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Date : 20171128


Dossier : IMM-2381-17

Référence : 2017 CF 1072

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

RUZHA TOSUNOVSKA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Aperçu

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision prise par un agent d’immigration principal (l’agent) datée du 17 mai 2017 (la décision), rejetant la demande présentée par la demanderesse en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), voulant qu’elle soit autorisée à présenter une demande de résidence permanente au Canada pour des considérations d’ordre humanitaire (CH).

[2]               Comme je l’expliquerai plus en détail ci-dessous, cette demande est rejetée, car les arguments de la demanderesse n’ont fait ressortir aucune erreur susceptible de révision dans la décision de l’agent démontrant que sa décision est déraisonnable. Bien que l’agent eût pu soupeser les facteurs applicables à l’analyse des considérations d’ordre humanitaire différemment, de façon à parvenir à une conclusion différente eu égard à la preuve et accueillir la demande, en droit administratif, la nature d’un examen selon la norme de la décision raisonnable ne permet pas à la Cour de substituer sa propre appréciation de la preuve à celle du décideur. La décision est raisonnable et la Cour ne peut donc pas intervenir.

II.                 Contexte

[3]               La demanderesse, Mme Ruzha Tosunovska, est une citoyenne de la République de Macédoine. En 1969, son frère Zlate a émigré de la Macédoine au Canada. Zlate a ensuite parrainé leur mère et l’une des filles de Mme Tosunovska, Suzana, pour qu’elles viennent au Canada. Suzana s’est mariée ici, a eu deux enfants nés au Canada, Kristijan et Viktoria, et est devenue citoyenne canadienne. Violeta, l’autre fille de Mme Tosunovska, a immigré au Canada en 2006 et est également devenue une citoyenne canadienne. Violeta, Suzana, son mari et ses enfants, vivent tous à Richmond Hill, en Ontario.

[4]               Alors que plusieurs membres de sa famille déménageaient au Canada, madame Tosunovska est demeurée en Macédoine avec son mari, qui est décédé en 1995; elle s’est ensuite occupée de sa belle-mère, qui mourut en 2010. Depuis la mort de sa belle-mère, madame Tosunovska a visité sa famille au Canada à plusieurs reprises et pendant de longues périodes de temps. Elle entrée au Canada pour la dernière fois en septembre 2015. Madame Tosunovska a présenté une demande de résidence permanente au Canada en avril 2016 et n’a pas quitté le pays à l’expiration de son visa en septembre 2016.

[5]               Madame Tosunovska a demandé qu’on lui permette de présenter une demande de résidence permanente tout en demeurant au Canada pour des considérations humanitaires (CH). Elle a soutenu que, si elle était renvoyée en Macédoine, elle ferait face à des difficultés importantes en raison de la situation générale dans ce pays, de son âge et de son statut de veuve, et en raison de la probabilité qu’elle se heurte à des difficultés financières. Elle a également soutenu qu’elle avait atteint un niveau important d’établissement au Canada. Bien qu’elle eût vécu en Macédoine pendant la plus grande partie de sa vie, la plupart des relations de madame Tosunovska sont maintenant au Canada. Elle a expliqué que, si elle était renvoyée en Macédoine, elle souffrirait d’être séparée de ses petits-enfants, des autres membres de la famille, et de sa communauté religieuse. Elle a soutenu qu’elle ne pourrait plus assumer son rôle de matriarche et deviendrait isolée et déprimée. Son argumentation est également fondée sur l’intérêt supérieur de ses petits-enfants, expliquant sa relation avec eux et le rôle qu’elle a joué dans leur éducation et leur développement.

III.               Décision contestée

[6]               Dans la décision, l’agent a examiné la situation du pays en Macédoine, la situation financière de madame Tosunovska si elle devait retourner dans ce pays, l’intérêt supérieur de ses petits-enfants, son niveau d’établissement au Canada, et les difficultés émotionnelles qu’elle vivrait si elle était séparée des membres de sa famille au Canada.

