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Date : 20171208


Dossier : T-283-17

Référence : 2017 CF 1130

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

S. L.

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, d’une décision (la décision) de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) rendue le 31 janvier 2017 en application du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 (la LCDP), dans laquelle la Commission a décidé qu’une enquête par le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) sur la plainte du demandeur contre Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) n’était pas justifiée.

[2]  Le demandeur, qui n’était pas représenté, sollicite une ordonnance annulant la décision pour les motifs suivants : 1) il a été privé de l’équité procédurale, 2) la Commission a omis de traiter ses plaintes concernant des infractions à la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-2 (LPRP), lorsqu’elle a accepté de tenir compte de la question de la compétence déclinée par le Commissariat à la protection de la vie privée, et 3) la Commission a déraisonnablement conclu que les facteurs appliqués par CIC pour démontrer une relation conjugale de bonne foi ne constituaient pas une discrimination à son égard en raison de sa déficience, alors qu’on l’a empêché de satisfaire à un grand nombre de ces facteurs, car il risquait de perdre ses prestations d’invalidité de l’Ontario s’il s’absentait du pays pendant plus de sept jours dans une année.

[3]  La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.  Résumé des faits

[4]  Le demandeur a déposé une plainte auprès de la Commission contre CIC en ce qui a trait au refus par CIC du parrainage de son conjoint, M. R. L., un ressortissant des Philippines. La plainte a été reçue initialement par la Commission le 18 juillet 2012. Le fondement allégué était l’orientation sexuelle et l’incapacité.

[5]  En mars 2008, le demandeur a rencontré M. R. L. dans un clavardoir en ligne. Entre les mois de janvier 2009 et janvier 2010, le demandeur s’est rendu aux Philippines à trois reprises et a passé 25 jours en tout avec M. R. L.

[6]  Pendant cette période, le demandeur était résident de la province de la Colombie-Britannique, jusqu’à son déménagement en Ontario au milieu de 2010. Il recevait des prestations d’invalidité dans les deux provinces à titre de personne atteinte du virus de l’hépatite C (VHC). Une des conditions pour pouvoir toucher les prestations d’invalidité était que le demandeur n’était pas autorisé à quitter la province qui versait les prestations pendant plus de 7 ou 30 jours, sans risquer de perdre son droit aux prestations.

[7]  En mars 2009, CIC a refusé la demande de visa de résident temporaire de M. R. L.

[8]  En avril 2010, le demandeur a cherché à parrainer M. R. L. pour qu’il puisse immigrer au Canada comme résident permanent, à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. Un agent peut approuver une demande de parrainage seulement si le parrain satisfait, de manière ininterrompue, aux exigences, à compter du jour de la présentation de la demande jusqu’à ce que l’agent statue sur la demande.

[9]  Le 10 juin 2010, la demande de parrainage du demandeur a été approuvée et la demande de visa de résident permanent de M. R. L. a été jugée conforme aux exigences relatives à l’intégralité. La demande a été acheminée à l’ambassade du Canada à Manille aux fins de traitement.

[10]  Le 20 juillet 2010, une agente des visas (l’agente) a envoyé une lettre à M. R. L., l’informant qu’il devait se présenter à une entrevue et apporter des documents établissant sa relation avec le demandeur. Le 21 octobre 2010, M. R. L. s’est présenté à l’entrevue avec l’agente aux Philippines.

[11]  Au cours de l’entrevue, des questions ont été posées à M. R. L. sur le demandeur, à savoir pourquoi il n’avait pas d’emploi, ce à quoi il a répondu qu’il ne pouvait pas travailler en raison d’un problème de santé lié à des problèmes de foie qu’il avait depuis son enfance. Les autres éléments de preuve de M. R. L. étaient qu’ils n’avaient pas été physiquement intimes et n’avaient pas de relation physique/sexuelle.

[12]  L’agente a donné les conclusions de fait suivantes :

  • M. R. L. et le demandeur (le parrain) ne s’étaient rencontrés que trois fois sur une période de 12 mois (en janvier et en février 2009, à Manille, à chaque occasion pendant 7 jours, et en janvier 2010 à Bangkok pendant 11 jours), et le temps passé ensemble était bref;

  • il n’y a pas eu de cohabitation entre les deux parties;

  • M. R. L. a admis qu’il n’y avait pas d’intimité physique entre les deux parties;

  • M. R. L. et le demandeur (le parrain) n’ont jamais vécu ensemble [traduction] « comme des personnes mariées » et n’avaient pas combiné leurs revenus, ni économiquement ni socialement;

  • il n’y avait pas d’interdépendance mutuelle;

  • M. R. L. n’a pas démontré qu’il connaissait les antécédents du demandeur (du parrain);

  • Il semblait également que la préoccupation de M. R. L. était d’entrer au Canada et non de vivre en permanence avec le demandeur (parrain).

[13]  L’agente a souligné que l’information fournie pendant l’entrevue ne faisait que confirmer l’information au dossier. Après avoir examiné tous les renseignements fournis, l’agente n’était pas convaincue que M. R. L. répondait à la définition d’un « partenaire conjugal ». À ce titre, l’agente n’a pas considéré M. R. L. comme membre de la catégorie du regroupement familial et a rejeté la demande.

