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Date : 20171205


Dossier : IMM-2570-17

Référence : 2017 CF 1087

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 5 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

YESSICA ROXANA ZETINO TOBIAS

JONATHAN ALEXANDER ORTIZ ZETINO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La présente demande vise à contester la décision rendue par un commissaire de la Section de la protection des réfugiés (commissaire) le 19 mai 2017, par laquelle il a rejeté la demande d’asile présentée par la mère (demanderesse) et son enfant concernant leur retour au Salvador. Le commissaire a établi le cadre pour en arriver à une décision sur la demande d’asile des demandeurs en déclarant ce qui suit :

[traduction] « Roxana Zetino Tobias (la demanderesse principale) et Jonathan Alexander Ortiz Zetino (le demandeur mineur) sont respectivement la mère et le fils (collectivement les demandeurs) et sont citoyens du Salvador. Ils demandent l’asile aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés parce qu’ils craignent les Maras et l’ancien conjoint de fait de la demanderesse.

[…]

En examinant cette question, le tribunal a tenu compte des Directives du président relativement aux revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les Directives) compte tenu des allégations de la demanderesse selon lesquelles elle est victime de viol aux mains des Maras 18.

[…]

La demanderesse allègue qu’elle a régulièrement été victime d’extorsion de la part des Maras 18 lorsqu’elle se trouvait à son kiosque au marché. Les demandeurs soutiennent toutefois que leurs problèmes personnels avec les Maras 18 découlent d’un incident particulier survenu dans la nuit du 17 mars 2016. Les demandeurs se trouvaient à leur domicile avec un des frères de la demanderesse, Kevin, lorsqu’ils ont laissé entrer un jeune homme couvert de sang et demandant de l’aide. Peu de temps après l’arrivée du jeune homme, des membres des Maras 18 sont arrivés et ont exigé que la demanderesse les laisse entrer. Il est allégué que le jeune homme devait être un membre d’un gang rival et que les membres des Maras 18 étaient furieux que la demanderesse et son frère aient caché le garçon. La demanderesse principale et Kevin ont été frappés plusieurs fois et la demanderesse a été agressée sexuellement (l’agression). Ils ont reçu des menaces de mort, et ont finalement reçu l’ordre de partir et de ne jamais faire en sorte que les Maras les revoient. Cet incident a poussé les demandeurs à fuir le Salvador et ils ont entamé leur voyage le 25 avril 2016, avec la permission de l’ancien conjoint de fait de la demanderesse, Geovanny Alexander Ortix (Geovanny), le père du demandeur mineur. Mais depuis, Geovanny aurait apparemment rejoint les Maras 18 et aurait dit à la demanderesse qu’il la tuerait pour pouvoir gravir les échelons des Maras. Les demandeurs ont peur de retourner au Salvador dû tant à la présence de gangs qu’aux menaces de Geovanny.

Les demandeurs ont été arrêtés à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, le 26 mai 2016. Ils ont demandé l’asile pendant leur détention et ont été libérés le 11 juin 2016 ou aux environs de cette date. La demanderesse avait un bracelet de surveillance à la cheville qui lui a été retiré le 22 décembre 2016 ou aux environs de cette date. Les demandeurs ont ensuite quitté les États-Unis et sont entrés au Canada le 27 janvier 2016 ou aux environs de cette date par le poste frontalier de Fort Erie et ont demandé l’asile au même moment. »

[Non souligné dans l’original]

(Décision, aux paragraphes 1, 4, 6 et 7)

II.  Analyse des éléments de preuve par le commissaire

[2]  Le commissaire a rejeté la demande d’asile se fondant principalement sur une conclusion d’ensemble défavorable quant à la crédibilité relativement aux éléments de preuve présentés par les demandeurs. L’analyse des éléments de preuve par le commissaire (non souligné dans l’original et renvois omis) est la suivante :

La question déterminante en l’espèce porte sur la crédibilité.

