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Date : 20171214


Dossier : IMM-1853-17

Référence : 2017 CF 1155

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2017

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

ZHANGLI GENG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Mme Geng (la demanderesse) a saisi la Cour d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la déléguée du ministre, le 5 août 2016, de déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, en application du paragraphe 44(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. La déléguée du ministre a conclu que la demanderesse avait, dans la demande de renouvellement de sa carte de résidente permanente d’octobre 2008, présenté une fausse déclaration quant au nombre de jours qu’elle avait passé au Canada.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Dans son rapport, sur lequel la déléguée du ministre s’est fondée, l’agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’agent) a interprété et appliqué raisonnablement les dispositions pertinentes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. La demanderesse cherche à échapper à une enquête sur l’interdiction de territoire en adoptant une approche cloisonnée concernant l’application des dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Cette approche n’est pas conforme à l’état actuel du droit.

[3]  En outre, je refuse de certifier les questions proposées par la demanderesse. L’effet d’une fausse déclaration aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et l’interrelation de ces dispositions, en cause en l’espèce, sont bien établis dans la jurisprudence.

I.  Résumé des faits

[4]  En 1997, la demanderesse et son mari sont devenus résidents du Canada. En octobre 2008, elle a demandé le renouvellement de sa carte de résidente permanente.

[5]  Les exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, prescrites au sous-alinéa 28(2)a)(i) et à l’alinéa 28(2)b), imposent qu’un résident permanent soit effectivement présent au Canada pendant au moins 730 jours au cours des 1 825 jours (cinq ans) précédant le « contrôle ».

[6]  La période quinquennale pertinente pendant laquelle la demanderesse devait démontrer sa présence effective courrait d’octobre 2003 à octobre 2008. Elle a déclaré avoir été absente du Canada pendant 889 jours au total au cours de cette période de cinq ans.

[7]  Le 3 juin 2009, conformément à l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’agent a conclu que la demanderesse avait fait une fausse déclaration quant au nombre de jours où elle avait été absente du Canada. Plus précisément, l’agent a conclu que la demanderesse semblait avoir été absente du Canada pendant 1 158 jours au total. Citoyenneté et Immigration Canada a demandé que la demanderesse remplisse un questionnaire sur la résidence à l’appui de sa demande de carte de résidente permanente.

[8]  La demanderesse n’a pas répondu au questionnaire sur la résidence, et sa demande de carte de résidente permanente a été déclarée abandonnée.

[9]  En octobre 2012, l’Agence des services frontaliers du Canada a mené une enquête sur des sociétés de consultation en immigration exploitées par un consultant en immigration, ci-après, appelé SW. À l’occasion de cette enquête, des documents saisis au bureau de SW indiquaient que la demanderesse avait, en fait, été absente du Canada pendant 1 641 jours au cours de la période pertinente de cinq ans, au lieu des 889 jours qu’elle a déclarés dans sa demande de carte de résidente permanente de 2008.

[10]  En 2015, la demanderesse a demandé une nouvelle carte de résidente permanente, laquelle a été délivrée pour une période de cinq ans en application de l’article 59 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Cependant, compte tenu des renseignements obtenus à l’occasion d’une perquisition dans le bureau de SW, la demande de carte de résidente permanente de la demanderesse a fait l’objet d’un réexamen. À l’issue de ce réexamen, le 11 mars 2016, l’agent a produit un rapport d’interdiction de territoire en application du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, aux motifs que la demande de carte de résidente permanente de 2008 comportait une fausse déclaration.

[11]  Le 5 août 2016, la déléguée du ministre a souscrit au rapport d’interdiction de territoire et elle a déféré l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête sur l’interdiction de territoire.

II.  La décision faisant l’objet du présent contrôle

[12]  La décision faisant l’objet du présent contrôle est le renvoi par la déléguée du ministre daté du 5 août 2016. La déléguée du ministre a fondé son renvoi sur un rapport et sur les éléments produits par l’agent aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, alléguant une fausse déclaration dans la demande de carte de résidente permanente.

[13]  L’agent a souligné les incohérences dans les documents présentés par la demanderesse et il a noté ce qui suit : [traduction] « compte tenu de l’omission de nombreuses absences du Canada, un agent ne serait pas en mesure de procéder à une détermination adéquate de la résidence, en application de l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ». L’agent a conclu que les considérations d’ordre humanitaire étaient insuffisantes pour accorder un statut à la demanderesse. En l’espèce, la conclusion relative aux considérations d’ordre humanitaire n’est pas visée par le contrôle.