[14]  En décembre 2011, la relation entre le demandeur et M. R. L. a pris fin.

[15]  La Commission a reçu la plainte du demandeur initialement le 18 juillet 2012.

[16]  Après avoir été avisé de la plainte, CIC a initialement présenté des objections à la Commission sur le traitement de la plainte parce que la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié était saisie de la décision de l’agente. La Commission a préparé un rapport sur les articles 40 et 41, et a informé les parties qu’elle ne traiterait pas la plainte pour les motifs suivants : 1) l’appel relatif au parrainage refusé était traité dans le cadre de l’appel interjeté à la Section d’appel de l’immigration et 2) la question concernant l’atteinte aux droits à la vie privée du demandeur était examinée par le Commissaire à la protection de la vie privée de l’Ontario (CPVPO). Cependant, pendant la période de divulgation, le plaignant a fait savoir qu’il avait retiré son appel devant la Section d’appel de l’immigration parce que sa relation avec M. R. L. avait pris fin. De même, le CPVPO a refusé d’examiner la plainte du demandeur. Par conséquent, le rapport sur les articles 40 et 41 n’a pas été déposé devant la Commission et la plainte a été transférée à la Division des enquêtes.

[17]  Un Rapport d’enquête (le premier rapport) a été rédigé et communiqué aux parties le 4 mars 2014. Dans sa lettre de décision, envoyée aux parties le 9 juin 2014, la Commission a accepté les recommandations du premier rapport et a décidé, en application de l’alinéa 44(3)b)(i) de la LCDP, de rejeter la plainte. Une des recommandations de l’enquêteuse était qu’il n’y avait aucune atteinte aux droits à la vie privée du demandeur en ce sens que les questions soulevées visaient des exemptions de divulgation, qui n’étaient pas de la compétence de la Commission.

[18]  Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire des décisions de la Commission. Le contrôle judiciaire a été entendu par la Cour fédérale. Dans sa décision du 8 juillet 2015 (2015 CF 835), la Cour fédérale a accueilli la demande du demandeur, annulé la décision du 4 juin 2014 et renvoyé l’affaire à la Commission pour nouvelle enquête par un autre enquêteur. Le jugement précisait qu’à l’issue de l’enquête, le nouveau rapport d’enquête devait être présenté à la Commission afin qu’elle réexamine la question de savoir si une instruction de la plainte pour atteinte aux droits de la personne du demandeur par le Tribunal était justifiée.

[19]  Le juge qui présidait a décidé que le demandeur non représenté avait été privé de son droit à l’équité procédurale, parce que CIC n’a pas répondu de façon appropriée aux demandes de renseignements du demandeur. Les paragraphes 27 et 28 de la décision de la Cour sont particulièrement pertinents, et sont rédigés ainsi :

[27]  Devant moi, M. [S. L.] a fait valoir que la manière dont l’agente des visas a appliqué les critères généraux pour établir l’existence d’une relation conjugale entre lui et M. [R. L.] était discriminatoire. Il allègue qu’il lui avait été impossible de vivre avec M. [R. L.] et de le visiter plus de 30 jours par année, car les règles auxquelles était subordonné le versement de ses prestations provinciales d’invalidité l’empêchaient de s’absenter de l’Ontario durant plus de 30 jours par an. De même, CIC avait refusé de délivrer un visa de visiteur à M. [R. L.]. L’enquêteuse de la Commission n’avait pas été clairement mise au fait de toutes ces affirmations avant de rédiger son rapport. Elle ne disposait d’aucune preuve de ce qui s’était passé, selon les dires de M. [R. L.], durant l’entrevue avec l’agente des visas.

[28]  Si Mme Falconi, l’enquêteuse de la CCDP, avait été informée de ces faits, elle serait peut‑être parvenue à une autre conclusion concernant l’absence d’éléments de preuve à l’appui de la preuve prima facie de discrimination, puisque les conditions préalables à la cohabitation ou un plus grand nombre de visites auraient pu avoir un effet préjudiciable sur M. [S. L.] en raison de sa déficience. En outre, la preuve de M. [S. L.] dont disposait la Commission aurait été renforcée s’il avait déposé un affidavit de M. [R. L.] pour établir que l’agente des visas s’était montrée hostile envers ce dernier, que ce dernier avait en réalité informé l’agente des visas que lui et M. [S. L.] avaient eu des rapports sexuels et que M. [S. L.] lui avait apporté un soutien financier.

[Non souligné dans l’original et certains noms sont rendus anonymes.]

[20]  Le 19 janvier 2016, l’enquêteuse a communiqué avec le demandeur pour s’informer s’il avait un affidavit de M. R. L. Après avoir indiqué qu’il n’en avait pas, le demandeur et l’enquêteuse ont eu des entretiens et échangé de la correspondance. Le demandeur prétend qu’il a été privé de l’équité procédurale, parce qu’aucun autre élément de preuve n’a été fourni par M. R. L., notamment aucun concernant les questions en litige mentionnées dans la décision 2015 CF 835. Cette question a été examinée longuement pendant l’audience. Après les arguments du défendeur, le demandeur a reconnu qu’il n’y avait eu aucun manquement à l’équité procédurale et a abandonné la question. Se fondant sur le dossier et les arguments des parties, la Cour est convaincue qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

[21]  L’enquêteuse a terminé le Rapport d’enquête (le deuxième rapport) le 19 septembre 2016 et a recommandé, en application du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la LCDP, que la Commission rejette la plainte, parce qu’une enquête plus approfondie n’était pas justifiée.

