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Date : 20171208


Dossier : IMM-1305-17

Référence : 2017 CF 1129

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2017

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

COSTEL SLATINEANU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le 22 mars 2017, Costel Slatineanu (le demandeur) a déposé une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié prononçait le désistement de son appel. Quelques jours plus tard, le demandeur a saisi la Section d’appel de l’immigration d’une requête en réouverture de son appel, fondé sur les mêmes moyens, aux termes de l’article 71 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). Puisqu’il n’est pas loisible au demandeur de solliciter un contrôle judiciaire avant d’avoir épuisé les voies d’appel prévues par la LIPR, je rejetterai le présent appel en raison de son caractère prématuré pour les motifs qui suivent.

II.  Résumé des faits

[2]  Originaire de la Roumanie, le demandeur est venu au Canada et y a obtenu l’asile en 2005. Lui et sa fille ont obtenu la qualité de résidents permanents le 9 décembre 2010. Ses trois autres enfants sont nés au Canada.

[3]  Le 10 décembre 2012, le demandeur a plaidé coupable à une accusation d’introduction par effraction dans un bâtiment commercial. Il déclare à cet égard dans les documents fournis à l’appui de sa demande : [traduction] « J’ai été condamné à une peine fragmentée de 3 mois, que j’ai purgée pendant 45 fins de semaine. J’ai aussi été condamné à une année de probation. » Je suppose qu’il voulait dire « peine discontinue » et non « peine fragmentée », mais le vocabulaire utilisé pour décrire la peine infligée n’a pas vraiment d’importance ici.

[4]  Une enquête a eu lieu le 3 juin 2014. Par suite de celle-ci, le demandeur a été interdit de territoire et une mesure de renvoi a été prise. À la même date, le demandeur (à l’aide de son avocat, Ethan Friedman) a interjeté appel de la décision.

[5]  Le 22 novembre 2016, soit plus de deux ans après que le dépôt de l’appel, la Section d’appel de l’immigration a notifié un avis d’intention à M. Friedman et au demandeur. L’avis enjoignait au demandeur de confirmer son intention de donner suite à son appel avant le 20 décembre 2016. La Section d’appel de l’immigration affirme que la lettre ne lui a jamais été retournée, ce à quoi le demandeur réplique qu’elle ne lui est jamais parvenue. Celui-ci ajoute que M. Friedman, son avocat, aurait tenté en vain de le joindre à son numéro de téléphone usuel. Le demandeur soutient qu’il n’a jamais été notifié de l’avis d’intention, et qu’il n’a donc pas déposé de document auprès de la Section d’appel de l’immigration ni tenté de communiquer avec elle.

[6]  Le désistement de l’appel a été prononcé dans une décision du 10 janvier 2017 de la Section d’appel de l’immigration, qui n’a pas convoqué le demandeur à une audience de justification. La Section d’appel de l’immigration a envoyé un avis de désistement à M. Friedman et au demandeur en utilisant la même adresse que pour l’avis d’intention. Le demandeur a reçu cet avis le 7 mars 2017, à son adresse domiciliaire. Il a ensuite changé d’avocat, qui le représente dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[7]  Le demandeur explique qu’il sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 22 mars 2017 prononçant le désistement pour préserver son droit de soumettre la présente décision au contrôle de la Cour fédérale. Six jours plus tard, le demandeur a saisi la Section d’appel de l’immigration d’une requête en réouverture de son appel aux termes de l’article 71 de la LIPR. La Cour fédérale lui a accordé l’autorisation demandée le 21 juillet 2017.

A.  Remarques liminaires

[8]  Sur consentement, les parties ont présenté une demande de mise en concordance du dossier certifié du tribunal avec le dossier qui était à la disposition du décideur, demande à laquelle j’ai accédé.

III.  Questions en litige

[9]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. Le demandeur a-t-il épuisé toutes les voies d’appel prévues à l’alinéa 72(2)a) de la LIPR, faute de quoi la présente demande de contrôle judiciaire serait prématurée?
  2. La Section d’appel de l’immigration a-t-elle porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale en le privant d’une audience de justification?

[10]  Les dispositions pertinentes de la LIPR sont les suivantes :

Réouverture de l’appel

71 L’étranger qui n’a pas quitté le Canada à la suite de la mesure de renvoi peut demander la réouverture de l’appel sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle.

Reopening appeal

71 The Immigration Appeal Division, on application by a foreign national who has not left Canada under a removal order, may reopen an appeal if it is satisfied that it failed to observe a principle of natural justice.

