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Date : 20171205


Dossier : T-744-14

Référence : 2017 CF 1100

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

TASEKO MINES LIMITED

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LE GOUVERNEMENT NATIONAL TSILHQOT’IN et JOEY ALPHONSE, pour son propre compte et pour le compte des autres membres de la Nation Tsilhqot’in

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. INTRODUCTION

[1] Taseko Mines Limited (Taseko) a déposé une demande de contrôle judiciaire de la déclaration du 25 février 2014 par laquelle le ministre de l’Environnement (le ministre) et le gouverneur en conseil annonçaient leurs décisions rendues conformément à l’article 52 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), LC 2012, c 19, art. 52 (LCEE 2012). Dans sa décision, le ministre a conclu que le projet de mine d’or et de cuivre New Prosperity était de nature à entraîner des effets environnementaux négatifs importants, et le gouverneur en conseil a par la suite établi que ces effets n’étaient pas justifiés dans les circonstances.

[2] La présente demande de contrôle judiciaire fait partie des démarches entreprises par Taseko pour obtenir l’approbation environnementale de son projet d’exploitation de la mine d’or et de cuivre à ciel ouvert New Prosperity (le projet) au sud-ouest de Williams Lake, en Colombie-Britannique. Le site minier se trouve sur le territoire traditionnel des Tsilhqot’in.

[3] Une commission a réalisé une évaluation environnementale du projet et publié un rapport. Le rapport conclut que les écoulements d’eaux contaminées provenant des parcs à résidus miniers seraient supérieurs aux niveaux estimés par Taseko. La commission n’a pas été convaincue non plus par la proposition de Taseko d’attendre l’approbation du projet avant de commencer la médiation.

[4] Ces événements sont à l’origine de la demande de contrôle judiciaire du rapport de la commission d’évaluation faisant l’objet du dossier connexe T-1977-13 et de la décision rendue le 5 décembre 2017.

[5] En l’espèce, le contrôle judiciaire porte sur des allégations de manquement à l’équité procédurale et d’erreurs de compétence, ainsi que sur une attaque de la constitutionnalité de l’alinéa 5(1)c) ainsi que des articles 6 et 7 de la LCEE 2012 (la constitutionnalité de l’article 7 n’a toutefois pas été vraiment contestée).

[6] En résumé, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. À ce stade du processus, la demanderesse avait droit à un certain degré d’équité procédurale qui lui a été offerte compte tenu des circonstances. Par ailleurs, parce qu’il n’était pas nécessaire de trancher la question de la constitutionnalité de l’alinéa 5(1)c) et des articles 6 et 7 et de la LCEE 2012 à ce stade-ci et parce que le dossier ne s’y prêtait pas, ces dispositions seront subsidiairement considérées comme étant constitutionnelles.

[7] Taseko cherche à obtenir les réparations suivantes :

  1. une ordonnance annulant les décisions par lesquelles le ministre a statué que le projet était de nature à entraîner des effets environnementaux négatifs importants en application des alinéas 52(1)a) et b) de la LCEE 2012, et lui renvoyant le dossier pour réexamen suivant les directives de la Cour;

  2. une ordonnance annulant la décision par laquelle le gouverneur en conseil a statué que le projet était de nature à entraîner des effets environnementaux négatifs importants injustifiables dans les circonstances et lui renvoyant le dossier pour réexamen suivant les directives de la Cour;

  3. une déclaration portant que l’alinéa 5(1)c) ainsi que les articles 6 et 7 de la LCEE 2012 excèdent les pouvoirs législatifs conférés au gouvernement fédéral à l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867;

  4. subsidiairement, une déclaration portant que l’alinéa 5(1)c) ainsi que les articles 6 et 7 de la LCEE 2012 portent atteinte au contenu essentiel des pouvoirs législatifs conférés aux provinces à l’article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, et qu’ils doivent faire l’objet d’une interprétation restrictive ou être déclarés inapplicables;

  5. l’adjudication des dépens de la présente demande;

  6. toute autre réparation que notre honorable Cour estimera juste.

II. RÉSUMÉ DES FAITS

[8] Les dispositions pertinentes sont reproduites ci-dessous :

Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), LC 2012, c 19, art. 52

5 (1) Pour l’application de la présente loi, les effets environnementaux qui sont en cause à l’égard d’une mesure, d’une activité concrète, d’un projet désigné ou d’un projet sont les suivants :

5 (1) For the purposes of this Act, the environmental effects that are to be taken into account in relation to an act or thing, a physical activity, a designated project or a project are

a) les changements qui risquent d’être causés aux composantes ci-après de l’environnement qui relèvent de la compétence législative du Parlement :

(a) a change that may be caused to the following components of the environment that are within the legislative authority of Parliament:

(i) les poissons et leur habitat, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les pêches,

(i) fish and fish habitat as defined in subsection 2(1) of the Fisheries Act,

(ii) les espèces aquatiques au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les espèces en péril,

(ii) aquatic species as defined in subsection 2(1) of the Species at Risk Act,

(iii) les oiseaux migrateurs au sens du paragraphe 2(1) de la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs,

(iii) migratory birds as defined in subsection 2(1) of the Migratory Birds Convention Act, 1994, and

(iv) toute autre composante de l’environnement mentionnée à l’annexe 2;

(iv) any other component of the environment that is set out in Schedule 2;

b) les changements qui risquent d’être causés à l’environnement, selon le cas :

(b) a change that may be caused to the environment that would occur

(i) sur le territoire domanial,

(i) on federal lands,

(ii) dans une province autre que celle dans laquelle la mesure est prise, l’activité est exercée ou le projet désigné ou le projet est réalisé,

(ii) in a province other than the one in which the act or thing is done or where the physical activity, the designated project or the project is being carried out, or

(iii) à l’étranger;

(iii) outside Canada; and

c) s’agissant des peuples autochtones, les répercussions au Canada des changements qui risquent d’être causés à l’environnement, selon le cas :

(c) with respect to aboriginal peoples, an effect occurring in Canada of any change that may be caused to the environment on

(i) en matière sanitaire et socio-économique,

(i) health and socio-economic conditions,

(ii) sur le patrimoine naturel et le patrimoine culturel,

(ii) physical and cultural heritage,

(iii) sur l’usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles,

(iii) the current use of lands and resources for traditional purposes, or

(iv) sur une construction, un emplacement ou une chose d’importance sur le plan historique, archéologique, paléontologique ou architectural.

(iv) any structure, site or thing that is of historical, archaeological, paleontological or architectural significance.

(2) Toutefois, si l’exercice de l’activité ou la réalisation du projet désigné ou du projet exige l’exercice, par une autorité fédérale, d’attributions qui lui sont conférées sous le régime d’une loi fédérale autre que la présente loi, les effets environnementaux comprennent en outre :

(2) However, if the carrying out of the physical activity, the designated project or the project requires a federal authority to exercise a power or perform a duty or function conferred on it under any Act of Parliament other than this Act, the following environmental effects are also to be taken into account:

a) les changements — autres que ceux visés aux alinéas (1)a) et b) — qui risquent d’être causés à l’environnement et qui sont directement liés ou nécessairement accessoires aux attributions que l’autorité fédérale doit exercer pour permettre l’exercice en tout ou en partie de l’activité ou la réalisation en tout ou en partie du projet désigné ou du projet;

(a) a change, other than those referred to in paragraphs (1)(a) and (b), that may be caused to the environment and that is directly linked or necessarily incidental to a federal authority’s exercise of a power or performance of a duty or function that would permit the carrying out, in whole or in part, of the physical activity, the designated project or the project; and

b) les répercussions — autres que celles visées à l’alinéa (1)c) — des changements visés à l’alinéa a), selon le cas :

(b) an effect, other than those referred to in paragraph (1)(c), of any change referred to in paragraph (a) on

(i) sur les plans sanitaire et socio-économique,

(i) health and socio-economic conditions,

(ii) sur le patrimoine naturel et le patrimoine culturel,

(ii) physical and cultural heritage, or

(iii) sur une construction, un emplacement ou une chose d’importance sur le plan historique, archéologique, paléontologique ou architectural.

(iii) any structure, site or thing that is of historical, archaeological, paleontological or architectural significance.

[…]

6 Le promoteur d’un projet désigné ne peut prendre une mesure se rapportant à la réalisation de tout ou partie du projet et pouvant entraîner des effets environnementaux visés au paragraphe 5(1) que si, selon le cas :

6 The proponent of a designated project must not do any act or thing in connection with the carrying out of the designated project, in whole or in part, if that act or thing may cause an environmental effect referred to in subsection 5(1) unless

a) l’Agence décide, au titre de l’alinéa 10b), qu’aucune évaluation environnementale du projet n’est requise et affiche sa décision sur le site Internet;

(a) the Agency makes a decision under paragraph 10(b) that no environmental assessment of the designated project is required and posts that decision on the Internet site; or

b) le promoteur prend la mesure en conformité avec les conditions qui sont énoncées dans la déclaration qui lui est remise au titre du paragraphe 31(3) ou de l’article 54 relativement au projet.

(b) the proponent complies with the conditions included in the decision statement that is issued under subsection 31(3) or section 54 to the proponent with respect to that designated project.

7 L’autorité fédérale ne peut exercer les attributions qui lui sont conférées sous le régime d’une loi fédérale autre que la présente loi et qui pourraient permettre la réalisation en tout ou en partie d’un projet désigné que si, selon le cas :

7 A federal authority must not exercise any power or perform any duty or function conferred on it under any Act of Parliament other than this Act that could permit a designated project to be carried out in whole or in part unless

a) l’Agence décide, au titre de l’alinéa 10b), qu’aucune évaluation environnementale du projet n’est requise et affiche sa décision sur le site Internet;

(a) the Agency makes a decision under paragraph 10(b) that no environmental assessment of the designated project is required and posts that decision on the Internet site; or

b) la déclaration remise au promoteur du projet au titre du paragraphe 31(3) ou de l’article 54 relativement au projet donne avis d’une décision portant que la réalisation du projet n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants ou que les effets environnementaux négatifs importants que la réalisation du projet est susceptible d’entraîner sont justifiables dans les circonstances.

(b) the decision statement with respect to the designated project that is issued under subsection 31(3) or section 54 to the proponent of the designated project indicates that the designated project is not likely to cause significant adverse environmental effects or that the significant adverse environmental effects that it is likely to cause are justified in the circumstances.

[…]

47 (1) Après avoir pris en compte le rapport d’évaluation environnementale de la commission, le ministre prend les décisions prévues au paragraphe 52(1).

47 (1) The Minister, after taking into account the review panel’s report with respect to the environmental assessment, must make decisions under subsection 52(1).

(2) Il peut, avant de les prendre, faire procéder par le promoteur du projet désigné en cause aux études et à la collecte de renseignements qu’il estime nécessaires à la prise des décisions.

(2) The Minister may, before making decisions referred to in subsection 52(1), require the proponent of the designated project to collect any information or undertake any studies that, in the opinion of the Minister, are necessary for the Minister to make decisions.

[…]

52 (1) Pour l’application des articles 27, 36, 47 et 51, le décideur visé à ces articles décide si, compte tenu de l’application des mesures d’atténuation qu’il estime indiquées, la réalisation du projet désigné est susceptible :

52 (1) For the purposes of sections 27, 36, 47 and 51, the decision maker referred to in those sections must decide if, taking into account the implementation of any mitigation measures that the decision maker considers appropriate, the designated project

a) d’une part, d’entraîner des effets environnementaux visés au paragraphe 5(1) qui sont négatifs et importants;

(a) is likely to cause significant adverse environmental effects referred to in subsection 5(1); and

b) d’autre part, d’entraîner des effets environnementaux visés au paragraphe 5(2) qui sont négatifs et importants.

(b) is likely to cause significant adverse environmental effects referred to in subsection 5(2).

(2) S’il décide que la réalisation du projet est susceptible d’entraîner des effets environnementaux visés aux paragraphes 5(1) ou (2) qui sont négatifs et importants, le décideur renvoie au gouverneur en conseil la question de savoir si ces effets sont justifiables dans les circonstances.

(2) If the decision maker decides that the designated project is likely to cause significant adverse environmental effects referred to in subsection 5(1) or (2), the decision maker must refer to the Governor in Council the matter of whether those effects are justified in the circumstances.

(3) Si le décideur est une autorité responsable visée à l’un des alinéas 15a) à c), le renvoi se fait par l’entremise du ministre responsable de l’autorité devant le Parlement.

(3) If the decision maker is a responsible authority referred to in any of paragraphs 15(a) to (c), the referral to the Governor in Council is made through the Minister responsible before Parliament for the responsible authority.

(4) Saisi d’une question au titre du paragraphe (2), le gouverneur en conseil peut décider :

(4) When a matter has been referred to the Governor in Council, the Governor in Council may decide

a) soit que les effets environnementaux négatifs importants sont justifiables dans les circonstances;

(a) that the significant adverse environmental effects that the designated project is likely to cause are justified in the circumstances; or

b) soit que ceux-ci ne sont pas justifiables dans les circonstances.

(b) that the significant adverse environmental effects that the designated project is likely to cause are not justified in the circumstances.

[…]

54 (1) Le décideur fait une déclaration qu’il remet au promoteur du projet désigné dans laquelle :

54 (1) The decision maker must issue a decision statement to the proponent of a designated project that

a) il donne avis des décisions qu’il a prises relativement au projet au titre des alinéas 52(1)a) et b) et, le cas échéant, de la décision que le gouverneur en conseil a prise relativement au projet en vertu du paragraphe 52(4);

(a) informs the proponent of the designated project of the decisions made under paragraphs 52(1)(a) and (b) in relation to the designated project and, if a matter was referred to the Governor in Council, of the decision made under subsection 52(4) in relation to the designated project; and

b) il énonce toute condition fixée en vertu de l’article 53 relativement au projet que le promoteur est tenu de respecter.

(b) includes any conditions that are established under section 53 in relation to the designated project and that must be complied with by the proponent.

