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Date : 20171207


Dossier : IMM-1735-17

Référence : 2017 CF 1117

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

OBAID ENAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Il s’agit d’une demande présentée par le demandeur en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), pour le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 28 mars 2017, rejetant l’appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger (la décision).

[2]  Les questions centrales sont l’identité et le changement de l’identité sexuelle que le demandeur a indiqués entre l’audience de la Section de la protection des réfugiés et l’appel auprès de la Section d’appel des réfugiés.

II.  Faits

[3]  Le demandeur prétend être un citoyen de l’Afghanistan âgé de 27 ans de l’ethnicité Hazara.

[4]  Conformément à ses documents d’identité, le demandeur s’identifiait comme étant de sexe féminin dans sa demande auprès de la Section de la protection des réfugiés. Des pronoms féminins avaient été utilisés par son avocat et la Section de la protection des réfugiés. Aucune question n’a été soulevée concernant son identité sexuelle, qui a simplement été considérée comme étant féminine.

[5]  Il est important de relever, toutefois, que, dans son appel auprès de la Section d’appel des réfugiés, il a présenté de tout nouveaux éléments de preuve et allégations selon lesquels, bien qu’il fût désigné comme étant de sexe féminin à sa naissance (et il a intenté ses actions auprès de la Section de la protection des réfugiés en tant que personne de sexe féminin), il s’identifie actuellement comme une personne de sexe masculin.

[6]  Je souligne que la Section de la protection des réfugiés n’était pas saisie de la transsexualité du demandeur.

[7]  Le demandeur a allégué devant la Section d’appel des réfugiés que, lorsqu’il est né, ses parents ne voulaient pas d’une deuxième fille. Pour cette raison, ils ont élevé le demandeur comme un garçon et lui ont donné un nom masculin. Les éléments de preuve à cet égard consistaient en un affidavit du demandeur à ce sujet, et un rapport d’expert de Patricia Durish (le rapport Durish). Mme Durish est une travailleuse sociale clinique agréée qui a interrogé le demandeur.

[8]  En ce qui concerne le risque, le demandeur allègue qu’alors qu’il étudiait au Behzad Institute en Afghanistan de juillet 2015 à janvier 2016, il était devenu la cible d’un camarade de classe puissant et jouissant de bonnes relations. Selon le demandeur, ce camarade de classe a tenté de le violer et de le tuer. Le demandeur décrit un incident en janvier 2016 où il avait refusé une invitation à accompagner le camarade de classe afin de l’aider à installer un programme informatique. Lorsque le camarade de classe a tenté de faire entrer le demandeur dans une voiture avec des fenêtres teintées et avec deux autres personnes à l’intérieur, le demandeur s’est enfui. Lorsque le camarade de classe l’a appelé sur son téléphone cellulaire, le demandeur affirme qu’il a désactivé sa carte SIM et a cessé de fréquenter l’école. Il prétend également qu’une voiture avec des fenêtres teintées et sans plaque d’immatriculation était souvent aperçue dans son quartier. Le demandeur prétend qu’il ne pouvait plus quitter son domicile.

[9]  Le demandeur soutient qu’un membre de sa famille l’a aidé à se procurer un visa de visiteur pour la Turquie. Le demandeur prétend avoir utilisé son passeport de l’Afghanistan pour entrer en Turquie, où il a demeuré pendant trois semaines. Selon le demandeur, il a ensuite été présenté à des passeurs de clandestins qui ont pris son passeport et l’ont amené au Canada avec un faux passeport turc. Le demandeur prétend n’avoir jamais tenu en main le passeport frauduleux étant donné que le passeur de clandestins l’avait gardé et a guidé le demandeur pour passer les douanes. Il ne pouvait pas se rappeler précisément quel nom il avait utilisé lors de son arrivée à l’aéroport au Canada. Il a proposé plusieurs variantes à la Section de la protection des réfugiés. Le demandeur croit que le nom dans le passeport était « Ozel Ibrahim », « Osal Ibrahim », « Ozal Ibrahim » ou « Uzel Ibrahim ».