[14]  L’agent a conclu que la demanderesse avait, dans la demande de renouvellement de sa carte de résidente permanente de 2008, présenté une fausse déclaration quant au nombre de jours où elle avait été absente du Canada.

III.  Questions en litige

[15]  Les questions soulevées par les parties sont traitées en ces termes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?
  2. La fausse déclaration est-elle pertinente?
  3. La fausse déclaration entraîne-t-elle une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?
  4. Le défendeur est-il préclus de prendre des mesures?
  5. Les motifs sont-ils adéquats?

IV.  Discussion

A.  Quelle est la norme de contrôle applicable?

[16]  L’interprétation des dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et l’interrelation de ses diverses dispositions sont au cœur de l’espèce. Puisqu’il s’agit de l’interprétation d’une loi constitutive, la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle présumée en matière d’interprétation législative (Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, au paragraphe 23).

[17]  Il n’est pas facile de réfuter la présomption relative à la norme de la décision raisonnable (Vavilov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 132, au paragraphe 31 [Vavilov]). En l’espèce, aucun des critères contextuels ni aucune des catégories énoncés dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], lesquels appellent la norme de la décision correcte, ne sont soulevés par les faits.

[18]  De plus, la Cour a appliqué la norme de la décision raisonnable à des décisions rendues par des délégués du ministre sur l’interprétation de la législation dans un contexte d’immigration (Gupta c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1086, aux paragraphes 9 et 10 [Gupta]).

[19]  Même si la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable, les issues possibles acceptables, selon l’arrêt Dunsmuir, peuvent être plus restreintes à l’égard de questions de droit comme celles soulevées en l’espèce (Vavilov, aux paragraphes 36 et 37; Gupta, au paragraphe 10; B010 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58).

[20]  Par conséquent, je conclus que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Les décisions de l’agent et de la déléguée du ministre et l’interprétation des dispositions législatives pertinentes doivent appartenir aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

B.  La fausse déclaration est-elle pertinente?

[21]  La demanderesse affirme qu’elle est uniquement tenue de satisfaire aux exigences de l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés si sa demande de carte de résidente permanente est en instance. En l’espèce, comme sa demande de carte de résidente permanente était réputée avoir été abandonnée, elle affirme qu’elle n’avait pas de demande en instance et que, par conséquent, le défendeur n’avait pas le pouvoir d’exiger un interrogatoire aux fins de la résidence. Essentiellement, la demanderesse affirme qu’elle ne peut pas être tenue de subir un interrogatoire concernant une fausse déclaration relative à sa résidence, puisque la fausse déclaration n’est pas pertinente.

[22]  L’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés prescrit un processus en trois étapes pour l’examen des fausses déclarations : 1) la demanderesse a présenté une fausse déclaration; 2) la fausse déclaration porte sur des faits importants relatifs à une question pertinente; 3) la fausse déclaration entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (Kazzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 153, au paragraphe 32 [Kazzi]).

[23]  En l’espèce, en supposant que la demanderesse ait présenté une fausse déclaration, fait qui n’est pas contesté, il faut rechercher ensuite si la fausse déclaration « porte sur des faits importants relatifs à une question pertinente ».

[24]  Le maintien du statut de résident permanent, aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et l’obtention d’une carte de résident permanent, aux termes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, sont assujettis à des exigences législatives différentes (Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1471, aux paragraphes 21 et 40 [Khan]). Le processus de délivrance d’une carte de résident permanent est régi par l’article 59 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, lequel énonce les exigences à satisfaire pour obtenir ladite carte. Afin d’obtenir une carte de résident permanent, un demandeur n’est pas tenu de démontrer la résidence de la manière requise pour obtenir le statut de résident permanent aux termes de l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (Khan, au paragraphe 40). Par conséquent, l’exigence quant à la durée de la résidence de cinq ans, prescrite à l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, n’est pas une condition préalable pour accorder une carte de résident permanent.

