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Date : 20171214


Dossier : T-604-16

Référence : 2017 CF 1145

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

DONALD BEST

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et L’HONORABLE JUGE J. BRYAN SHAUGHNESSY

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  En 2007, Nelson Barbados Group Ltd, une société contrôlée par le demandeur, a intenté une action devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario contre 62 défendeurs. Après la suspension de l’action de Nelson Barbados, certains de ces défendeurs ont demandé et réussi à obtenir des dépens contre le demandeur à titre personnel au motif de son comportement obstructionniste pendant le déroulement du litige. Le manquement du demandeur à se conformer à l’ordonnance sur les dépens l’a mené à être reconnu coupable d’outrage civil par un codéfendeur, l’honorable juge Bryan Shaughnessy, qui a délivré un mandat de dépôt pour l’arrestation et l’emprisonnement du demandeur. Le demandeur a déposé une plainte à l’encontre de la conduite du juge Shaughnessy, et de sa délivrance du mandat, auprès du Conseil canadien de la magistrature (CCM) le 5 janvier 2016. La plainte a été rejetée dans une lettre du directeur exécutif du CCM datée du 28 janvier 2016. La Cour est saisie d’une demande, aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7, dans sa version modifiée, présentée par le demandeur en vue du contrôle judiciaire de la décision du directeur exécutif.

I.  Résumé des faits

[2]  L’action intentée par Nelson Barbados en 2007 a fait l’objet d’une gestion de l’instance par le juge Shaughnessy. Après la suspension de l’action, certains défendeurs ont demandé le remboursement de leurs dépens contre le demandeur, à titre personnel, sur une base d’indemnité entière ou substantielle, alléguant le comportement obstructionniste du demandeur. Le 2 novembre 2009, le juge Shaughnessy a ordonné au demandeur de se soumettre à un interrogatoire le 17 novembre 2009, et de présenter certains documents sur Nelson Barbados. Peu de temps avant l’interrogatoire prévu, le demandeur a téléphoné au bureau de l’examinateur et a été mis en audioconférence avec deux des avocats des défendeurs, M. Gerard Ranking et M. Lorne Silver. Le demandeur a affirmé ne pas avoir l’intention d’assister à l’interrogatoire et a refusé de s’engager à le faire à une date ultérieure. Le demandeur a aussi refusé d’indiquer où il résidait à cette date, affirmant craindre pour sa sécurité. Le demandeur n’a pas présenté les documents demandés.

[3]  Les défendeurs ont ensuite intenté une requête pour outrage au tribunal contre le demandeur, qui n’a pas assisté à l’audience de la requête le 2 décembre 2009. Le juge Shaughnessy a rendu une ordonnance autorisant la signification indirecte au demandeur et a délivré, à la même occasion, une ordonnance l’obligeant à se présenter le 15 janvier 2010 afin de donner un témoignage oral et présenter les documents antérieurement demandés. Le demandeur ne s’est pas présenté le 15 janvier 2010, et n’a pas présenté les documents demandés. Ainsi, le 25 janvier 2010, le juge Shaughnessy a reconnu le demandeur coupable d’outrage aux ordonnances antérieures de la Cour et a délivré un mandat de dépôt (le mandat de 2010) le condamnant à trois mois d’incarcération et à une amende de 7 500 $.

[4]  En 2012, le demandeur a retenu les services de M. Brian Greenspan qui, le 9 août 2012, a comparu devant le juge Shaughnessy afin de recevoir ses consignes pour présenter une demande dans le but de se libérer de sa condamnation pour l’outrage faisant l’objet de l’ordonnance. Le juge Shaughnessy a temporairement suspendu l’exécution du mandat contre le demandeur afin de lui permettre de rentrer au Canada, de retenir les services d’un avocat et d’assister à un contre-interrogatoire. Au cours de cette audience, le juge Shaughnessy a informé M. Greenspan que le demandeur avait déposé une plainte auprès du CCM, qui avait fermé le dossier sans prendre de mesure contre le juge Shaughnessy. M. Greenspan a indiqué qu’il avait déjà cette information et ne s’opposait pas à ce que le dossier soit entendu par le juge Shaughnessy. À la comparution subséquente de M. Greenspan devant le juge Shaughnessy le 16 novembre 2012, il a demandé de se retirer du dossier sur décision mutuelle avec son client, en invoquant son manque de connaissance des questions civiles. Le juge Shaughnessy a prévu une nouvelle audience le 11 décembre 2012, afin de s’informer des progrès du demandeur à retenir un nouvel avocat. Le demandeur a informé la Cour le 11 décembre 2012 qu’il souhaitait intenter une action en justice pour faute professionnelle contre M. Ranking et M. Silver, et qu’il n’était pas parvenu à trouver un avocat qui avait de l’expérience dans ce domaine. C’est ainsi qu’il a déposé un avis d’intention d’agir en son propre nom et a comparu non représenté aux contre-interrogatoires sur les affidavits déposés aux fins de la demande en vue de se libérer de sa condamnation pour outrage.

[5]  La demande en vue de se libérer de la condamnation d’outrage du demandeur a été entendue le 30 avril et le 3 mai 2013. Le juge Shaughnessy a conclu que le demandeur demeurait coupable d’outrage. À l’audience du 3 mai 2013, le juge a ordonné la levée de la suspension du mandat et a ordonné que le demandeur soit arrêté pour purger une peine d’emprisonnement de trois mois. Le juge Shaughnessy s’est dispensé de l’approbation de l’ordonnance par le demandeur, et a conclu qu’il n’était plus saisi de cette affaire. Le libellé du mandat de dépôt daté du 3 mai 2013 (le mandat de 2013) était sensiblement identique au mandat de 2010, exception faite de l’ajout d’une directive pour que soient prises des mesures spéciales de sécurité rendues nécessaires par le fait que le demandeur était un ancien policier, et l’ajout de la mention [traduction] « Aucune réduction de peine ». Le demandeur a été débouté dans son appel de la conclusion du juge Shaughnessy sur son outrage à la Cour d’appel de l’Ontario, et sa demande d’autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada a aussi été rejetée, avec dépens adjugés sur une base avocat-client.

[6]  Après son emprisonnement, le demandeur a présenté une demande d’habeas corpus qui a été entendue par la juge Molloy de la Cour supérieure de justice de l’Ontario. La juge Molloy a ordonné la mise en liberté du demandeur conformément au paragraphe 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11 (la Charte); Le procureur général a accueilli les conditions de l’ordonnance de mise en liberté. Dans son ordonnance, la juge Molloy a remarqué ce qui suit :

[traduction]

Il n’est pas clair si, sur le mandat de dépôt, la mention « Aucune réduction de peine » doit être interprétée comme un moyen d’empêcher M. Best de jouir de son droit de voir sa peine réduite. Cette mention est ambigüe. Elle pourrait simplement signifier que le juge de première instance ne souhaitait pas délivrer une ordonnance sur la réduction de peine. Toutefois, si la mention était destinée à être interprétée comme un empêchement de réduire la peine, elle a été ajoutée par excès de compétence.