Demande d’autorisation

72 (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est, sous réserve de l’article 86.1, subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

Application

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :

a) elle ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées;

 

Application for judicial review

72 (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is, subject to section 86.1, commenced by making an application for leave to the Court.

Application

(2) The following provisions govern an application under subsection (1):

(a) the application may not be made until any right of appeal that may be provided by this Act is exhausted;

Mon soulignement  Emphasis added

IV.  Discussion

[11]  Le demandeur soutient que l’alinéa 72(2)a) de la LIPR, selon lequel aucune demande de contrôle judiciaire « ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées », ne s’applique pas en l’espèce. Il fait valoir que la requête en réouverture d’appel déposée aux termes de l’article 71 de la LIPR ne peut être considérée comme une voie d’appel puisqu’elle concerne uniquement des manquements à la justice naturelle, et qu’il ne s’agit donc pas d’un appel de novo. Le demandeur soutient que l’alinéa 72(2)a) ne s’applique pas à sa situation et que la présente demande de contrôle judiciaire peut être tranchée sur le fond.

[12]  À cet égard, il plaide que la Section d’appel de l’immigration a manqué à son devoir d’équité procédurale en prononçant le désistement de son appel sans lui avoir au préalable accordé une audience de justification. Le demandeur allègue de plus que la Section d’appel de l’immigration l’a privé de son droit à l’équité procédurale en prononçant le désistement de son appel alors qu’il n’avait pas reçu l’avis d’intention par la poste ou par l’entremise de son avocat. Ces deux arguments relèvent directement de l’article 71 de la LIPR.

[13]  En l’espèce, le demandeur était partie à deux affaires fondées sur les mêmes motifs d’équité procédurale et instruites de manière concomitante, soit une demande de contrôle judiciaire de la décision sur le désistement soumise à la Cour fédérale et une requête en réouverture d’appel soumise à la Section d’appel de l’immigration. Le demandeur s’assurait ainsi de la possibilité de solliciter le contrôle judiciaire de la décision concernant sa requête en réouverture d’appel advenant l’issue défavorable du présent contrôle judiciaire.

[14]  La Cour d’appel fédérale examine l’interdiction de présenter des demandes prématurées dans l’arrêt Somodi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 288 [Somodi]. L’affaire Somodi mettait en cause une demande de parrainage par un conjoint, mais les principes qu’y évoque le juge Létourneau s’appliquent de manière générale à la LIPR. Aux paragraphes 21 à 23, il explique que « les » voies d’appel (pas seulement l’appel de novo) doivent être épuisées avant le contrôle judiciaire :

Dans la LIPR, le législateur a établi une procédure exhaustive et indépendante dotée de règles précises pour traiter l’admission de ressortissants étrangers à titre de membres de la catégorie du regroupement familial. Le droit d’appel accordé au répondant pour contester en son nom la décision de l’agent des visas au profit du ressortissant étranger, de même que l’interdiction du contrôle judiciaire formulée dans la LIPR tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées, sont des traits distinctifs de cette nouvelle procédure. Ils rendent obsolète la jurisprudence antérieure sur laquelle s’appuie l’appelant.

Le législateur a décidé du parcours que doivent suivre les demandes de parrainage familial, lequel se termine, après un appel, par la possibilité pour le répondant de demander réparation devant la Cour fédérale. L’intention du législateur d’inscrire dans la LIPR un ensemble complet de règles régissant les demandes de parrainage visant un regroupement familial est confirmée par l’alinéa 72(2)a) et le paragraphe 75(2). [...]

On trouve maintenant dans la loi habilitante l’interdiction générale de l’alinéa 72(2)a) de recourir au contrôle judiciaire tant que « les » voies d’appel ne sont pas épuisées, par opposition à l’interdiction plus limitée prévue à l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales.

[Non souligné dans l’original.]

[15]  L’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, est prohibitif : un demandeur doit épuiser toutes les voies d’appel avant de réclamer un contrôle judiciaire. Par ailleurs, la LIPR établit un cadre détaillé qui interdit le contrôle judiciaire jusqu’à l’épuisement de toutes les voies d’appel. Le principe voulant qu’une voie d’appel constitue un recours adéquat est confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Somodi, et l’alinéa 72(2)a) de la LIPR interdit à notre Cour de procéder à un contrôle judiciaire tant que cette voie d’appel n’a pas été épuisée (Habtenkiel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 180, aux paragraphes 35 et 36). Il est incontestable que le législateur a établi ce cadre détaillé pour éviter l’accumulation des procédures décisionnelles.