[25]  Cependant, cela ne signifie pas que le processus concernant la délivrance de la carte de résident permanent n’est pas lié à l’analyse sur la résidence aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. La Cour a conclu qu’il est approprié pour un agent de tenir compte de l’obligation de résidence à l’occasion d’une demande de carte de résident permanent. Dans la décision Khan, la Cour a conclu qu’il « relève très certainement de la prérogative [de l’agent] de confirmer […] si [le demandeur] satisfait à l’obligation de résidence » à la date de la délivrance de la carte de résident permanent (Khan, au paragraphe 40). Dans la décision Khan, la Cour a noté que cela est vrai dans les cas où il y a une « incertitude [quant à savoir] si l’obligation de résidence est satisfaite à la date du dépôt » (au paragraphe 38).

[26]  Cela découle du libellé de l’alinéa 28(2)b) et de l’article 15 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Aux termes de l’article 15 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, toute demande présentée en application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés permet de procéder à un contrôle. Cela comprend une demande de carte de résident permanent. Par conséquent, il est loisible à un agent, lors du dépôt de la demande de carte de résident permanent, de rechercher si le demandeur satisfait à l’exigence de résidence pour toute période continue de cinq ans (Sarfaraz c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 735, aux paragraphes 3, 18 et 22).

[27]  En l’espèce, la demande de renouvellement de la carte de résidente permanente présentée en octobre 2008 a autorisé le contrôle. Le pouvoir de contrôle concernant la période pertinente (de 2003 à 2008) ne s’est pas « éteint » parce que la demande a été déclarée abandonnée. Par conséquent, l’affirmation de la demanderesse selon laquelle [traduction] « le pouvoir de contrôle s’est éteint » lorsque la demande a été abandonnée ne constitue pas une interprétation raisonnable de la législation. Comme la Cour l’a noté dans la décision Khan, une fois que l’agent et la déléguée du ministre ont été investis de ce pouvoir, il leur était loisible d’examiner la question de la résidence. Même si la carte de résidente permanente ne confère pas de statut, elle a permis à l’agent et à la déléguée du ministre d’examiner si le statut de résidente permanente de la demanderesse avait été maintenu.

[28]  Par conséquent, la décision de l’agent et de la déléguée du ministre selon laquelle la fausse déclaration dans la demande de carte de résidente permanente de 2008 était pertinente à l’examen de la résidence est une conclusion raisonnable fondée sur les faits et les dispositions législatives pertinentes.

C.  La fausse déclaration entraîne-t-elle une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

[29]  La demanderesse affirme qu’une fausse déclaration dans une demande abandonnée ne peut pas entraîner une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

[30]  Cet argument doit être examiné dans le contexte plus général de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et des dispositions pertinentes.

[31]  L’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est rédigé ainsi :

Fausses déclarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

[32]  Pour examiner la manière dont cet alinéa devrait être interprété, il convient de se reporter au commentaire formulé récemment par la Cour suprême du Canada. Dans l’arrêt Tran c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, au paragraphe 23, la Cour suprême du Canada a confirmé sa position selon laquelle le principe moderne d’interprétation législative exige de tenir compte du texte pertinent, de son contexte et de l’objet de la loi.

[33]  Pour se conformer au principe reconnu en matière d’interprétation législative, la Cour a confirmé que l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés doit être interprété au sens large, en tenant compte de son objectif global (Kazzi, au paragraphe 38). L’alinéa 40(1)a) traite d’une fausse déclaration qui « entraîne ou risque d’entraîner » une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Par conséquent, le fait qu’une erreur est possible permet à un agent de conclure à une fausse déclaration [Non souligné dans l’original.]

[34]  Le libellé de l’alinéa 40(1)a) soutient son but général, c’est-à-dire d’exiger que les demandes en matière d’immigration soient exactes en dissuadant les fausses déclarations (Sayedi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 420, aux paragraphes 23 à 27 [Sayedi]). Le tort que l’alinéa 40(1)a) cherche à prévenir est la fausse déclaration en soi. Toute « exception à cette règle générale doit être rare et ne s’appliquer qu’aux circonstances réellement exceptionnelles » (décision Kazzi, au paragraphe 38).

[35]  Compte tenu de cette interprétation large, la date dont un tribunal doit tenir compte pour rechercher si une fausse déclaration entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés correspond à la date où la fausse déclaration a été faite (Inocentes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1187, au paragraphe 16). En l’espèce, la date se trouve en 2008, lorsque la demanderesse a présenté sa demande de carte de résidente permanente.