II.  Plainte du demandeur au CCM

[7]  Dans une lettre au CCM datée du 5 janvier 2016, le demandeur se plaint du fait que la conduite du juge Shaughnessy se rapportant à l’audience du 3 mai 2013, constituait une inconduite judiciaire, alléguant que le juge aurait : (i) secrètement changé le mandat de dépôt afin d’y ajouter la mention « Aucune réduction de peine »; (ii) exclu le demandeur de l’approbation de l’ébauche d’ordonnance; et (iii) ordonné de ne plus jamais être saisi de son dossier.

[8]  Dans sa plainte, le demandeur avait énoncé que, en raison de la [traduction] « nature flagrante de l’inconduite » et puisque la preuve était [traduction] « irréfutable », il n’était pas nécessaire de faire l’examen préliminaire de sa plainte et la question devait être immédiatement renvoyée à la deuxième étape de l’examen en vue de l’enquête par un membre du comité sur la conduite des juges (CCJ) du CCM. De nombreuses pièces étaient jointes à la plainte du demandeur, y compris diverses ordonnances et transcriptions des procédures préalables à la délivrance du mandat de 2013.

III.  Décision du CCM

[9]  Dans une lettre datée du 28 janvier 2016, Norman Sabourin, directeur exécutif et avocat général principal du CCM, a informé le demandeur que sa plainte avait fait l’objet d’un examen et qu’aucune autre action ne serait prise puisque la question ne se rapportait pas à une inconduite. M. Sabourin a ainsi expliqué sa décision :

[traduction]

La mission du Conseil canadien de la magistrature (le Conseil) vous a déjà été expliquée dans une lettre acheminée par le conseil et portant sur une plainte que vous avez déposée contre le même juge et la même affaire.

Dans votre correspondance avec le conseil, vous alléguez que le juge Shaughnessy aurait secrètement créé et substitué un nouveau mandat de dépôt modifié qui vous refusait illégalement une réduction de peine légale, et qu’il aurait secrètement augmenté votre peine d’emprisonnement d’un mois, que le juge Shaughnessy aurait ordonné votre exclusion du processus judiciaire normal, et que le juge Shaughnessy aurait ordonné que votre dossier ne soit plus jamais assujetti à son examen.

Comme il vous a aussi été expliqué dans une correspondance antérieure, le Conseil n’est pas un tribunal. Vu le principe de l’indépendance de la magistrature, le processus de plainte que suit le Conseil ne se préoccupe ni du processus décisionnel judiciaire ni de l’exercice du pouvoir discrétionnaire judiciaire. Or, vos allégations se rapportent au processus décisionnel judiciaire et non à la conduite judiciaire. Dans votre correspondance, vous faites de multiples revendications sur le déroulement du processus de traitement des plaintes. L’étape de l’examen préalable des plaintes est régie par les Procédures du Conseil canadien de la magistrature pour l’examen de plaintes ou d’allégations au sujet de juges de nomination fédérale (les Procédures d’examen). Aux termes des Procédures d’examen, mon rôle de directeur exécutif comprend l’examen préalable des plaintes. Une fois mon examen achevé, je dois établir si oui ou non la question justifie un examen plus poussé par le Conseil. Ce processus de traitement des plaintes ne change pas et ne varie pas d’une demande à l’autre.

Après un examen minutieux de votre plainte, je conclus qu’elle ne se rapporte pas à une inconduite. Ainsi, je ne prendrai aucune autre mesure.

IV.  Historique de la procédure

[10]  Suivant la réception de la lettre du CCM, le demandeur a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire du rejet de sa plainte, nommant le procureur général du Canada et le juge Shaughnessy comme défendeurs. Le juge Shaughnessy a présenté une requête le 9 novembre 2016, pour obtenir une ordonnance annulant certains paragraphes de l’avis de demande sollicitant le jugement déclaratoire et certains paragraphes de l’affidavit du demandeur déposé à l’appui de sa demande. Le juge Shaughnessy a demandé d’être retiré comme défendeur au motif que, si les paragraphes contestés étaient supprimés, il ne serait plus défendeur dans la demande. Dans une ordonnance datée du 17 janvier 2017, la juge chargée de la gestion de l’instance, la protonotaire Aylen, a établi que, puisque les intérêts pour la réputation du juge Shaughnessy étaient en jeu, indépendamment de la radiation des paragraphes contestés, il demeurerait défendeur en bonne et due forme à la demande, même s’il lui était loisible de ne pas participer à la procédure. Elle a aussi établi que toute conclusion concernant les paragraphes contestés devrait être celle du juge qui aurait entendu la demande de contrôle judiciaire.

[11]  Dans ses motifs, la protonotaire Aylen a qualifié la question dont la Cour était saisie de la manière suivante :

[traduction]

[63]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire qui ne cherche pas à établir si le juge Shaughnessy a commis une inconduite, mais bien si le directeur exécutif du CCM a commis une erreur susceptible de révision en retenant que le CCM n’était pas habilité à examiner la plainte [voir Taylor c Canada (Procureur général), [1997] ACF no 1748, au paragraphe 18]. La Cour ne pourra manifestement pas évaluer la conduite du juge Shaughnessy, puisqu’aucune preuve n’a été présentée à la Cour lui permettant de le faire. Le demandeur reconnaît que la Cour ne peut arriver à une conclusion de fait sur la conduite du juge Shaughnessy et qu’il ne cherche pas à obtenir une conclusion de fait par l’entremise des déclarations contestées.

[12]  Environ un mois avant l’audience de la présente demande, la protonotaire Aylen a entendu une requête le 20 octobre 2017, sur la demande de statut d’intervenant présentée par Julian Fantino, ancien commissaire de la police provinciale de l’Ontario et du service de police de Toronto et ancien député fédéral et ministre du cabinet. Dans une ordonnance délivrée le 25 octobre 2017, la protonotaire Aylen a rejeté la demande de statut d’intervenant de M. Fantino, en concluant que [traduction] « M. Fantino cherche à transformer la demande en soulevant des questions que ne soulève pas le demandeur dans son avis de demande et qui ne sont définies dans aucune observation écrite présentée par les parties ». M. Fantino a ensuite déposé un avis de requête en appel de l’ordonnance qui lui avait refusé le statut d’intervenant. Ayant considéré le fait que la requête pour obtenir le statut d’intervenant avait été déposée environ quatre mois après l’ordonnance fixant la date de l’audience de l’affaire au 20 novembre 2017, j’ai ordonné, le 16 novembre 2017, que la requête en appel soit prévue pour la séance générale et ne soit pas entendue à l’audience de la présente demande au fond. Il est bien établi que dans les demandes de contrôle judiciaire, la Cour « statue à bref délai et selon une procédure sommaire » (paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales), et sans délai attribuable à des requêtes ou procédures interlocutoires (voir par exemple, Kourtchenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 159, au paragraphe 4, 146 FTR 23; Chopra c Canada (Conseil du Trésor), [1999] ACF no 835, au paragraphe 6, 168 FTR 273; Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Ministre de l’Environnement), [2000] ACF no 480, au paragraphe 17, 187 DLR (4th) 127; et JP Morgan Asset Management (Canada) Inc c Ministre du Revenu national, 2013 CAF 250, au paragraphe 48, [2013] ACF no 1155).