Le lien avec la Convention

[traduction] « Les demandeurs ont déclaré craindre la violence des gangs au Salvador. Par conséquent, le tribunat conclut que les demandeurs sont victimes d’un crime ou d’une vengeance personnelle. La Cour fédérale a établi que les victimes de crime, de corruption ou de vengeance n’arrivent généralement pas à établir un lien entre leur crainte de persécution et l’un des motifs énumérés dans la définition de « réfugié au sens de la Convention ».

Toutefois, la demanderesse a également allégué avoir été victime de violence fondée sur le sexe de la part des Maras 18 et de Geovanny. Par conséquent et conformément aux Directives, le tribunal examinera les demandes d’asile des demandeurs suivant l’article 96 et le paragraphe 97(1) de la LIPR. »

(Décision, aux paragraphes 8 à 10)

Crédibilité

Le témoignage fait sous serment ou par affirmation solennelle est présumé vrai, à moins qu’il n’existe des raisons valables d’en douter.

[traduction] « Je conclus que la présomption de véracité du témoignage de la demanderesse principale, fait sous serment, est réfutée par les préoccupations importantes suivantes sur la crédibilité, que la demanderesse principale n’a pas éclairci de façon satisfaisante. Je conclus que les doutes quant à la crédibilité démontrent, selon la prépondérance des probabilités, que son récit sur l’agression sexuelle commise par un membre des Maras est faux et, qu’en outre, Geovanny ne présente aucune menace pour les demandeurs. »

(Décision, aux paragraphes 11 et 12)

Contradictions concernant les Maras 18 et Geovanny

[traduction] « Le tribunal conclut que les contradictions entre le témoignage de la demanderesse principale, le 1er juin 2016, livré lors de son entrevue aux États-Unis visant à déterminer la crédibilité de la crainte et les renseignements fournis dans son formulaire FDA, les documents personnels qu’elle a communiqués et son témoignage à l’audience, minent considérablement la crédibilité des demandeurs et celle de leurs allégations.

Dans son formulaire de FDA et son témoignage, la demanderesse déclare que son union de fait avec Geovanny a commencé au mois de mai 2007, et que ce dernier a commencé à faire preuve de violence à son endroit au mois de février 2009 après avoir perdu son emploi. Elle déclare de plus qu’il la battait et l’agressait sexuellement quand bon lui semblait. Le tribunal fait cependant remarquer que, dans son entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte, la demanderesse principale a été interrogée au sujet de Geovanny et de la durée de leur relation, ce à quoi elle a répondu qu’ils avaient vécu ensemble à partir de « […], aux environs de 2009 […]. [...] ». Le tribunal souligne que cette réponse contredit le témoignage de la demanderesse principale et les renseignements contenus dans son formulaire FDA, qui indiquent qu’ils ont commencé à vivre ensemble en 2007. Invitée à expliquer cette contradiction, la demanderesse a déclaré qu’elle avait été détenue dans une chambre froide qu’ils appellent le “congélateur” pendant les quatre premiers jours de leur première détention, le 26 mai 2016, et que pour cette raison, il lui arrivait de ne pas trop savoir ce qu’on lui demandait. Le tribunal conclut que cela n’explique pas adéquatement la contradiction relevée parce que les demandeurs ont déclaré que la demanderesse avait été transférée du premier établissement à un refuge après quatre jours de détention. Le tribunal conclut que, lorsque l’entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte a été menée le 1er juin 2016, elle n’était plus dans la chambre froide depuis un jour ou deux. Par conséquent, le tribunal conclut que, selon la prépondérance des probabilités, le séjour de la demanderesse principale dans la chambre froide n’a pas eu d’incidence sur son témoignage sous serment au cours de l’entrevue du 1er juin 2016 visant à déterminer la crédibilité de la crainte Le tribunal conclut donc que cette contradiction mine la crédibilité des allégations de la demanderesse principale concernant sa relation avec Geovanny.