(2) Dans le cas où il a pris les décisions au titre des alinéas 52(1)a) et b) pour l’application de l’article 47, le décideur est tenu de faire la déclaration dans les vingt-quatre mois suivant la date où il a renvoyé, au titre de l’article 38, l’évaluation environnementale du projet pour examen par une commission.

(2) When the decision maker has made a decision under paragraphs 52(1)(a) and (b) in relation to the designated project for the purpose of section 47, the decision maker must issue the decision statement no later than 24 months after the day on which the environmental assessment of the designated project was referred to a review panel under section 38.

(3) Il peut prolonger ce délai de la période nécessaire pour permettre toute coopération avec une instance à l’égard de l’évaluation environnementale du projet ou pour tenir compte des circonstances particulières du projet. Il ne peut toutefois prolonger le délai de plus de trois mois.

(3) The decision maker may extend that time limit by any further period – up to a maximum of three months – that is necessary to permit cooperation with any jurisdiction with respect to the environmental assessment of the designated project or to take into account circumstances that are specific to the project.

(4) Le gouverneur en conseil peut, sur la recommandation du ministre, prolonger le délai prolongé en vertu du paragraphe (3).

(4) The Governor in Council may, on the recommendation of the Minister, extend the time limit extended under subsection (3).

(5) L’Agence affiche sur le site Internet un avis de toute prolongation accordée en vertu des paragraphes (3) ou (4) relativement au projet.

(5) The Agency must post a notice of any extension granted under subsection (3) or (4) on the Internet site.

(6) Dans le cas où l’Agence, la commission ou le ministre exigent du promoteur, au titre de l’article 39 ou des paragraphes 44(2) ou 47(2), selon le cas, qu’il procède à des études ou à la collecte de renseignements relativement au projet, ne sont pas comprises dans le calcul du délai dont dispose le décideur pour faire la déclaration :

(6) If the Agency, the review panel or the Minister, under section 39 or subsection 44(2) or 47(2), respectively, requires the proponent of the designated project to collect information or undertake a study with respect to the designated project, the calculation of the time limit within which the decision maker must issue the decision statement does not include:

a) la période prise, de l’avis de l’Agence, par le promoteur pour remplir l’exigence au titre de l’article 39;

(a) the period that is taken by the proponent, in the opinion of the Agency, to comply with the requirement under section 39;

b) la période prise, de l’avis de la commission, par le promoteur pour remplir l’exigence au titre du paragraphe 44(2);

(b) the period that is taken by the proponent, in the opinion of the review panel, to comply with the requirement under subsection 44(2); and

c) la période prise, de l’avis du ministre, par le promoteur pour remplir l’exigence au titre du paragraphe 47(2).

(c) the period that is taken by the proponent, in the opinion of the Minister, to comply with the requirement under subsection 47(2).

[…]

126 (1) Malgré le paragraphe 38(6) et sous réserve des paragraphes (2) à (6), tout examen par une commission d’un projet commencé sous le régime de l’ancienne loi avant la date d’entrée en vigueur de la présente loi se poursuit sous le régime de la présente loi comme si le ministre avait renvoyé, au titre de l’article 38, l’évaluation environnementale du projet pour examen par une commission; le projet est réputé être un projet désigné pour l’application de la présente loi et de la partie 3 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable et :

126 (1) Despite subsection 38(6) and subject to subsections (2) to (6), any assessment by a review panel, in respect of a project, commenced under the process established under the former Act before the day on which this Act comes into force is continued under the process established under this Act as if the environmental assessment had been referred by the Minister to a review panel under section 38. The project is considered to be a designated project for the purposes of this Act and Part 3 of the Jobs, Growth and Long-term Prosperity Act, and

a) si, avant cette date d’entrée en vigueur, une commission avait été constituée aux termes de l’article 33 de l’ancienne loi relativement au projet, elle est réputée avoir été constituée — et ses membres sont réputés avoir été nommés — aux termes du paragraphe 42(1) de la présente loi;

(a) if, before that day, a review panel was established under section 33 of the former Act, in respect of the project, that review panel is considered to have been established — and its members are considered to have been appointed — under subsection 42(1) of this Act;

b) si, avant cette date, un accord avait été conclu aux termes du paragraphe 40(2) de l’ancienne loi relativement au projet, il est réputé avoir été conclu en vertu de l’article 40 de la présente loi;

(b) if, before that day, an agreement or arrangement was entered into under subsection 40(2) of the former Act, in respect of the project, that agreement or arrangement is considered to have been entered into under section 40 of this Act; and

c) si, avant cette date, une commission avait été constituée en vertu d’un accord conclu aux termes du paragraphe 40(2) de l’ancienne loi ou du document visé au paragraphe 40(2.1) de l’ancienne loi relativement au projet, elle est réputée avoir été constituée — et ses membres sont réputés avoir été nommés — en vertu d’un accord conclu aux termes de l’article 40 de la présente loi ou du document visé au paragraphe 41(2) de la présente loi.

(c) if, before that day, a review panel was established by an agreement or arrangement entered into under subsection 40(2) of the former Act or by document referred to in subsection 40(2.1) of the former Act, in respect of the project, it is considered to have been established by — and its members are considered to have been appointed under — an agreement or arrangement entered into under section 40 of this Act or by document referred to in subsection 41(2) of this Act.

A. Faits

[9] Les faits pertinents concernant le projet, la commission d’évaluation et son rapport sont exposés dans la décision Taseko Mines Limited c Canada (Environnement), 2017 CF 1099 [Taseko Mines]. Les événements pertinents à l’espèce remontent à la date de fin des audiences de la commission d’évaluation, le 23 août 2013.

[10] L’évaluation environnementale du projet comporte six phases. Tel qu’il est exposé dans la décision Taseko Mines, l’évaluation des enjeux environnementaux a été faite sous le régime de l’ancienne Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, LC 1992, c 37, aux première et deuxième phases. Le reste de l’évaluation des enjeux a été faite sous le régime de l’actuelle Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012).

1. Le ministre a constitué une commission d’évaluation.

2. Taseko a présenté un énoncé des incidences environnementales (EIE) dans lequel elle exposait son point de vue sur la probabilité que le projet entraîne certains effets environnementaux. L’EIE respectait les Lignes directrices pour l’Énoncé des incidences environnementales du gouvernement fédéral et la commission a instauré un processus d’audiences publiques.

3. Au cours de ces audiences publiques, la commission a exercé son pouvoir discrétionnaire d’entendre les témoignages d’experts et de profanes, les contre-interrogatoires et les observations de toutes les parties intéressées.

4. La commission a remis un rapport au ministre dans lequel elle explique que le projet est de nature à entraîner l’un quelconque des effets environnementaux négatifs importants énumérés. Le rapport comporte notamment les justifications de la commission, ses conclusions ainsi que ses recommandations.

5. Après avoir pris connaissance du rapport, le ministre a conclu que le projet était de nature à entraîner des effets environnementaux négatifs importants et a déféré le dossier au gouverneur en conseil afin qu’il détermine si ces effets étaient justifiables dans les circonstances.

6. Le ministre a communiqué leurs décisions respectives dans une déclaration datée du 26 février 2014.

La présente demande de contrôle judiciaire porte sur les cinquième et sixième phases susmentionnées.

1) Discussions entre le gouvernement national tsilhqot’in et le gouvernement fédéral après les audiences de la commission d’évaluation

[11] Voici les grandes lignes des discussions qui ont eu lieu entre le gouvernement fédéral et le gouvernement national tsilhqot’in après les audiences de la commission d’évaluation. Une revue analogue des faits sera présentée ultérieurement relativement aux discussions entre Taseko et le gouvernement fédéral.

[12] Les discussions qui ont eu lieu entre le gouvernement fédéral et gouvernement national tsilhqot’in relativement au projet ont porté sur le processus d’évaluation de la commission de même que sur les consultations menées ensuite conformément à un cadre public de consultation en cinq phases :

Phase I : Première rencontre et consultation sur la constitution d’une commission d’examen. […]

Phase II : Processus d’évaluation de la commission menant aux audiences publiques. […]

Phase III : Tenue des audiences publiques. […]

Phase IV : Consultation sur le rapport de la commission d’examen. […]

Phase V : Octroi du permis réglementaire. […]

[13] Dans la foulée des audiences de la commission d’évaluation du projet, des représentants du gouvernement national tsilhqot’in ont demandé une rencontre en personne avec des fonctionnaires fédéraux. Le 30 septembre 2013, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (l’Agence) a déconseillé la tenue d’une rencontre entre le ministre de l’Environnement et le gouvernement national tsilhqot’in : [traduction] : « Le refus de la demande de rencontre indiquera que l’Agence fait entièrement confiance à la commission et à sa capacité de faire un compte rendu des points de vue exprimés par les participants au processus d’évaluation dans son rapport. »

[14] Le 8 octobre 2013, en dépit du conseil de l’Agence, le ministre a rencontré cinq représentants du gouvernement national tsilhqot’in pendant une heure à Ottawa. Au cours de cette rencontre, le ministre [traduction] « n’a pas parlé des détails du projet et elle n’a laissé transparaître aucun point de vue ou parti pris relativement à celui-ci ou à la décision de lui donner le feu vert ou non ».

[15] Peu après, Taseko a appris que la rencontre avait eu lieu en voyant des photographies sur Facebook.

[16] Le même jour, soit le 8 octobre 2013, les représentants du gouvernement national tsilhqot’in ont rencontré M. Hallman, le président de l’Agence, ainsi que plusieurs sous-ministres. D’autres rencontres ont eu lieu ensuite avec d’autres fonctionnaires. Taseko a rapidement eu vent de ces rencontres par l’intermédiaire de divers sites Web, dont Facebook.

[17] Elle n’a soulevé aucune objection à cet égard.

[18] Le rapport a été publié le 31 octobre 2013. C’était au début de la phase IV, soit celle des consultations entre la Couronne et les Premières Nations touchées.

[19] Le 1er novembre 2013, Mme Candace Anderson, qui était coordonnatrice des consultations à l’Agence, a transmis le rapport au gouvernement national tsilhqot’in, au sujet duquel elle l’invitait à formuler ses rétroactions et à répondre aux questions suivantes :

[traduction]

1. Le rapport de la commission fait-il un compte rendu juste des préoccupations soulevées par le gouvernement national tsilhqot’in au cours du processus d’évaluation?

2. Les recommandations de la commission reflètent-elles vos préoccupations?

3. Avez-vous d’autres préoccupations dont ne traite pas le rapport de la commission et qui nécessiteraient des mesures d’atténuation ou d’accommodement?

4. D’autres recommandations pourraient-elles répondre à ces préoccupations?

[20] Le 21 novembre 2013, le gouvernement national tsilhqot’in a soumis à l’Agence des observations qui faisaient suite à celles Taseko avait déposées plus tôt dans le mois (et dont il sera question dans la section portant sur Taseko). Taseko avait reçu une copie de cette lettre au 1er décembre 2013.

[21] Le 9 janvier 2014, le gouvernement national tsilhqot’in a remis à l’Agence un document de 59 pages dans lequel il donnait sa réponse au rapport de la commission. Ce document n’a pas été communiqué à Taseko.

[22] Le 16 janvier 2014, le gouvernement national tsilhqot’in a écrit à l’Agence pour lui faire part de sa frustration et de ses préoccupations relativement au caractère suffisant des consultations menées à la phase IV. Il était question dans la lettre d’un appel téléphonique au cours duquel des représentants de l’Agence avaient fait référence aux problèmes d’équité procédurale associés à des rencontres prévues entre le gouvernement national tsilhqot’in et des sous-ministres. Voici un extrait de la lettre :

[traduction]

Finalement, lors de notre conversation téléphonique, vous nous avez informés que les sous-ministres ne pourraient pas assister à la rencontre que nous avions sollicitée et qui était prévue le 23 janvier notamment parce qu’il pourrait y avoir atteinte au principe de l’« équité procédurale » étant donné que le fédéral n’avait pas rendu sa décision. En lui-même, ce refus porte gravement atteinte à l’équité procédurale considérant qu’il a été rapporté dans les médias que le promoteur et le ministre provincial Bennett ont été en contact constant avec les ministres fédéraux, de toute évidence pour influencer la décision du fédéral.

[23] Parallèlement, le gouvernement national tsilhqot’in a aussi écrit à plusieurs ministres fédéraux pour leur faire part de ses [traduction] « vives préoccupations » concernant leurs rencontres avec le ministre de l’Énergie et des Mines de la Colombie-Britannique, M. Bill Bennett.

[24] Le 23 janvier 2014, une rencontre a eu lieu entre les représentants du gouvernement national tsilhqot’in et l’Agence au sujet du projet.

[25] Ils ont eu une nouvelle rencontre avec M. Hallman et les sous-ministres le 12 février 2014. Le même jour, l’Agence a envoyé une lettre au gouvernement national tsilhqot’in pour lui expliquer le processus décisionnel. Il était mentionné dans la lettre que ses préoccupations avaient été [traduction] « exposées dans les documents remis au ministre afin de la guider dans sa décision », mais que ces documents ne pouvaient lui être communiqués pour des raisons de confidentialité.

[26] Le jour suivant, le gouvernement national tsilhqot’in a envoyé une lettre à l’Agence pour lui exprimer les préoccupations soulevées par les contacts entretenus entre Taseko et les ministres fédéraux, selon ce que rapportaient les médias.

[27] Le 14 février 2014, dans le cadre du processus de consultation, l’Agence a communiqué les [traduction] « conditions prévues » de la déclaration et demandait les rétroactions du gouvernement national tsilhqot’in advenant l’approbation du projet.

[28] Le 21 février 2014, le ministre a reçu le rapport de la Couronne sur les consultations.

[29] Le 24 février 2014, elle a reçu les rétroactions du gouvernement national tsilhqot’in à la version préliminaire des conditions que l’Agence proposait d’inclure dans la déclaration.

2) Contacts engagés par Taseko après l’audience

[30] Dans une démarche qui pourrait être qualifiée de parallèle, Taseko a voulu engager des contacts avec des représentants fédéraux, entre autres, après l’audience de l’Agence. À l’inverse du gouvernement national tsilhqot’in, Taseko n’a pas raccroché ces efforts à une « obligation de consulter ».