[10]  À son arrivée au Canada, le demandeur affirme que le passeur de clandestins a gardé le passeport afghan d’origine du demandeur, a mis le demandeur dans un taxi et lui a donné l’adresse d’un refuge. Le demandeur a présenté une demande d’asile au point d’entrée suivant ce qu’il considérait alors comme étant son sexe (féminin), et son origine ethnique (Hazara).

[11]  Le demandeur a eu une audience devant la Section de la protection des réfugiés pendant deux jours en juin et juillet 2016. La Section de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible et qu’il n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve fiables et dignes de confiance pour établir son identité (qui était féminine à ce moment-là) selon la prépondérance des probabilités. L’omission par le demandeur de déterminer son identité a porté un coup fatal à sa demande d’asile.

[12]  Comme il a été indiqué ci-dessus, le demandeur s’est identifié comme étant de sexe féminin auprès de la Section de la protection des réfugiés. Par conséquent, la Section de la protection des réfugiés a examiné la demande du demandeur comme s’il était une femme afghane. La Section de la protection des réfugiés a appliqué les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe, a examiné les circonstances uniques auxquelles sont exposées les femmes afghanes en ce qui concerne l’accès aux documents d’identification personnelle et d’autres documents officiels, et les obstacles et abus auxquels les femmes afghanes sont exposées dans leur vie quotidienne.

[13]  La Section de la protection des réfugiés avait plusieurs difficultés concernant la demande du demandeur, y compris les suivantes :

  • le [traduction] « demandeur qui a comparu devant le tribunal était âgé de bien plus que 26 ans »;

  • l’apparence du demandeur ne correspondait pas aux photos sur certains documents qu’il a présentés;

  • l’apparence du demandeur était identique sur plusieurs documents datant de 2003 à 2015;

  • le relevé de notes de l’école secondaire du demandeur était visiblement modifié sans aucune explication satisfaisante du demandeur;

  • le demandeur a allégué ne pas être en possession de son passeport afghan parce que le passeur de clandestins l’avait gardé, et malgré sa déclaration selon laquelle sa sœur avait payé le passeur de clandestins par un transfert de fonds d’un compte bancaire, le demandeur n’a pas été capable de fournir une preuve de transfert bancaire, même lorsque la Section de la protection des réfugiés le lui a demandé;

  • le certificat de santé du ministère responsable de la Santé publique du demandeur contenait des passages qui avaient été masqués au correcteur blanc;

  • le demandeur a modifié les dates de naissance de ses parents sur une déclaration de sa sœur;

  • une recherche dans les bases de données d’Immigration and Customs Enforcement n’a révélé aucune trace d’une personne entrant au Canada le 23 mars 2016 ou aux alentours de cette date du nom d’Ozel Ibrahim ou d’Obaid Enam;

  • le demandeur prétendait n’avoir aucun élément de preuve documentaire pour déterminer son entrée au Canada, y compris des billets, des cartes d’embarquement, des étiquettes pour bagages, entre autres, parce que le passeur de clandestins a tout gardé; et

  • bien que le demandeur ait prétendu avoir fréquenté une école pour filles, selon les éléments de preuve documentaire dont le tribunal est saisi, les filles ne fréquentaient pas l’école durant le régime des talibans en Afghanistan pendant les années où le demandeur prétend avoir fréquenté l’école.

[14]  La Section de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’explications pour chacune de ces questions. Ayant conclu que l’identité personnelle et nationale du demandeur n’avait pas été établie selon la prépondérance des probabilités, la Section de la protection des réfugiés n’a pas examiné l’aspect de la demande d’asile du demandeur.

[15]  À son audience de la Section de la protection des réfugiés, le demandeur était représenté par un avocat.