La demanderesse a indiqué qu’en octobre 2013, après que Geovanny est devenu violent et l’a jetée dans l’escalier avec le demandeur mineur dans ses bras, elle en a eu assez et est partie vivre seule avec le demandeur mineur. Le tribunal a expressément demandé à la demanderesse principale si d’autres raisons justifiaient le fait qu’elle avait quitté Geovanny, question à laquelle elle a répondu que cette violence était le motif principal, de même que l’association de ce dernier avec des membres de gangs. Cette information se retrouvait également dans la demande familiale déposée devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario le 20 mars 2017 ou aux environs de cette date. Le tribunal note que, dans l’entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte, la demanderesse principale a été interrogée au sujet de Geovanny, et a mentionné que leur relation avait pris fin en décembre 2012, au moment de leur séparation. Le tribunal souligne que cette réponse contredit le témoignage de la demanderesse principale et les renseignements contenus dans son formulaire FDA, qui indiquent qu’ils ont commencé à vivre ensemble en 2007 et qu’ils se sont séparés en octobre 2013. Lorsque cette contradiction a été présentée à la demanderesse principale, elle a déclaré ne pas savoir comment cette date s’est retrouvée là et qu’en raison de la pression qu’elle subissait, elle avait peut-être répondu sans réfléchir. Le tribunal ne retient pas cette explication, puisque la demanderesse principale s’exposait ainsi à un risque d’expulsion. Le tribunal conclut que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse principale aurait pu raisonnablement savoir que ses réponses données à l’entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte étaient très importantes et qu’elle n’aurait pas » […] répondu sans réfléchir ». Le tribunal conclut donc que cette contradiction mine la crédibilité des allégations de la demanderesse concernant sa relation avec Geovanny.

De plus, dans l’entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte, à la question de savoir pourquoi les conjoints de fait s’étaient séparés, la demanderesse a répondu qu’« [il] était en relation avec une autre femme et c’est pourquoi nous nous sommes séparés ». Le tribunal note que la demanderesse a déclaré que les seules raisons pour lesquelles elle s’était séparée de Geovanny étaient la violence dont il faisait preuve et son association avec des gangs. Lorsque ces contradictions ont été présentées à la demanderesse principale, elle a confirmé que Geovanny était en relation avec une autre femme, mais a expliqué qu’au cours de l’entrevue, on ne lui avait pas donné le temps d’expliquer ses réponses (elle aurait mentionné la violence de Geovanny). Le tribunal a souligné que, pendant l’entrevue avec l’agent américain, elle a été en mesure de fournir des détails en réponse aux questions. Par exemple, lorsque l’agent Daniel lui a demandé le nom du père du demandeur mineur, la demanderesse principale a donné son nom complet, et a poursuivi en expliquant sa réponse et en donnant des renseignements supplémentaires sur la durée de la relation, tel qu’il est indiqué ci-dessus. Le tribunal lui a demandé pourquoi elle pouvait expliquer ses réponses à la question précédente, mais non à celle concernant la raison pour laquelle elle avait quitté Geovanny. La demanderesse principale a alors expliqué qu’il était difficile de ne pas parler face à face avec quelqu’un, étant derrière un écran avec un téléphone. Le tribunal conclut que cela n’explique pas adéquatement les contradictions relevées entre le formulaire FDA/le témoignage de la demanderesse principale et son entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte parce qu’elle n’explique pas comment elle a été en mesure d’ajouter autre chose, de manière spontanée, en donnant une seule réponse plutôt qu’une autre, surtout lorsque d’autres allégations de violence auraient éventuellement pu l’aider à étayer sa demande d’asile. De la même façon, le tribunal ne retient pas l’explication de la demanderesse principale selon laquelle le fait de ne pas être face à face avec quelqu’un puisse influencer ses réponses puisqu’elle a été en mesure de fournir des réponses longues et détaillées à d’autres questions au cours de son entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte. Par conséquent, le tribunal conclut que cette contradiction mine les allégations de la demanderesse principale voulant que Geovanny soit une personne violente et associée à des gangs.