V.  Questions en litige

[13]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. Le processus du CCM pour l’examen préalable des plaintes alléguant une inconduite judiciaire est-il inconstitutionnel ou s’agit-il d’une délégation illégale de l’autorité du CCM de faire enquête sur ces plaintes?

  2. Quelle est la norme adéquate de contrôle judiciaire applicable à la décision du directeur exécutif?

  3. Le processus décisionnel judiciaire peut-il constituer une inconduite judiciaire?

  4. La décision du directeur exécutif selon laquelle la conduite du juge Shaughnessy n’a pas révélé d’inconduite judiciaire était-elle déraisonnable?

VI.  Discussion

A.  Le processus du CCM pour l’examen préalable des plaintes alléguant une inconduite judiciaire est-il inconstitutionnel ou s’agit-il d’une délégation illégale de l’autorité du CCM de faire enquête sur ces plaintes?

1)  Les observations du demandeur

[14]  Le demandeur prétend que la première étape du processus d’examen préalable par le directeur exécutif est inconstitutionnelle. Selon le demandeur, la constitution ne permettait pas au législateur de créer ou d’autoriser un processus capable d’autoriser que des plaintes se rapportant à une violation des principes constitutionnels d’indépendance, d’intégrité, de diligence et d’impartialité de la magistrature, et de primauté du droit soient sommairement rejetées. Selon le demandeur, un tel système autorise l’exercice arbitraire du pouvoir discrétionnaire et est donc inconstitutionnel. Le demandeur affirme aussi que le processus d’examen préalable contrevient à la Loi sur les juges, LRC (1985), c J-1, renvoyant à ce sujet à son paragraphe 59(1), qui précise que le CCM se compose de juges en chef et d’autres juges principaux de partout au Canada, et à l’alinéa 61(3)c), qui habilite le CCM à régir la procédure relative aux enquêtes. Le demandeur affirme que la délégation au directeur exécutif, qui n’est pas un juge, du pouvoir de faire l’examen préalable des plaintes constitue une sous-délégation de pouvoir contraire à la loi. Quoi qu’il en soit, le directeur exécutif a rejeté sa plainte conformément aux Procédures d’examen, une politique du CCM, et non à un règlement.

[15]  Le demandeur prétend aussi qu’aucune disposition de la Loi sur les juges n’appuie le rejet sommaire des plaintes, et que si le rejet sommaire était admissible, il devrait être fondé sur la loi ou une législation subordonnée plutôt que sur une politique. De l’avis du demandeur, ce rejet viole les principes constitutionnels de souveraineté parlementaire, de primauté du droit, et du constitutionnalisme. Selon le demandeur, les termes de « conduite » et d’« intérêt public » employés à l’article 5 des Procédures d’examen sont inconstitutionnellement vagues puisqu’ils ne donnent aucun avis aux plaignants éventuels sur ce qu’ils englobent et n’englobent pas, et de ce fait laisseraient [traduction] « une trop large place à l’arbitraire » peu propice à un débat juridique raisonnable. Le demandeur affirme que ces termes sont arbitraires, dans la mesure où ils ne tiennent pas compte du processus décisionnel, et ont une portée excessive dans la mesure où ils autorisent le rejet sommaire des conduites répréhensibles, et que ni leur nature arbitraire ni leur portée excessive n’appuie les objets du CCM. Le demandeur affirme aussi que l’article 1 de la Charte ne s’applique pas à une politique telle que les Procédures d’examen, et que même si c’était le cas, les lois qui sont arbitraires ou à portée excessive ne peuvent faire l’objet d’une exemption aux termes de l’article 1, et les violations de l’article 7 de la Charte font rarement l’objet d’une exception aux termes de l’article premier.

[16]  Enfin, le demandeur prétend que la décision du directeur exécutif constituait un exercice illégal ou entravé du pouvoir discrétionnaire. Le demandeur affirme, d’après La Reine c Mills, [1986] 1 RCS 863, 29 DLR (4th) 161, La Reine c Gamble, [1988] 2 RCS 595, au paragraphe 51, 89 NR 161, et Doucet-Boudreau c Nouvelle-Écosse, 2003 CSC 62, [2003] 3 RCS 3, qu’il doit toujours y avoir un recours effectif pour traiter les violations de la constitution, et que la révision en appel ne suffit pas à réparer les dommages causés à l’honorabilité de l’appareil judiciaire. En outre, le demandeur soutient que, puisque le rejet sommaire de sa plainte n’a pas réussi à remédier à la violation de ses droits en vertu de la Charte et le dommage causé à l’honorabilité de l’appareil judiciaire, le rejet constituait un exercice inconstitutionnel du pouvoir discrétionnaire.

2)  Les observations des défendeurs

[17]  Le juge Shaughnessy fait valoir que le processus d’examen préalable est conforme tant à la Loi sur les juges qu’à la constitution. Le juge Shaughnessy affirme, selon Douglas c Canada (Procureur général), 2014 CF 299, aux paragraphes 9 et 10, [2015] 2 RCF 911, et Slansky c Canada (Procureur général), 2013 CAF 199, aux paragraphes 30 à 36, [2015] 1 RCF 81 [Slansky], que les procédures d’examen préalable du CCM ont été reconnues et confirmées comme nécessaires par les cours fédérales. Le juge Shaughnessy rappelle l’article 62 de la Loi sur les juges qui prévoit que le CCM « peut employer le personnel nécessaire à l’exécution de sa mission ». Selon le juge Shaughnessy, la jurisprudence autorise les entités administratives, pour des raisons d’ordre pratique, à déléguer le processus décisionnel à de hauts fonctionnaires au sein de leur organisation sans que cette autorisation ne doive explicitement être inscrite dans la loi. Le juge Shaughnessy affirme que le demandeur ne peut se fonder sur l’arrêt Slansky pour faire valoir que seul un juge peut réaliser l’examen préalable initial puisque la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Slansky avait approuvé les Procédures d’examen régissant l’examen préalable qui, à ce moment, attribuaient le pouvoir de réaliser l’examen préalable au président du CCJ (un juge), mais délèguent aujourd’hui cette responsabilité au directeur exécutif.

[18]  Selon le juge Shaughnessy, le droit que le demandeur allègue se voir conférer par la loi de déposer une plainte ne saurait inclure le droit de faire entendre une telle plainte. En effet, le paragraphe 63(2) de la Loi sur les juges prévoit que le CCM peut « enquêter sur toute plainte ou accusation relative à un juge d’une juridiction supérieure », conférant au CCM le pouvoir discrétionnaire d’examiner ou non une plainte. En outre, le juge Shaughnessy affirme que le processus de traitement des plaintes reconnaît des droits aux juges, et non aux plaignants, et que la constitution ne prévoit aucun droit se rapportant à un processus précis de traitement des plaintes par le CCM. Selon le juge Shaughnessy, le processus de traitement des plaintes du CCM n’établit pas ni n’influence les droits constitutionnels des plaignants, mais protège l’intégrité de la magistrature.