[31] Le 29 août et le 3 octobre 2013, Taseko a écrit au ministre pour lui parler du projet. Dans la deuxième de ses lettres, Taseko indiquait que [traduction] « ce serait un plaisir de rencontrer » le ministre.

[32] Le 1er septembre 2013, M. Russ Hallbauer, président et premier dirigeant de Taseko, affirmait dans un article d’opinion publié dans le Vancouver Sun que [traduction] « [...] certains témoins entendus à l’audience, qui représentaient pour la plupart des groupes extérieurs de défense d’intérêts particuliers, avaient malheureusement tenté de tromper et de diviser la commission ». Cet article était reproduit en bonne partie dans la lettre du 29 août adressée au ministre.

[33] En octobre 2013, un représentant de Taseko a rencontré des fonctionnaires, dont M. Hallman. Celui-ci a eu au moins un échange téléphonique avec un autre représentant de Taseko en novembre. De plus, Taseko a fait appel à un consultant en relations gouvernementales pour obtenir des rencontres avec des fonctionnaires.

[34] Le 4 novembre 2013, après la publication du rapport le 31 octobre, les avocats de Taseko ont écrit au ministre pour l’informer que leur cliente préparait une réponse au rapport et l’enjoindre à attendre d’avoir reçu cette réponse avant de rendre une décision en vertu de la LCEE 2012 [traduction], « au nom de l’équité administrative ».

[35] Dans un communiqué de presse publié le 5 novembre 2013, Taseko affirmait que Ressources naturelles Canada et la commission avaient fondé leurs conclusions relatives aux écoulements des parcs à résidus miniers sur un modèle de projet différent.

[36] Le 8 novembre 2013, conformément à l’engagement pris au paragraphe 31, Taseko a transmis ses observations au ministre [traduction] « au sujet de sa décision à venir et en réponse au rapport de la commission, lequel évoquait notamment la question de l’équité administrative et de l’obligation de notifier Taseko des observations défavorables signifiées au ministre après les consultations des Nations autochtones ». Cette lettre mentionnait également que le projet avait reçu l’aval de M. Ervin Charleyboy, un ancien chef du gouvernement national tsilhqot’in. Taseko a payé les frais de voyage de M. Charleyboy afin qu’il se rende à Ottawa, où il a brièvement discuté avec le premier ministre à l’extérieur du Parlement.

[37] Les activités de Taseko ainsi que la désignation de M. Charleyboy ont fait l’objet d’un litige devant notre Cour, incluant une demande d’exclusion de son nom dans la décision. La désignation est du domaine public. La question à savoir si ces activités peuvent être assimilées à du « lobbying » n’est pas du ressort de notre Cour. En l’espèce, nous nous bornerons à parler de relations politiques et gouvernementales. Les débats judiciaires sont toutefois ouverts au public, sauf à de très rares exceptions dont l’espèce ne fait pas partie.

[38] À peu près au même moment, Taseko a eu des rencontres avec le ministre Bennett. Un courriel interne daté du 8 novembre 2013 révèle l’objet de ces rencontres : [traduction] « Nous avons besoin d’eux comme alliés et, tout aussi important, nous avons besoin que Bill [Bennett] et Christy [Clark] fassent quelque chose qu’ils ne feraient pas normalement. » Taseko et le ministre Bennett se sont rencontrés et ont eu des échanges par lettre et par téléphone. Un article de presse publié le 11 décembre 2013 rapportait que le ministre Bennett tenterait d’infléchir la décision. Il se disait aussi conscient qu’il serait inopportun pour lui d’approcher directement le décideur, mais que rien ne l’empêchait de rencontrer d’autres ministres fédéraux.

[39] Le 13 novembre 2013, l’Agence a demandé à Taseko de répondre à deux questions soulevées au sujet du rapport de la commission. Le gouvernement national tsilhqot’in a été notifié de cette demande.

[40] Le 15 novembre 2013, Taseko a transmis d’autres observations en réponse à la demande de l’Agence. Le 18 novembre 2013, Taseko a publié un communiqué de presse faisant état de ces observations. L’Agence a transmis ces documents à un membre du personnel politique du ministre.

[41] Le 29 novembre 2013, Taseko a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire du rapport dans le dossier T-1977-13.

[42] En janvier 2014, elle a écrit à certains ministres fédéraux, dont les ministres Joe Oliver et James Moore, ainsi qu’au premier ministre, Stephen Harper.

[43] Le 20 février 2014, Taseko a reçu une copie de la lettre envoyée par le ministre Bennett au ministre de l’Environnement et dans laquelle il expliquait que certaines questions non résolues pourraient être traitées dans le cadre du processus provincial d’approbation qui suivrait l’approbation du projet en vertu de la LCEE 2012.

B. Décisions pertinentes

[44] Le 29 janvier 2014, M. Hallman a présenté un mémoire au ministre [le mémoire Hallman] dans lequel il lui recommandait de statuer que le projet était de nature à entraîner des effets environnementaux négatifs importants au titre des paragraphes 5(1) et (2) de la LCEE 2012. Le mémoire Hallman comprenait trois annexes : un mémoire sur la question du [traduction] « mauvais modèle de projet » (protégé par le secret professionnel de l’avocat); un document sur les mesures d’atténuation, ainsi que les observations soumises le 9 janvier 2014 par le gouvernement national tsilhqot’in.

[45] Le 30 janvier 2014, le ministre a rendu une décision fondée sur le paragraphe 52(1) qui, conformément à la recommandation de l’Agence, établissait que le projet était susceptible d’entraîner les effets environnementaux négatifs et importants visés aux alinéas 52(1)a) et b) de la LCEE 2012 (décision du ministre).

[46] En février 2014, le ministre a envoyé une note énonçant sa recommandation au gouverneur en conseil en vue de la prise d’une décision (décision du gouverneur en conseil).

[47] La déclaration a été communiquée à Taseko le 26 février 2014. Conformément à l’article 54 de la LCEE 2012, la déclaration donnait avis de la décision du ministre et de celle prise par le gouverneur en conseil en application du paragraphe 52(4). La déclaration ne comprenait pas de motifs. Voici l’annonce faite par voie de communiqué de presse : [traduction] « Avant de rendre sa décision, le gouvernement fédéral a pris connaissance du rapport de la commission indépendante qui a réalisé une évaluation rigoureuse du projet de mine New Prosperity, et il a souscrit à ses conclusions quant aux répercussions environnementales de ce projet. »

[48] L’Agence a informé Taseko que conformément au paragraphe 5(1) et à l’article 6 de la LCEE 2012, il lui était interdit de prendre quelque mesure pouvant entraîner des effets environnementaux.

III. QUESTIONS EN LITIGE

[49] Taseko conteste les décisions du ministre et du gouverneur en conseil au motif qu’il y a eu atteinte au principe de l’équité procédurale ainsi qu’une erreur de compétence mettant en cause notamment la Déclaration canadienne des droits. Elle attaque également la constitutionnalité de l’alinéa 5(1)c) et de l’article 6) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) au motif de leur inapplicabilité au projet selon la doctrine de l’exclusivité des compétences.

[50] Les défendeurs du gouvernement – le ministre et le procureur général – plaident que dans les deux cas, le processus décisionnel s’est déroulé en toute équité, mais ils demandent néanmoins à la Cour de ne pas trancher la question de compétence à ce stade-ci.

[51] Les autres défendeurs – le gouvernement national et la Nation tsilhqot’in – adoptent un point de vue légèrement différent de celui des défendeurs du gouvernement. Ils soulèvent des questions au sujet du droit de Taseko à s’immiscer dans le processus de consultation de la Couronne avec les Autochtones; de l’équité procédurale et de la mise en doute tardive de celle-ci, ainsi que de ce qui pourrait être qualifié d’argument des [traduction] « mains propres », considérant la conduite de Taseko elle-même. Ils mettent également en cause le caractère suffisant des motifs ainsi que la nature hypothétique de la question constitutionnelle.

[52] Je considère quant à moi que les questions principales à trancher sont les suivantes :

  1. Le processus décisionnel du ministre a-t-il été équitable à l’égard de Taseko?

  2. Le processus décisionnel du gouverneur en conseil a-t-il été équitable à l’égard de Taseko?

  3. Le ministre et le gouverneur en conseil ont-ils agi de manière incompatible avec la Déclaration canadienne des droits?

  4. L’alinéa 5(1)c) et l’article 6 de la LCEE 2012 sont-ils inconstitutionnels?

IV. NORME DE CONTRÔLE

[53] Il est bien établi et non contesté que la norme de contrôle des questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339; Arsenault c Canada (Procureur général), 2016 CAF 179, 486 NR 268).

[54] La norme de la décision correcte s’applique également aux questions constitutionnelles (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

V. DISCUSSION

A. Première question en litige : Le processus décisionnel du ministre a-t-il été équitable à l’égard de Taseko?

1) Équité procédurale

[55] Les parties conviennent que Taseko avait droit à l’équité procédurale dans le cadre du processus visé. Contrairement aux allégations de Taseko, les défendeurs ne prétendent pas que l’obligation de consultation supplante l’obligation d’équité envers le promoteur.

[56] Cependant, les parties sont très partagées sur la question de l’obligation d’équité due à Taseko à ce stade du processus.

[57] Les défendeurs estiment que Taseko avait droit à un degré élevé d’équité procédurale durant l’évaluation par la commission, mais que cette obligation devenait minimale durant le processus décisionnel à l’échelon ministériel (que Taseko qualifie de [traduction] « processus asymétrique »), au cours duquel il était normal que le gouvernement national tsilhqot’in jouisse d’un accès privilégié aux décideurs. Taseko plaide son droit à un degré élevé d’équité procédurale à chacune des phases du processus (ou, en résumé, son droit à un processus symétrique, qui lui offre les mêmes possibilités qu’au gouvernement national tsilhqot’in).

[58] À mon avis, Taseko avait droit à l’équité procédurale tout au long du processus, mais à un degré bien moindre à la phase visée de l’évaluation environnementale. Si on envisage le régime d’évaluation environnementale dans une perspective globale, il est clair que l’obligation d’équité procédurale à l’égard des parties est la plus contraignante durant l’évaluation par la commission. Il s’agit d’un processus qui comporte des audiences, la production d’éléments de preuve (y compris de preuves d’expert) par les parties intéressées, des contre-interrogatoires, la constatation des faits, ainsi que d’autres éléments qui s’apparentent à un processus quasi judiciaire.

[59] Par contraste, Taseko ne peut faire valoir son droit à un degré élevé d’équité procédurale au cours du processus décisionnel à l’échelon ministériel.

[60] Je conclus par conséquent qu’il existait une obligation d’équité procédurale à l’égard de Taseko pendant le processus d’approbation environnementale. Cependant, les exigences et les modalités variaient d’une phase à l’autre du processus, qui s’enclenche au dépôt de la demande et se termine quand le gouverneur en conseil rend sa décision.

[61] Les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 DLR (4th) 193 [Baker] appuient la conclusion selon laquelle Taseko avait droit à un degré minimal d’équité procédurale à cette phase du processus :

  • Le processus décisionnel du ministre ne s’apparentait pas à un processus décisionnel judiciaire (il n’était pas de nature accusatoire et le ministre n’était pas tenu de recevoir des observations). Le ministre devait tirer des conclusions de fait (comme le soutient Taseko), mais à partir des conclusions du rapport, lesquelles ont été formulées à une phase du processus durant laquelle Taseko a bénéficié d’un degré élevé d’équité procédurale. Par conséquent, comme il est observé dans l’arrêt Jada Fishing Co. Ltd. c Canada (Pêches et Océans), 2002 CAF 103, 288 NR 237 [Jada Fishing], l’obligation d’équité procédurale n’était pas aussi rigoureuse qu’elle l’aurait été dans un processus accusatoire, judiciaire ou quasi judiciaire. Comme je l’aborderai dans les sections suivantes et tel qu’il ressort de l’arrêt Pacific Booker Minerals Inc. v British Columbia (Environment), 2013 BCSC 2258, 82 CELR (3d) 195 [Pacific Booker], Taseko aurait pu avoir d’autres droits si le ministre n’avait pas souscrit aux recommandations du rapport, mais tel n’est pas le cas ici.

  • Au surplus, le régime législatif prévoit que le promoteur aurait pu soumettre des observations si le ministre le lui avait demandé (paragraphe 47(2)). Il faut en comprendre que le promoteur ne détient pas un droit de soumettre des observations : il peut être invité à le faire par le ministre s’il juge que les circonstances le justifient.

  • Il s’agissait d’une décision importante, si on en juge par l’investissement de Taseko dans le projet et les efforts considérables déployés devant la commission. Cela dit, je ne crois pas que chaque phase antérieure requiert une approche quasi judiciaire, à plus forte raison si les droits procéduraux d’une partie ont été dûment remplis précédemment.

  • De plus, je ne puis retenir l’argument de Taseko quant à ses attentes légitimes à l’égard du processus décisionnel du ministre. Taseko a été expressément notifiée que les observations qu’elle a déposées après les audiences de la commission ne seraient pas portées au registre en ligne (un raisonnement facilement transposable à toutes les autres observations), et le défaut de l’Agence de donner suite à ses demandes d’information ne peut en aucun cas constituer un fondement à ses allégations concernant le processus puisque le silence ne peut être associé « aux pratiques établies, à la conduite ou aux affirmations qui peuvent être qualifiées de claires, nettes et explicites » (Centre hospitalier Mont-Sinaï c Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, au paragraphe 29, [2001] 2 RCS 281).

[62] Quoi qu’il en soit, même si Taseko avait effectivement eu droit à un degré élevé d’équité procédurale, il ressort du dossier que cette exigence a été remplie en l’espèce. Elle a soumis des observations concernant le rapport en novembre 2013 et donné ensuite des précisions sur ses positions, qu’elle a signifiées directement au bureau du ministre selon la preuve. Le document dont disposait le ministre (le mémoire Hallman) traite de l’argument principal soulevé par Taseko dans ses observations soumises à la suite du rapport, et notamment de sa déclaration eu égard au [traduction] « mauvais modèle de projet » ainsi que des réponses du gouvernement national tsilhqot’in aux observations de Taseko.