[22]  Le 31 janvier 2017, après avoir examiné le deuxième rapport de l’enquêteuse, qui avait d’abord été communiqué au demandeur, ainsi que les arguments des parties déposés en réponse au deuxième rapport, la Commission a rejeté la plainte.

III.  Décision attaquée

[23]  Elle a décidé, en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi, de rejeter la plainte, car « compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen [approfondi] de celle-ci n’est pas justifié ». Le deuxième rapport souligne que la preuve n’appuie pas l’énoncé selon lequel CIC a traité le plaignant différemment en raison de son orientation sexuelle ou de sa déficience :

[traduction] 80. Les éléments de preuve recueillis révèlent que, dans le cadre de la détermination de l’authenticité de la relation, l’agente des visas a posé à [M. R. L.] des questions portant sur sa relation sexuelle avec le plaignant, et a demandé des détails sur la déficience du plaignant. Cependant, cela semble avoir été propre au contexte de leurs circonstances personnelles. Le défendeur est tenu, de par la loi, d’évaluer l’authenticité de la relation citée entre le parrain et le ressortissant étranger demandeur. Des questions personnelles intimes sont posées à tous les demandeurs, indépendamment de leur orientation sexuelle ou de leur déficience. De plus, le défendeur a indiqué qu’il s’agissait d’une totalité de facteurs qui n’avaient pas convaincu l’agente des visas que M. R. L. et le plaignant avaient une relation conjugale authentique, et c’est ce qui a ultimement mené au refus de délivrer un visa de résident permanent à [M. R. L.].

81. Les éléments de preuve recueillis révèlent aussi que le paragraphe 4(1) des règlements du défendeur exige l’évaluation d’une relation authentique ou de bonne foi. Un des objectifs du défendeur concernant les demandes au titre de la catégorie du regroupement familial est la réunification des familles. Le fait de ne pas obliger des parrains et des demandeurs à démontrer l’authenticité de leur relation pourrait compromettre l’intégrité du programme du regroupement familial. En l’espèce, les éléments de preuve recueillis n’appuient pas l’argument selon lequel le défendeur aurait traité le plaignant différemment en raison de son orientation sexuelle ou de sa déficience.

IV.  Cadre législatif

[24]  Le sous-alinéa 44(3)b)(1) de la LCDP s’applique dans ces procédures, ainsi que le paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR), DOSR/2002-227.

LCDP, Paragraphe 44(3)(b)(i)

 

CHRA, Section 44(3)(b)(i)

 

44 (3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

 

44 (3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 

[…]

 

[…]

 

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

 

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

 

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

 

[…]

 

[…]

 

RIPR, Paragraphe 4

 

IRPR, Section 4.1

 

4.1 Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne s’il s’est engagé dans une nouvelle relation conjugale avec cette personne après qu’un mariage antérieur ou une relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux antérieure avec celle-ci a été dissous principalement en vue de lui permettre ou de permettre à un autre étranger ou au répondant d’acquérir un statut ou un privilège aux termes de la Loi.

 

4.1 For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the foreign national has begun a new conjugal relationship with that person after a previous marriage, common-law partnership or conjugal partnership with that person was dissolved primarily so that the foreign national, another foreign national or the sponsor could acquire any status or privilege under the Act.

 

V.  Questions en litige

[25]  La présente demande soulève les questions suivantes :

  1. Il faut se demander si la décision de la Commission est raisonnable quand elle conclut que l’agente a défavorisé le demandeur en raison de sa déficience ou de son orientation sexuelle, à savoir :

    1. Il faut se demander si l’application par l’agente des critères ordinaires concernant l’existence d’une relation conjugale entre le demandeur et M. R. L. a donné lieu à une discrimination par suite d’un effet préjudiciable en raison de sa déficience.

    2. Il faut se demander si l’agente a fait preuve de discrimination envers le demandeur en raison de sa déficience et de son orientation sexuelle en posant des questions discriminatoires à M. R. L.

    3. Il faut se demander si l’agente a omis, quand elle a rendu sa décision, de tenir compte des plaintes du demandeur concernant l’atteinte à son droit à la vie privée relativement à sa déficience.