[19]  Le juge Shaughnessy conteste l’argument du demandeur que les plaideurs jouissent d’un droit constitutionnel de voir punir un juge si le juge se rend coupable d’inconduite, affirmant qu’aucun droit de ce type ne découle du principe d’indépendance de la magistrature. Le juge Shaughnessy observe plutôt que le recours adapté au manque d’indépendance de la magistrature est la révision en appel. D’après le juge Shaughnessy, même si la constitution obligeait le CCM à établir une procédure de traitement des plaintes, les Procédures d’examen telles qu’elles existent aujourd’hui répondent à cet objectif, puisqu’elles établissent un équilibre satisfaisant entre l’indépendance de la magistrature et la protection de l’intégrité de l’appareil judiciaire. En outre, le juge Shaughnessy affirme que l’article 7 de la Charte ne se rapporte pas au traitement des plaintes puisque le processus de traitement des plaintes ne prive pas le plaignant de son droit à la vie, à la liberté, ou à la sécurité de sa personne, ni aucun autre de ses droits.

[20]  Le procureur général se rallie aux observations faites par le juge Shaughnessy à l’audience sur la présente demande et les fait siennes. Le procureur général estime que les allégations du demandeur sur la constitutionnalité de la décision du juge Shaughnessy et du processus de traitement des plaintes sont sans fondement. Si le CCM intervenait lorsqu’un juge a commis une erreur de droit ou fait défaut de se conformer à un précédent, le procureur général affirme que l’indépendance de la magistrature serait compromise.

3)  Discussion

[21]  Sur cette question, je me rallie aux arguments et aux observations des défendeurs; ceux du demandeur ne sont pas convaincants pour plusieurs motifs. D’abord, le paragraphe 63(2) de la Loi sur les juges prévoit clairement que le CCM « peut enquêter sur toute plainte ou accusation relative à un juge d’une juridiction supérieure » (non souligné dans l’original). L’article 11 de la Loi d’interprétation, LRC (1985), c I-21, prévoit que « [l]’obligation s’exprime essentiellement par l’indicatif présent du verbe porteur de sens principal et, à l’occasion, par des verbes ou expressions comportant cette notion. L’octroi de pouvoirs, de droits, d’autorisations ou de facultés s’exprime essentiellement par le verbe “pouvoir” et, à l’occasion, par des expressions comportant ces notions. » Le CCM n’est pas obligé de faire enquête sur chaque plainte; même si un plaignant jouit du droit de déposer une plainte, cette dernière pourrait ou pourrait ne pas faire l’objet d’une enquête par le CCM. Ensuite, le CCM n’est pas une cour ni un tribunal d’arbitrage ayant pour mandat de statuer sur les droits des plaignants. En effet, le CCM est un tribunal fédéral, et lorsque des juges d’une cour supérieure siègent comme membres du CCM et comme membres de ses comités d’enquête, « [ils] ne siègent pas en tant que juges. Ils agissent plutôt en tant que membres d’un tribunal administratif » (Singh c Canada (Procureur général), 2015 CF 93, au paragraphe 39, 474 FTR 164 [Singh]). En troisième lieu, il est contradictoire pour le demandeur de se fier aux Principes de déontologie judiciaire du CCM, un document de politique, pour fonder ses arguments ci-après sur ce qui constitue une inconduite judiciaire, et ensuite de contester les Procédures d’examen, un autre document de politique du CCM, en alléguant que ce document est inconstitutionnel et incarne une délégation illicite des pouvoirs.

[22]  En quatrième et dernier lieu, j’estime que les Procédures d’examen du CCM qui attribuent dans leur version actuelle l’examen préalable des plaintes au directeur exécutif sont loin de constituer une délégation illicite ou inopportune des pouvoirs par le CCM. Une formulation fondatrice d’une autorité sous-entendue de délégation de pouvoirs se trouve dans La Reine c Harrison, [1977] 1 RCS 238, 8 NR 47 [Harrison], dans laquelle la Cour suprême du Canada a affirmé que : « Bien qu’il existe une règle générale d’interprétation de la loi selon laquelle une personne doit exercer personnellement le pouvoir discrétionnaire dont elle est investie (delegatus non potest delegare) elle peut être modifiée par les termes, la portée ou le but d’un programme administratif donné. Le pouvoir de délégation est souvent implicite dans un programme qui donne au ministre le pouvoir d’agir » (au paragraphe 13).

[23]  La jurisprudence depuis Harrison indique que les tribunaux autorisent généralement la sous-délégation des fonctions administratives, contrairement à la délégation des fonctions législatives, judiciaires ou quasi judiciaires. Or, l’examen préalable des plaintes constitue une fonction administrative (voir par exemple, Peralta v Ontario, [1985] OJ no 2304, au paragraphe 70, 29 ACWS (2d) 415; Nation dénée c La Reine, [1984] 2 CF 942, au paragraphe 18, 25 ACWS (2d) 406; Joncas c La Reine, [1993] ACF no 973, au paragraphe 15, 75 FTR 277; et Connolly v Law Society (Newfoundland & Labrador), 2011 NLTD(G) 152, au paragraphe 12, 315 Nfld & PEIR 281). Dans l’arrêt Harrison v LSBC, 2015 BCSC 211, 252 ACWS (3d) 160, la Cour suprême de la Colombie-Britannique avait qualifié la procédure d’examen préalable des plaintes du Barreau de la Colombie-Britannique de [traduction] « fonction de filtrage administratif discrétionnaire ne déterminant aucun droit, devoir ou obligation légal » (au paragraphe 51). À mon avis, il en va de même pour les procédures d’examen préalable prévues dans les Procédures d’examen du CCM.

[24]  En outre, les tribunaux ont adopté une vaste perspective des lois qui autorisent les tribunaux administratifs à nommer du personnel pour appuyer l’exécution de leurs devoirs et de leurs fonctions prévues par la loi. Par exemple, dans l’arrêt Gill v British Columbia (Workers’ Compensation Board), [1983] BCWLD 1925, 149 DLR (3d) 678 [Gill], un employeur qui avait fait l’objet d’une enquête du directeur adjoint de la division des évaluations de la Commission des accidents du travail de la Colombie-Britannique avait sollicité le contrôle judiciaire d’une décision de la Commission qui avait débouté son appel de la décision du directeur adjoint que ses employés étaient assujettis à la Workers Compensation Act. L’employeur avait fait valoir que puisque la décision du directeur adjoint constituait une délégation non autorisée d’une fonction judiciaire ou quasi judiciaire dont seule la Commission pouvait s’acquitter, sa décision en appel était nulle. Le juge Toy de la Cour suprême de la Colombie-Britannique avait conclu ce qui suit :

[traduction]

10  La Commission se compose d’un maximum de cinq membres qui portent le titre de commissaires et sont nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil. Vu que la grande majorité des travailleurs de la Colombie-Britannique sont couverts par un programme d’indemnisation des accidents du travail, et que la myriade de responsabilités était confiée à la Commission, il n’est pas surprenant de constater qu’aux termes de l’article 86(1) :

La Commission peut nommer les agents et employés qu’elle estime nécessaires pour mener les activités et les entreprises de la Commission et peut leur prescrire des responsabilités [...]

11  Je suis disposé à attribuer à ce pouvoir de la Commission l’interprétation la plus vaste puisqu’il s’agit de la seule manière réaliste par laquelle la Commission peut s’acquitter de ses nombreuses attributions prévues par la loi.