[63] Le ministre a manifestement « surpassé » son obligation d’équité procédurale dans ce dossier. Les faits révèlent que Taseko et le gouvernement national tsilhqot’in n’ont ménagé aucun effort pour que les décideurs intéressés tiennent compte de leurs points de vue, et c’est ce qu’ils ont fait.

[64] S’agissant de faire valoir leurs points de vue respectifs, les deux parties ont semblé accorder moins de poids à l’équité procédurale que durant la phase d’évaluation par la commission. Chacune a fait jouer ses relations au gouvernement et ses contacts politiques pour faire avancer sa cause, ce qui aurait été inacceptable dans un contexte quasi judiciaire.

[65] Taseko a intensément joué de ses relations politiques pour faire valoir ses intérêts. C’était en soi suffisant pour rendre le processus asymétrique. Le gouvernement national tsilhqot’in semble avoir mieux tiré son épingle du jeu dans cette joute « politique », mais ce n’est pas suffisant pour conclure que Taseko n’a pas eu droit au degré d’équité procédurale requis par le processus.

[66] Elle déplore surtout de ne pas avoir été notifiée de toutes les observations défavorables au projet qui ont été soumises au ministre, et donc de ne pas avoir eu la possibilité d’y répondre avant qu’elle rende sa décision. Elle se fonde sans doute sur la règle audi alteram partem. Les événements en litige sont par conséquent la rencontre du 8 octobre 2013 entre le gouvernement national tsilhqot’in et le ministre, et la présentation d’observations à celle-ci le 9 janvier 2014.

Dans l’arrêt Canadian Cable Television Assn v American College Sports Collective of Canada, Inc. (C.A.), [1991] 3 FC 626, à la page 639, 81 DLR (4th) 376 [Canadian Cable], le juge MacGuigan de la Cour d’appel fédérale définit comme suit la règle audi alteram partem :

[traduction]

La common law reconnaît deux principes dans sa conception de la justice naturelle, qui sont habituellement exprimés dans la maxime latine audi alteram partem (entends l’autre partie), laquelle signifie que les parties doivent être informées du dossier à leur encontre et se voir offrir la possibilité d’y répondre.

[Non souligné dans l’original]

[67] Il m’appert que Taseko avait été informée du dossier déposé à son encontre et qu’elle a eu la possibilité d’y répondre, tant devant la commission que dans ses observations écrites adressées au ministre. À l’inverse de ce que fait valoir Taseko, la jurisprudence ne corrobore aucunement l’existence de son droit d’être informée chaque fois que le ministre avait une rencontre avec le gouvernement national tsilhqot’in ou que celui-ci lui soumettait des observations.

[68] Dans tous les renseignements que le gouvernement national tsilhqot’in a transmis au ministre, Taseko n’a rien relevé de nouveau ou de différent par rapport à ceux que la commission avait à sa disposition et auxquels elle a eu la possibilité de répondre.

[69] Dans l’arrêt Pfizer Co. Ltd. c Sous-ministre du Revenu National, [1977] 1 RCS 456, à la page 463, 68 DLR (3d) 9 [Pfizer], cité par Taseko, le décideur en cause (la Commission du tarif) s’était fondé sur deux ouvrages qui n’avaient pas été présentés en preuve ni même mentionnés à l’audience. La Cour suprême du Canada a jugé que c’était une erreur de ne pas communiquer ces renseignements aux parties et de ne pas leur offrir la possibilité d’y répondre. Dans cette affaire, il était manifeste que la Commission du tarif avait à sa disposition de nouveaux renseignements dont les parties n’avaient pas été informées.

[70] La présente espèce présente une distinction nette : le gouvernement national tsilhqot’in n’a soumis au ministre aucun renseignement nouveau dont Taseko n’avait pas informée ou auquel elle n’avait pas pu répondre auparavant. De façon similaire, il ressort de l’arrêt Jada Fishing qu’aucune réparation n’est requise lorsque la « preuve » soumise après les audiences devant une formation n’ajoute rien à ce que dont les parties avaient déjà pris connaissance et ne leur est pas préjudiciable (au paragraphe 17). Je partage ce raisonnement.

[71] Par surcroît, Taseko n’a pas réussi à établir que la rencontre ou les observations visées lui ont fait subir un préjudice réel ou potentiel. Selon la jurisprudence et à l’inverse de ce que prétend Taseko dans ses observations, il lui incombait d’établir qu’une rencontre ou une observation lui ont porté préjudice et que, par conséquent, la règle audi alteram partem n’a pas été respectée (Canadian Cable, à la page 650).

[72] Taseko s’appuie sur l’arrêt Kane c Cons. d’administration de l’U.B.C., [1980] 1 RCS 1105, 110 DLR (3d) 311 [Kane], pour faire valoir qu’un simple manquement à la règle audi alteram partem commande une réparation. Or, cet argument fait l’objet d’une analyse approfondie avant d’être réfuté à la page 650 de l’arrêt Canadian Cable :

[traduction]

À mon sens, cet examen de la jurisprudence fait ressortir le caractère erroné de l’argument de la partie requérante. Celle-ci a prétendu qu’un tribunal ne se penchera pas sur la question du préjudice; or, il ressort de toutes les décisions qui traitent de la question que la possibilité qu’il existe un préjudice est déterminante : Kane, Consolidated Bathurst, Cardinal Insurance, Civic Employees’ Union, et Hecla Mining.

[Non souligné dans l’original]

[73] La possibilité qu’il existe un préjudice est donc déterminante, à défaut de quoi un simple manquement à la règle audi alteram partem ne justifiera pas une réparation.

[74] La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Kane, n’a pas statué qu’une réparation est justifiée dès lors qu’il y a manquement à cette règle : pour justifier une réparation, ce manquement doit être conjugué à une possibilité de préjudice. Comme Taseko n’est pas parvenue à établir l’existence d’un préjudice, même hypothétique, elle s’en remet à notre Cour pour conclure qu’un manquement quelconque (et allégué) à la règle audi alteram partem justifie une réparation. Un exposé aussi vague du droit applicable serait incompatible avec des jurisprudences comme Kane, Pfizer, Canadian Cable, C.E.P. Union of Canada v Power Engineers et al., 2001 BCCA 743, 209 DLR (4th) 208, ou Première Nation Coldwater c Canada (Affaires indiennes et Développement du Nord), 2016 CF 595, [2016] 3 CNLR 1, inf. pour d’autres motifs par 2017 CAF 199.

[75] Au surplus, Taseko a admis qu’elle avait eu vent assez rapidement de la rencontre tenue le 8 octobre 2013, mais elle n’a pas formulé de plainte concernant un manquement à l’équité procédurale à ce moment (si ce n’est dans le cadre de [traduction] « discussions internes »). Ce n’est pas conforme à la jurisprudence (notamment, Hennessey c Canada, 2016 CAF 180, 484 NR 77), selon laquelle les plaintes d’ordre procédural doivent être formulées à la première occasion.

Taseko, en n’exprimant pas son opposition au moment opportun, a renoncé à son droit à l’équité procédurale et ne peut pas le revendiquer maintenant devant notre Cour (High-Crest Enterprises Limited c Canada, 2017 CAF 88, au paragraphe 102, [2017] DTC 5057).

[76] De plus, Taseko n’a pas donné à notre Cour de motif de tirer une conclusion défavorable au gouvernement national tsilhqot’in à eu égard à la teneur de la rencontre du 8 octobre 2013.

[77] Selon M. Hallman, qui était présent à cette rencontre, les représentants du gouvernement national tsilhqot’in ont [traduction] « tout au plus réitéré, avec quelques modifications, les observations qu’ils avaient déjà formulées publiquement au sujet du projet de mine New Prosperity, et notamment concernant ce qui d’après eux constituait l’échec de Taseko à établir une relation avec leur communauté ou à faire la preuve que le lac Fish serait protégé si le projet allait de l’avant ».

[78] Satisfait de ce compte rendu, le gouvernement national tsilhqot’in n’a pas produit d’autre élément de preuve quant à la teneur de cette rencontre. Taseko demande à la Cour de tirer une conclusion défavorable au gouvernement national tsilhqot’in et, ce faisant, d’admettre en preuve le message suivant, publié sur Facebook, comme donnant un compte rendu fidèle de la rencontre : [traduction] « Nous avons dit très clairement que Teztan Biny [le lac Fish] est intouchable, elle nous a entendus et elle a compris notre point de vue. Elle, sa communauté et sa Nation ont vécu une situation semblable avec un projet d’exploitation minière dans leur région. »

[79] Même s’il est admis que ce message donne un compte rendu fidèle de la rencontre, il est difficile de voir ce que Taseko cherche à en tirer : le message ne révèle aucune revendication nouvelle ou différente du gouvernement national tsilhqot’in, si ce n’est que le ministre a compris son point de vue.

[80] En résumé, le gouvernement national tsilhqot’in avait clairement exprimé sa position devant la commission et n’a communiqué aucun nouveau renseignement au ministre qui aurait pu exiger une réponse de Taseko. De deux choses l’une : ou bien toute nouvelle observation que Taseko souhaite formuler à ce stade serait inappropriée parce qu’elle aurait dû l’être devant la commission, ou bien elle serait redondante parce qu’elle ne ferait que réitérer la position déjà résumée dans le rapport.

2) Obligation de consulter – Corrélation entre l’obligation d’équité à l’égard d’un promoteur et l’obligation de consulter les Premières Nations

[81] Les parties semblent convenir que la Couronne était tenue, au nom de son obligation de consulter, d’engager un dialogue avec le gouvernement national tsilhqot’in après la publication du rapport. Même s’il y avait eu désaccord sur ce point, j’ai conclu que ce dialogue était exigé.

[82] Le cadre de consultation était public et Taseko savait qu’il se tiendrait des consultations à la suite de la publication du rapport. Taseko avance que le processus de consultation ne devrait pas être inéquitable pour le promoteur du projet, ce à quoi le défendeur acquiescerait probablement. Le gouvernement national tsilhqot’in concède que, dans certaines circonstances, l’équité exigerait que le promoteur soit informé de certains éléments d’information présentés par une Première Nation dans le cadre du processus consultatif.

[83] L’obligation de consulter peut coexister harmonieusement avec l’obligation d’équité. L’important est de bien délimiter le type d’information qui doit être communiquée au promoteur et si de tels éléments d’information ont été discutés dans un dossier.

[84] L’obligation de consulter d’un décideur est loin d’être simple. Il s’agit d’un exercice complexe de conciliation entre deux [traduction] « principes aussi justes l’un que l’autre », c’est-à-dire la consultation sérieuse des peuples autochtones et l’équité à l’égard de chaque participant.

[85] Un processus consultatif analogue, tenu dans le cadre d’une évaluation environnementale réalisée en vertu de la LCEE 2012, est décrit dans l’arrêt Première Nation de Prophet River c Canada (Procureur général), 2017 CAF 15, au paragraphe 16, 408 DLR (4th) 165 [Prophet River]. Cet arrêt met en cause sur une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le gouverneur en conseil avait estimé que, parmi les effets environnementaux négatifs importants répertoriés par le ministre, certains étaient justifiables dans les circonstances. Le juge de première instance avait conclu que l’obligation de consulter avait été remplie puisque la Couronne avait tenu une consultation approfondie avec les Premières Nations, tout comme en l’espèce, et cette conclusion n’a pas été attaquée en appel (Prophet River, au paragraphe 48).

[86] Ici, le gouvernement national tsilhqot’in reconnaît que, dans certaines circonstances, il faudrait communiquer certains éléments d’information discutés au cours du processus de consultation, par exemple si la Couronne envisage de modifier sa ligne de conduite ou de rendre une décision contraire au rapport de la commission en raison de nouvelles préoccupations exprimées par la Première Nation. À l’audience, le gouvernement national tsilhqot’in a aussi fait valoir que les droits procéduraux du promoteur sont mis en cause lorsque, au cours du processus consultatif, la Couronne est saisie d’éléments d’information fondamentalement nouveaux qu’elle entend prendre en compte et qui auront une incidence importante pour le promoteur.

[87] Cet argument est conforme à l’arrêt Nation Gitxaala c Canada, 2016 CAF 187, [2016] 4 RCF 418 [Gitxaala], dans lequel la CAF a statué que les nouvelles recommandations présentées au cours des consultations devaient être partagées avec le promoteur du projet, ainsi qu’à l’arrêt Pacific Booker, selon lequel le promoteur doit également être notifié d’une recommandation de ne pas donner suite au rapport favorable d’une commission d’évaluation.

[88] Il s’agit à mon avis d’une règle juste, pratique et fondée sur des principes, qui protège les droits des promoteurs sans éclipser l’importance de l’obligation de consulter.

[89] Il ressort en outre de l’arrêt Gitxaala que les consultations tenues après la publication du rapport (consultations à la « phase IV ») sont non seulement appropriées, mais elles sont nécessaires. La Cour d’appel fédérale se prononce comme suit dans l’arrêt Gitxaala :

[279] Compte tenu de notre opinion quant à l’ensemble de la preuve, nous sommes convaincus que le Canada, en ce qui concerne la phase IV, n’a pas engagé de dialogue et ne s’est pas penché sur les préoccupations qui lui avaient été exprimées de bonne foi par l’ensemble des demandeurs/appelants Premières Nations. Il manquait une indication d’une intention de modifier ou de compléter les conditions imposées par la Commission d’examen conjoint, de corriger les erreurs ou les omissions dans son rapport ou de formuler des commentaires sérieux en réponse aux préoccupations importantes soulevées. Il n’y a pas eu d’effort réel et soutenu pour engager un véritable dialogue bilatéral. Aucun représentant du Canada n’était habilité à prendre plus que des notes, à répondre de façon satisfaisante éventuellement.