[16]  Il a retenu plusieurs avocats pour le représenter auprès de la Section d’appel des réfugiés, qui l’ont également représenté devant la Cour.

[17]  Lors de son appel à la Section d’appel des réfugiés, le demandeur a présenté de nouveaux éléments de preuve concernant son identité sexuelle, le rapport Durish, un reçu de transfert bancaire, un relevé de notes scolaires et un certificat d’études et des documents de son pays concernant la scolarité durant le régime des talibans.

[18]  Il a déposé un affidavit où sa nouvelle identité sexuelle par rapport à celle dont la Section de la protection des réfugiés était saisie était abordée. Dans cet affidavit, entre autres, il critiquait son ancien avocat. Il est important de relever que le demandeur n’a pas déposé de plainte contre son ancien avocat. Dans son argument oral, son nouvel avocat a reconnu qu’il n’y avait pas de « blâme » contre l’ancien avocat pour ne pas avoir représenté le demandeur en tant que transgenre de sexe masculin plutôt que féminin. C’était sage de sa part de le reconnaître; l’ancien avocat était sans reproche.

[19]  Comme il a été indiqué ci-dessus, la Section d’appel des réfugiés a rejeté l’appel du demandeur.

III.  Questions en litige

[20]  À mon avis, la question déterminante dans le présent appel est le caractère raisonnable de la décision de la Section d’appel des réfugiés.

IV.  Norme de contrôle

[21]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 57 et 62 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a établi qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica], au paragraphe 70, la Cour d’appel fédérale a affirmé que la Section d’appel des réfugiés doit examiner les conclusions de la Section de la protection des réfugiés selon la norme de la décision correcte, mais peut également s’en remettre à la Section de la protection des réfugiés en ce qui concerne les conclusions liées à la crédibilité, en raison de « l’avantage certain que peut avoir la Section de la protection des réfugiés ». La décision Huruglica conclut également que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle à utiliser par la Cour lors du contrôle des décisions de la Section d’appel des réfugiés, voir les paragraphes 31 à 35 et Fu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1074, au paragraphe 10 selon le juge Diner.

L’évaluation de la preuve par la SAR et ses conclusions de fait et de droit doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47, 51, 54 et 57) […].

[22]  Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[23]  La Cour suprême du Canada prescrit aussi que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision doit être considérée comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34. De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte au vu du dossier, est raisonnable : Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir aussi l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.

V.  Commentaires et analyse

[24]  La Section d’appel des réfugiés a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés, concluant que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[25]  Pour prendre cette décision, la Section d’appel des réfugiés a examiné un certain nombre de nouveaux éléments de preuve :

  1. l’examen du demandeur par Patricia Durish, Ph.D. [document 1];

  2. une nouvelle lettre de la sœur du demandeur qui corrobore les nouvelles allégations du demandeur concernant son identité sexuelle et les risques auxquels il est exposé [document 2];

  3. un article en ligne sur l’identité sexuelle, intitulé Misgendering is Violence [document 3];

  4. des articles en ligne concernant la pratique de filles afghanes qui se faisaient passer pour des garçons [document 4];

  5. un reçu de transfert bancaire pour le paiement fait au passeur de clandestins [document 5];

  6. les originaux du relevé de notes scolaires et du certificat scolaire délivrés le 25 juin 2016 [document 6]; et

  7. des documents du pays concernant la scolarité durant le régime des talibans [document 7]

[Collectivement intitulés les nouveaux éléments de preuve]

A.  Conclusions de la Section d’appel des réfugiés concernant la recevabilité des nouveaux éléments de preuve

[26]  La Section d’appel des réfugiés a résumé les observations du demandeur concernant son identité sexuelle comme suit :

