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Date : 20170711


Dossier : IMM-337-17

Référence : 2017 CF 1051

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 11 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

FLORENCE NANGA CHO

DANIELA NGWE NTANGO

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Mme Florence Nanga CHO (la demanderesse), en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27, d’une décision rendue par un agent d’immigration supérieur (l’agent) le 20 décembre 2016, refusant sa demande d’examen des risques avant renvoi.

[2]  La question déterminante dans la présente demande concerne le caractère raisonnable de la décision de l’agent rejetant la demande d’examen des risques avant renvoi. Par conséquent, je ne formule aucun commentaire sur les autres arguments soulevés, soit le caractère déraisonnable ou l’absence d’équité procédurale allégués, concernant la conclusion selon laquelle la violence fondée sur le sexe, y compris la mutilation génitale des femmes, était un risque généralisé plutôt que personnalisé, selon les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, et l’omission de tenir une audience orale pour statuer sur la crédibilité.

[3]  Aux paragraphes 57 et 62, de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada au paragraphe 47 explique ce que l’on attend d’un tribunal lorsqu’il effectue une révision selon la norme de révision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[4]  La Cour suprême du Canada prescrit aussi que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase; la décision doit être considérée comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34. De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte au vu du dossier, est raisonnable : Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir aussi l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.

[5]  Les demandes d’asile de la demanderesse et de sa fille ont été rejetées par la Section de la protection des réfugiés, tout comme l’appel qu’elles ont interjeté devant la Section d’appel des réfugiés, et la demande d’autorisation de contrôle judiciaire a été rejetée.

[6]  Le nouveau risque allégué des demanderesses découle de faits, acceptés par l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi comme de nouveaux éléments de preuve, selon lesquels la demanderesse a été victime de la traite de personnes à des fins sexuelles en Chine, raison pour laquelle le père de la fille, au Cameroun, a menacé de soumettre sa fille de 6 ans à la mutilation génitale pour la purifier des démons de sa mère.

[7]  Devant l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi, la mère a déposé un affidavit à cet égard ainsi qu’une lettre de sa mère (la grand-mère de la fille), dans laquelle la grand-mère a écrit que le père de la fille et sa famille [traduction] « connaissaient bien le passé de prostituée de Florence. Par conséquent, ils veulent exciser (la fille) sous prétexte qu’ils souhaitent faire disparaître de son sang le mal installé par sa mère, puisque c’est leur tradition ».

[8]  Comme je l’ai mentionné, même si l’agent avait déjà reconnu qu’il s’agissait de nouveaux éléments de preuve, puisqu’ils n’avaient jamais été présentés à la Section d’appel des réfugiés ni à la Section de la protection des réfugiés, l’agent a fait fi de la lettre de la grand-mère pour plusieurs motifs.

[9]  D’abord, il l’a écartée parce que la mère et la grand-mère avaient [traduction] « un intérêt » dans la demande. Ne pas tenir compte de la lettre pour ce motif ne pouvait se justifier au regard du droit, compte tenu de la jurisprudence de notre Cour : voir la décision du juge Diner dans l’affaire Abusaninah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 234, aux paragraphes 38 et 39, ma décision dans l’affaire Tabatadze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 24, ainsi que la décision Cruz Ugalde c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 458, où le juge de Montigny, tel était alors son titre, a conclu ce qui suit :

[28] [...] L’agente aurait sans doute préféré des lettres écrites par des personnes n’ayant aucun lien avec les demandeurs et ne se souciant pas de leur bien‑être. Cependant, il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce qu’une personne n’ayant aucun lien avec les demandeurs soit en mesure de fournir ce genre de preuve à propos de ce qui est arrivé aux demandeurs au Mexique. Les membres de la famille des demandeurs ont été témoins de leur persécution alléguée, alors ce sont les personnes les mieux placées pour témoigner au sujet de ces événements. De plus, comme les membres de leur famille ont eux‑mêmes été ciblés après le départ des demandeurs, il est opportun qu’ils décrivent eux‑mêmes les événements qu’ils ont vécus. Par conséquent, il était déraisonnable que l’agente n’ajoute pas foi à cette preuve simplement parce qu’elle émanait de personnes liées aux demandeurs.

[10]  Ensuite, la décision de l’agent de rejeter la lettre est également déraisonnable compte tenu de sa conclusion selon laquelle [traduction] : « le document concerne des faits que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a jugés non crédibles et il ne réfute pas la conclusion de cette dernière en ce qui concerne les mêmes craintes ». Cette conclusion n’est pas défendable parce qu’elle n’est pas étayée ni justifiée par le dossier, qui démontre, comme l’agent en a déjà conclu, que les faits selon lesquels les activités de prostitution de la mère en tant que personne ayant été victime de la traite de personnes à des fins sexuelles en Chine et la menace connexe, pour ce motif, d’exciser l’enfant n’ont pas été présentés à la Section de la protection des réfugiés ou à la Section d’appel des réfugiés. Comme ces nouveaux éléments de preuve n’ont pas été présentés à la Section de la protection des réfugiés ou à la Section d’appel des réfugiés, ils ne pouvaient pas avoir été [traduction] « jugés non crédibles », même si je reconnais que les mêmes craintes ont alors été alléguées, mais pour d’autres motifs.

[11]  Une autre déclaration contenue dans la décision de l’agent confirme ma réserve quant à cette question : [traduction] « [L]a demanderesse allègue essentiellement les mêmes faits que ceux soulevés devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié »; ce n’était pas le cas puisque la déposition de la grand-mère constituait un nouvel élément de preuve et qu’il ne s’agissait pas de faits invoqués devant la Section de la protection des réfugiés ou la Section d’appel des réfugiés.

[12]  Je suis d’avis que l’allégation de la grand-mère est fondamentale à l’allégation selon laquelle l’enfant craint d’être agressée et que sa lettre corrobore la preuve par affidavit de la demanderesse, personnellement, et elle est corroborée par ce dernier. Cette nouvelle allégation de risque n’a pas été précisément examinée ou tranchée et je suis d’avis que, compte tenu de toutes les circonstances, il est risqué de confirmer cette décision. Considérant l’affaire comme un tout, je conclus que la décision relative à l’examen des risques avant renvoi n’est pas raisonnable et qu’elle doit, par conséquent, être annulée à des fins de nouvelle détermination; elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, selon l’arrêt Dunsmuir.

[13]  Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire, la décision de l’agent des visas est annulée et l’affaire est renvoyée pour réexamen par un autre agent des visas. Aucune question n’est certifiée, et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-337-17

INTITULÉ :

FLORENCE NANGA CHO, DANIELA NGWE NTANGO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 JUILLET 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 11 JUILLET 2017

COMPARUTIONS :

Allison Chantal Rhoades

POUR LES DEMANDERESSES

Christopher Ezrin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Allison Chantal Rhoades

Avocate

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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