[25]  En l’espèce, les dispositions législatives applicables sont les dispositions ci-après de la Loi sur les juges :

61 (2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le Conseil détermine la conduite de ses travaux.

61 (2) Subject to this Act, the work of the Council shall be carried on in such manner as the Council may direct.

[...]

[...]

62 Le Conseil peut employer le personnel nécessaire à l’exécution de sa mission et engager des conseillers juridiques pour l’assister dans la tenue des enquêtes visées à l’article 63.

62 The Council may engage the services of such persons as it deems necessary for carrying out its objects and duties, and also the services of counsel to aid and assist the Council in the conduct of any inquiry or investigation described in section 63.

[...]

[...]

63 (2) Le Conseil peut en outre enquêter sur toute plainte ou accusation relative à un juge d’une juridiction supérieure.

63 (2) The Council may investigate any complaint or allegation made in respect of a judge of a superior court.

[26]  Vu le libellé hautement permissif et discrétionnaire de l’extrait précité de la Loi sur les juges, il était (et il demeure) manifestement loisible au CCM de déléguer sa responsabilité administrative de mener l’examen préalable des plaintes à son directeur exécutif. Tout comme dans l’arrêt Gill, l’autorité conférée au CCM par l’article 62 de la Loi sur les juges de recourir aux services de toutes les personnes qu’il estime nécessaires pour réaliser ses objectifs et s’acquitter de ses attributions doit recevoir la plus vaste interprétation possible. L’insistance du demandeur à se concentrer sur le fait que l’examen préalable des plaintes n’est plus réalisé par un juge est malavisée. Ce changement par rapport à l’ancien processus d’examen préalable est, à mon avis, une simple distinction qui ne fait aucune réelle différence.

B.  Norme de contrôle

[27]  Le demandeur concède que la norme de la décision raisonnable s’applique à une décision du CCM, mais seulement dans la mesure où elle est prise par un membre du CCM qui est un juge. Selon le demandeur, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte, puisque la décision qui fait l’objet d’un contrôle soulève des questions de constitutionnalité, une erreur juridictionnelle et une erreur de droit. Le demandeur prétend que la norme de contrôle est la norme de la décision correcte puisque (i) il n’existe aucune disposition restrictive dans la Loi sur les juges, (ii) l’objectif du CCM est de protéger l’honorabilité de la magistrature et la primauté du droit, (iii) la question d’inconduite judiciaire est au centre de l’appareil judiciaire, et (iv) le directeur exécutif n’a aucun champ de spécialisation.

[28]  Le procureur général rappelle qu’il est établi depuis longtemps que les décisions du CCM doivent faire l’objet d’un degré élevé de retenue, et rappelle qu’avant le jugement rendu dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], la norme de contrôle applicable aux décisions d’un conseil de la magistrature était celle de la décision manifestement déraisonnable. Le procureur général rappelle, selon la décision Singh, aux paragraphes 33 à 35, que l’examen préalable des plaintes est une question mixte de fait et de droit qui est assujettie à la norme de la décision raisonnable.

[29]  Le juge Shaughnessy affirme aussi que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. Le juge Shaughnessy rappelle que, même si la plainte dans la décision Singh avait été exclue lors de l’examen préalable, car elle ne se rapportait pas à une conduite judiciaire inopportune d’un président du CCJ (un juge), cette distinction ne suffit pas à différencier le présent dossier de celui de la décision Singh dans l’analyse de la norme de contrôle applicable. Selon le juge Shaughnessy, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable pour les questions mixtes de fait et de droit. En outre, le juge Shaughnessy rappelle que le directeur exécutif interprétait sa loi constitutive, il avait des connaissances spécialisées et exerçait un rôle spécialisé (il est de surcroît la seule personne qui exerce actuellement la fonction d’examen initial des plaintes).

[30]  Les avocats des parties n’ont cité aucune jurisprudence se rapportant à une décision prise à l’issue d’un examen préalable par le directeur exécutif et, apparemment, la question de la norme de contrôle applicable à une telle décision n’a jamais été examinée par la Cour. Les Procédures d’examen du CCM les plus récentes sont entrées en vigueur le 29 juillet 2015. Auparavant, le président ou un vice-président du CCJ s’acquittait de la fonction d’examen préalable et prenait les décisions rendues à la suite de l’examen initial. En vertu des Procédures d’examen actuelles, le directeur exécutif (défini dans les Procédures d’examen comme l’administrateur principal du CCM) est habilité à évaluer toute la correspondance au CCM qui a l’apparence d’une plainte afin d’établir si elle justifie sa considération. Si le directeur exécutif établit qu’une question justifie un examen, il doit la renvoyer au président ou à l’un des vice-présidents, autres que celui qui est membre de la même cour que le juge qui fait l’objet de la plainte. L’article 5 des Procédures d’examen définit les critères d’examen préalable, précisant que les questions suivantes ne justifient pas l’examen :

a)  les plaintes qui sont futiles, vexatoires, faites dans un but inapproprié, sont manifestement sans fondement ou constituent un abus de la procédure des plaintes.

b)  les plaintes qui n’impliquent pas la conduite d’un juge; et

c)  toutes autres plaintes qu’il n’est pas dans l’intérêt public et la juste administration de la justice de considérer.

[31]  Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada avait donné pour directive que lorsque la jurisprudence n’a pas déjà, de manière satisfaisante, établi le niveau de retenue à accorder à l’égard d’une catégorie donnée de questions, la Cour doit mener une analyse des facteurs qui rendent possible de déterminer la norme de contrôle applicable. Par conséquent, la Cour suprême s’est exprimée en ces termes :

[64]  L’analyse doit être contextuelle. Nous rappelons que son issue dépend de l’application d’un certain nombre de facteurs pertinents, dont (1) l’existence ou l’inexistence d’une clause privative, (2) la raison d’être du tribunal administratif suivant l’interprétation de sa loi habilitante, (3) la nature de la question en cause et (4) l’expertise du tribunal administratif. Dans bien des cas, il n’est pas nécessaire de tenir compte de tous les facteurs, car certains d’entre eux peuvent, dans une affaire donnée, déterminer l’application de la norme de la décision raisonnable.

[32]  J’entamerai la présente discussion en relevant que la décision du directeur exécutif ne correspond pas aux quatre types de questions déterminées dans l’arrêt Dunsmuir comme devant être évaluées d’après la norme de la décision raisonnable, à savoir : (i) les « questions touchant au partage des compétences entre le Parlement et les provinces [...] et celles touchant par ailleurs à la Constitution » (au paragraphe 58); (ii) les vraies questions de compétence ou vires « lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question » (au paragraphe 59); (iii) « dans le cas d’une question de droit générale “à la fois d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise [du décideur]” » (au paragraphe 60); et (iv) « [l]a norme de la décision correcte s’est également appliquée à la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents » (au paragraphe 61).