VI.  Norme de contrôle

[26]  Puisqu’il n’est plus question d’équité procédurale, et que la rigueur de l’enquête n’est pas non plus remise en question, la norme de contrôle à appliquer à la décision est celle de la décision raisonnable. L’analyse tiendra compte de la « justification de la décision, [de] la transparence et [de] l’intelligibilité du processus décisionnel », ainsi que de « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

[27]  Le juge Diner, dans la décision récente sur l’affaire Southern Chiefs Organization Inc c Dumas, 2016 CF 837, aux paragraphes 26 à 28, a décrit ainsi le grand pouvoir discrétionnaire et le faible seuil de contrôle qui s’appliquent à l’examen de la décision de la Commission de ne pas renvoyer l’affaire au Tribunal :

[26]  La Commission n’est « pas un organisme décisionnel […] [mais] exerce plutôt des fonctions d’administration et d’examen préalables » (Syndicat canadien des employés de la fonction publique (division du transport aérien) c Air Canada, 2013 CF 184, aux paragraphes 60 et 61 [Air Canada]). Dans les mots de la Cour suprême dans l’arrêt Cooper c Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854, au paragraphe 53 [Cooper] :

[…] la Commission procède à un examen préalable assez semblable à celui qu’un juge effectue à une enquête préliminaire. Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête.

[27]  Ce critère est peu exigeant. Il suffit que la Commission estime que la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante (Cerescorp, au paragraphe 51). Il est important de souligner qu’en suggérant de tenir une enquête, la Commission « ne rend aucune décision définitive sur l’issue de la plainte » (Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, au paragraphe 24).

[28]  La Commission possède également une grande latitude dans l’exécution de ses fonctions : « on peut dire sans risque de se tromper qu’en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape » (Bell Canada c Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 RCF 113, à la page 137 (CAF)).

VII.  Discussion

A.  Équité procédurale

[28]  Comme il est indiqué, le demandeur a abandonné ses arguments relatifs à l’équité procédurale, à bon droit selon la Cour. Il n’y avait aucun fondement au défaut du demandeur de produire un affidavit de M. R. L., ce qui, selon la Cour fédérale, aurait été approprié pour corriger le manquement à l’équité procédurale de la première enquête. Il n’est pas clair non plus que M. R. L. aurait coopéré, puisque lui et le demandeur ne se considéraient plus comme un couple. Il en résulte qu’il n’y a aucun élément de preuve pour attaquer les conclusions de l’agente fondées sur les questions mentionnées dans la décision 2015 CF 835 de la Cour fédérale selon laquelle l’agente était hostile envers M. R. L., que M. R. L. avait informé l’agente que M. S. L. et lui avaient eu des relations sexuelles et que M. S. L. avait apporté un soutien financier à M. R. L. L’enquêteuse n’a pas commis d’erreur en ne prenant en compte aucune des contestations d’éléments de preuve du demandeur concernant, par exemple, la valeur probante des notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI).

[29]  Même si ce n’est pas le cas, il est très peu probable que l’enquêteuse ou la Cour aurait préféré la preuve par affidavit de M. R. L. aux notes du STIDI sans une raison corroborante pour en rejeter l’exactitude. Les notes semblent constituer un registre approprié des activités, et elles sont donc acceptées quant à la véracité de leur contenu. D’une manière générale, les décideurs préfèrent les éléments de preuve de témoins indépendants désintéressés au résultat, à moins qu’il y ait de bonnes raisons de ne pas l’accepter, aux éléments de preuve des parties intéressées. La capture d’écran d’une page, qui semble un peu ambiguë et présente des lacunes par rapport à d’autres pages, de la discussion après l’entrevue pour donner un contexte, même si elle était corroborée par M. R. L., aurait, au mieux, soulevé seulement quelques préoccupations.

[30]  La Cour observe que ce type de différend, quant à ce qui survient pendant des entrevues, pourrait être largement éliminé si les entrevues étaient enregistrées et si les transcriptions étaient disponibles. La politique de CIC en matière de procédures indique qu’il n’y a aucune obligation d’accepter la demande d’une personne interrogée d’enregistrer l’entrevue, ce que la Cour interprète comme voulant dire que ces entrevues ne sont généralement pas enregistrées. Selon la Cour, cette politique devrait être réexaminée, du moins pour les entrevues en personne qui peuvent déterminer l’issue de la demande de parrainage d’un époux et être susceptibles d’un contrôle judiciaire. Cela éliminerait, ou du moins réduirait, une bonne partie de la controverse sur la fiabilité de la preuve.

B.  Caractère raisonnable de la décision

1)  Le demandeur a-t-il fait l’objet d’une discrimination par suite d’un effet préjudiciable en raison de l’application de facteurs utilisés pour déterminer l’authenticité d’une union conjugale d’une certaine permanence?

a)  Le demandeur n’a pas informé l’agente que ses déplacements à l’étranger étaient restreints par le risque de perte des prestations d’invalidité

[31]  La Cour a conclu que le demandeur n’a pas présenté d’éléments de preuve à l’agente de CIC indiquant que la restriction sur les voyages en raison de la perte possible de son droit aux prestations d’invalidité était un facteur qui limitait le temps passé à l’étranger avec M. R. L.

[32]  Une question accessoire a été soulevée à ce sujet pendant l’audience, à savoir s’il y avait des éléments de preuve au dossier confirmant que le demandeur recevait des prestations d’invalidité pendant la période pertinente en question. Les seuls éléments de preuve au dossier concernant des prestations d’invalidité sont apparus au début de 2011, après la décision de rejeter la demande. Puisque le demandeur n’était pas représenté, on lui a donné l’occasion de produire d’autres éléments de preuve. C’est ce qu’il a fait et, bien que la preuve de résidence en Colombie-Britannique pour la période allant jusqu’à la demande en avril 2010 manquait de précision, elle est considérée comme suffisante à cette fin.