[Non souligné dans l’original]

[90] En l’espèce, tout porte à croire que les exigences de consultation de la phase IV dont il est question dans l’arrêt Gitxaala n’ont pas été remplies. Ce n’est pas une question que la Cour doit trancher, mais l’arrêt Gitxaala offre un contexte intéressant pour l’analyse de l’exercice de l’obligation de consulter dans le cas présent. Comme le déplore le gouvernement national tsilhqot’in, le dialogue n’a pas été bilatéral : même si le ministre et l’Agence lui auraient apparemment assuré que ses préoccupations seraient prises en compte (en lui demandant [traduction] « ad nauseam de résumer sa position »), elles n’ont rien laissé transparaître de leurs intentions avant la publication de la décision.

[91] Dans l’arrêt Première nation crie Mikisew c Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, au paragraphe 64, [2005] 3 RCS 388, la Cour suprême du Canada a reconnu que l’obligation de consulter peut, dans certaines situations, comporter « des éléments informationnels et des éléments de solution ». En l’occurrence, si le ministre n’avait pas rencontré le gouvernement national tsilhqot’in le 8 octobre 2013 ou reçu ses observations le 9 janvier 2014, il aurait eu en main des arguments très solides pour faire invalider toute décision défavorable au motif du caractère inadéquat des consultations. (Il aurait aussi pu sérieusement invoquer l’arrêt Pacific Booker puisque toute décision défavorable aurait contredit les recommandations du rapport.)

[92] Le présent litige met en cause une Première Nation qui a établi ses droits et titres ancestraux à l’égard de son territoire. La force de ces droits donne un contexte important à l’obligation de consulter. La Première Nation a des droits ancestraux confirmés à l’égard du territoire en cause, mais celui-ci ne fait pas partie du territoire à l’égard duquel un titre a été établi (Nation Tsilhqot’in c Colombie-Britannique, 2014 CSC 44, [2014] 2 RCS 257 [Nation Tsilhqot’in]). Les images suivantes permettent de mieux comprendre ce qui en est : l’image de gauche est issue de Google Maps et a été utilisée dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada pour illustrer le territoire visé par un titre établi et indiquer l’emplacement du projet :

proven title land location of new prosperity mine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Teztan Biny (lac Fish) et le projet se situent dans la zone désignée « Balance of Claim in Action No. 90 0913 » [partie restante de la revendication visée par l’action 90 0913]. Dans l’arrêt de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, le juge Vickers a statué que la Nation Tsilhqot’in avait des droits ancestraux établis sur le territoire en question (Tsilhqot’in Nation v British Columbia, 2007 BCSC 1700, aux paragraphes 893 à 911 et 1213 à 1268, [2008] 1 CNLR 112), et ce jugement fait loi. La Première Nation détient des droits de chasse et de piégeage établis dans la zone immédiate visée (Teztan Biny).

[93] Dans l’arrêt Prophet River, la CAF a indiqué que les droits de la Nation Tsilhqot’in qui sont issus de traités se trouvent à l’« extrémité du continuum » pour ce qui est de la protection des droits ancestraux par la Constitution, car il s’agit de « droits établis » (au paragraphe 36). En l’espèce, la commission a conclu que le territoire en cause (et particulièrement Teztan Biny et les zones environnantes), auquel le projet infligerait des dommages graves, notamment au chapitre de la qualité de l’eau, recèle une valeur culturelle et spirituelle incommensurable pour le peuple Tsilhqot’in.

[94] Malgré cette conclusion, la Couronne ne s’est pas pleinement acquittée de son obligation de consulter à la phase IV. Elle s’est bornée à demander ad nauseam au gouvernement national tsilhqot’in de résumer sa position afin d’en faire un compte rendu conforme dans le rapport. Le gouvernement national tsilhqot’in s’est astreint à cette tâche exigeante, mais il n’a jamais été informé de manière claire, ni par le ministre ni par aucun autre fonctionnaire responsable, qu’un processus décisionnel était en cours. Pourtant, il pouvait lire dans des articles ou des communiqués de presse que Taseko était en contact avec les décideurs.

[95] À mon sens, la participation aux consultations entre la Couronne et une Première Nation n’est pas un droit pour le promoteur. Cependant, rien ne l’empêche de jouer un certain rôle dans ces consultations.

[96] Il peut y prendre une part active, en s’assurant par exemple que les préoccupations d’une Première Nation sont dûment prises en compte. Il reste à savoir si, en s’en remettant largement à l’industrie et aux comités quasi judiciaires pour remplir son obligation de consulter, la Couronne respecte bien les principes du « véritable dialogue bilatéral », tel qu’ils sont décrits dans l’arrêt Gitxaala, étant entendu que la Cour suprême du Canada a toléré un certain degré de « délégation des pouvoirs ». Voici ce qu’observe à ce propos la Cour suprême dans l’arrêt Nation Haïda c Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511 :

[53] Il a été dit (le juge Lambert de la Cour d’appel) qu’un tiers peut être tenu de consulter les Autochtones concernés du fait qu’il a la faculté, en cas de violation des droits de ces derniers, de plaider en défense que l’atteinte est justifiée. Comme nous l’avons vu, cependant, l’obligation de consulter et d’accommoder découle de la proclamation de la souveraineté de la Couronne sur des terres et ressources autrefois détenues par le groupe autochtone concerné. Cette théorie ne permet pas de conclure que les tiers ont l’obligation de consulter ou d’accommoder. La Couronne demeure seule légalement responsable des conséquences de ses actes et de ses rapports avec des tiers qui ont une incidence sur des intérêts autochtones. Elle peut déléguer certains aspects procéduraux de la consultation à des acteurs industriels qui proposent des activités d’exploitation; cela n’est pas rare en matière d’évaluations environnementales. Ainsi, la CFF 39 obligeait Weyerhaeuser à préciser les mesures qu’elle entendait prendre pour identifier et consulter les [TRADUCTION] « Autochtones qui revendiquaient un intérêt ancestral dans la région » (CFF 39, CFF haïda, paragraphe 2.09g)ii)). Cependant, la responsabilité juridique en ce qui a trait à la consultation et à l’accommodement incombe en dernier ressort à la Couronne. Le respect du principe de l’honneur de la Couronne ne peut être délégué.

[Non souligné dans l’original]

[97] La Cour observe aussi, dans l’arrêt Première nation Tlingit de Taku River c Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, [2004] 3 RCS 550 :

[25] Comme il a été expliqué dans Haïda, les obligations requises pour que soit respecté le principe de l’honneur de la Couronne varient selon les circonstances. La Couronne peut être tenue de consulter les peuples autochtones et de trouver des accommodements aux préoccupations de ceux-ci avant de prendre des décisions : R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, p. 1119, R. c. Nikal, [1996] 1 R.C.S. 1013; R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723; Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, par. 168. L’obligation de consulter ne prend pas naissance seulement lorsque la revendication autochtone a été établie, pour justifier des violations. Une telle interprétation de l’obligation de consultation nierait l’importance des racines historiques de l’honneur de la Couronne et empêcherait ce principe de jouer son rôle dans la conciliation. Déterminer, avant le règlement définitif d’une revendication, l’ampleur des mesures de consultation et d’accommodement qui sont requises n’est pas une tâche facile, mais il s’agit d’un aspect essentiel du processus imposé par le par. 35(1). L’obligation de consulter naît lorsqu’un représentant de la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle d’un titre ou de droits ancestraux et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur ces droits ou ce titre. Cette obligation pourrait également obliger le gouvernement à modifier ses plans ou politiques afin de trouver des accommodements aux préoccupations des Autochtones. La volonté de répondre aux préoccupations est un élément clé tant à l’étape de la consultation qu’à celle de l’accommodement. [Non souligné dans l’original]

[98] Dans l’arrêt Rio Tinto Alcan Inc. c Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 RCS 650 [Rio Tinto], la Cour suprême se penche sur l’obligation de consulter et le rôle des tribunaux dans la consultation. Même si, dans le présent dossier, la commission d’évaluation n’était pas un tribunal, l’analyse de la Cour suprême offre néanmoins des éclairages importants sur la délégation de l’obligation de consulter en général :

[55] L’obligation du tribunal administratif de se pencher sur la consultation et sur la portée de celle‑ci dépend de la mission que lui confie sa loi constitutive. Un tribunal administratif doit s’en tenir à l’exercice des pouvoirs que lui confère sa loi habilitante : R. c. Conway, 2010 CSC 22, [2010] 1 R.C.S. 765. Il s’ensuit que le rôle d’un tribunal administratif en ce qui a trait à la consultation tient à ses obligations et à ses attributions légales.

[56] Le législateur peut décider de lui déléguer l’obligation de la Couronne de consulter. Comme le signale la Cour dans l’arrêt Nation Haïda, il est loisible aux gouvernements de mettre en place des régimes de réglementation fixant les exigences procédurales de la consultation aux différentes étapes du processus décisionnel relatif à une ressource.

[57] Sinon, il peut lui confier le seul pouvoir de décider si une consultation adéquate a eu lieu, l’exercice de ce pouvoir faisant dès lors partie de son processus décisionnel. En pareil cas, le tribunal administratif ne participe pas à la consultation. Il s’assure plutôt que la Couronne s’est acquittée de son obligation de consulter une Première nation en particulier sur un éventuel effet préjudiciable de la décision en cause sur ses droits ancestraux.

[Non souligné dans l’original]

[99] Il ressort de ces arrêts que la Cour suprême du Canada tolère qu’une partie de l’obligation de consulter soit déléguée, mais qu’elle incombe toujours à la Couronne, et que si un promoteur ou une autre entité (comme la commission d’évaluation en l’espèce) ne remplit pas toutes les exigences de cette obligation, c’est la Couronne qui en porte toute la responsabilité.

[100] Lorsque, comme en l’espèce, la relation entre une Première Nation et un promoteur est « acrimonieuse », il faut éviter de mettre la conciliation en péril en exigeant que le promoteur soit informé de tous les échanges entre la Couronne et la Première Nation pour qu’il puisse soumettre ses commentaires. À cet égard, la Cour suprême a précisé dans l’arrêt Nation Tsilhqot’in (eu égard aux litiges sur des revendications territoriales) que « le principe directeur ne repose pas sur les intérêts opposés, mais sur la conciliation » (au paragraphe 17). Dans l’arrêt Rio Tinto, la Cour observe que « l’honneur de la Couronne est donc davantage compatible avec une obligation de consulter axée sur la conciliation des intérêts respectifs des parties » (au paragraphe 34). Ce principe s’applique en l’espèce.

3) Quelques remarques sur le lobbying

[101] Le climat acrimonieux entre les parties a été alimenté en filigrane par les [traduction] « efforts de lobbying » de part et d’autre, un sujet de préoccupation soulevé à l’audience. Cette question a été abordée brièvement ci-dessus.

[102] Le terme lobbying ne fait pas consensus au sein des milieux universitaires et gouvernementaux. Cependant, en vertu de la Loi sur le lobbying, SRC 1985, c 44 (4e suppl.), une personne qui adopte une conduite s’apparentant à ce qu’on considère généralement comme du « lobbying » doit produire une déclaration.

5 (1) Est tenue de fournir au commissaire, en la forme réglementaire, une déclaration contenant les renseignements prévus au paragraphe (2) toute personne (ci-après « lobbyiste-conseil «) qui, moyennant paiement, s’engage, auprès d’un client, d’une personne physique ou morale ou d’une organisation :

5 (1) An individual shall file with the Commissioner, in the prescribed form and manner, a return setting out the information referred to in subsection (2), if the individual, for payment, on behalf of any person or organization (in this section referred to as the “client”), undertakes to

a) à communiquer avec le titulaire d’une charge publique au sujet des mesures suivantes :

(a) communicate with a public office holder in respect of

(i) l’élaboration de propositions législatives par le gouvernement fédéral ou par un sénateur ou un député,

(i) the development of any legislative proposal by the Government of Canada or by a member of the Senate or the House of Commons,

(ii) le dépôt d’un projet de loi ou d’une résolution devant une chambre du Parlement, ou sa modification, son adoption ou son rejet par celle-ci,

(ii) the introduction of any Bill or resolution in either House of Parliament or the passage, defeat or amendment of any Bill or resolution that is before either House of Parliament,

(iii) la prise ou la modification de tout règlement au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les textes réglementaires,

(iii) the making or amendment of any regulation as defined in subsection 2(1) of the Statutory Instruments Act,

(iv) l’élaboration ou la modification d’orientation ou de programmes fédéraux,

(iv) the development or amendment of any policy or program of the Government of Canada,

(v) l’octroi de subventions, de contributions ou d’autres avantages financiers par Sa Majesté du chef du Canada ou en son nom,

(v) the awarding of any grant, contribution or other financial benefit by or on behalf of Her Majesty in right of Canada, or

(vi) l’octroi de tout contrat par Sa Majesté du chef du Canada ou en son nom;

(vi) the awarding of any contract by or on behalf of Her Majesty in right of Canada; or

b) à ménager pour un tiers une entrevue avec le titulaire d’une charge publique.

(b) arrange a meeting between a public office holder and any other person.