[16]  Si notre Cour instruisait la présente demande sur le fond en même temps que la Section d’appel de l’immigration examine une autre demande reposant sur les mêmes motifs, elle ferait exactement ce que le législateur voulait empêcher.

[17]  Je conclus que le demandeur pouvait se prévaloir de la voie d’appel prévue à l’alinéa 72(2)a) de la LIPR et qu’il doit l’épuiser avant de demander un contrôle judiciaire. Je ne suis pas d’accord que le droit de demander la réouverture d’un appel aux termes de l’article 71 de la LIPR n’est pas un moyen d’appel au sens de l’alinéa 72(2)a) parce qu’il est plus restreint et assujetti à l’existence d’un manquement à un principe de justice naturelle.

[18]  Je ne doute aucunement que l’alinéa 72(2)a) s’applique puisque les arguments sur le fond qui sont invoqués dans le présent contrôle judiciaire ont trait à des manquements à l’équité procédurale. Par conséquent, l’issue de la requête en réouverture n’est pas en jeu puisqu’elle repose sur les mêmes manquements à l’équité procédurale et que cette voie d’appel doit être épuisée avant que la décision puisse être soumise au contrôle judiciaire.

[19]  Le demandeur n’ayant pas épuisé toutes les voies d’appel, je rejette la présente demande au motif de sa prématurité.

[20]  Le demandeur fait valoir que, selon sa compréhension, la demande n’était pas prématurée étant donné qu’une autorisation lui avait été accordée. Encore une fois, je ne suis pas d’accord. L’autorisation de soumettre une demande ne tranche pas les questions de prématurité, de compétence, du caractère théorique, pour n’en nommer que quelques-unes. Je soupçonne d’ailleurs que l’autorisation a été accordée pour que le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire puisse conclure à son caractère prématuré. C’est une hypothèse, bien entendu, puisqu’on ne donne jamais les motifs en pareil cas.

[21]  Je rejetterai la demande puisque je constate que le moyen prévu à l’article 71 de la LIPR (« Réouverture d’appel ») doit être épuisé pour que notre Cour instruise une demande de contrôle judiciaire au titre de l’alinéa 72(2)a) de la LIPR.

[22]  Comme j’ai jugé la présente demande prématurée, je ne me prononcerai pas sur les arguments concernant le fond.

[23]  La Cour a été informée que la Section d’appel de l’immigration a rendu sa décision sur la requête en réouverture d’appel le 7 juillet 2017, mais ladite décision ne lui a pas été soumise dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Par souci d’équité, j’accorderai au demandeur une extension du délai imparti pour présenter sa demande de contrôle judiciaire de la décision du 7 juillet 2017.

V.  Question certifiée

[24]  Le demandeur propose les questions suivantes aux fins de certification :

L’alinéa 72(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui interdit de soumettre une demande d’autorisation de contrôle judiciaire et l’instruction de celui-ci jusqu’à l’épuisement de toutes les voies d’appel prévues par la Loi, s’applique-t-il si une requête en réouverture d’appel est soumise aux termes de l’article 71 de la Loi par suite d’un désistement prononcé par la Section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié?

[25]  Le défendeur s’oppose à la certification de cette question.

[26]  La certification d’une question est justifiée seulement si elle est de portée générale. Cela signifie que la question « transcende les intérêts des parties au litige, qu’elle aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale » (Liyanagamage c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1994), 176 NR 4, au paragraphe 4 (CAF)). La question doit aussi permettre de régler l’appel (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89, au paragraphe 11).

[27]  La question n’étant pas de portée générale puisque la Cour d’appel fédérale s’est déjà prononcée sur une question semblable dans l’arrêt Somodi, je ne la certifierai pas.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1305-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. L’intitulé de la cause est modifié par substitution du « Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration » au « Ministre de la Citoyenneté, des Réfugiés et de l’Immigration » à titre de défendeur.

  2. Une prorogation de 10 jours après la publication de la présente décision est accordée au demandeur pour le dépôt d’une demande d’autorisation concernant la décision datée du 7 juillet 2017 relativement à la requête en réouverture.

  3. La demande est rejetée.

  4. La question proposée par le demandeur aux fins de certification est rejetée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1305-17

 

INTITULÉ :

COSTEL SLATINEANU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 décembre 2017

 

COMPARUTIONS :

H. J. Yehuda Levinson

Allison Williams

Pour le demandeur

Laoura Christodoulides

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levinson and Associates

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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