[33]  Malgré cette preuve, la Cour est convaincue que le demandeur n’a pas porté à l’attention de CIC le fait que ses déplacements à l’étranger devaient être limités pour éviter de perdre son droit aux prestations d’invalidité. Il semble que ces faits ont été mis en preuve pour la première fois dans l’affaire devant la Cour fédérale. À l’époque, le demandeur alléguait qu’il avait subi une discrimination par suite d’un effet préjudiciable, parce qu’il était impossible pour lui de cohabiter avec M. R. L. ou de lui rendre visite pendant plus de 30 jours au cours d’une année à cause des exigences liées à la réception continue de prestations d’invalidité provinciales.

[34]  Aucun élément de preuve qui indique que le fait de voyager à l’étranger risque de compromettre le versement des prestations d’invalidité du demandeur n’a été présenté à l’agente. Ni les notes d’entrevue du STIDI ni la capture d’écran présentée en preuve ne font mention des restrictions sur les déplacements attribuables à la perte possible des prestations d’invalidité.

[35]  Sur le point connexe de l’invalidité du demandeur en général, aucune mention n’est faite dans les notes du STIDI, simpliciter, sur l’invalidité comme facteur limitant le temps passé à l’étranger avec M. R. L. Les notes indiquent plutôt que M. R. L. a dit à l’agente que le demandeur était en bonne santé pendant ses visites. Les notes du STIDI indiquent que les problèmes de santé ont été mentionnés par M. R. L. seulement pour justifier le fait que le demandeur ne travaillait pas au Canada. Le demandeur soutient que cet élément de preuve est contredit par la capture d’écran de messages Internet entre lui et M. R. L., où M. R. L. affirme avoir dit à l’agente que le demandeur ne pouvait demeurer aux Philippines en raison de troubles de santé liés à son problème de foie. Cette version est contredite par d’autres énoncés selon lesquels le demandeur était en bonne santé.

[36]  Même si la capture d’écran présentée en preuve est acceptée plutôt que les notes du STIDI, rien n’indique que les déplacements du demandeur étaient limités en raison du risque de perte des prestations d’invalidité, ce qui était le point central du deuxième rapport après la décision de la Cour fédérale.

[37]  Aux paragraphes 85 à 88 de son mémoire, le demandeur tente de relier trois faits pour établir par inférence que les règles provinciales en matière d’invalidité l’empêchaient de passer plus de temps avec M. R. L. : 1) les déplacements à l’extérieur de la Colombie-Britannique et de l’Ontario mettaient à risque ses prestations d’invalidité; 2) l’agente savait qu’il recevait des prestations d’invalidité; et 3) sa santé était un facteur qui déterminait la durée de ses voyages. Toutefois, les trois commentaires ne permettent pas de conclure que l’agente savait, ou aurait dû savoir, que les conditions liées aux prestations d’invalidité limitaient le temps conjugal ensemble.

[38]  Plus précisément, la preuve à l’appui du défaut par le demandeur de mentionner à CIC que la perte de ses prestations d’invalidité limitait le temps que le couple pouvait passer ensemble est démontrée par cette omission flagrante dans la lettre de plainte initiale du demandeur du 25 janvier 2011 à CIC. Il attaquait plutôt le refus de parrainage en fonction du temps limité passé ensemble, soutenant [traduction] « qu’en raison de mon invalidité, je souffre de fatigue extrême et je ne peux donc pas faire de longs voyages ». Si la perte possible de prestations d’invalidité était la raison pour laquelle le demandeur passait si peu de temps avec M. R. L., la Cour est d’avis que ce point aurait dû être au cœur de la première lettre de plainte, qui n’en fait aucune mention. Il n’y a également aucun élément de preuve pour corroborer que le problème de santé du demandeur constitue un facteur limitant ses déplacements à l’étranger.

[39]  Sans éléments de preuve qui indiquent que le risque concernant les prestations d’invalidité a été signalé à CIC, il n’y a pas aucun fondement à l’argument de discrimination du demandeur fondée sur le défaut de CIC d’examiner la question comme facteur ayant une incidence sur sa décision. Il incombait au demandeur de fournir des éléments de preuve concernant les restrictions sur ses déplacements en lien avec sa déficience. Les invalidités n’entraînent pas nécessairement des restrictions sur les déplacements ou sur le temps passé avec la personne parrainée. Si la question des restrictions n’est pas soulevée par le parrain ou par la personne parrainée, il n’y a pas de raison pour que CIC la reconnaisse en appliquant les facteurs qui sont habituellement pris en compte pour déterminer l’authenticité d’une relation.

[40]  Néanmoins, l’enquêteuse ne semble pas avoir reconnu que l’explication de la perte possible des prestations d’invalidité n’avait pas été donnée à CIC. Vraisemblablement, elle s’appuyait sur la décision de la Cour fédérale. Elle semble adopter la conclusion selon laquelle [traduction] « les exigences liées au versement continu de ces prestations l’empêchaient de s’absenter de la province plus de 30 jours par année ». Il faut signaler que le demandeur a attaqué sa conclusion de 30 jours par année, soutenant que le délai applicable était de sept jours par année, même si l’agente se fiait aux faits de la Cour fédérale. Peu importe le temps passé à l’étranger, l’enquêteuse a conclu que les éléments de preuve [traduction] « laissent supposer qu’il peut y avoir un lien entre le rejet de la demande de M. R. L. par le défendeur et la déficience du plaignant ».