[33]  L’argument du demandeur que la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision correcte n’est pas convaincant. La question qui a été posée au directeur exécutif dans ce dossier était une question mixte de fait et de droit, soit celle de savoir si la conduite du juge Shaughnessy constituait une inconduite judiciaire qui devait être renvoyée au président, ou à un vice-président du CCJ, qui, aux termes de l’article 6 des Procédures d’examen pouvait a) demander toute information additionnelle du plaignant, b) demander les observations du juge et celles de son juge en chef, ou c) rejeter la plainte s’il juge qu’elle ne justifie pas d’examen additionnel. La conclusion du directeur exécutif que la conduite du juge Shaughnessy ne constituait pas une inconduite judiciaire était une question mixte de fait et de droit. Comme le rappelle la Cour dans l’arrêt Singh :

[35]  Les questions mixtes de fait et de droit commandent la retenue. La jurisprudence a déjà établi que ces questions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable; voir Taylor c Canada (Procureur général) (2001), 212 F.T.R. 246, aux paragraphes 32 et 38, conf. par [2003] 3 C.F. 3, autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée, (2004), 321 N.R. 399 (note); Cosgrove c Conseil canadien de la magistrature (2007), 361 N.R. 201, au paragraphe 25 (C.A.F.), et Akladyous, précitée [Akladyous c Conseil canadien de la magistrature (2008), 325, F.T.R. 240], aux paragraphes 40 à 43.

[34]  Sur cette question, je conclus donc que la norme de contrôle à appliquer à la décision du directeur exécutif est celle de la décision raisonnable. Le directeur exécutif interprétait sa loi constitutive pour répondre à la question de savoir si la conduite du juge Shaughnessy pouvait être qualifiée d’inconduite au sens de la Loi sur les juges, il disposait de connaissances spécialisées dans ce domaine, et exerçait un rôle spécialisé. En effet, le directeur exécutif est le seul à exercer la fonction d’examen préalable, et ce, depuis plus de deux ans.

[35]  Par conséquent, conformément à la norme de la décision raisonnable, la Cour doit examiner une décision du directeur exécutif en s’en tenant « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16 [2011] 3 RCS 708).

C.  Le processus décisionnel judiciaire peut-il constituer une inconduite judiciaire?

[36]  Selon le demandeur, l’inconduite judiciaire peut se produire dans le déroulement du processus décisionnel judiciaire. Le demandeur se réfère aux Principes de déontologie judiciaire publiés par le CCM, en relevant qu’ils comprennent les principes d’indépendance, d’intégrité, de diligence, et d’impartialité de la magistrature, pour tracer les limites de la conduite éthique des juges. Selon le demandeur, l’inconduite judiciaire ne peut se définir de manière à exclure la violation de ses droits constitutionnels, et dans la mesure où la décision du directeur exécutif se fonde sur une décision que la conduite des juges ne peut présenter d’inconduite dans le déroulement du processus décisionnel judiciaire, cette décision constituerait une erreur de droit et serait déraisonnable.

[37]  Le procureur général ne répond pas à la question de savoir si l’inconduite judiciaire peut se produire dans le déroulement du processus décisionnel judiciaire. Le procureur général soutient toutefois que le directeur exécutif a raisonnablement établi que chaque aspect de la plainte du demandeur portait sur le processus décisionnel judiciaire et non sur la conduite d’un juge.

[38]  Selon le juge Shaughnessy, le processus décisionnel judiciaire ne relève de la conduite assujettie à la sanction du CCM que dans des circonstances exceptionnelles impliquant l’abus de pouvoir, la mauvaise foi, ou une conduite analogue, qui doivent être démontrés en preuve. Le juge Shaughnessy affirme que la plupart des erreurs commises dans le processus décisionnel judiciaire peuvent être réparées correctement en appel, comme en l’espèce, et rares sont les instances où l’appel ne suffit pas. Pour que soit atteint le seuil élevé où le processus décisionnel judiciaire devient une conduite assujettie à l’examen du CCM, le juge Shaughnessy affirme qu’un plaignant doit présenter une allégation étayée par des éléments de preuve que la décision était entachée par un motif illégitime. Le juge Shaughnessy observe que le demandeur n’a défini aucune autre norme pour établir le moment où le processus décisionnel judiciaire implique la conduite répréhensible, en rappelant que les Principes de déontologie judiciaire auxquels se réfère le demandeur comprend un avertissement explicite que les principes « n’énoncent pas de normes définissant l’inconduite judiciaire ».

[39]  Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que la conduite d’un juge dans le déroulement du processus décisionnel judiciaire peut, dans certaines catégories de cas très limités et exceptionnels, constituer une conduite répréhensible. Par exemple, dans l’arrêt Moreau-Bérubé c Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, [2002] 1 RCS 249 [Moreau-Bérubé], le Conseil de la magistrature du Nouveau-Brunswick avait recommandé qu’une juge de la Cour provinciale perde son siège en raison de commentaires dérogatoires sur les résidents de la péninsule acadienne, qu’elle avait prononcés lorsqu’elle présidait une audience de détermination de la peine, donnant lieu à une appréhension raisonnable de partialité et une perte de la confiance du public. La Cour suprême du Canada avait rétabli la recommandation de retrait formulée par le Conseil, qui avait été renversée par les cours inférieures, en constatant ceci :

58  Même dans le cadre de l’appel, qui vise à corriger les erreurs contenues dans la décision originale et à tracer la voie à suivre pour l’élaboration de principes juridiques utiles, le juge dont la décision fait l’objet d’une demande de révision n’est pas appelé à justifier cette décision. On ne lui demande pas d’expliquer, d’approuver ou de désavouer la décision ou la déclaration contestée par l’appel, et l’issue de l’appel suffit pour que justice soit rendue aux personnes auxquelles l’erreur du juge de première instance a causé préjudice. Dans certains cas, cependant, les actes et les paroles d’un juge sèment le doute quant à l’intégrité de la fonction judiciaire elle-même. Lorsqu’on entreprend une enquête disciplinaire pour examiner la conduite d’un juge, il existe une allégation selon laquelle l’abus de l’indépendance judiciaire par ce juge menace l’intégrité de la magistrature dans son ensemble. Le processus d’appel ne peut pas remédier au préjudice allégué.

59  Le Conseil de la magistrature du Nouveau-Brunswick a jugé que les commentaires de la juge Moreau-Bérubé constituaient l’un de ces cas. Même si on ne saurait trop insister sur le fait que les juges doivent être libres de s’exprimer dans l’exercice de leurs fonctions et qu’ils doivent être perçus comme tels, il y aura inévitablement des cas où leurs actes seront remis en question. Cette restriction à l’indépendance judiciaire trouve sa justification dans l’objectif du Conseil de protéger l’intégrité de la magistrature dans son ensemble [...]

[40]  Je ne suis pas d’accord, toutefois, avec la prétention du demandeur que, d’après le dossier, il peut être déduit que le juge Shaughnessy a sciemment et délibérément changé le mandat de 2010 à son détriment, et que cela traduit une mauvaise foi équivalente à une inconduite judiciaire. La question à laquelle doit répondre la Cour dans la présente demande de contrôle judiciaire n’est pas celle d’établir si le juge Shaughnessy a commis une inconduite, mais plutôt d’établir si le directeur exécutif a commis une erreur susceptible de révision en constatant que, puisque la plainte ne soulevait pas d’inconduite judiciaire, aucune autre action ne serait prise pour traiter la plainte. Cette question exige cependant que la Cour examine la conduite du juge Shaughnessy afin d’établir si la décision du directeur exécutif – que la plainte n’a pas établi d’inconduite judiciaire – était raisonnable.

