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Date : 20171201


Dossier : IMM-1234-17

Référence : 2017 CF 1091

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2017

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

ABSHIR BARRE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  M. Abshir Barre demande le contrôle judiciaire, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR], d’une décision du 6 février 2017 dans laquelle le délégué du ministre [délégué] rejette sa demande de réouverture et réexamen d’une décision de juin 2012, selon laquelle le demandeur constituait un danger pour le public canadien et que son renvoi en Somalie ne l’exposerait pas à un risque [l’avis de danger].

[2]  M. Barre fait valoir que le délégué a contrevenu aux principes d’équité procédurale en ne l’avisant pas qu’une décision était imminente. Il fait valoir qu’une obligation d’équité accrue s’applique à la demande de réouverture et réexamen de l’avis de danger. Il soutient que l’omission du délégué de communiquer un avis d’une décision imminente a entraîné l’exclusion d’éléments de preuve pertinents liés à la question de savoir s’il constitue un danger pour le public canadien et à la nature du risque auquel il sera confronté à son retour en Somalie. Il demande maintenant la possibilité de présenter ces éléments de preuve devant la Cour. M. Barre demande l’annulation de la décision du délégué et le renvoi de l’affaire pour nouvelle décision par un autre décideur.

[3]  Pour les motifs exposés de manière détaillée plus loin, je ne suis pas convaincu que le délégué avait l’obligation de demander des arguments mis à jour à M. Barre et de lui communiquer un préavis d’une décision en instance. Par conséquent, il m’est impossible de conclure qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale. La demande est rejetée.

[4]  Ma conclusion selon laquelle il n’y avait aucune obligation de demander d’autres arguments à M. Barre est déterminante en l’espèce. Je n’ai donc pas à me pencher sur l’admissibilité de la nouvelle preuve liée à la réhabilitation et à la récupération de M. Barre ou sur les conditions du pays en Somalie.

II.  Intitulé

[5]  Le demandeur a nommé le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté comme le défendeur en l’espèce. Le défendeur approprié est le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, alinéa 5(2)b) et LIPR, paragraphe 4(1)). En conséquence, le défendeur dans l’intitulé est modifié, supprimant le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté en qualité de défendeur, et nommant le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en qualité de défendeur (Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, alinéa 76a)).

III.  Les faits

[6]  M. Barre a quitté la Somalie à l’âge de 11 ans et est arrivé au Canada le 4 décembre 1992, en passant au moins par le Kenya et les États‑Unis, en compagnie de sa mère et de ses trois frères et sœurs (deux sœurs et un frère). Il s’est vu accorder le statut de réfugié au sens de la Convention.

[7]  M. Barre possède un dossier de condamnations criminelles qui s’étend de 1998 à 2011, comprenant des voies de fait causant des lésions corporelles, en contravention de l’alinéa 267b) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, et des voies de fait graves, en contravention de l’article 268 du Code criminel. Ces condamnations ont entraîné ce qui suit : des rapports d’interdiction du territoire en application de la LIPR, une mesure d’expulsion, ainsi que de nombreuses périodes de détention aux fins de l’immigration, la dernière suivant l’achèvement d’une peine imposée en juillet 2013, après qu’il a été déclaré coupable suite à une accusation de vol qualifié, en contravention de l’alinéa 334(1)b) du Code criminel.

[8]  Il a déclaré que sa famille avait été riche et importante sur le plan politique en Somalie et que son frère a été tué lorsqu’il est retourné en Somalie et a tenté de récupérer une part des anciens biens de la famille. M. Barre soutient que les facteurs suivants l’exposent tous à un risque s’il était renvoyé en Somalie : le décès de son frère; la richesse et l’implication politique passées de sa famille; son manque de connaissances de la Somalie; ses systèmes de clans et sa langue (il parle seulement un peu la langue); le groupe Al‑Shabab pourrait le tuer en tant qu’étranger; et il serait ciblé en tant qu’Occidental.

[9]  En juin 2012, l’avis de danger a conclu que M. Barre constituait un danger pour le public en application de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR. L’avis de danger concluait alors que les perspectives de réhabilitation et de réintégration de M. Barre ne suffisaient pas à atténuer le risque qu’il constituait pour la société canadienne. L’avis de danger concluait également que M. Barre ne serait pas, selon la prépondérance des probabilités, exposé à un risque individualisé pour la vie, à un risque de torture ou à un risque de traitements ou de peines cruels et inhabituels, ou à plus qu’une simple possibilité de persécution s’il était renvoyé en Somalie.