[…]

7 (1) Est tenu de fournir au commissaire, en la forme réglementaire, une déclaration contenant les renseignements prévus au paragraphe (3) le déclarant d’une personne morale ou d’une organisation si :

7 (1) The officer responsible for filing returns for a corporation or organization shall file with the Commissioner, in the prescribed form and manner, a return setting out the information referred to in subsection (3) if

a) d’une part, celle-ci compte au moins un employé dont les fonctions comportent la communication, au nom de l’employeur ou, si celui-ci est une personne morale, au nom d’une filiale de l’employeur ou d’une personne morale dont celui-ci est une filiale, avec le titulaire d’une charge publique, au sujet des mesures suivantes :

(a) the corporation or organization employs one or more individuals any part of whose duties is to communicate with public office holders on behalf of the employer or, if the employer is a corporation, on behalf of any subsidiary of the employer or any corporation of which the employer is a subsidiary, in respect of

(i) l’élaboration de propositions législatives par le gouvernement fédéral ou par un sénateur ou un député,

(i) the development of any legislative proposal by the Government of Canada or by a member of the Senate or the House of Commons,

(ii) le dépôt d’un projet de loi ou d’une résolution devant une chambre du Parlement, ou sa modification, son adoption ou son rejet par celle-ci,

(ii) the introduction of any Bill or resolution in either House of Parliament or the passage, defeat or amendment of any Bill or resolution that is before either House of Parliament,

(iii) la prise ou la modification de tout règlement au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les textes réglementaires,

(iii) the making or amendment of any regulation as defined in subsection 2(1) of the Statutory Instruments Act,

(iv) l’élaboration ou la modification d’orientation ou de programmes fédéraux,

(iv) the development or amendment of any policy or program of the Government of Canada, or

(v) l’octroi de subventions, de contributions ou d’autres avantages financiers par Sa Majesté du chef du Canada ou en son nom;

(v) the awarding of any grant, contribution or other financial benefit by or on behalf of Her Majesty in right of Canada; and

b) d’autre part, les fonctions visées à l’alinéa a) constituent une partie importante de celles d’un seul employé ou constitueraient une partie importante des fonctions d’un employé si elles étaient exercées par un seul employé.

(b) those duties constitute a significant part of the duties of one employee or would constitute a significant part of the duties of one employee if they were performed by only one employee.

[103] À l’audience, Taseko a déclaré qu’il n’y avait pas eu d’activité de lobbying. Effectivement, aucun lobbyiste n’est enregistré comme agissant au nom de Taseko. Toutefois, plusieurs personnes ont tenté de communiquer avec des titulaires d’une charge publique ou d’organiser des rencontres avec ceux-ci dans le cadre du présent dossier. L’une de ces personnes était M. Charleyboy, qui a été rémunéré pour exercer une influence sur des titulaires d’une charge publique et essayer d’obtenir une rencontre avec eux, mais il n’a pas produit de déclaration, contrairement à ce que prévoit la Loi sur le lobbying.

[104] La preuve ne permet pas de déterminer avec certitude si Taseko aurait dû produire une déclaration aux termes de l’alinéa 7(1)b) de la Loi sur le lobbying, c’est-à-dire si « les fonctions visées [...] constituent une partie importante de celles d’un seul employé ou constitueraient une partie importante des fonctions d’un employé si elles étaient exercées par un seul employé ».

[105] Après la fin de l’évaluation de la commission, tant Taseko que le gouvernement national tsilhqot’in ont entrepris par divers moyens de communiquer et de faire comprendre leurs points de vue aux décideurs. Les deux parties étaient convaincues d’avoir moins facilement accès aux décideurs, sans se préoccuper des droits de l’autre en matière d’équité procédurale.

[106] Le gouvernement national tsilhqot’in estime qu’en raison de ses activités de lobbying ou de défense de ses intérêts, Taseko n’a droit à aucune réparation, même si notre Cour en venait à conclure que, dans toutes les instances, les rencontres tenues avec les fonctionnaires fédéraux ou les observations qui leur sont soumises sans être communiquées à l’autre partie pour commentaires ne sont pas appropriées : [traduction] « Taseko se plaint que le gouvernement national tsilhqot’in a bénéficié d’un accès injuste aux décideurs gouvernementaux, alors qu’elle a elle-même multiplié les communications privées et les activités de lobbying pour influencer le processus décisionnel gouvernemental. »

[107] Le gouvernement national tsilhqot’in en déduit que Taseko n’a pas [traduction] « les mains propres » et que notre Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire de lui refuser une réparation. Il n’est pas nécessaire ici de déterminer qui a les mains propres ou non, mais il est évident que tout au long du processus, les parties n’ont pas ménagé leurs efforts pour avoir un accès direct ou indirect au ministre.

[108] Il est plus difficile d’apprécier s’il y a eu équité procédurale en l’absence d’un processus décisionnel formel au ministre. Dans un contexte quasi judiciaire, les moyens déployés en catimini pour approcher le décideur et son personnel seraient jugés répréhensibles mais, pour une raison quelconque, ils semblent moins choquants dans le contexte de l’élaboration de politiques publiques.

[109] Pour en revenir à la première question, le processus décisionnel du ministre a été équitable à l’égard de Taseko au vu des facteurs susmentionnés, et notamment de la nature des échanges en cause, des attentes et de la conduite des parties, de l’absence de questions ou d’éléments de preuve nouveaux communiqués par le gouvernement national tsilhqot’in au ministre, et de l’obligation de consulter la Première Nation.

B. Deuxième question en litige : Le processus décisionnel du gouverneur en conseil a-t-il été équitable à l’égard de Taseko?

[110] Taseko fait valoir que le gouverneur en conseil n’a pas rempli son obligation d’équité procédurale à son égard. Elle fonde cette allégation sur la décision du juge O’Reilly dans Hospitality House Refugee Ministry Inc. c Canada (Procureur général), 2013 CF 543, 433 FTR 118 [Hospitality House] :

[18] En règle générale, l’obligation d’équité ne s’applique pas aux activités législatives, comme la promulgation d’un décret en conseil (Procureur général du Canada c Inuit Tapirisat et al, [1980] 2 RCS 735). Bien que certaines décisions du gouverneur en conseil déclenchent une obligation d’équité, la portée d’une telle obligation dépend de plusieurs facteurs, dont la question traitée dans la décision, les conséquences pour les personnes en cause et le nombre de personnes visées (p. 755-758).

[Non souligné dans l’original]

[111] Taseko soutient en outre que le gouverneur en conseil a enfreint ses droits procéduraux [traduction] « en omettant de lui communiquer les observations que le gouvernement national tsilhqot’in a présentées au ministre, le rapport de consultation ainsi que les commentaires joints à la version préliminaire des conditions du ministre ».

[112] Taseko estime par ailleurs que la décision du gouverneur en conseil est invalide parce qu’il n’avait pas la compétence requise pour la rendre.

[113] Elle allègue aussi que le ministre et le gouverneur en conseil ont manqué à l’obligation de motiver leurs décisions que leur impose leur devoir d’agir équitablement dans certaines circonstances. Taseko soutient enfin qu’elle avait le droit de savoir pourquoi le gouverneur en conseil n’a pas conclu que les effets environnementaux négatifs n’étaient pas justifiables, mais que ce n’est pas mentionné dans la déclaration.

1) Équité procédurale

[114] Dans l’arrêt Procureur général du Canada c Inuit Tapirisat et autre, [1980] 2 RCS 735, 115 DLR (3d) 1 [Inuit Tapirisat], la Cour suprême du Canada explique qu’en règle générale, l’obligation d’agir équitablement ne s’applique pas aux activités législatives, mais que « la simple attribution par la loi d’un pouvoir au gouverneur en conseil ne signifie pas que son exercice échappe à toute révision » (à la page 748). Par exemple, si l’une des conditions sous-jacentes à l’exercice de ce pouvoir n’est pas remplie, la Cour pourrait déclarer cet exercice nul.

[115] Dans la décision Hospitality House, le juge O’Reilly a observé que la portée de l’obligation d’équité du gouverneur en conseil dépend de facteurs comme l’objet de la décision, le nombre de personnes touchées ainsi que les conséquences pour celles-ci. Le juge O’Reilly a ainsi tranché qu’une ordonnance restreignant l’accès aux soins de santé gouvernementaux de 1 940 réfugiés parrainés par des organismes privés ne conférait pas une obligation de consulter au gouverneur en conseil, étant donné la « modeste » somme d’argent concernée ainsi que le nombre relativement restreint de personnes touchées. Le juge souligne en outre que des consultations avaient eu lieu avec les organismes de parrainage dans le cadre d’une conférence avec les parties à l’entente.

[116] Le ministre fait l’hypothèse que le processus décisionnel du gouverneur en conseil ne peut pas en soi faire naître une obligation d’équité procédurale, mais je trouve cet énoncé fort général et non corroboré par la jurisprudence (notamment par celle qui est invoquée par Taseko). En fait, il ressort de la jurisprudence que même si c’est plutôt rare, le processus décisionnel du gouverneur pourrait être assorti d’une obligation d’équité procédurale.

[117] Cependant, le gouverneur en conseil n’avait aucune obligation de la sorte dans le cas qui nous occupe. L’importance et l’irrévocabilité d’une décision ne suffisent pas pour déclencher l’obligation d’équité procédurale invoquée par Taseko. Dans l’arrêt Prophet River, la Cour d’appel fédérale a établi que les décisions du gouverneur en conseil « résultent d’un exercice discrétionnaire fondé sur les politiques gouvernementales et les faits » (au paragraphe 30). La jurisprudence (notamment, Inuit Tapirasit et Canada (Commission du blé) c Canada (Procureur général), 2009 CAF 214, [2010] 3 RCF 374) nous enseigne que le gouverneur en conseil est généralement libre d’exercer son pouvoir sans l’intervention de la Cour à condition qu’il le fasse de bonne foi et que les conditions législatives soient respectées. Taseko n’a pas allégué que le gouverneur en conseil a fait preuve de mauvaise foi ou que les conditions législatives n’ont pas été remplies.

[118] Au reste, toute obligation d’équité procédurale que le gouverneur en conseil aurait pu avoir envers Taseko aurait été minimale (pour les mêmes raisons que celles qui ont été exposées ci-devant relativement au ministre), et elle aurait été respectée dans l’espèce.

[119] Le gouverneur en conseil n’est tenu par aucune disposition législative de recevoir des observations. La loi stipule en outre que la décision du ministre quant aux effets négatifs importants doit être signifiée au promoteur seulement quand la déclaration est publiée. Il en découle que rien n’oblige le gouverneur en conseil à donner la possibilité au promoteur de lui soumettre ses observations, mais surtout qu’il n’est pas tenu de l’informer qu’il est en train de délibérer. Par ailleurs, le rapport de la commission donne un compte rendu exhaustif de la question de la justification.

[120] En somme, Taseko n’avait aucunement le droit d’exiger qu’on lui communique les renseignements en cause. Il s’agissait de renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine, visés aux alinéas 39(2)a) et 39(2)c) de la Loi sur la preuve au Canada, LRC (1985), c C5.

2) Compétence

[121] Le gouverneur avait compétence pour rendre la décision. Tel qu’il a été mentionné auparavant, le rapport satisfait aux exigences de la LCEE 2012 et tous les facteurs ont été pris en compte. Le processus législatif a été respecté, rien ne permet de croire qu’il y a eu mauvaise foi et toutes les décisions sont conformes aux objectifs de la LCEE 2012 (Conseil des Innus de Ekuanitshit c Canada (Procureur général), 2013 CF 418, 431 FTR 219).

3) Obligation de fournir des motifs

[122] Finalement, ni le ministre ni le gouverneur en conseil n’étaient obligés de fournir les motifs de leur décision en l’espèce. Comme l’a mentionné la Cour suprême dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, l’obligation d’équité ne donne pas automatiquement naissance à l’obligation de fournir des motifs. Et même si une telle obligation avait existé, les « motifs » fournis en l’espèce auraient été adéquats.

[123] Ni le ministre ni le gouverneur en conseil n’étaient légalement tenus de fournir les motifs de leur décision. Comme le soulignent les défendeurs, leur unique obligation était d’informer le promoteur de la décision. Il s’agit d’une exigence raisonnable considérant que les décisions du ministre et du gouverneur en conseil visaient essentiellement l’adoption des conclusions de l’évaluation et du rapport de la commission.

[124] Il faut considérer que, par extension, les renseignements présentés au ministre et au gouverneur en conseil, y compris ceux figurant au rapport, constituent les motifs de l’espèce. La Cour suprême rappelle, au paragraphe 44 de l’arrêt Baker, que « les individus ont droit à une procédure équitable et à la transparence de la prise de décision, mais [qu’]en matière administrative, cette transparence peut être atteinte de différentes façons ».

[125] Le communiqué de presse établit également que le ministre et le gouverneur en conseil se sont appuyés sur le rapport pour rendre leur décision. Le juge Manson fait le commentaire suivant dans la décision Peace Valley Landowner Association c Canada (Procureur général), 2015 CF 1027, 97 CELR (3d) :

[64] De plus, je ne crois pas que le décret expose de façon exhaustive tout ce dont le GC [gouverneur en conseil] a tenu compte. Il faut examiner l’ensemble du dossier pour déterminer si la décision était déraisonnable, et le faire en tenant compte de la preuve et du processus afin de pouvoir déterminer si le résultat s’inscrit dans un éventail d’issues possibles et raisonnables (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, paragraphes 14, 15 et 18). Par ailleurs, le communiqué de presse diffusé le 14 octobre 2014 par la ministre, peu après publication du décret ce même jour, peut être considéré et reconnu comme une indication de ce dont le GC a tenu compte. Bien que le communiqué ait été diffusé après la décision, cette publication concomitante est, à tout le moins, instructive et témoigne de l’examen des enjeux et préoccupation d’ordre économique […]

[Non souligné dans l’original]

[126] Le communiqué de presse indiquait explicitement que le gouvernement fédéral avait consulté le rapport et souscrit à ses conclusions sur les effets environnementaux. C’est une autre confirmation que le rapport a servi de fondement aux décisions du ministre et du gouverneur en conseil. Il n’y a tout simplement aucune preuve du contraire.

C. Troisième question en litige : Le ministre et le gouverneur en conseil ont-ils agi de manière incompatible avec la Déclaration canadienne des droits?

[127] Taseko avance que le manquement à l’équité procédurale qui entache les décisions du ministre et du gouverneur en conseil est incompatible avec la Déclaration canadienne des droits, SC 1960, c 44, qui prévoit à l’article 2 :

2 Toute loi du Canada, à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme

2 Every law of Canada shall, unless it is expressly declared by an Act of the Parliament of Canada that it shall operate notwithstanding the Canadian Bill of Rights, be so construed and applied as not to abrogate, abridge or infringe or to authorize the abrogation, abridgment or infringement of any of the rights or freedoms herein recognized and declared, and in particular, no law of Canada shall be construed or applied so as to

[…]

e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;

(e) deprive a person of the right to a fair hearing in accordance with the principles of fundamental justice for the determination of his rights and obligations;

[128] Taseko a approfondi son argumentaire durant sa plaidoirie. Les avocats ont admis que la Déclaration canadienne des droits s’applique seulement si une audience a lieu. Si tel est le cas, l’audience doit être juste. Selon Taseko, il y a bel et bien eu une audience devant le ministre puisqu’elle s’est personnellement immiscée dans le processus en rencontrant le gouvernement national tsilhqot’in le 8 octobre 2013.