[7]               L’agent a jugé que l’intérêt supérieur des enfants plaidait en faveur du fait que madame Tosunovska soit autorisée à demeurer au Canada, mais que les enfants ne seraient pas touchés par son départ dans une mesure justifiant des considérations d’ordre humanitaire lorsque l’on considère tous les autres facteurs. L’agent a également tenu compte de l’implication de madame Tosunovska dans sa communauté au Canada et a considéré de manière positive ses liens familiaux au Canada. Cependant, tout en soulignant qu’elle puisse avoir des liens plus étroits avec le Canada que la Macédoine, du fait que sa famille avait immigré au Canada au fil des ans, l’agent a constaté qu’il n’avait pas été démontré que la relation de madame Tosunovska avec sa famille au Canada en constituait une d’interdépendance au point de lui accorder beaucoup de poids. L’agent a conclu que le poids accordé à ce facteur était diminué du fait que madame Tosunovska pourrait maintenir cette relation même si elle devait retourner en Macédoine, par exemple, en communiquant par la poste ou par téléphone, en faisant des visites au Canada, ou en se prévalant d’autres programmes d’immigration, et qu’il n’était pas inconcevable qu’elle puisse renforcer les liens avec sa famille en Macédoine. L’agent a considéré que son établissement et ses liens familiaux ne représentaient qu’une importance modérée.

[8]               L’agent a décrit madame Tosunovska comme une femme mature, capable d’adaptation, relativement indépendante et menant une vie sociale active, et qui avait vécu la plus grande partie de sa vie en Macédoine. Tout en reconnaissant qu’elle puisse faire face à une période d’adaptation et à certaines difficultés dans sa réinstallation en Macédoine, et exprimant de la sympathie à l’égard de certains aspects de sa demande, l’agent a souligné que le processus de demande pour considérations d’ordre humanitaire n’est pas destiné à éliminer toutes les difficultés. Le processus est plutôt conçu pour procurer une aide fondée sur une évaluation globale des considérations d’ordre humanitaire, si ces considérations justifient une exemption. L’agent a conclu que l’octroi de l’exemption demandée n’est pas justifié par des considérations dans la présente affaire.

IV.              Questions en litige et norme de contrôle

[9]               La demanderesse soumet à la considération de la Cour les questions suivantes :

A.     L’agent a-t-il mal évalué l’intérêt supérieur des enfants d’âge mineur?

B.     L’agent a-t-il mal évalué l’établissement de la demanderesse au Canada?

C.     La décision est-elle par ailleurs déraisonnable?

[10]           Les parties conviennent, et je suis du même avis, que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

V.                 Analyse

A.                 L’agent a-t-il mal évalué l’intérêt supérieur des enfants d’âge mineur?

[11]           Madame Tosunovska soutient que l’agent a commis une erreur en interprétant de manière erronée son rôle auprès de ses petits-enfants avant tout comme celui d’une bonne et d’une gardienne d’enfants. Elle fait valoir que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve apportée par plusieurs membres de la famille, expliquant que, outre les travaux domestiques et la garde des enfants, elle apportait un soutien émotionnel aux enfants. À l’audience de la présente demande, l’avocat de la demanderesse l’a décrite comme la principale responsable des enfants, ou du moins l’une des principales personnes s’occupant d’eux, soulignant que les parents de ces enfants travaillent tous les deux à temps plein.

[12]           Je ne suis pas d’accord avec l’argument voulant que la décision témoigne d’une erreur de cette nature. Tout en notant la contribution de madame Tosunovska aux tâches domestiques et au soin des enfants, l’agent a également tenu compte de ses liens affectifs avec ses petits-enfants, sa participation à leur éducation, et son implication dans la transmission de leur culture et de leur patrimoine. Malgré cela, l’agent a déterminé que la preuve était insuffisante pour conclure que le bien-être physique ou émotionnel des enfants serait compromis si l’on renvoyait madame Tosunovska en Macédoine.

[13]           En ce qui concerne leurs besoins physiques, l’agent a constaté que les enfants avaient déjà l’avantage d’avoir leurs deux parents et leur tante vivant avec eux dans le même foyer et que les parents de ces enfants avaient pris soin d’eux sans l’assistance de madame Tosunovska quand elle vivait en Macédoine et pendant les périodes où elle y est retournée après ses visites au Canada. L’agent a fait remarquer que c’était à une époque où les enfants avaient besoin de plus d’encadrement qu’aujourd’hui, à l’âge de 9 et 14 ans, mais a également conclu que leurs parents pouvaient prendre d’autres arrangements pour obtenir de l’aide si nécessaire.