(Décision, aux paragraphes 13 à 16)

[…]

Le tribunal reconnaît que la demanderesse principale n’était pas représentée par un avocat pendant l’entrevue; elle a toutefois mentionné, au cours de l’entrevue, qu’elle avait parlé à un avocat avant et qu’elle était disposée à procéder sans la présence d’un avocat. Les notes d’entrevue indiquent que la demanderesse principale a été informée, le 31 mai 2016, que le lendemain elle allait passer l’entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte. Le tribunal conclut donc que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse avait le temps de se préparer mentalement à l’entrevue si elle le souhaitait. De plus, à la fin de cette entrevue, la demanderesse principale a répondu « très bien » à la question portant sur la façon dont elle et le demandeur mineur avaient été traités à l’établissement. La demanderesse principale avait indiqué qu’ils avaient été placés dans une chambre froide qu’elle a décrite comme un congélateur pendant les quatre premiers jours de leur première détention, le 26 mai 2016. Toutefois, les demandeurs ont été transférés dans un refuge un jour ou deux avant l’entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte. En plus de la réponse positive de la demanderesse principale portant sur le traitement réservé aux demandeurs à l’établissement, le tribunal conclut que, selon la prépondérance des probabilités, aucun problème externe immédiat n’aurait eu une incidence sur son témoignage sous serment livré le 1er juin 2016.

Au cours de l’audience de la demanderesse principale devant le tribunal, cette dernière a également déclaré qu’elle était quelque peu confuse quant à l’ordre des entrevues et l’ordre précis des événements ayant eu cours pendant sa détention aux États-Unis. La demanderesse principale a également déclaré qu’elle ne se souvenait pas d’avoir fourni certaines réponses contenues dans les notes transcrites de l’entrevue ou qu’elle n’avait pas du tout donné les réponses qui y sont consignées. Le tribunal conclut que, selon la prépondérance des probabilités, les renseignements figurant dans la transcription de l’entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte sont exacts du fait que la demanderesse principale était bien au courant de l’importance de l’entrevue et qu’elle en avait été prévenue avant de la passer. De plus, étant donné que les éléments de preuve présentés par la demanderesse principale étaient plus récents que les événements allégués constituant le fondement de la demande d’asile des demandeurs, le tribunal conclut qu’elle devait se souvenir davantage du détail de ses allégations. Par conséquent, compte tenu des problèmes de crédibilité de la demanderesse principale découlant des contradictions susmentionnées, le tribunal privilégie le témoignage livré au cours de l’entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte qui contredit les renseignements fournis dans le formulaire FDA et le témoignage rendu à l’audience. »

(Décision, aux paragraphes 19 et 20)

III.  Les Directives

[3]  Comme il est mentionné à deux reprises dans la décision, le commissaire a conclu qu’il était nécessaire d’appliquer les Directives pour trancher la demande d’asile des demandeurs.

[4]  Quant à la connaissance du contexte, sous la rubrique « Problèmes spéciaux lors des audiences relatives à la détermination du statut de réfugié » des Directives, il est mentionné que « Les revendicatrices du statut de réfugié victimes de violence sexuelle peuvent présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom de syndrome consécutif au traumatisme provoqué par le viol et peuvent avoir besoin qu’on leur témoigne une attitude extrêmement compréhensive ». Dans la note de bas de page 30, les Directives précisent que « [d]ans les Lignes directrices pour la protection des femmes réfugiées, précitées, note 10, p. 27, le comité exécutif du HCR examine les symptômes du syndrome consécutif au traumatisme provoqué par le viol, lesquels incluraient entre autres, “la crainte permanente, la perte de confiance en soi et la dévalorisation, la difficulté de concentration, une attitude de culpabilité, un sentiment diffus de perte de contrôle, la perte de la mémoire ou la distorsion des sentiments ».