[traduction] L’appelant a présenté une nouvelle allégation dont la Section de la protection des réfugiés n’était pas saisie. Il soutient que, bien qu’il fût désigné comme étant du sexe féminin à sa naissance, il avait été élevé comme un garçon par ses parents. Depuis ce temps-là, il s’identifiait comme une personne de sexe masculin. Il soutient qu’en Afghanistan, toute forme d’identité transgenre le mettait en danger immédiat et, à ce titre, il a mis au point des mécanismes d’adaptation autour de son identité sexuelle, qui incluent l’évitement extrême lorsque ces questions se posent. L’appelant soutient que, même s’il a été victime d’abus et d’intimidations extrêmes et prolongés en plus d’être victime d’ostracisation et d’isolement sévères en tant que femme qui se présente comme une personne du sexe masculin, en raison de son profil psychologique, on ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce qu’il présente la preuve relative à son identité sexuelle à la Section de la protection des réfugiés parce qu’il n’aurait pas pu penser ni fournir spontanément ce type de renseignement sur lui-même, et n’aurait pas d’objection qu’une identité féminine lui soit imposée. Pour soutenir ses nouvelles allégations à cet égard, l’appelant a présenté une évaluation par Patricia Durish, Ph. D., une lettre de sa sœur Aahar Enam, aussi bien que des articles en ligne concernant l’identité sexuelle et la pratique des filles afghanes qui se faisaient passer pour des garçons.

B.  Nouveaux éléments de preuve concernant l’identité sexuelle

[27]  La Section d’appel des réfugiés a conclu que les documents 1 à 4 satisfaisaient aux exigences pour être admis comme nouveaux éléments de preuve.

[28]  Toutefois, tandis que la Section d’appel des réfugiés a accepté le rapport Durish (document 1), elle a conclu qu’il ne faut lui accorder que peu de poids. J’examinerai l’évaluation du rapport Durish par la Section d’appel des réfugiés en fonction de la norme de la décision raisonnable, et prendrai en considération chaque facteur indiqué par la Section d’appel des réfugiés :

  • i) Premièrement, la Section d’appel des réfugiés a conclu que le rapport Durish n’était pas une [traduction] « évaluation psychiatrique » étant donné que Mme Durish n’est ni médecin, ni psychiatre, ni psychologue. Commentaire de la Cour : Je suis d’accord pour dire qu’elle n’est ni médecin, ni psychiatre, ni psychologue. Cela dit, le rapport Durish n’en est pas moins le rapport d’une personne qualifiée en tant que travailleuse sociale clinique agréée. Il faut l’examiner sous cet angle. Je ne suis pas convaincu que cela a été fait. Je précise que le travail social clinique est une profession réglementée en application de la Loi de 1998 sur le travail social et les techniques de travail social de l’Ontario, LO 1998, chap. 31, et de son Règlement et de ses règlements administratifs. Aux termes de cette loi et du paragraphe 27(4) de la Loi de 1991 sur les professions de la santé réglementées de l’Ontario, LO 1991, c 18, les travailleurs sociaux cliniques sont autorisés à accomplir l’un des actes autorisés de « traiter […] un désordre grave dont souffre un particulier sur le plan de la pensée, de la cognition, de l’humeur, de la régulation affective, de la perception ou de la mémoire et qui est susceptible de porter gravement atteinte à son jugement, à son intuition, à son comportement, à sa capacité de communiquer ou à son fonctionnement social »;

  • ii) La Section d’appel des réfugiés a critiqué le rapport Durish parce qu’il communiquait un diagnostic, ce qui n’est pas admis en application de l’article 27 de la Loi de 1991 sur les professions de la santé réglementées, LO 1991, c 18. Commentaire de la Cour : Je suis d’accord à la fois pour dire que le rapport Durish semble communiquer un diagnostic, et pour dire que Mme Durish n’a pas le droit de faire des diagnostics en application de la législation de l’Ontario. Toutefois, l’affaire ne s’arrête pas là, étant donné qu’à titre de travailleuse sociale clinique agréée, la Mme Durish possédait néanmoins une expertise qui aurait dû raisonnablement être prise en considération par la Section d’appel des réfugiés. Comme je viens de l’indiquer, je ne suis pas convaincu que cela a été fait;