[10]  L’avis de danger permettait le renvoi de M. Barre en Somalie, malgré son statut de réfugié au sens de la Convention. Une demande d’autorisation d’interjeter appel et de contrôle judiciaire de l’avis de danger a été présentée. La Cour a rejeté la demande d’autorisation.

[11]  Le dossier indique que le défendeur a cherché à renvoyer M. Barrie en Somalie après la délivrance de l’avis de danger. Ces efforts n’ont pas été fructueux en raison, du moins en partie, du refus de M. Barre de collaborer au processus de renvoi.

[12]  En avril 2014, M. Barre a demandé la réouverture et le réexamen de l’avis de danger. En août 2016, M. Barre a été libéré sous supervision par les autorités de l’immigration à la suite d’une audition relative à l’examen des motifs de détention en juillet 2016.

IV.  La décision faisant l’objet d’un contrôle : la demande de réouverture et de réexamen

[13]  En demandant la réouverture et le réexamen de l’avis de danger, l’avocat de M. Barre s’est appuyé sur le passage du temps, la nature ancienne de sa criminalité, l’absence d’une analyse de l’article 7 de la Charte dans l’avis de danger, la preuve d’un risque personnalisé et accru en Somalie ainsi que des considérations d’ordre humanitaires [CH]. En concluant ses arguments écrits, l’avocat de M. Barre écrit ce qui suit :

[traduction]

Nous vous demandons aussi, si vous avez des préoccupations à l’égard de l’une des questions soulevées aux présentes, d’informer nos bureaux pour que nous puissions tenter d’y répondre de la même façon. Nous fournirons d’autres renseignements et demandons respectueusement un préavis de 30 jours si votre bureau est prêt à rendre une décision dans cette affaire.

[14]  Une décision rejetant la demande a été rendue le 6 février 2017, près de trois ans après le dépôt de la demande originale. M. Barre n’a reçu aucun préavis qu’une décision était sur le point d’être rendue à l’égard de la demande.

[15]  Le délégué a conclu que la preuve de réhabilitation était limitée et que la preuve indiquait une amélioration des conditions en Somalie. Le délégué a également conclu que la préoccupation liée à la Charte soulevée correspondait à une affaire dont notre Cour aurait tenu compte afin de rejeter la demande de contrôle judiciaire à l’égard de l’avis de danger, et qu’il était peu probable que les facteurs CH soulevés modifient, en soi, l’issue de l’avis de danger. La demande de réouverture et de réexamen a été rejetée.

V.  Normes de contrôle

[16]  Les parties ne contestent pas que la norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale, un décideur n’a droit à aucune retenue (Mission Institution c Khela, 2014 CSC 24 au paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339 [Khosa]; A N c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 549 au paragraphe 19, 42 Imm LR (4e) 5).

[17]  Au moment de procéder à un examen du caractère correct de l’équité procédurale, « [l]a Cour doit déterminer si l’obligation d’agir de manière équitable a été satisfaite dans le contexte particulier de l’affaire dont la Cour est saisie » (Johnson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 550 au paragraphe 10, 280 ACWS (3d) 374 [Johnson] citant Baker c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1999] 2 RCS 817 au paragraphe 21, 174 DLR (4e) 193 [Baker]). Cette analyse personnalisée est requise, car « [l]’obligation d’équité varie et dépend d’une appréciation du contexte dans lequel se pose la question » (Johnson, ibid., au paragraphe 13 citant : Baker, ibid., au paragraphe 21; et Ha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49 au paragraphe 40, [2004] 3 RCF 195).

VI.  Discussion

[18]   M. Barre fait valoir que, selon les faits de l’espèce, le délégué était tenu d’indiquer qu’une décision était imminente et de lui donner la possibilité de mettre à jour ses arguments. En faisant valoir cette position, il s’appuie sur Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 au paragraphe 115, [2002] 1 RCS 3, citant les paragraphes 23 à 27 de Baker, qui énoncent les facteurs non-exhaustifs qu’une cour doit examiner au moment de décider de la portée de l’équité procédurale dans une situation donnée.

[19]  Il soutient que la jurisprudence a reconnu que le degré d’obligation d’équité est élevé dans le contexte d’un avis de danger, lorsque l’issue est un refoulement vers de la torture ou d’autres formes de mauvais traitements (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Bhagwandass, 2001 CAF 49 aux paragraphes 30 et 31, [2001] 3 RCF 3). M. Barre reconnaît que la décision faisant l’objet d’un contrôle n’est pas un avis de danger, mais soutient que les mêmes intérêts sont en jeu, donc, qu’un degré d’équité similaire s’applique. Il soutient également que le passage du temps entre la demande formulée et la décision rendue a imposé une plus grande obligation au délégué de fournir un préavis quelconque de la décision imminente. À cet égard, il souligne ce qui suit : (1) il fait l’objet d’une mesure de renvoi vers un environnement particulièrement dangereux; (2) le délégué aurait dû être savoir qu’il avait été libéré, un changement important dans sa situation; et (3) qu’il avait expressément indiqué, dans ses observations de 2014, que d’autres renseignements seraient fournis et qu’un préavis d’une décision imminente avait été demandé.

