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Date : 20171213


Dossier : IMM-864-17

Référence : 2017 CF 1139

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

RANBIR SINGH SIDHU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, M. Ranbir Singh Sidhu, est un citoyen de l’Inde. Lui et les membres de sa famille sont les propriétaires de terres agricoles en Inde, et M. Sidhu assure la gestion et l’exploitation des activités agricoles de la famille depuis 1989. En mai 2013, il a déposé une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des travailleurs autonomes avec l’intention d’acheter des terres agricoles en Alberta et d’y cultiver le blé.

[2]  M. Sidhu a été interrogé par une agente des visas (l’agente) à New Delhi, en Inde, le 22 décembre 2016. L'entrevue s’est déroulée en langue pendjabi, qui est parlée et comprise par M. Sidhu et l’agente. L’agente a rejeté la demande de M. Sidhu et ce dernier sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision. M. Sidhu allègue que la décision comporte de nombreuses erreurs et a soulevé des questions touchant l’équité procédurale. Voici comment j’ai caractérisé les observations du demandeur : 1)  le processus était inéquitable sur le plan de la procédure parce que l’agente a abordé l’entrevue avec un esprit fermé; 2) la décision de l’agente de rejeter la demande était déraisonnable.

[3]  Après avoir examiné les observations écrites des parties et entendu leurs arguments oraux, je ne peux pas conclure qu'il y a eu manquement à l'équité procédurale ou que l’agente a rendu une décision déraisonnable. Pour les motifs ci-après exposés plus en détail, la demande est rejetée.

II.  Décision contestée

[4]  La décision défavorable de l'agente est exposée dans une lettre datée du 31 janvier 2017. Dans la lettre, l’agente cite le paragraphe 88(1) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, qui définit la catégorie des travailleurs autonomes comme suit :

travailleur autonome Étranger qui a l’expérience utile et qui a l’intention et est en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada. (self-employed person)

Self-employed person means a foreign national who has relevant experience and has the intention and ability to be self-employed in Canada and to make a significant contribution to specified economic activities in Canada. (travailleur autonome)

[5]  La lettre de décision souligne que les « activités économiques déterminées » incluent l’achat et la gestion d’une ferme. Dans la lettre, l’agente conclut que M. Sidhu ne répond pas à la définition de « travailleur autonome » parce qu’elle n’est pas convaincue que le demandeur avait l'intention d'apporter une contribution importante à l'une des activités économiques énoncées. La conclusion de l’agente est fondée sur les motifs suivants :

  1. M. Sidhu a démontré un niveau de connaissance limité des pratiques agricoles et du secteur où il souhaite investir dans des terres agricoles;

  2. Les renseignements fournis au cours de l’entrevue ont mené l’agente à conclure que le plan d’affaires à l’appui de la demande n’avait été préparé qu’aux fins de la demande;

  3. L'agente n'a pas été convaincue que le demandeur avait l'intention et la capacité d'acheter et de gérer une ferme au Canada.

[6]  Les notes consignées au Système mondial de gestion des cas (SMGC) fournissent un résumé plus détaillé de l’entrevue. Ces notes indiquent que l’agente remettait en doute le fait que M. Sidhu participait à temps plein à des activités agricoles en Inde et soulignent que les mains du demandeur ne ressemblent pas à celles d’une personne qui travaille dans une ferme depuis 25 ans. L’agente a également soulevé des questions concernant la valeur des terres de M. Sidhu en Inde.

[7]  Les notes versées dans le SMGC indiquent que l’agente a ensuite posé des questions à M. Sidhu au sujet de son projet de mener des activités agricoles au Canada. Notamment, elle lui a demandé à quel endroit et pourquoi il mènerait ses activités agricoles, où il prévoyait vivre, quels types de dépenses il devra assumer, quel est sa connaissance de l’économie, des marchés, du climat et de la démographie qui prévalent dans le secteur où il entend exploiter sa ferme, et quel rendement financier il prévoit obtenir. L’agente a également exprimé des doutes quant à la capacité du demandeur de préparer un plan d’affaires en raison de son résultat au test d'anglais écrit. De plus, elle a remarqué des incohérences entre le contenu du plan d’affaires et les réponses du demandeur à des questions portant sur le rendement financier prévu et les dépenses.

[8]  M. Sidhu a eu l’occasion de répondre aux préoccupations de l’agente; cependant, l’agente n’a pas été convaincue par les explications fournies. À la fin de l’entrevue, l’agente a informé M. Sidhu que sa demande serait rejetée.