[41]  Étant donné que le deuxième rapport procédait du fondement factuel de la plainte de discrimination du demandeur fondée sur le temps que le couple avait passé ensemble en lien avec la perte possible des prestations d’invalidité, la Cour examinera les arguments du demandeur sous cet angle.

b)  Les effets préjudiciables du défaut de tenir compte des restrictions sur les déplacements en raison de la possibilité de la perte des prestations d’invalidité

[42]  Le Tribunal ne relève aucune erreur dans le deuxième rapport, citant la décision M(K) c M(H), [1992] 3 RCS 6, aux paragraphes 59 et 61, et les facteurs qui y sont décrits comme étant pertinents pour démontrer l’existence d’une « union conjugale d’une certaine permanence ». Cette conclusion doit être établie selon la prépondérance des probabilités des éléments de preuve par rapport aux facteurs pour déterminer si, et dans quelle mesure, les personnes ont une interdépendance financière, sociale, émotive et physique, un partage des responsabilités ménagères et connexes, ainsi qu’un engagement mutuel sérieux.

[43]  La Cour accepte, en outre, que l’évaluation de l’authenticité ou de la bonne foi d’une relation soit une exigence légale et valide, nécessaire pour protéger l’intégrité du programme de résidence permanente de la catégorie du regroupement familial. Il est possible que des actes de tromperie soient commis à l’encontre du système par des « mariages de convenance », ou des « relations de convenance ». Ils peuvent être le résultat soit de collusion entre un parrain canadien et un ressortissant étranger, soit d’un acte de tromperie du parrain par un ressortissant étranger, qui utilise la relation pour acquérir un statut au Canada. Par conséquent, les agents de CIC sont tenus d’évaluer la bonne foi d’une relation en contexte, en tenant compte de toutes les circonstances concernant la relation.

[44]  La question principale en l’espèce, telle qu’elle est décrite dans la décision de la Cour fédérale, est de savoir si l’agente s’est appuyée sur des facteurs habituellement appliqués pour évaluer l’authenticité d’un mariage qui ont résulté en une discrimination par suite d’un effet préjudiciable sur le demandeur en raison de sa déficience qui limitait le temps que le couple pouvait passer ensemble.

[45]  L’enquêteuse, dans le deuxième rapport, ne semble pas avoir expressément abordé la question de savoir si le fait que l’agente s’est appuyée sur le temps physique limité passé ensemble pour rejeter la demande de parrainage qualifiée de discrimination par suite d’un effet préjudiciable sur le demandeur, au-delà du commentaire mentionné plus haut « qu’il peut y avoir un lien entre le rejet de la demande de M. R. L. par le défendeur et la déficience du plaignant ». Dans une relation conjugale, le temps que le couple peut passer ensemble serait habituellement un facteur pertinent. On s’attend à ce que les membres d’un couple qui entretiennent une relation authentique veuillent passer le plus de temps possible ensemble en raison de leur affection mutuelle, et sur le plan pratique, pour apprendre à se connaître et à voir s’ils peuvent vivre ensemble.

[46]  Selon la Cour, dès qu’on explique qu’un parrain doit limiter le temps passé avec un ressortissant à l’étranger en raison d’une déficience, ce qui comprendrait des limitations indirectes de perte de prestations d’invalidité essentielles, la brièveté du temps passé ensemble ne devrait pas être citée comme facteur défavorable pour rejeter la demande de parrainage. Selon l’explication avérée du demandeur, le temps passé ensemble aurait dû plutôt être écarté comme facteur ayant une incidence quelconque sur la décision.

[47]  Par ce dernier point, la Cour estime que chaque demande de parrainage nécessite des éléments de preuve démontrant l’authenticité de la relation. La bonne foi de la relation d’un parrain ayant une déficience qui se répercute sur le temps que le couple a passé ensemble serait évaluée en fonction du même seuil que pour tout autre couple dans une demande de parrainage. La Cour reconnaît que, dans une certaine mesure, cela pourrait rendre plus difficile la tâche d’établir l’existence d’une relation authentique lorsque la déficience empêche le couple de passer du temps ensemble. La réalité contextuelle probante est que le temps physique passé ensemble donne plus d’occasions pour démontrer l’authenticité d’une relation d’une certaine permanence. Cependant, d’autres moyens peuvent compenser cela, comme des entrevues avec CIC qui permettent au demandeur et au parrain de communiquer la sincérité et l’authenticité de leur relation, tout en gardant à l’esprit que le temps passé ensemble n’est pas un facteur.