  • iii) Troisièmement, la Section d’appel des réfugiés a relevé des manques de cohérence entre le rapport Durish et les éléments de preuve. En particulier, Mme Durish a relevé que [traduction] « une part importante des traumatismes subis [par le demandeur] en Afghanistan se manifeste sous forme d’une déférence et une soumission extrêmes à l’autorité ». La Section d’appel des réfugiés a indiqué des exemples où le demandeur défie l’autorité et prend des mesures dans son propre intérêt supérieur, tel que lorsqu’il a fui son camarade de classe. Commentaire de la Cour : À mon avis, tandis que ces observations étaient pertinentes, elles ne l’étaient que de façon marginale, compte tenu de l’évaluation globale du rapport Durish par la Section d’appel des réfugiés.

  • iv) Enfin, la Section d’appel des réfugiés a critiqué le rapport Durish parce qu’il « préconisait » que le demandeur demeure au Canada. Le rapport Durish a conclu que [traduction] « la crainte [du demandeur] est si importante et la certitude qu’il sera capturé, torturé et finalement mort est si forte que mon opinion professionnelle est qu’il existe un danger réel que [le demandeur] commette un suicide s’il est forcé de retourner en Afghanistan ». Commentaire de la Cour : Tandis que cet aspect du rapport Durish ne devrait se voir accorder que peu de poids étant donné qu’il exige une certaine expertise sur les conditions du pays en Afghanistan, que Mme Durish n’avait pas, je ne suis pas convaincu qu’il a dépassé les limites et versé dans la préconisation; la conclusion de la Section d’appel des réfugiés de « préconisation » était déraisonnable.

[29]  La Section d’appel des réfugiés n’a accordé que peu de poids au rapport Durish; à mon avis, cette conclusion prise à part était déraisonnable, comme il a déjà été mentionné. Comme nous le verrons ci-après, cette affaire sera réexaminée. Le rapport Durish ne devrait pas être simplement accepté sans plus; son examen doit prendre en compte les qualifications de la professionnelle et ce qu’énonce le rapport à cet égard, ainsi que d’autres facteurs, y compris, mais sans s’y limiter, la minutie de l’analyse, les renseignements que le demandeur a donnés à la professionnelle avant l’entrevue, d’autres renseignements sur lesquels la professionnelle s’est appuyée, les instructions et les questions posées par l’avocat à la professionnelle, le temps que la professionnelle a passé avec le demandeur, la question de savoir si le rapport dépasse ses limites et verse dans la préconisation inadmissible, et, bien entendu, si les affaires sous-jacentes ou prises en considération dans le rapport sont conformes aux conclusions de fait tirées par le nouveau décideur.

[30]  Si je suivais le cours normal, j’évaluerais d’autres conclusions faites par la Section d’appel des réfugiés, et j’examinerais les autres facteurs soulevés par les parties. Toutefois, ce ne sera pas nécessaire étant donné l’importance de ma conclusion en ce qui concerne le rapport Durish, et la conclusion supplémentaire discutée ci-dessous.

[31]  La CISR a publié les Directives numéro 9 du président : Procédures devant la CISR portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre (les Directives portant sur les OSIGEG) le 1er mai 2017 (c’est-à-dire après que la Section d’appel des réfugiés a rendu sa décision). Ces directives se penchent sur « les difficultés particulières auxquelles les personnes ayant diverses OSIGEG peuvent être exposées lorsqu’elles présentent leur cas devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) et elles établissent des principes directeurs à l’intention des décideurs dans le règlement des affaires où l’OSIGEG entre en jeu ».