D.  La décision du directeur exécutif selon laquelle la conduite du juge Shaughnessy n’a pas révélé d’inconduite judiciaire était-elle déraisonnable?

[41]  Le demandeur prétend que le juge Shaughnessy a changé sa peine dans le mandat de 2013, contrairement au mandat de 2010. Selon le demandeur, il ne s’agissait pas de l’exercice du pouvoir discrétionnaire judiciaire, mais bien d’une violation de ses droits constitutionnels, d’un abus de pouvoir, et d’un acte de mauvaise foi. D’après le demandeur, les Principes de déontologie judiciaire disposent que les juges connaissent et respectent la loi, et qu’ils doivent agir pour maintenir la confiance du public dans le pouvoir judiciaire. Selon le demandeur, le juge Shaughnessy savait ou aurait dû savoir que la disposition « Aucune réduction de peine » dans le mandat de 2013 prolongerait sa peine, et que cette modification de sa peine était proscrite en droit et contraire aux droits du demandeur garantis par la Charte. Puisque le juge Shaughnessy aurait sciemment violé ses droits en vertu de la loi et de la Charte, le demandeur affirme qu’il était déraisonnable pour le directeur exécutif de conclure qu’une telle conduite n’était pas répréhensible.

[42]  Le demandeur prétend aussi que les actes du juge Shaughnessy nuisent à la confiance du public envers le pouvoir judiciaire et qu’ils ne sont pas sans rappeler ceux d’un diktat judiciaire totalitaire ou de la Chambre étoilée de l’Angleterre sous Henri VII. Selon le demandeur, le défaut de sanctionner une telle conduite porte atteinte à la réputation de l’administration de la justice, et qu’en faisant défaut d’appliquer correctement la loi, le juge Shaughnessy a violé les principes d’indépendance, d’intégrité, de diligence, et d’impartialité de la magistrature. De l’avis du demandeur, puisque la nature de l’outrage civil est quasi criminelle, il avait le droit, aux termes de l’article 7 et de l’alinéa 11d) de la Charte, d’apporter une réponse et une défense complètes, d’autant plus qu’il se représentait lui-même contre ces accusations, et que l’ordonnance du juge Shaughnessy se dispensant de son approbation de l’ébauche d’ordonnance équivalait à une violation intentionnelle de ses droits constitutionnels.

[43]  Le procureur général soutient que la décision du directeur exécutif était raisonnable au vu du dossier qui lui avait été présenté. Le procureur général estime que les allégations du demandeur à l’encontre du juge Shaughnessy ne sont pas appuyées par le dossier, et que bien que le demandeur soit insatisfait de sa peine et de l’ordonnance « Aucune réduction de peine », de la dispense accordée par le juge Shaughnessy à l’exigence de faire approuver l’ébauche de l’ordonnance par le demandeur, et de l’ordonnance de ne plus être saisi de la question, le recours adapté à chacune de ces plaintes était la révision en appel. Le procureur général rappelle que, selon l’arrêt Taylor c Canada (Procureur général), 2003 CAF 55, aux paragraphes 64 à 66, [2003] 3 CF 3, un principe fondateur de l’indépendance de la magistrature est que les erreurs judiciaires sont corrigées par une révision en appel. Selon le procureur général, les motifs exposés de vive voix par le juge Shaughnessy ont toujours indiqué une peine de trois mois, sans donner d’ordonnance de vive voix pour aucune réduction de peine, et par conséquent, le mandat de 2013 et toutes les autres ordonnances sont en adéquation avec les motifs exposés de vive voix.

[44]  Le juge Shaughnessy soutient que le directeur exécutif est habilité à refuser une plainte si celle-ci (i) n’implique aucun abus de pouvoir, mauvaise foi, ou conduite analogue, (ii) est manifestement sans fondement et ne démontre aucune conduite répréhensible, et (iii) est formulée sans fondement probant et par conséquent constitue un abus de procédure. Selon le juge Shaughnessy, aucun texte applicable n’appuie la proposition avancée par le demandeur selon laquelle le directeur exécutif doit tenir pour avérés les faits allégués par un plaignant, et même s’il existait une telle obligation, les allégations non fondées sur l’état d’esprit d’une personne ne sont pas admissibles. Selon le juge Shaughnessy, le demandeur tente d’imputer la mauvaise foi à une décision à laquelle il s’oppose afin de la qualifier de conduite répréhensible, et toute violation des droits constitutionnels du demandeur est correctement réparée par une révision en appel.

[45]  En ce qui concerne l’argument du demandeur selon laquelle le juge Shaughnessy aurait dû savoir qu’il contrevenait à la loi et qu’il aurait de ce fait intentionnellement violé les droits du demandeur, le juge Shaughnessy fait valoir que le demandeur demande à la Cour de conclure à la mauvaise foi d’après la seule existence d’une erreur en droit, dans une logique qui pourrait potentiellement faire de toutes les erreurs de droit des conduites répréhensibles. Le juge Shaughnessy constate que les transcriptions des procédures devant la Cour démontrent qu’il a tenté d’aider le demandeur à se représenter lui-même à de nombreuses occasions, et le mandat de 2013 tenait compte des inquiétudes du demandeur pour sa sécurité en prison, étant donné qu’il avait été agent de police. Le juge Shaughnessy affirme que la décision du directeur exécutif de rejeter la plainte du demandeur puisqu’elle ne relevait pas de l’inconduite judiciaire était raisonnable, et la Cour devrait s’en remettre à la décision rendue aux motifs qu’elle aurait pu être rejetée pour son manque de fondement manifeste ou pour abus de procédure, bien que la lettre du directeur exécutif ne définisse pas ces motifs pour rejeter la plainte.

[46]  À mon avis, la décision du directeur exécutif que la plainte du demandeur ne portait pas sur l’inconduite judiciaire, et implicitement que cette conduite appartenait au déroulement normal du processus décisionnel judiciaire, était raisonnable, surtout considérant le jugement rendu par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Chiang (Trustee) v Chiang, 2009 ONCA 3, 257 OAC 64 [Chiang]. La conduite du juge dans l’arrêt Chiang était semblable à celle du juge Shaughnessy en ce qui concerne l’outrage du demandeur. En juillet 2003, le juge Farley a reconnu M. et Mme Chiang coupables d’outrage à six ordonnances antérieures de la Cour supérieure de justice de l’Ontario relatives à une dette non exécutée liée à un jugement. Selon les termes de l’ordonnance sur consentement pour outrage, ils ont eu la possibilité de purger leur outrage en se conformant aux engagements qui exigeaient la divulgation de renseignements financiers. En cas de non-respect, ils devaient être incarcérés pendant sept jours et risquaient de nouvelles sanctions en cas de non-respect persistant. En 2005, au constat que les Chiang avaient rempli seulement certains de ces engagements, le juge Farley leur a accordé une autre période de 90 jours pour remplir leurs engagements, en les mettant en garde contre les graves conséquences de tout manquement. En 2007, après un procès de sept jours, le juge de première instance, la juge Lax, a conclu que les Chiang n’avaient pas rempli tous les engagements qui leur avaient été imposés en 2003. La juge Lax a conclu qu’elle n’était pas limitée par l’ordonnance de juillet 2003 qui avait condamné les Chiang à sept jours d’emprisonnement, puisque le juge Farley avait effectivement modifié cette ordonnance en 2005, rendant de nouveau loisible à la Cour de prescrire une nouvelle réparation dans une audience ultérieure. La juge Lax a condamné M. Chiang à un an d’emprisonnement, et Mme Chiang à huit mois d’emprisonnement. Dans le cadre de l’appel interjeté à l’encontre de cette ordonnance d’outrage au tribunal délivrée en 2007, la Cour d’appel a statué ceci :