[36]  Par conséquent, que le renouvellement de la carte de résidente permanente ait été abandonné ne change rien au fait qu’une fausse déclaration a été faite en 2008 – année dont la Cour doit tenir compte pour examiner la fausse déclaration. Comme je l’ai noté précédemment, l’agent et la déléguée du ministre étaient déjà investis du « pouvoir de contrôle », compte tenu de la demande de carte de résidente permanente. Par conséquent, la fausse déclaration dans la demande visant à obtenir une carte de résidente permanente aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés; elle aurait pu occasionner une évaluation erronée du respect par la demanderesse des exigences relatives à la résidence prescrites à l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

[37]  Retenir l’interprétation avancée par la demanderesse mènerait à une absurdité, puisqu’elle permettrait à un demandeur d’éviter une conclusion de fausse déclaration en retirant une demande et en la présentant de nouveau, même si la demande retirée contenait une fausse déclaration. La Cour n’a pas retenu cette approche (Kazzi, au paragraphe 38; Sayedi, aux paragraphes 23 à 27; Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971, au paragraphe 28 [Goburdhun]; Brar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 542).

[38]  Les faits de l’affaire Kazzi peuvent servir d’exemple. Dans cette affaire, le demandeur, à son arrivée au Canada, n’avait pas fait une communication intégrale concernant une arrestation et une détention antérieures. Le demandeur a affirmé que ces faits n’étaient pas pertinents, puisque ses demandes d’évaluation des considérations d’ordre humanitaire et d’examen des risques avant renvoi avaient été rejetées. Cependant, la Cour a rejeté cet argument en affirmant ce qui suit : « Je ne suis pas persuadé que l’application fructueuse ou infructueuse sous-jacente modifie l’interprétation qui doit être faite de l’alinéa 40(1)(a) [...] » concernant la date de l’évaluation au moment de la fausse déclaration (Kazzi, au paragraphe 37).

[39]  En l’espèce, l’agent et la déléguée du ministre ont manifestement conclu que la fausse déclaration de la demanderesse pouvait entraîner une évaluation erronée du nombre de jours pendant lesquels elle a été présente au Canada au cours de la période pertinente. Compte tenu des issues acceptables permises par le texte, le contexte et l’objet de la loi, la conclusion de l’agent est raisonnable, vu l’alinéa 40(1)a) et la jurisprudence interprétant cette disposition.

[40]  Par conséquent, selon un examen fondé sur la norme de la décision raisonnable, rien ne justifie l’intervention de la Cour.

D.  Le défendeur est-il préclus de prendre des mesures?

[41]  La demanderesse affirme qu’elle a reçu une carte de résidente permanente en 2015 et que, par conséquent, elle s’attendait légitimement à ce que son dossier soit réglé. Elle affirme que le défendeur est maintenant préclus de réévaluer son statut, puisque sa demande a déjà été acceptée.

[42]  L’argument de la demanderesse vise à établir une fin de non-recevoir par assertion. Pour établir une fin de non-recevoir, la demanderesse doit satisfaire au critère énoncé ainsi dans l’arrêt Canadian Superior Oil c Hambly, [1970] RCS 932, à la page 939 :

1)  Une affirmation, ou une conduite y équivalant, qui a pour but d’inciter la personne à qui elle est faite à adopter une certaine ligne de conduite.

2)  Une action ou une omission résultant de l’affirmation, en paroles ou en actes, de la part de la personne à qui l’affirmation est faite.

3)  Un préjudice causé à cette personne en conséquence de cette action ou omission.

[43]  En l’espèce, aucun élément de preuve n’indique qu’il a été mentionné à la demanderesse que les dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ne s’appliqueraient pas à elle.

[44]  De plus, même si la préclusion peut s’appliquer à la Couronne, elle ne peut pas produire un résultat contraire à celui prescrit par la loi (Vallelunga c Canada, 2016 CF 1329, au paragraphe 11). En l’espèce, la suggestion de la demanderesse compromettrait l’objet même des dispositions portant sur la fausse déclaration de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. L’agent et la déléguée du ministre devaient évaluer la fausse déclaration et si elle pouvait entraîner une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et ce, à la date où elle a été faite. Cette date se trouve en 2008. Par conséquent, il était raisonnable pour l’agent et la déléguée du ministre de réexaminer la demande pour une carte de résidente permanente présentée en 2008.

[45]  Au regard des faits, la demanderesse n’a pas établi que les principes de préclusion s’appliquent.