[48]  Même si l’enquêteuse n’a pas expressément abordé la question du temps limité passé ensemble, elle en a quand même tenu compte implicitement et a conclu qu’elle n’avait pas été un facteur discriminatoire dans la décision de l’agente, tel qu’il est décrit au paragraphe 74 des motifs :

[traduction] Néanmoins, les éléments de preuve recueillis révèlent que ce n’était pas seulement l’absence de temps passé ensemble qui a amené l’agente des visas à rejeter la demande, mais plutôt les réponses fallacieuses de M. R. L. à certaines de ses questions (c'est-à-dire « [...] il a la chance de se rendre au [Canada] et de trouver un emploi, il veut la saisir »).

[49]  La conclusion de l’enquêteuse est conforme à la décision de l’agente dans les notes du STIDI : [traduction] « Tout compte fait et selon tous les renseignements fournis, je ne suis pas convaincue que le sujet [identifié comme M. R. L.] satisfait à la définition d’un partenaire conjugal; à ce titre, il n’est pas considéré comme un membre de la catégorie du regroupement familial. La demande est rejetée. » Étant donné les propos tenus directement par M. R. L. soulevant des préoccupations importantes quant à l’authenticité de la relation, de tels éléments de preuve pèseraient très lourdement contre l’acceptation de la demande de parrainage, et non toute autre raison liée à la déficience du demandeur.

[50]  La Cour souscrit à la conclusion du deuxième rapport selon laquelle le demandeur n’a pas réussi à démontrer que lui et M. R. L. entretenaient véritablement une relation conjugale authentique, parce que M. R. L. se servait de la relation pour acquérir un statut d’immigrant au Canada, en plus d’autres raisons non liées à la déficience du demandeur. À ce titre, la conclusion de l’enquêteuse est raisonnable en ce sens que la décision de l’agente ne peut pas être considérée comme discriminatoire.

2)  Traitement défavorable en raison de l’orientation sexuelle et de la déficience

[51]  L’enquêteuse a résumé ses conclusions concernant la discrimination quant à l’orientation sexuelle et à la déficience au paragraphe 80 du deuxième rapport, cité au paragraphe 23 des présents motifs.

[52]  Le demandeur se plaint que les facteurs utilisés étaient discriminatoires, car ils étaient hétéronormatifs et inappropriés pour une relation conjugale de même sexe, y compris le fait qu’ils sont gênants en ce qui concerne l’intimité sexuelle des parties. Il attaque aussi les éléments de preuve tirés des notes du STIDI selon lesquelles ils n’avaient pas eu de relations sexuelles ou le VHC n’avait pas été mentionné comme un problème dans le degré d’intimité physique du couple. L’enquêteuse n’a pas abordé cette question. La Cour ne relève aucune erreur au fait de ne pas répondre à cette dernière question, puisque les éléments de preuve n’indiquent pas qu’elle a été soulevée auprès de l’agente.

[53]  Le demandeur s’insurge particulièrement contre la question posée à M. R. L. de savoir s’ils avaient « consommé » la relation, à laquelle il a répondu par la négative. Il fait valoir que le terme, lorsqu’il est limité aux relations sexuelles anales (qu’il décrit également comme des relations sexuelles dans ses observations), n’a aucun rapport avec l’expérience des hommes homosexuels, qui est marquée par la polyvalence et la négociation entre les parties. Dans ce contexte, il soutient que l’emploi de termes comme « consommer » et « comme des personnes mariées » était discriminatoire pour les hommes gais. L’enquêteuse a répondu que les questions étaient propres au contexte de leurs circonstances personnelles.

[54]  Le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve objectif pour appuyer ses arguments sur le sens des termes et leur applicabilité à une relation conjugale entre hommes gais. Il est vrai que les degrés d’intimité sur le plan des relations sexuelles comme preuve d’engagement envers la relation, la relation sexuelle étant reconnue comme la plus intime, sont évidemment un sujet controversé sans l’appui d’éléments de preuve objectifs qui peuvent fournir certains critères normatifs pour statuer sur la question. Cependant, les personnes en cause semblent avoir reconnu le concept de degrés d’intimité sexuelle sur le plan de l’engagement. M. R. L. a indiqué qu’ils ne l’avaient pas fait passer au niveau supérieur, ce que le demandeur a reconnu comme étant une relation sexuelle, parce que le demandeur souhaitait la retarder jusqu’au mariage, symbole de l’engagement à la nature durable prévue de la relation. Il semble aussi que M. R. L. n’ait pas eu de difficulté à comprendre la question concernant la consommation, même si le sens a dû lui être expliqué, comme le soutient le demandeur.

[55]  Dans tous les cas, la conclusion de l’agente s’appuyait sur l’absence de toute intimité physique et elle est raisonnablement étayée par les notes du STIDI. L’argument du demandeur voulant que leur relation physique était compliquée du fait de son statut lié au VHC n’est pas étayé par les notes. Rien n’indique que M. R. L. était au courant de la déficience du demandeur liée au VHC, puisqu’il a mentionné seulement son trouble du foie depuis l’enfance comme explication de la raison pour laquelle il ne travaillait pas.

[56]  Le demandeur s’est aussi opposé à l’emploi de l’expression « comme des personnes mariées » comme comparateur sommaire des facteurs par l’agente. Il semblerait qu’il y ait beaucoup de similitudes dans les facteurs entre les différents régimes de relations conjugales, indépendamment de la nature de la relation. En effet, des mariages ont lieu entre des partenaires de même sexe qui ont prétendu avoir été victimes de discrimination dans le passé lorsqu’on leur a refusé ce droit. M. R. L. a fait référence au mariage comme raison pour laquelle le demandeur voulait retarder de passer à l’action en ce qui concerne les relations sexuelles.