[14]           En ce qui a trait au bien-être émotionnel des enfants, l’agent a apprécié la valeur de la présence de madame Tosunovska auprès de ces derniers, ainsi que la pertinence des articles présentés par madame Tosunovska traitant de l’importance de la relation entre grands-parents et petits-enfants. L’agent a reconnu que le fait d’être séparés de leur grand-mère aurait un impact émotionnel sur les enfants. L’agent a cependant fait remarquer que les enfants étaient habitués à ces séparations du fait que madame Tosunovska était retournée en Macédoine dans le passé, et n’était pas convaincu que les petits-enfants ne pourraient pas maintenir leur relation avec leur grand-mère par d’autres moyens tels que le téléphone, les courriels, la poste, ou d’autres visites de sa part au Canada. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que le bien-être des enfants, à la fois physique et émotionnel, serait compromis par le fait d’être séparés de madame Tosunovska.

[15]           En conclusion de l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a tenu compte de la relation entre les enfants et leur grand-mère et des répercussions possibles sur eux du refus d’une exemption. L’agent a accordé un poids modéré à ce facteur, mais a également conclu qu’elle n’était pas la principale personne à s’occuper des enfants et qu’il y avait d’autres moyens par lesquels la relation pourrait être maintenue. L’agent a conclu, en se fondant sur ce qui précède, que l’intérêt supérieur des enfants ne serait pas compromis si une exemption n’était pas accordée.

[16]           À mon avis, la décision démontre un examen de la nature de la relation entre madame Tosunovska et ses petits-enfants en accord avec les éléments de preuve dont disposait l’agent. Ce n’est pas le rôle de la Cour d’évaluer de nouveau le poids que l’agent a choisi de donner à l’intérêt supérieur des enfants. De manière générale, la conclusion de l’agent appartient aux issues raisonnables possibles.

[17]           Madame Tosunovska s’appuie sur la décision rendue dans Benyk c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 950 [Benyk], qui selon elle met en cause des faits très semblables à la présente affaire. Je conviens qu’il y a des similitudes entre les deux affaires, du fait qu’elles constituent toutes deux des demandes relatives à des considérations d’ordre humanitaire présentées par des grands-mères souhaitant demeurer au Canada avec des membres de la famille et, en particulier, avec des petits-enfants dont elles prenaient soin. Cependant, il existe également des différences entre ces affaires, dans la mesure où la demanderesse, dans Benyk, avait vécu de façon continue avec ses petits-enfants pendant huit ans. En outre, la décision du juge Harrington dans Benyk était en grande partie fondée sur le fait que l’agent chargé de l’examen des considérations d’ordre humanitaire avait présumé dans cette affaire que la mère des petits-enfants pourrait obtenir un emploi différent pour lui permettre de prendre soin de ses enfants si la demanderesse était renvoyée en Ukraine. Chaque demande doit être évaluée en fonction de ses propres faits, et chaque demande de contrôle judiciaire doit prendre en compte à la fois les faits de l’espèce et le raisonnement sous-tendant la décision faisant l’objet de révision, et faire l’objet de déférence à l’égard du décideur comme requis par la norme de la décision raisonnable. La décision Benyk ne permet pas de conclure que la décision de l’agent affecté à cette demande était déraisonnable.

B.     L’agent a-t-il mal évalué l’établissement de la demanderesse au Canada?

[18]           Mme Tosunovska prétend que sa vie est bien enracinée au Canada. Elle a beaucoup d’amis et tous ses proches parents résident ici; elle mène une vie sociale active dans sa communauté et joue un rôle important en tant que matriarche de sa famille. Elle met en contraste sa situation au Canada et sa situation si elle devait retourner en Macédoine, où elle fait valoir qu’elle n’a pas d’amis, de famille proche, ou de réseau de soutien. Madame Tosunovska soutient que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve concernant sa situation personnelle, et n’a donc pas correctement évalué son niveau d’établissement au Canada.

[19]           Dans cette partie de la décision, l’agent démontre avoir examiné le niveau d’intégration dans la communauté au Canada de madame Tosunovska et conclut que cet aspect de son établissement ne dépassait pas ce à quoi l’on pourrait normalement s’attendre. L’agent a également estimé qu’il y avait peu d’information démontrant qu’elle ne serait pas en mesure de s’intégrer de la même façon dans la communauté en Macédoine où elle avait résidé pendant la plus grande partie de sa vie. Madame Tosunovska fait valoir qu’il était déraisonnable de conclure qu’elle puisse s’impliquer dans sa communauté en Macédoine de la même manière qu’elle l’avait fait au Canada puisque toute sa vie gravite autour des membres de sa famille au Canada et qu’elle n’a pas de réseau social en Macédoine.