E.  Les motifs sont-ils adéquats?

[46]  En l’espèce, la demanderesse allègue qu’il n’est pas clair si l’agent et la déléguée du ministre ont réalisé une analyse adéquate des dispositions législatives, comme l’exige l’alinéa 40(1)a).

[47]  Il est clair que l’agent et la déléguée du ministre ont conclu que la fausse déclaration a empêché Citoyenneté et Immigration Canada de réaliser l’analyse concernant l’exigence de résidence. Comme je l’ai noté précédemment, l’agent et la déléguée du ministre étaient autorisés à tirer cette conclusion en raison de la fausse déclaration, vu l’objet général accordé à l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

[48]  La conclusion tirée par l’agent et la déléguée du ministre permet à la Cour d’examiner l’interprétation de la loi réalisée par le décideur (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61; Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, aux paragraphes 57 et 58). En l’espèce, la Cour peut comprendre pourquoi le décideur est parvenu à une telle décision.

[49]  De plus, les motifs fournis sont adéquats. Quoi qu’il en soit, le caractère adéquat des motifs ne justifie pas à lui seul l’annulation d’une décision (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 14 [Nfld Nurses].

[50]  Il suffit que la cour de révision, au moyen du dossier, comprenne pourquoi le tribunal a rendu une telle décision, afin de déterminer si la conclusion appartient aux issues acceptables (Nfld Nurses, au paragraphe 16). Cette norme est satisfaite en l’espèce et les motifs sont adéquats.

F.  Questions à certifier

[51]  La demanderesse a proposé la question à certifier suivante :

  • i) Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile peut-il demander une mesure de renvoi pour une fausse déclaration au sujet des jours de présence au Canada contenue dans une demande de renouvellement d’une carte de résidente permanente?

  • ii) Dans l’affirmative, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile peut-il demander une mesure de renvoi pour une fausse déclaration au sujet des jours de présence au Canada contenue dans une demande de renouvellement d’une carte de résidente permanente qui a été abandonnée?

  • iii) Le paragraphe 40(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés peut-il servir à retirer le statut d’une personne en raison d’une fausse déclaration non liée à l’obtention ou au maintien du statut par cette personne?

[52]  Le critère pour accorder la certification prévoit que la question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, en ce sens qu’elle a été tranchée par le juge saisi de la demande qu’elle découle de l’affaire. La question proposée doit transcender les intérêts des parties au litige et soulever une question ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale (Burton c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 910, au paragraphe 57).

[53]  De plus, une question certifiée sera suffisamment générale et importante uniquement si le droit sur la question n’est pas bien établi (Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, au paragraphe 36; Leite c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1241, au paragraphe 28).

[54]  Les questions proposées aux points i) et ii) ne découle pas des faits, puisqu’elles ne concernent pas la décision faisant l’objet du contrôle. La décision visée par le contrôle est le renvoi du dossier de la demanderesse à des fins d’enquête sur l’interdiction de territoire. Une mesure de renvoi n’est pas en litige. Par conséquent, ces questions ne sont pas appropriées à des fins de certification.

[55]  En ce qui concerne la question au point iii), les principes entourant la fausse déclaration aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés sont bien définis dans la jurisprudence (voir les décisions Goburdhun, au paragraphe 28, et Kazzi, au paragraphe 38).

[56]  De plus, la formulation de la question iii) suppose que la fausse déclaration dans une demande pour obtenir une carte de résident permanent n’est « pas liée » à l’obtention ou au maintien du statut. Comme je l’ai noté précédemment, cette hypothèse n’est pas conforme à la jurisprudence portant qu’un agent est légalement autorisé, aux termes des dispositions pertinentes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, à évaluer la résidence et la fausse déclaration à l’occasion d’une demande pour obtenir une carte de résident permanent.

[57]  Par conséquent, la question proposée n’est pas déterminante quant à l’issue de l’appel, puisqu’elle ne découle pas de l’espèce. Elle concerne des présomptions de droit qui ne sont pas étayées par la jurisprudence (Tabañag c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1293, au paragraphe 28).

[58]  Je ne certifierai donc aucune question.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1853-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’a été certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1853-17

INTITULÉ :

ZHANGLI GENG c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 OCTOBRE 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

LE 14 DÉCEMBRE 2017

COMPARUTIONS :

David Matas

POUR LA DEMANDERESSE

Brendan Ward

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lawrence Wong & Associates

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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