[57]  Le fait de comparer au mariage une relation conjugale entre des personnes du même sexe par analogie, c’est-à-dire, par l’emploi du terme « comme », semblerait se rapporter à l’exigence de démontrer une probabilité de permanence dans la relation. Cela se démontre par des éléments de preuve d’un engagement mutuel par les différentes activités communes et le comportement du couple (comportement personnel commun, activités sociales communes, arrangements financiers et soutien économique mutuellement acceptables, et les perceptions dans la collectivité selon lesquelles les deux forment un couple), dont un grand nombre, par analogie, se retrouvent dans les mariages. Dans le contexte de la démonstration d’une relation conjugale de bonne foi, la Cour ne considère pas que l’expression « comme des personnes mariées » constitue un comparateur généralisé déraisonnable qui a discriminé contre le demandeur pour déterminer l’authenticité d’une relation conjugale entre hommes gais.

[58]  Dans la discussion sur les relations conjugales, la Cour accepte de plus la conclusion du deuxième rapport selon laquelle des questions personnelles sont posées à tous les demandeurs, indépendamment de leur orientation sexuelle ou de leur déficience, et qu’en l’espèce, elles étaient propres au contexte des circonstances des parties. Il faut s’attendre à des questions intimes et, effectivement, l’agente a informé M. R. L. au début de l’entrevue qu’elle poserait des questions personnelles et de nature délicate.

[59]  La Cour ne relève aucune erreur dans le fait que le défendeur ne puisse pas fournir de statistiques sur le nombre de demandeurs acceptés comme résidents permanents dont le parrain est une personne ayant une déficience. Le fait d’avoir une déficience ne semble pas être un facteur qui entre souvent en jeu lorsqu’un citoyen canadien ou un résident permanent du Canada est admissible comme parrain. De plus, comme il est indiqué, il n’y a pas d’erreur à conclure que l’authenticité de la relation doit être établie dans toutes les relations conjugales, indépendamment de la nature. Les éléments de preuve n’appuient pas non plus une conclusion voulant qu’il existe une discrimination systémique dans le cas des relations conjugales de même sexe.

[60]  Le demandeur s’est aussi opposé aux questions posées à M. R. L. concernant sa situation financière liée à sa déficience, surtout pour ce qui est des moyens financiers du demandeur pour se rendre à l’étranger alors qu’il est sans emploi. Le demandeur soutient qu’il était indirectement accusé de fraude relativement à sa déficience.

[61]  La Cour souscrit aux conclusions du deuxième rapport selon lesquelles les questions étaient propres au contexte et appropriées. Les questions étaient pertinentes, ne serait-ce que pour établir que M. R. L. était au courant des éléments financiers de leur relation, ce qui pouvait être un facteur favorable ou défavorable pour établir l’authenticité de la relation.

[62]  En outre, une des préoccupations dans les demandes de partenaires parrainés est la collusion par les parrains pour aider les personnes parrainées à obtenir la résidence permanente au Canada. Les questions portant sur des circonstances qui semblent hors de l’ordinaire, comme le fait que le demandeur pouvait se rendre à l’étranger et offrir une aide financière à M. R. L. alors qu’il recevait des prestations d’aide sociale, ne sont pas inappropriées. En effet, les questions d’authenticité et de bonne foi exigent un questionnement détaillé et procédant par inférence, de sorte qu’une assez bonne marge de manœuvre devrait être permise, pourvu que les questions aient une certaine pertinence possible concernant ces questions.

3)  Plaintes concernant l’atteinte au droit à la vie privée

[63]  Le deuxième rapport ne traitait pas des plaintes touchant le présumé défaut par CIC de divulguer certains documents au demandeur à la suite d’une demande d’accès à l’information. Ces questions ont été abordées et rejetées dans le premier rapport.

[64]  Il n’est pas contesté par la Cour que le recours approprié pour une mauvaise application alléguée d’exemptions en application de la Loi sur la protection des renseignements personnels, précitée, est une plainte auprès du CPVP. Il était donc raisonnable pour la Commission de ne pas faire enquête sur ces allégations.

VIII.  Dépens

[65]  Aucuns dépens ne sont adjugés puisque des aspects pertinents du dossier du demandeur concernant les restrictions sur les déplacements découlant de la perception de prestations d’invalidité n’avaient pas été expressément abordés dans le deuxième rapport et méritaient de l’être dans la demande.

IX.  Conclusion

[66]  La Cour conclut que la décision de la Commission, à savoir que, selon toutes les circonstances, une enquête n’est pas justifiée, est raisonnable.

[67]  La demande est rejetée sans dépens.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-283-17

LA COUR rejette la présente demande, sans dépens. L’intitulé de la cause est modifié dans le but de protéger l’anonymat des parties.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour d’avril 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-283-17

 

INTITULÉ :

S. L. c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 OCTOBRE 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 décembre 2017

 

COMPARUTIONS :

S. L.

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Debra Prupas

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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