[129] En outre, les décisions du ministre et du gouverneur en conseil ont [traduction] « eu une incidence considérable » sur les intérêts économiques et pratiques de Taseko.

[130] La Déclaration canadienne des droits s’applique uniquement s’il y a eu audience, mais elle ne crée pas de droit distinct à une audience si la loi ne prévoit pas un tel droit. À ce sujet, voici ce que la Cour suprême observe dans l’arrêt Authorson c Canada (Procureur général), 2003 CSC 39, [2003] 2 RCS 40 :

[59] Toutefois, l’alinéa 2e) ne garantit le respect de la justice fondamentale que dans une instance devant un tribunal ou un organisme administratif qui définit les droits et obligations d’un individu. D’autres garanties de l’art. 2 confirment cette interprétation à l’évidence :

(i) les garanties contre la détention arbitraire et les traitements cruels et inusités;

(ii) le droit d’être promptement informé des motifs de son arrestation, le droit de retenir et de constituer un avocat, le droit de recours par voie d’habeas corpus;

(iii) les droits relatifs à la preuve et les protections contre l’auto‑incrimination;

(iv) la présomption d’innocence;

(v) le droit à un tribunal impartial;

(vi) le droit à un cautionnement raisonnable; et

(vii) le droit à l’assistance d’un interprète dans une instance devant un tribunal.

Il s’agit là de garanties juridiques applicables avant ou pendant une audience devant une cour de justice ou un tribunal.

[60] Cette distinction est plus claire dans la version française de l’al. 2e) qui utilise l’expression « une audition impartiale de sa cause », que dans la version anglaise qui utilise les mots « fair hearing ». Le Grand Robert de la langue française (2e éd. 2001) définit ainsi le terme « cause » :» [a]ffaire, procès qui se plaide ». Cette définition confirme la nature juridictionnelle de l’« audition impartiale ».

[61] L’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits n’oblige pas le législateur à tenir une audience avant l’adoption d’une loi. Ses garanties ne jouent que dans le cadre de l’application de la loi à des situations individuelles dans une instance tenue devant une cour de justice, un tribunal administratif ou un organisme semblable.

[Non souligné dans l’original.]

[131] De façon similaire, dans l’arrêt Amaratunga c Organisation des pêches de l’Atlantique Nord-Ouest, 2013 CSC 66, [2013] 3 RCS 866, la Cour suprême statue au paragraphe 61 que l’alinéa 2e) « prévoit plutôt la tenue d’une audience impartiale si effectivement une audience a lieu ». Dans l’arrêt Kazemi (Succession) c République islamique d’Iran, 2014 CSC 62, [2014] 3 RCS 176, la Cour affirme :

[116] Je conviens avec le procureur général du Canada qu’il faut rejeter la contestation fondée sur l’al. 2e) de la Déclaration des droits parce que cette disposition ne crée pas un droit autonome à un procès équitable dans les cas où la loi ne prévoit pas autrement l’existence d’un tel procès. Cet alinéa garantit plutôt l’équité dans le contexte d’une audience tenue devant une cour de justice ou un tribunal administratif au Canada.

[132] Il m’appert que la Déclaration canadienne des droits ne s’applique pas aux processus décisionnels du ministre et du gouverneur en conseil en cause ici. Le ministre et le gouverneur en conseil ne sont pas une « cour de justice, un tribunal administratif ou un organisme semblable », et ils n’ont exercé aucune de leurs attributions. Ces processus n’étaient pas de nature juridictionnelle, et aucune « audience » n’a eu lieu ou n’aurait dû avoir lieu au sens de l’alinéa 2e).

[133] Il semble que Taseko veuille que la rencontre du 8 octobre 2013 soit assimilée à une « audience afin de faire reconnaître que le processus décisionnel du ministre était de nature juridictionnelle et qu’il était donc assorti d’une obligation d’équité procédurale. Taseko n’a présenté aucun élément de preuve qui accréditerait la thèse voulant qu’une rencontre tenue dans le cadre d’un processus consultatif constitue une « audience » au sens de la Déclaration canadienne des droits. Quoi qu’il en soit, la jurisprudence est claire : la Déclaration offre des garanties procédurales devant un tribunal, une cour de justice ou un organisme semblable.

[134] D’ailleurs, même si la rencontre avait pu être qualifiée d’« audience », je ne relève aucune dérogation aux principes de justice fondamentale, pour les mêmes motifs qui ont été exposés précédemment eu égard à la règle audi alteram partem (l’argument de Taseko fondé sur la Déclaration canadienne des droits semble être le prolongement de sa position concernant la règle audi alteram partem).

[135] Comme j’ai conclu que le processus n’a pas enfreint cette règle et qu’il était autrement équitable au point de vue de la procédure, j’estime que l’argument de Taseko fondé sur la Déclaration canadienne des droits doit échouer.

D. Quatrième question en litige : L’alinéa 5(1)c) et l’article 6 de la LCEE 2012 sont-ils inconstitutionnels?

[136] Taseko fait valoir que l’alinéa 5(1)c) et l’article 6 de la LCEE 2012 sont inopérants, car ils excèdent la compétence du Parlement. Une loi excède la compétence législative du Parlement si son « caractère véritable » se situe dans un champ de compétence provincial (Québec (Procureur général) c Canada (Procureur général), 2015 CSC 14, au paragraphe 28, [2015] 1 RCS 693). Lorsqu’elle détermine le caractère véritable d’une loi, la Cour en examine tant l’objet que les effets, y compris les répercussions juridiques de son libellé et ses conséquences pratiques (Rogers Communications Inc. c Châteauguay (Ville), 2016 CSC 23, au paragraphe 36, [2016] 1 RCS 467 [Rogers]).

[137] Dans l’espèce, Taseko qualifie ainsi les dispositions attaquées :

[traduction]

L’alinéa 5(1)c) et de l’article 6 semblent avoir pour objet de protéger les peuples autochtones ainsi que les lieux auxquels ils attachent de la valeur contre les effets des changements environnementaux attribuables au développement économique. L’effet légal immédiat de ces dispositions est qu’un promoteur doit obtenir l’approbation du gouvernement fédéral avant d’entreprendre quoi que ce soit qui puisse modifier l’environnement d’une manière susceptible d’avoir répercussions pour les peuples autochtones ou les lieux auxquels ils attachent de la valeur. Concrètement, suivant la doctrine de la prépondérance, toute approbation qu’un promoteur a pu obtenir d’une autorité provinciale en vertu d’une loi provinciale devient invalide, même si le ministère public provincial a rempli son obligation de consulter les peuples autochtones.

Ainsi, le caractère véritable de l’alinéa 5(1)c) et de l’article 6 est d’exiger l’approbation du gouvernement fédéral et d’invalider toute approbation provinciale relativement à des projets susceptibles d’avoir des répercussions pour les peuples autochtones.

[138] Subsidiairement, Taseko avance que notre Cour devrait appliquer la doctrine de l’exclusivité des compétences, qui protège le « cœur » d’un chef de compétence contre tout empiétement. Bien que cette doctrine soit habituellement réservée aux circonstances traitées par la jurisprudence et qu’elle n’ait jamais été invoquée avec succès pour protéger un chef de compétence provinciale, Taseko soutient qu’elle s’applique indifféremment aux chefs de compétence fédéraux et provinciaux.

[139] En premier lieu, il convient de déterminer la nécessité de statuer sur la constitutionnalité des dispositions attaquées aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire. Quand l’évaluation environnementale en cause a été entreprise, la loi attaquée n’était pas en vigueur (l’ancienne version de la Loi canadienne d’évaluation environnementale était encore en vigueur). Par ailleurs, les effets négatifs du projet ont été reconnus justifiables sous le régime de l’alinéa 5(1)a) et du paragraphe 5(2) de la LCEE 2012, et non de l’alinéa 5(1)c) attaqué. Par conséquent, le cadre factuel de l’espèce ne se prête pas à une analyse rigoureuse de la constitutionnalité de ces dispositions.

[140] En règle générale, les questions constitutionnelles devraient être examinées seulement si les faits d’un dossier l’exigent. Dans l’arrêt Phillips c Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 RCS 97, 124 DLR (4th) 129, la Cour suprême du Canada observe que « [l]a règle de conduite qui dicte la retenue dans les affaires constitutionnelles est sensée. Elle repose sur l’idée que toute déclaration inutile sur un point de droit constitutionnel risque de causer à des affaires à venir un préjudice dont les conséquences n’ont pas été prévues » (au paragraphe 112).

[141] Le ministre et le procureur général, en défense, ont bien décrit la situation :

[traduction]

Avant d’établir la constitutionnalité d’une évaluation environnementale hypothétique, susceptible d’être entreprise pour évaluer exclusivement les effets d’un projet en application de l’alinéa 5(1)c), il faut attendre que cette situation factuelle se concrétise. C’est essentiel. Le cadre factuel du dossier doit être suffisamment étoffé – notamment, le fondement sur lequel le projet a été « désigné » et l’évaluation de la portée du pouvoir discrétionnaire que l’article 10 confère à l’Agence de décider si une évaluation environnementale est nécessaire – pour permettre de comprendre comment les autres dispositions pourraient limiter la portée de la LCEE 2012.

[142] Dans l’espèce, il est évident que le préjudice engloberait à tout le moins l’annulation des dispositions de la LCEE 2012 visant la prise en compte des intérêts des peuples autochtones (santé et conditions socioéconomiques, patrimoine matériel et culturel, usage des terres à des fins traditionnelles et autres éléments importants) susceptibles d’être touchés par les effets environnementaux de projets ou d’activités devant faire l’objet d’évaluations environnementales. Les répercussions éventuelles de cette mesure ne sont pas claires pour l’instant.

[143] Je conclus que, dans le présent dossier, les faits et l’analyse ne permettent pas de trancher une question constitutionnelle. Si Taseko avait des doutes quant à la constitutionnalité de la législation et, par conséquent, de l’évaluation du projet, elle aurait dû les formuler dès le début du processus.

[144] Si notre Cour devait trancher la question constitutionnelle, je conclurais que la législation est intra vires.

[145] La détermination de la validité d’une disposition se fait en deux étapes. Dans le Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, 2004 CSC 79, au paragraphe 13, [2004] 3 RCS 698, la Cour suprême du Canada explique qu’il « [i]l est maintenant bien établi en droit que l’analyse des pouvoirs législatifs attribués par la Loi constitut6ionnelle de 1867 comporte deux volets qui consistent 1) d’abord à qualifier la loi en fonction de son « caractère véritable », c’est-à-dire sa caractéristique dominante, 2) puis à déterminer quelle est la rubrique de compétence énumérée aux art. 91 et 92 de cette loi à laquelle elle se rapporte [...] »

[146] La Cour suprême expose ainsi l’analyse du caractère véritable dans l’arrêt Bande Kitkatla c Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), 2002 CSC 31, [2002] 2 RCS 146 :

[53] L’analyse du caractère véritable porte à la fois (1) sur l’objet de la législation et (2) sur ses effets. Premièrement, pour déterminer l’objet de la législation, la Cour peut examiner tant la preuve intrinsèque, telles les dispositions énonçant les objectifs généraux, que la preuve extrinsèque, tels le Hansard ou les comptes rendus des comités parlementaires.

[54] Deuxièmement, dans son analyse de l’effet de la législation, la Cour peut examiner à la fois son effet juridique et son effet pratique. Autrement dit, elle examine tout d’abord les effets directs des dispositions de la loi elle‑même, puis les effets « secondaires » de son application : voir R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, p. 482-483. Le juge Iacobucci donne quelques exemples de cette démarche dans Global Securities Corp. c. Colombie-Britannique (Securities Commission), [2000] 1 R.C.S. 494, 2000 CSC 21, par. 23 :

Les effets de la mesure législative peuvent également être pertinents pour déterminer si elle est valide, dans la mesure où ils en révèlent le caractère véritable. Par exemple, dans l’arrêt Saumur c. City of Quebec, [1953] 2 R.C.S. 299, la Cour a invalidé un règlement municipal qui interdisait la distribution de tracts, pour le motif qu’il avait été appliqué de façon à supprimer les opinions religieuses des Témoins de Jéhovah. De même, dans l’arrêt Attorney-General for Alberta c. Attorney-General for Canada, [1939] A.C. 117, le Conseil privé a invalidé une loi qui imposait une taxe aux banques, pour le motif que les effets de cette taxe étaient si graves que l’objet véritable de la loi ne pouvait qu’être lié aux opérations bancaires et non à la taxation. Cependant, de simples effets accessoires ne rendent pas inconstitutionnelle une loi par ailleurs intra vires.