[20]  Il est bien établi dans le contexte de la LIPR qu’il incombe à un demandeur de fournir tous les documents à l’appui d’une demande. Un décideur n’a pas l’obligation de demander des renseignements supplémentaires et le demandeur qui omet de fournir des renseignements ou de mettre à jour sa demande au fur et à mesure que la situation évolue le fait à ses risques et périls (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2004 CAF 38 au paragraphe 8, [2004] 2 RCF 635; Zhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 952 au paragraphe 20, 206 ACWS (3e) 178; Bellido c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452 au paraphe 35, 138 ACWS (3d) 728; Nehme c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 64 au paragraphe 18, 245 FTR 139; Bernard c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 FTR 1068 aux paragraphes 23 et 24, 108 ACWS (3e) 1040; Prasad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 34 Imm LR (2e) 91, Ahn c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 166 CFPI 139, 1999 CanLII 7929 aux paragraphes 14 à 16 (CFPI), Lam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 152 FTR 316, 1998 CanLII 8315 au paragraphe 4 (CFPI) Arumugam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 985 au paragraphe 17, 211 FTR 65).

[21]  Un demandeur ne peut pas, à mon avis, transférer à un décideur le fardeau de décider si la situation a changé ou de demander des renseignements à jour en l’informant que [traduction] « [n]ous fournirons d’autres renseignements et demandons respectueusement un préavis de 30 jours si votre bureau est prêt à rendre une décision dans cette affaire ». Même si un demandeur est très certainement en mesure de demander un préavis, cela ne veut pas dire que la demande sera accueillie; il incombe toujours au demandeur de présenter ses meilleurs arguments. En ce qui concerne la question relative à l’obligation d’équité, je souligne que M. Barre était bien au fait du changement de situation découlant de sa libération et qu’il était en mesure d’apprécier si ce changement était important. M. Barre savait aussi que sa demande de réouverture et de réexamen de l’avis de danger était en suspens. Par conséquent, M. Barre était bien placé pour présenter des renseignements au délégué en ce qui a trait au changement de sa situation. Le délégué n’était pas tenu de demander de tels renseignements.

[22]  De la même manière, les renseignements liés aux conditions du pays étaient des renseignements que M. Barre était en mesure de présenter au délégué. En fait, M. Barre a expressément indiqué qu’il présenterait d’autres renseignements, et pourtant, il n’y a aucune indication au dossier selon laquelle d’autres renseignements ont été présentés. Le dossier n’indique pas non plus que la conduite du défendeur a entraîné une attente selon laquelle une décision ne serait pas rendue avant que d’autres renseignements soient présentés ou qu’un préavis de décision imminente serait communiqué. Le défendeur est resté silencieux à propos de la demande de préavis de M. Barre. Le silence ne peut constituer un motif pour conclure qu’une obligation a été assumée ou qu’une attente est créée. Je ferais remarquer que, malgré le défaut de M. Barre de fournir des renseignements supplémentaires ou à jour, la décision tient compte du fait que le délégué a effectivement examiné les éléments de preuve à jour couramment disponibles sur les conditions du pays.

[23]  Même si je ne suis pas convaincu qu’une demande de réouverture et de réexamen d’un avis de danger soit assujettie à la même norme élevée d’équité à laquelle la procédure originale d’avis de danger est assujettie, cette question n’est pas soulevée en l’espèce. M. Barre demeure assujetti à l’obligation de montrer, au moyen d’une preuve prima facie, qu’un changement important dans la situation est survenu et justifie la tenue d’un réexamen, peu importe l’endroit où se situe l’obligation d’équité dans le spectre au moment d’examiner les facteurs énoncés dans Baker. Le délégué a conclu que M. Barre n’avait pas démontré l’existence d’un changement important dans la situation et M. Barre n’a pas contesté le caractère raisonnable de cette conclusion fondée sur la preuve dont était saisi le délégué.

VII.  Conclusion

[24]  La demande est rejetée. Les parties n’ont proposé la certification d’aucune question de portée générale et aucune n’est soulevée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé est modifié, supprimant le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté en tant que défendeur, et désignant le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en tant que défendeur.

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1234-17

 

INTITULÉ :

ABSHIR BARRE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 OctobRe 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1er décembRe 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Benjamin Liston

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Julie Waldman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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