III.  Norme de contrôle

[9]  Les parties ne contestent pas le fait que la décision de l’agente est susceptible de révision selon la norme du caractère raisonnable (Thamotharampillai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 352, au paragraphe 18; Kandel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 659, au paragraphe 17). Une cour de révision doit déterminer si le processus décisionnel reflète les éléments de la justification, de la transparence et de l'intelligibilité, et si la décision appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[10]  Les questions d'équité procédurale sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte : Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79.

IV.  Nouvelle preuve

[11]  M. Sidhu et l’agente ont tous les deux produit un affidavit signé et ont été contre-interrogés sur le contenu de ces documents. Au cours de la présentation des observations orales, l’avocat de M. Sidhu a fait valoir que la Cour avait été saisie à juste titre de la preuve par affidavit et des transcriptions des contre-interrogatoires afin de démontrer que l’agente a manqué à l’obligation d’équité procédurale en abordant la demande de M. Sidhu avec un esprit fermé.

[12]  M. Sidhu a également fait valoir qu’au moment d’examiner la demande, la Cour devrait s’appuyer sur sa preuve par affidavit plutôt que sur les notes du SMGC. Il fonde son argument sur la décision Parihar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration Canada (1991), 50 FTR 236, 16 Imm LR (2d) 144 (1re inst.) pour soutenir qu’en tant que personne interviewée, il se rappelle plus clairement des détails de l'entrevue et que le contenu de son affidavit s’appuyait sur des notes précises qu’il a préparées immédiatement après l’entrevue.

[13]  J’ai préféré m’appuyer sur les notes du SMGC. L’affidavit M. Sidhu n’a été signé que plusieurs mois après l’entrevue et il n’a pas joint les notes écrites qu’il affirme avoir rédigées immédiatement après l’entrevue. Par ailleurs, les notes du SMGC ont été consignées au moment de l’entrevue par une agente qui n’a aucun intérêt personnel dans l’issue de la demande. Il s’agit à mon avis d’un motif suffisant pour m’appuyer sur les notes du SMGC plutôt que sur l’affidavit de M. Sidhu lorsqu’il y a une divergence entre ces deux descriptions de l’entrevue (Bashir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CF 1re inst. 868, au paragraphe 4; Oei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CF 1re inst.  466, au paragraphe 42).

[14]  Pour ce qui est de la question plus large de nouvelle preuve, le contrôle judiciaire d’une décision est, comme règle générale, fondé sur les éléments qui étaient à la disposition du décideur. La nouvelle preuve n’est pas prise en considération. Cependant, une exception à cette règle générale est reconnue lorsque la preuve est liée à une violation du principe de justice naturelle, à un manquement à l'équité procédurale ou à une fraude dont le décideur n'aurait pas pu être saisi (Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, au paragraphe 25).  C’est sur cette exception que M. Sidhu appuie sa contestation. 

[15]  À l’examen des observations écrites des parties, il est évident que les parties utilisent en l’espèce la nouvelle preuve non seulement pour aborder la question d’équité procédurale, mais également pour donner encore plus de poids à leur position concernant le caractère raisonnable de la décision. Comme il a été mentionné précédemment, une cour procède à l’examen du caractère raisonnable d’une décision en se fondant sur les éléments qui étaient à la disposition du décideur. Ainsi, pour la présente demande, j’ai tenu compte de la nouvelle preuve uniquement aux fins d’examiner l’argument de M. Sidhu selon lequel l’agente a abordé le traitement de sa demande avec un esprit fermé et que, par conséquent, la procédure était inéquitable sur le plan de la procédure.

V.  Analyse

A.  L’agente a-t-elle abordé l’entrevue en adoptant un esprit fermé, rendant ainsi la procédure inéquitable?

[16]  M. Sidhu fait valoir que l’agente a mené l’entrevue en ayant des idées préconçues concernant les pratiques agricoles en Inde et la valeur des terres dans ce pays. Il soutient également que ses mains sont « propres et soignées », ce qui a alimenté la fausse impression de l’agente voulant qu’il ne soit pas un agriculteur actif et à plein temps. Il fait valoir que ces perceptions erronées ont fait en sorte que l’agente a abordé l’entrevue avec un esprit fermé, comme le démontre les questions qu’elle a posées au début de l’entrevue et son incapacité d’aborder et de se référer à une demande précédente de résidence permanente dans laquelle on a désigné M. Sidhu comme étant un agriculteur/fermier. M. Sidhu  soutient que le processus était en fait inéquitable sur le plan procédural. Je ne suis pas d’accord.