[20]           Je ne vois pas d’erreur susceptible de contrôle dans cette portion de la décision. La décision ne démontre pas que l’agent a omis de tenir compte des éléments de preuve disponibles. Madame Tosunovska réfute l’appréciation de la preuve de l’agent, appréciation à l’égard de laquelle il n’est pas du ressort de la Cour d’intervenir.

[21]           Madame Tosunovska s’appuie sur les décisions de Klein c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1004, et Awgu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1277, soulignant qu’elles évoquent le fait que les agents affectés à ces demandes avaient démontré un manque de sensibilité dans l’évaluation du degré d’établissement des demandeurs au Canada. Cependant, ces deux affaires concernaient des personnes qui avaient des vies non conventionnelles et étaient donc incapables d’atteindre un niveau acceptable d’établissement. On peut difficilement appliquer les faits de ces affaires à la présente demande de contrôle judiciaire. Je conviens qu’une décision témoignant d’un manque de sensibilité à la situation du demandeur peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire parce qu’il n’a pas dûment tenu compte du degré d’établissement du demandeur. Je ne vois cependant aucune erreur de la sorte dans la décision de l’agent.

[22]           Madame Tosunovska fait également référence à Lauture c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 336 [Lauture], en faisant valoir que l’agent a évalué sa capacité d’établissement si elle devait retourner en Macédoine d’après le succès de son établissement au Canada, ce qui en fait revient à utiliser son degré d’établissement au Canada contre elle. Dans Lauture, l’agent concluait que les demandeurs avaient démontré un engagement remarquable dans la société et qu’ils avaient tissé des relations importantes dans la communauté. Toutefois, étant donné que cette implication dans la communauté pouvait également se produire s’ils retournaient dans leur pays Haïti, l’agent n’a pas considéré que ce facteur militait en leur faveur.

[23]           L’analyse par l’agent dans l’affaire dont notre Cour est saisie ne démontre pas cette sorte d’erreur. L’agent a en effet évoqué la possibilité que madame Tosunovska puisse s’intégrer dans sa communauté si elle retournait en Macédoine, mais a également évalué son degré d’établissement au Canada, a conclu qu’il n’était pas au-delà de ce que l’on peut s’attendre normalement, et a accordé au facteur de l’établissement une importance modérée en sa faveur.

[24]           Madame Tosunovska invoque également El Thaher c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1439, Anquilero c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 140, affaires dans lesquelles la Cour a jugé que les agents chargés de l’évaluation des demandes CH en cause n’avaient pas évalué correctement le degré de l’établissement des demandeurs au Canada. Je conviens qu’une telle erreur serait susceptible de révision, mais aucune erreur de la sorte n’est démontrée en l’espèce puisque l’agent a tenu compte des éléments de preuve relatifs à l’établissement et a conclu que le niveau de l’établissement n’était pas suffisant pour justifier l’octroi d’une exemption pour des considérations d’ordre humanitaire.

[25]           Faisant référence à Epstein c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1201 [Epstein], une affaire concernant un homme de 82 ans qui demandait une exemption en raison des liens étroits l’unissant aux membres de sa famille au Canada et du manque de soutien dans son pays d’origine, madame Tosunovska fait valoir que le juge Leblanc a renversé la décision défavorable de l’agent parce que ce dernier n’avait pas tenu compte de l’âge du demandeur et de sa dépendance envers sa famille au Canada. Madame Tosunovska insiste sur la conclusion de la Cour selon laquelle l’agent dans cette affaire n’avait pas tenu compte de l’évolution de la situation de la demanderesse, à savoir que, en raison de l’immigration de sa famille au Canada, elle serait très isolée si elle devait retourner en Israël. Elle invoque aussi Epstein pour appuyer l’argument selon lequel il était déraisonnable que l’agent s’appuie sur le fait que sa famille avait déménagé au Canada et ne l’avait pas parrainée pour minimiser l’importance de leur relation.