[5]  Au paragraphe 72 des Lignes directrices du HCR pour la protection des femmes réfugiées, EC/SCP/67 (22 juillet 1991), il est précisé :

Il peut être nécessaire de recourir à diverses méthodes qui tiennent compte de la sensibilité féminine pour obtenir des renseignements lors de l’entretien préalable à la détermination du statut de réfugié. Le recrutement et la formation d’interprètes femmes est (sic) une condition essentielle au bon déroulement de l’entretien : Étudier le module de formation qui a été élaboré sur les entretiens avec les réfugiés.

Avoir conscience des différences entre hommes et femmes dans les modes de communication, en particulier des modes d’expression non verbaux. En interrogeant, éviter les gestes intimidants qui inhibent le sujet dans ses réponses. En évaluant la bonne foi de la femme qui demande le statut de réfugié, par exemple, ne pas juger en fonction de valeurs culturelles occidentales comme la capacité de soutenir un regard.

Être patient avec les femmes réfugiées et attendre qu’elles parviennent à surmonter leurs inhibitions, en particulier en ce qui concerne les sévices sexuels. Il faudra peut-être poser la même question de différentes manières avant que la victime d’un viol ou d’autres sévices puisse raconter son histoire. Pendant les entretiens, il faut laisser à la femme le temps d’établir une relation avec la personne qui l’interroge afin qu’elle puisse faire son récit. Ne pas demander de détails concernant les sévices sexuels; l’important pour déterminer si la peur de la persécution est fondée est d’établir qu’une forme quelconque de sévices a bien été subie.

Reconnaître chez les femmes qui ont subi une agression sexuelle un ensemble de symptômes connus comme le « syndrome du traumatisme de viol ». Ce sont la crainte permanente, la perte de confiance en soi et la dévalorisation, la difficulté de concentration, une attitude de culpabilité, un sentiment diffus de perte de contrôle, la perte de la mémoire ou la distorsion des souvenirs. Ces symptômes influeront sur la façon dont la femme répond aux questions. S’ils sont mal compris, ils peuvent être perçus à tort comme ôtant au témoignage sa véracité.

Comprendre que, dans beaucoup de sociétés, les femmes ne sont pas informées en détail des activités des hommes de la famille. Ce n’est pas parce qu’elles ignorent certaines choses que l’ensemble de leur récit est mensonger, sauf si d’autres indices tendent à le montrer.

S’organiser pour que les femmes puissent être interrogées seules, sans risquer d’être entendues d’autres membres de leur famille. Les victimes d’agressions sexuelles ne seront pas à l’aise si elles doivent raconter leur expérience devant leurs pères, époux, frères ou enfants.

[Non souligné dans l’original]

IV.  Conclusion

[6]  Je suis d’avis que le commissaire n’a manifestement pas appliqué les Directives. Le contenu des Directives n’est pas mentionné dans la décision, et rien dans la décision ne témoigne d’une compréhension selon laquelle les éléments de preuve de la demanderesse principale devaient être examinés en fonction des Directives. Comme le reconnaît le commissaire, le point essentiel des éléments de preuve de la demanderesse principale qui devait être examiné en appliquant les Directives était « l’agression ». Les détails de cette agression sont décrits dans la demande d’ISE de la demanderesse, aux paragraphes 8 et 9 :