[17]  Aucune des questions que M. Sidhu définit comme étant des éléments prouvant que l’agente a adopté un esprit fermé et a manqué à l’équité procédurale n'apparaît dans les motifs invoqués par l’agente pour rejeter la demande. L’agente avait le droit de questionner M. Sidhu pour déterminer s’il travaillant comme agriculteur à temps plein ou à temps partiel et pour connaître la valeur de sa propriété en Inde, et d’observer ses mains en raison du type de travail indiqué dans la demande. Cela n'était ni inapproprié ni inéquitable. Pour chacun de ces éléments, l’agente a soulevé la question, a reçu une réponse, puis est passée au point suivant de l’entrevue.

[18]  De même, le fait de ne pas prendre en considération une demande antérieure pour donner plus de poids à l’argument de M. Sidhu voulant qu’il soit un agriculteur à temps plein depuis plus de 25 ans ne soulève pas une question d’équité procédurale. Encore une fois, les questions liées à l’emploi de M. Sidhu n’étaient pas inappropriées. L’agente n’a pas tiré une conclusion défavorable concernant les antécédents de travail du demandeur. Il n’y avait pas lieu de se référer à la demande précédente ou d’en tenir compte.

[19]  L’agente n’a pas abordé l’entrevue en adoptant un esprit fermé et la procédure n’était pas inéquitable.

B.  La décision de l’agente de rejeter la demande était-elle déraisonnable?

[20]  M. Sidhu souligne un certain nombre de préoccupations au sujet de la décision de l’agente en faisant valoir qu’il a répondu de façon adéquate aux questions de celle-ci. Il soutient que ses réponses ont démontré qu’il connaissait les pratiques agricoles au Canada, le secteur où il souhaite établir sa ferme, les activités associées à l’exploitation d’une ferme ainsi que son plan d’affaires. Il affirme que les conclusions contraires de l’agente sont déraisonnables.

[21]  Les observations de M. Sidhu constituent uniquement une contestation de la décision de l’agente. Elles ne démontrent pas que la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit.

[22]  Les notes du SMGC indiquent que M. Sidhu a répondu à toutes les questions de l’agente et que ses réponses étaient, dans la majorité des cas, pertinentes aux questions posées. Cependant, les notes du SMGC indiquent également que des réponses étaient superficielles, peu détaillées et, dans certains cas, ne répondaient pas à tous les éléments de la question posée. Dans certains cas, ses réponses étaient incohérentes par rapport au contenu du plan d’affaires qu’il a soumis avec sa demande. Il n’a pas abordé ces incohérences au cours de l’entrevue, mais a plutôt affirmé que celles-ci sont attribuables à une mauvaise compréhension de la part de l’agente.

[23]  M. Sidhu conteste également l’affirmation de l’agente selon laquelle elle estimait que le demandeur ne possédait pas les compétences linguistiques nécessaires pour rédiger lui-même le plan d’affaires qu’il a soumis. M. Sidhu a été informé de cette préoccupation à a eu la possibilité d’y répondre. Il n’était pas inapproprié pour l’agente de souligner sa préoccupation, et cela n’a pas miné le caractère raisonnable de la décision.

[24]  À la fin de l’entrevue, l’agente a informé M. Sidhu de ses préoccupations (sa connaissance limitée de son projet d’entreprise, des pratiques agricoles au Canada et de l’endroit où il prévoit s’établir, ainsi que les incohérences entre son plan d’affaires et ses réponses), puis lui a donné l’occasion de répondre à celles-ci. Alors qu’il répondait, M. Sidhu a indiqué [traduction] « qu’il va acquérir des connaissances en travaillant au Canada », mais il n’a pas abordé les préoccupations précises qui ont été soulevées.

[25]  Je suis convaincu que, dans les circonstances, l’agente pouvait raisonnablement conclure que M. Sidhu n’avait pas répondu à ses préoccupations, puis rejeter la demande de résidence permanente.

[26]  Les parties n’ont pas soulevé de question de portée générale aux fins de certification, et je suis convaincu qu’aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-864-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-864-17

 

INTITULÉ :

RANBIR SINGH SIDHU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 novembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 13 décembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Raj Sharma

 

Pour le demandeur

 

Galina Bining

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

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