[147] L’objet de la LCEE 2012 y est libellé en toutes lettres :

4 (1) La présente loi a pour objet :

4 (1) The purposes of this Act are

a) de protéger les composantes de l’environnement qui relèvent de la compétence législative du Parlement contre tous effets environnementaux négatifs importants d’un projet désigné;

(a) to protect the components of the environment that are within the legislative authority of Parliament from significant adverse environmental effects caused by a designated project;

b) de veiller à ce que les projets désignés dont la réalisation exige l’exercice, par une autorité fédérale, d’attributions qui lui sont conférées sous le régime d’une loi fédérale autre que la présente loi soient étudiés avec soin et prudence afin qu’ils n’entraînent pas d’effets environnementaux négatifs importants;

(b) to ensure that designated projects that require the exercise of a power or performance of a duty or function by a federal authority under any Act of Parliament other than this Act to be carried out, are considered in a careful and precautionary manner to avoid significant adverse environmental effects;

c) de promouvoir la collaboration des gouvernements fédéral et provinciaux et la coordination de leurs activités en matière d’évaluation environnementale;

(c) to promote cooperation and coordinated action between federal and provincial governments with respect to environmental assessments;

d) de promouvoir la communication et la collaboration avec les peuples autochtones en matière d’évaluation environnementale;

(d) to promote communication and cooperation with aboriginal peoples with respect to environmental assessments;

e) de veiller à ce que le public ait la possibilité de participer de façon significative à l’évaluation environnementale;

(e) to ensure that opportunities are provided for meaningful public participation during an environmental assessment;

f) de veiller à ce que l’évaluation environnementale soit menée à terme en temps opportun;

(f) to ensure that an environmental assessment is completed in a timely manner;

g) de veiller à ce que soient étudiés avec soin et prudence, afin qu’ils n’entraînent pas d’effets environnementaux négatifs importants, les projets au sens de l’article 66 qui sont réalisés sur un territoire domanial, qu’une autorité fédérale réalise à l’étranger ou pour lesquels elle accorde une aide financière en vue de leur réalisation à l’étranger;

(g) to ensure that projects, as defined in section 66, that are to be carried out on federal lands, or those that are outside Canada and that are to be carried out or financially supported by a federal authority, are considered in a careful and precautionary manner to avoid significant adverse environmental effects;

h) d’inciter les autorités fédérales à favoriser un développement durable propice à la salubrité de l’environnement et à la santé de l’économie;

(h) to encourage federal authorities to take actions that promote sustainable development in order to achieve or maintain a healthy environment and a healthy economy; and

i) d’encourager l’étude des effets cumulatifs d’activités concrètes dans une région et la prise en compte des résultats de cette étude dans le cadre des évaluations environnementales.

(i) to encourage the study of the cumulative effects of physical activities in a region and the consideration of those study results in environmental assessments.

(2) Pour l’application de la présente loi, le gouvernement du Canada, le ministre, l’Agence, les autorités fédérales et les autorités responsables doivent exercer leurs pouvoirs de manière à protéger l’environnement et la santé humaine et à appliquer le principe de précaution.

(2) The Government of Canada, the Minister, the Agency, federal authorities and responsible authorities, in the administration of this Act, must exercise their powers in a manner that protects the environment and human health and applies the precautionary principle.

(La Cour souligne)

(Court’s underlining)

[148] Dans la décision Courtoreille c Canada (Affaires autochtones et Développement du Nord), 2014 CF 1244, infirmée par 2016 CAF 311, autorisation d’interjeter appel devant la CSC accordée, 37441 (le 18 mai 2017), le juge Hughes examine ces dispositions législatives :

[94] [...] La nouvelle loi n’exige la tenue d’une évaluation environnementale que si un projet est inscrit sur une liste de projets désignés, appelée Règlement désignant les activités concrètes, DORS/2012-147.

[…]

[96] […] bien que le paragraphe 5(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) limite bel et bien la portée des effets environnementaux qu’il faut prendre en considération, l’alinéa 5(1)c) est là pour garantir que cette limite ne touche pas les peuples autochtones et, en l’occurrence, les Mikisew.

[149] La Cour d’appel fédérale se prononce comme suit dans l’arrêt Gitxaala :

[109] Les évaluations environnementales doivent comprendre les évaluations des éléments énoncés aux articles 5 et 19 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012). Pour les besoins de l’espèce, il nous faut seulement faire un résumé général de ces éléments. Ils comprennent notamment les changements causés à l’air, au sol, à l’eau et aux organismes vivants qui habitent dans ces zones. Ils comprennent également l’examen des questions spécifiques au projet et de ses effets spécifiques sur l’environnement et sur les organismes vivants qui y habitent. Ils comprennent également les effets sur la santé et les conditions socioéconomiques des peuples autochtones, sur leur patrimoine naturel et culturel, sur l’usage courant des terres et des ressources à des fins traditionnelles, et sur les structures, sites ou choses qui ont une importance historique, archéologique, paléontologique ou architecturale.

[150] La disposition qui énonce l’objet de la LCEE 2012 met l’accent sur la promotion de la communication et de la collaboration avec les peuples autochtones, et l’alinéa 5(1)c) traite explicitement des effets pour la santé et les conditions socioéconomiques, le patrimoine naturel et culturel, l’usage des terres et des ressources à des fins traditionnelles; ainsi que les constructions, les emplacements ou les choses d’importance des changements qui risquent d’être causés à l’environnement. À mon sens, le syntagme « la communication et la collaboration » témoigne de l’appréciation par le législateur du fait que le processus d’évaluation environnementale fait partie intégrante de l’obligation de la Couronne de consulter les Premières Nations touchées, et l’alinéa 5(1)c) donne une liste des répercussions éventuelles dont doit tenir compte cette évaluation.

[151] Taseko ne reconnaît pas que la loi dispose explicitement que le cadre d’évaluation environnementale s’applique exclusivement aux projets de compétence fédérale (par exemple, aux « projets désignés » en vertu du Règlement désignant les activités concrètes, DORS/2012-147). À ce chapitre, Taseko se trompe. À mon avis, les dispositions attaquées ont pour effet d’empêcher le promoteur d’un projet désigné (aux termes de l’article 6) de prendre une mesure qui pourrait avoir l’un des effets environnementaux visés à l’alinéa 5(1)c) pour les peuples autochtones.

[152] Le caractère véritable des dispositions attaquées relève du pouvoir législatif conféré au Parlement par le paragraphe 91(24), « Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens », de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 et 31 Victoria, c 3 (R.U.), reproduite dans la LRC 1985, app. II, no 5.

[153] Notre Cour ne peut pas céder à l’invitation de Taseko de restreindre la compétence législative du fédéral sur cette question [traduction] « à la possibilité pour le Parlement d’intervenir uniquement dans les cas où il existe un risque considérable de préjudice pour les intérêts des peuples autochtones, et seulement ceux-ci ». Les Autochtones et les non-Autochtones partagent beaucoup d’intérêts religieux, socioéconomiques et environnementaux mais, pour les Autochtones, ces intérêts sont souvent exposés à des risques uniques dont les non-Autochtones sont à l’abri. Comme l’ont souligné le ministre et le procureur général, le paragraphe 91(24) établit une compétence particulière à laquelle il serait inopportun de substituer une compétence générale (telle la compétence provinciale sur les travaux et entreprises d’une nature locale).

[154] Parce que l’inconstitutionnalité des dispositions de la LCEE 2012 n’est pas évidente d’emblée et que la résolution des questions constitutionnelles requiert un fondement solide, clair et factuel, il aurait été imprudent de pousser l’analyse constitutionnelle que Taseko réclame maintenant.

[155] Quant à la question de l’exclusivité des compétences, la Cour suprême du Canada a défini la doctrine pertinente dans l’arrêt Rogers :

[59] La doctrine de l’exclusivité des compétences met le « contenu essentiel » ou le « cœur » d’une compétence d’un pouvoir législatif à l’abri d’une entrave de la part de l’autre ordre législatif : COPA, par. 26. L’analyse de l’application de la doctrine comprend deux étapes. La première consiste à déterminer si une loi ou une mesure adoptée par un ordre de gouvernement empiète sur le « cœur » d’une compétence de l’autre ordre de gouvernement. Le cas échéant, la deuxième étape consiste à déterminer si cette loi ou mesure a un effet suffisamment grave sur l’exercice de la compétence protégée pour déclencher l’application de cette doctrine : COPA, par. 27.

[156] Le ministre et le procureur général ont plaidé en défense que la reconnaissance de l’exclusivité des compétences en l’espèce devrait s’étendre « logiquement » à tout projet local bloqué par une loi fédérale. La préséance ainsi donnée aux compétences provinciales ne serait pas conforme à la Constitution et enfreindrait le principe du fédéralisme coopératif.

[157] J’estime que ni l’une ni l’autre des étapes énoncées dans l’arrêt Rogers n’a été franchie : la législation n’empiète pas sur le « cœur » d’une compétence provinciale et, si c’était le cas, son effet ne serait pas suffisamment important pour déclencher l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences. Par surcroît, Taseko n’a offert aucune preuve de l’existence d’un tel effet.

[158] La doctrine de l’exclusivité des compétences a été analysée en profondeur dans l’arrêt Canada (Procureur général) c PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 RCS 134 :

[61] La jurisprudence récente tend à limiter la portée de la doctrine de l’exclusivité des compétences. [...] mais « est encadrée par des considérations de principe et des précédents ».

[62] […] la doctrine de l’exclusivité des compétences va à l’encontre de l’approche dominante, qui permet l’application parallèle de lois fédérale et provinciale dans un même champ, à condition qu’elles visent un aspect légitimement fédéral ou provincial, selon le cas. […]

[63] […] cette doctrine cadre mal avec la tendance actuelle au fédéralisme coopératif, caractérisé de plus en plus par la coordination des régimes législatifs fédéral et provincial. […]

[64] […] la doctrine de l’exclusivité des compétences risque d’attribuer une portée excessive au pouvoir fédéral ou provincial auquel elle se rattache et de créer des zones intouchables que les législateurs fédéral et provincial n’occuperont ni l’un ni l’autre.

[159] La LCEE 2012 établit un régime coopératif : la disposition sur l’objet indique qu’elle vise à « promouvoir la collaboration des gouvernements fédéral et provinciaux et la coordination de leurs activités ». Le législateur reconnaît ainsi, sans réserve, que même si l’évaluation relève du fédéral, le régime fait intervenir des compétences concurrentes telle la protection de l’environnement.

[160] Il est fort probable qu’un projet de l’ampleur de celui dont il est question ici aura des répercussions dans des domaines qui relèvent tant du provincial que du fédéral. La doctrine de l’exclusivité des compétences, qui est une espèce de « dernier recours » en droit constitutionnel, est habituellement réservée aux circonstances déjà traitées dans la jurisprudence. Comme à ce jour il n’a jamais été établi qu’elle englobait une compétence provinciale, l’application de cette doctrine à l’espèce dérogerait de façon importante à la jurisprudence existante.

[161] Par conséquent, pour les motifs déjà exposés, notre Cour ne devrait pas entreprendre un examen de cette doctrine en l’absence de fondement factuel constitutionnel valable.

VI. CONCLUSION

[162] La Cour conclut, pour tous les motifs exposés, que les processus décisionnels du ministre et du gouverneur en conseil ont été équitables à l’égard de Taseko.

[163] Le régime d’évaluation environnementale, dans l’ensemble, prévoit que c’est devant la commission d’évaluation que le promoteur doit faire valoir sa position, et qu’il a droit à ce moment à un degré élevé d’équité procédurale.

[164] Le ministre avait une obligation d’équité minimale à l’égard de Taseko, et elle a été remplie. Il n’est pas aussi clair qu’une telle obligation d’équité était rattachée au processus décisionnel du gouverneur en conseil mais, le cas échéant, elle serait également minimale et elle a été remplie.

[165] Taseko se plaint que l’obligation d’équité procédurale a été remplie de manière asymétrique, au bénéfice du gouvernement national tsilhqot’in. Or, il peut exister des circonstances dans lesquelles la symétrie n’est pas requise en matière d’équité procédurale. L’obligation de la Couronne de consulter les Premières nations fait partie de ces circonstances.

[166] Taseko avait droit à l’équité procédurale durant le processus d’évaluation environnementale, mais elle n’avait pas droit au même degré d’équité durant le processus de consultation du gouvernement national tsilhqot’in.

[167] Quant aux droits conférés à Taseko par la Déclaration canadienne des droits, il convient tout d’abord de préciser que les processus décisionnels du ministre et du gouverneur en conseil n’étaient pas des processus juridictionnels du type de ceux qui sont visés par la Déclaration et que, au surplus, ils ont été équitables au point de vue de la procédure, tel qu’il a été expliqué précédemment.

[168] Quant à la constitutionnalité de l’alinéa 5(1)c) et de l’article 6, ces dispositions semblent être intra vires. Les faits de l’espèce ne justifient pas une analyse de cette question constitutionnelle et, dans le cas contraire, notre Cour aurait besoin d’un dossier constitutionnel plus complet et mieux étoffé. Le cadre et le fondement devaient être établis en première instance; subsidiairement, il faut à tout le moins présumer que ces dispositions législatives sont constitutionnelles.

[169] En ce qui a trait à l’exclusivité des compétences, Taseko cherche à obtenir une conclusion radicale passablement éloignée de la jurisprudence. Étant donné que, là encore, le dossier n’est pas complet, notre Cour devrait s’abstenir de trancher cette question.

[170] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur des deux défendeurs. Les parties devront soumettre leurs observations écrites quant au montant des dépens à adjuger au plus tard le 31 janvier 2018.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-744-14

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire avec dépens en faveur des deux défendeurs. Les parties devront soumettre leurs observations écrites quant au montant des dépens à adjuger au plus tard le 31 janvier 2018.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour d’août 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-744-14

 

INTITULÉ :

TASEKO MINES LIMITED c LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LE GOUVERNEMENT NATIONAL TSILHQOT’IN et JOEY ALPHONSE, en son nom et au nom des autres membres de la Nation Tsilhqot’in

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 30 et 31 janvier 2017, et du 1er au 3 février 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 décembre 2017

 

COMPARUTIONS :

K. Michael Stephens

Kenneth Leung

Shannon Ramsay

Trevor Bant

 

Pour la demanderesse

 

Lorne Lachance

Naomi Wright

Oliver Pulleyblank

Michele Charles

 

Pour les défendeurs,

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Jay Nelson

Sonya Morgan

 

Pour les défendeurs,

LE GOUVERNEMENT NATIONAL TSILHQOT’IN ET JOEY ALPHONSE, en son nom et au nom des autres membres de la Nation Tsilhqot’in

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hunter Litigation

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour les défendeurs,

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Woodward & Company

Avocats

Victoria (Colombie-Britannique)

Pour les défendeurs,

LE GOUVERNEMENT NATIONAL TSILHQOT’IN ET JOEY ALPHONSE, en son nom et au nom des autres membres de la Nation Tsilhqot’in

 

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