[traduction] « Quatre hommes complètement furieux sont entrés. Ils étaient évidemment des membres de gang, à en juger par leur apparence et j’en ai reconnu un qui était de la région. Ils nous ont ordonné de nous agenouiller par terre et nous ont demandé pourquoi nous cachions le garçon et si nous le connaissions. Mon frère a répondu non et ils lui ont donné un coup de poing ainsi qu’au garçon. Mon frère a reçu des coups de poing au visage et quand il est tombé par terre, ils ont commencé à lui donner des coups de pied. Je me suis reculée pour pouvoir fermer la porte de la chambre où dormait mon fils. Un des hommes m’a attrapée par les cheveux et m’a frappée au visage. Ils nous ont demandé encore une fois qui était le garçon, et mon frère leur a dit que nous ne le connaissions pas. Ils nous ont encore posé la question et nous leur avons dit que nous ne le connaissions pas. Ils nous ont redemandé qui il était et je leur ai dit que nous ne le connaissions vraiment pas. Ils sont devenus encore plus furieux et nous ont tous donné des coups de poing, puis ils ont téléphoné à quelqu’un. Ils m’ont aussi tirée par les cheveux. Ensuite, trois des hommes ont pris mon frère et l’autre jeune homme ont quitté le domicile, me laissant avec un homme appelé El Grenas. Lorsqu’ils sont partis, El Grenas, qui avait des tatous sur toute la surface de son corps, a continué à demander qui était le garçon. Je lui ai dit que nous ne le connaissions pas, et il m’a dit que j’étais stupide et que pour cette raison, j’allais mourir.

J’avais très peur et j’ai commencé à pleurer à genou par terre. « El Grenas » a commencé à fumer et à me poser des questions au sujet du garçon. Après avoir fini de fumer, il a commencé à me faire des attouchements à caractère sexuel. J’étais terrifiée et je pleurais encore plus. J’ai tout à coup entendu mon fils qui se réveillait et me demandait d’ouvrir la porte (j’avais fermé sa porte quand les membres de gang sont entrés dans la maison), parce qu’il devait aller aux toilettes. Je n’ai pas ouvert la porte; il a commencé à pleurer puisqu’il ne pouvait pas se retenir et qu’il avait uriné dans son pantalon. Pendant que mon fils pleurait, l’homme m’a agressée sexuellement cette nuit-là et m’a violée à deux reprises. Il m’a forcée à lui faire une fellation et m’a frappée plusieurs fois au visage. Quand il a eu fini, il a recommencé à fumer. Je n’entendais plus mon fils pleurer et j’ai pris pour acquis qu’il s’était rendormi. El Grenas m’a demandé qui je voulais qu’il tue en premier, moi ou mon fils. J’ai vraiment pensé que nous allions être assassinés cette nuit-là. »

[7]  Selon les Directives, les détails d’une agression sexuelle peuvent faire partie des éléments essentiels qui permettent de comprendre les répercussions possibles de l’agression sur les déclarations subséquentes de la survivante. En l’espèce, les détails de l’agression ne sont pas mentionnés dans la décision faisant l’objet du contrôle et aucun élément de preuve n’indique que le commissaire a tenu compte des répercussions possibles de l’agression sur le témoignage de la demanderesse principale.

[8]  Je conclus qu’avant de tirer une conclusion sur les contradictions relevées dans les éléments de preuve des demandeurs, le commissaire était tenu d’examiner les répercussions possibles de l’agression conformément aux Directives, et en particulier, à l’extrait souligné plus haut. Compte tenu du non-respect de cet impératif suivant l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, j’estime que les conclusions défavorables quant à la crédibilité, mentionnées plus haut sous la rubrique « Analyse des éléments de preuve par le commissaire » ont été tirées de façon abusive et arbitraire sans tenir compte des éléments de preuve au dossier.

[9]  Par conséquent, je conclus que la décision faisant l’objet du contrôle comportait une erreur susceptible de contrôle et qu’il s’agit donc d’une décision déraisonnable.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la décision faisant l’objet du présent contrôle soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il prenne une nouvelle décision.

Il n’y aucune question à certifier.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-2570-17

 

INTITULÉ :

YESSICA ROXANA ZETINO TOBIAS, JONATHAN ALEXANDER ORTIZ ZETINO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 NOVEMBRE 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :

LE 5 DÉCEMBRE 2017

COMPARUTIONS :

Adela Crossley

POUR LES DEMANDEURS

Jocelyn Espejo-Clarke

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet d’Adela Crossley

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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