvarez n’avait pas réussi à établir un risque sous-jacent en Colombie.

[11]  Je conclus également que l’argument selon lequel la Section d’appel des réfugiés a omis d’examiner la preuve dans son ensemble, limitant ainsi à tort la portée de son examen, ne repose sur aucun fondement. La décision de la Section d’appel des réfugiés reposait sur une interprétation très raisonnable de la preuve voulant que les demandeurs aient un refuge en Colombie. En effet, dans le présent dossier, la prétention selon laquelle les chavistes vénézuéliens se donneraient la peine de pourchasser cette famille en Colombie en recrutant les FARC ou l’ELN n’a absolument aucun sens.

[12]  L’ergotage au sujet de la façon dont la Section d’appel des réfugiés a traité certains éléments de preuve qui sont en périphérie du fond de l’affaire n’est pas suffisant pour écarter sa conclusion centrale selon laquelle il n’y avait aucun risque plausible en Colombie. Des décisions comme celle-ci devraient être envisagées comme formant un tout si elles doivent satisfaire aux normes de transparence et d’intelligibilité énoncées dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190. Un contrôle judiciaire n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 RCS 458).

[13]  Par conséquent, je rejette les arguments invoqués concernant le traitement par la Section d’appel des réfugiés des éléments de preuve concernant la protection de l’État, la capacité de l’ELN, le besoin de l’épouse de M. Alvarez de retourner brièvement au Venezuela et les erreurs de traduction alléguées dans la lettre du Dr Colmenares. Aucune de ces questions n’a une incidence importante sur l’issue de l’affaire dont la Section d’appel des réfugiés était saisie ni sur sa conclusion selon laquelle il n’y avait aucune preuve de risque en Colombie.

[14]  Par les motifs qui précèdent, la demande est rejetée.

[15]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et aucune question de portée générale n’est soulevée en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande.

 « R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1295-17

 

INTITULÉ :

LIBARDO GALLEGO ALVAREZ

NORY ROSEIDEN GAMBOA PEREZ

SAMUEL DAVID GALLEGO GAMBOA

ISAAC ALEJANDRO GALLEGO GAMBOA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 novembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 décembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Debora Pontes-Canedo Brubacher

Pour les demandeurs

 

Nina Chandy

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Loebach

Avocats

London (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.