[traduction]

[118]  Les régimes législatifs, qui laissent à l’auteur d’un outrage au tribunal la compétence en matière civile, correspondent au vaste pouvoir discrétionnaire conféré à la Cour par l’article 60.11 des Règles de procédure civile. Aux termes de l’alinéa 60.11(5)a) des Règles, « si le juge conclut que la personne en cause est coupable d’outrage, il peut ordonner que la personne a) soit incarcérée pour une période et dans des conditions justes ». Aux termes du paragraphe 60.11(8) des Règles, « un juge peut, sur requête, modifier ou annuler une ordonnance rendue en application du paragraphe (5) ». Ces règles confèrent à la Cour un rôle permanent de supervision sur l’auteur d’un outrage civil ainsi que le pouvoir discrétionnaire de modifier ou même d’annuler une ordonnance d’outrage si son auteur a réparé l’outrage.

[...]

[123]  La délivrance d’un mandat est un acte administratif. Le juge qui a délivré le mandat peut le modifier après sa délivrance afin d’assurer son adéquation avec son intention initiale : voir Ewing v Mission Institution, 1994 CanLII 2390 (BC CA), [1994] BCJ No. 1989, 92 CCC (3d) 484 (CA) et R. v Malicia (2006), 2006 CanLII 31804 (ON CA), 82 OR (3d) 772, [2006] OJ No. 3676 (C.A.), d’après le juge MacPherson. C’est ce qui s’est produit en l’espèce.

[47]  Compte tenu de l’arrêt Chiang, il était manifestement loisible au juge Shaughnessy de modifier le mandat de 2013. Bien que le mandat de 2010 n’ait pas évoqué la question de la réduction de la peine, le mandat de 2013 peut être interprété tant comme une modification de la peine imposée au demandeur que comme une modification correspondant à l’intention initiale du juge Shaughnessy. En outre, comme le laisse penser l’approbation de la juge Molloy (précitée), la mention « Aucune réduction de peine » dans le mandat de 2013 pourrait simplement signifier que le juge Shaughnessy refusait de prononcer une ordonnance de réduction de peine. La décision du directeur exécutif – que la plainte du demandeur se rapportant à la modification du mandat de 2010 ne soulevait pas d’inconduite judiciaire – était raisonnable puisque la modification est intervenue au cours du déroulement du processus décisionnel judiciaire.

[48]  En outre, même si le juge Shaughnessy aurait pu modifier la peine du demandeur sans émettre d’avis, l’arrêt Chiang confirme que le recours approprié est, comme cela s’est produit dans le présent dossier, la révision en appel et non le dépôt d’une plainte au CCM. Dans l’arrêt Chiang, la Cour d’appel avait rétabli la peine initiale de sept jours prononcée par le juge Farley, au constat que les Chiang n’avaient pas reçu de notification équitable qu’ils faisaient face à une peine d’emprisonnement supérieure à sept jours pour le prolongement de leur outrage au tribunal (voir les paragraphes 93 à 103). Surtout, la Cour d’appel dans l’arrêt Chiang n’a jamais suggéré que la modification de la peine imposée par la juge Lax après le procès équivalait à une inconduite de sa part. De la même manière, même si le demandeur pourrait avoir fait face à une peine plus longue sans en être équitablement avisé, le recours adapté à la situation était la révision en appel et non le dépôt d’une plainte au CCM.

[49]  Pour ce qui est des arguments du demandeur que ses droits protégés par la loi et la Charte ont été bafoués par la décision du directeur exécutif de ne pas examiner sa plainte, je conclus qu’ils sont sans aucun fondement quel qu’il soit et correspondent en tous points à la décision Taylor c Canada (Procureur général), [2002] 3 CF 91, aux paragraphes 40 à 44, 2001 CFPI 1247, conf. par Taylor c Canada (Procureur général), 2003 CAF 55, au paragraphe 114, [2003] 3 CF 3. La décision qui fait l’objet du contrôle est une décision du directeur exécutif et non l’exercice par le juge Shaughnessy d’un pouvoir discrétionnaire ou d’une conduite dans le déroulement du processus décisionnel judiciaire. Les arguments du demandeur à ce sujet se fondent sur la présupposition que la conduite du juge Shaughnessy équivaut à une inconduite judiciaire. Les seuls droits touchés dans la plainte étaient ceux du juge Shaughnessy, et non ceux du demandeur.

VII.  Conclusion

[50]  Pour les motifs énoncés précédemment, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Compte tenu de cette conclusion, je conclus qu’il n’est pas nécessaire de traiter en détail des paragraphes contestés de l’affidavit du demandeur et de l’avis de demande, ne serait-ce que pour constater le peu d’importance accordée à ces paragraphes de l’affidavit du demandeur contestés par le juge Shaughnessy, et que les deux paragraphes contestés de l’avis de demande sollicitant un jugement déclaratoire ne doivent pas être radiés puisque la demande du demandeur est rejetée dans son ensemble.

[51]  Les défendeurs ont demandé les dépens de la présente demande. Étant donné que la demande a été rejetée, des dépens devraient être octroyés aux défendeurs. Dans les circonstances du présent dossier et vu les multiples facteurs constatés à l’article 400(3) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, dans sa version modifiée, et en considérant les observations écrites des parties sur les dépens qui ont été déposées après l’audience sur la présente demande, le demandeur devra verser à chacun des défendeurs une somme forfaitaire de 15 000 $ au titre des dépens (y compris tous les débours et taxes applicables), pour un total au titre des dépens de 30 000 $ (y compris tous les débours et taxes applicables). Ces dépens seront payables sans délai et, dans tous les cas, dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-604-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : La demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur est rejetée; et le demandeur doit payer une somme forfaitaire de 15 000 $ (y compris tous les débours et taxes applicables) au titre des dépens à chaque défendeur. Cette somme est payable sans délai et, quoi qu’il en soit, dans les 30 jours suivant la date du présent jugement.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de mai 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-604-16

 

INTITULÉ :

DONALD BEST c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET L’HONORABLE JUGE BRYAN SHAUGHNESSY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 20 ET 21 novembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 décembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Paul Slansky

 

Pour le demandeur

 

Victor J. Paolone

 

Pour le défendeur,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Peter C. Wardle

Sean Husband

POUR LE DÉFENDEUR,

L’HONORABLE JUGE

J. BRYAN SHAUGHNESSY

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Slansky Law Professional Corp.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Wardle Daley Bernstein Bieber LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR,

L’HONORABLE JUGE

J. BRYAN SHAUGHNESSY

 

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