[32]  Les Directives portant sur les OSIGEG établissent des motifs pour la Section de la protection des réfugiés, y compris les suivants :

  • Pour une personne, la prise de conscience et l’acceptation de son OSIGEG peuvent se produire de manière graduelle ou non linéaire;

  • Beaucoup de personnes ayant diverses OSIGEG cachent leur OSIGEG dans leur pays de référence par méfiance à l’égard d’acteurs étatiques et non étatiques, par crainte de représailles de la part de ces acteurs, ou en raison d’expériences antérieures de stigmatisation et de violence. Ces circonstances peuvent se manifester lorsqu’une personne peut se montrer réticente ou avoir de la difficulté à parler de son OSIGEG avec un décideur, surtout dans les cas où l’intolérance à l’égard des personnes ayant diverses OSIGEG et les peines qui leur sont infligées sont sanctionnées par les autorités étatiques du pays de référence;

  • Les personnes ayant diverses OSIGEG peuvent être exposées à un risque accru de problèmes de santé mentale, souvent en raison d’antécédents d’isolement social, de mauvais traitements et d’absence de soutien social dans leurs pays de référence. Elles peuvent vivre une homophobie intériorisée; la stigmatisation ou l’oppression sexuelle; ou encore souffrir d’un trouble de stress post traumatique lié à une violence physique ou sexuelle subie antérieurement, de dépression, d’anxiété, de tendances suicidaires, de dissociation, de réduction de la capacité de faire confiance aux autres et d’autres traumatismes découlant de leur OSIGEG. Ces problèmes peuvent se manifester de diverses manières et avoir une incidence sur la capacité d’une personne de témoigner devant la CISR; et

  • Certaines personnes ayant diverses OSIGEG peuvent être particulièrement vulnérables en raison de problèmes de santé mentale ou de traumatismes découlant de leur OSIGEG.

[33]  Les Directives portant sur les OSIGEG soulignent également l’importance d’utiliser un langage et des termes appropriés dans le cadre des demandes d’asile fondées sur l’OSIGEG. La Section d’appel des réfugiés a accepté le changement de l’identité sexuelle du demandeur, ce qui me porte à conclure que le demandeur avait le droit à une évaluation qui, entre autres, était considérée comme étant conforme aux Directives portant sur les OSIGEG. À mon humble avis, les Directives portant sur les OSIGEG, bien qu’elles ne fussent pas publiées au moment de la décision de la Section d’appel des réfugiés, exigent que la Section de la protection des réfugiés soit au courant des problèmes particuliers auxquels s’exposent les membres de la communauté LGBTQ, y compris les demandeurs transgenres comme le demandeur. Étant donné que le demandeur est encore dans le système d’immigration, à mon avis, il a le droit de bénéficier des Directives portant sur les OSIGEG. Il n’en a pas profité; cette question est une fois de plus essentielle pour l’issue de cette affaire.

[34]  Avec du recul, si l’on examine la décision de la Section d’appel des réfugiés dans son ensemble, et si l’on ne considère pas le contrôle judiciaire comme une chasse au trésor à la recherche d’une erreur, je ne suis pas convaincu que la Décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, tel qu’il est établi dans Dunsmuir. Comme il a déjà été indiqué, je suis parvenu à cette conclusion à l’égard de l’évaluation déraisonnable du rapport Durish et parce que le demandeur n’a pas bénéficié des Directives portant sur les OSIGEG à une audience, alors qu’il aurait dû en bénéficier. Pour reprendre, ces questions sont essentielles pour l’issue de cette affaire.

[35]  Par conséquent, la Décision est annulée et sera renvoyée pour nouvel examen par la Section d’appel des réfugiés en application de ces motifs.

[36]  Aucune des parties n’a suggéré de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la décision de Section d’appel des réfugiés soit annulée. L’affaire est renvoyée à la Section d’appel des réfugiés pour nouvel examen conformément aux présents motifs. Aucune question de portée générale n’est certifiée, et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1735-17

 

INTITULÉ :

OBAID ENAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 novembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 décembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Swathi Sekhar

Pour le demandeur

 

Sally Thomas

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Vecina & Sekhar Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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