[26]           Comme dans d’autres sources jurisprudentielles invoquées par la demanderesse, je conviens qu’il y a des similitudes entre les faits de l’affaire Epstein et ceux de l’espèce. Cependant, dans Epstein, le juge LeBlanc a conclu que l’agent n’avait pas réussi à saisir le point essentiel de cette demande CH qui constituait un cri du cœur d’une femme âgée désirant rester avec sa famille au Canada dans l’attente d’une décision relative à sa demande de résidence permanente. L’agent avait omis de tenir compte de sa situation de dépendance financière, émotionnelle et physique à l’égard de sa famille.

[27]           On ne peut pas en dire autant de la décision contestée en l’espèce. L’agent a examiné la dépendance financière de madame Tosunovska envers sa famille et a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’elle n’avait pas les moyens financiers de satisfaire à ses besoins en Macédoine ou que sa famille au Canada ne serait pas en mesure ou prête à lui offrir un soutien financier si elle devait retourner là-bas. Cette dernière conclusion n’est pas contestée dans la présente instance. L’agent a également reconnu que madame Tosunovska était, dans une certaine mesure, émotionnellement dépendante de sa famille, mais a conclu que la preuve ne démontrait pas que l’impact émotionnel et physique de la séparation était tel qu’il devait lui accorder un poids assez déterminant pour que sa demande soit accueillie. En concluant de la sorte, l’agent a fait valoir que la relation avait été maintenue dans le passé alors que la famille était séparée géographiquement.

[28]           Comme c’est le cas de ses observations concernant l’intérêt supérieur des enfants, je conclus que les observations de madame Tosunovska sur le facteur relatif à l’établissement constituent une demande à la Cour d’apprécier de nouveau les éléments de preuve, ce qui n’est pas son rôle dans un examen selon la norme de la décision raisonnable.

(1)         La décision est-elle par ailleurs déraisonnable?

[29]           Les autres arguments soulevés par madame Tosunovska ont trait aux constatations faites par l’agent qui, selon elle, étaient fondées sur des hypothèses plutôt que sur la preuve. Elle allègue que l’hypothèse de l’agent selon laquelle ses parents éloignés en Macédoine seraient disposés à l’appuyer et en seraient capables si elle était contrainte d’y retourner. Elle soutient que la seule famille qui lui reste en Macédoine est constituée de cousins au deuxième degré de son mari décédé. Madame Tosunovska et ces cousins vivent à 5 km les uns des autres et ne communiquent pas ensemble régulièrement.

[30]           Cependant, la décision fait état des observations de l’avocat de madame Tosunovska voulant que les quelques membres de la famille qu’elle avait en Macédoine n’entretiennent pas de relations étroites avec elle et qu’il n’y ait personne pour s’assurer qu’elle soit bien revenue chez elle. Cela semble être toute la mesure dans laquelle ce point a été abordé dans les observations écrites présentées à l’agent par l’avocat. Des lettres de deux parents canadiens de madame Tosunovska mentionnent de même seulement qu’ils ont peu de parents vivant encore en Macédoine et que leurs visites familiales dans cette région sont rares.

[31]           Dans une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, il incombe au demandeur d’établir les faits étayant la demande d’exemption. L’agent n’a pas conclu que les proches de madame Tosunovska en Macédoine seraient disposés à la soutenir, mais plutôt qu’il ne disposait pas de suffisamment de matériel pour établir le contraire. Rien ne permet à la Cour de modifier cette conclusion.

[32]           De même, madame Tosunovska soutient que l’agent s’est livré à des spéculations en concluant qu’elle pourrait avoir une vie sociale à son retour en Macédoine. L’agent a toutefois conclu qu’il y avait peu d’information indiquant qu’elle ne serait pas en mesure de joindre une communauté religieuse ou de lier des amitiés en Macédoine, où elle a résidé pendant la plus grande partie de sa vie. Encore une fois, il s’agit d’une conclusion liée à la suffisance de la preuve et je ne peux pas conclure qu’elle est déraisonnable.

[33]           Enfin, madame Tosunovska soutient que l’agent a commis une erreur en mentionnant la possibilité qu’elle puisse remédier à la séparation de sa famille en se prévalant d’autres processus de demande d’immigration, comme les visas du type super visa pour parents et grands-parents permettant des visites prolongées au Canada ou comme une demande de résidence permanente au titre du programme du regroupement familial. Elle soutient que des visites au Canada ne sont pas conciliables avec son objectif qui est de vivre en permanence au Canada avec sa famille, et non pas de faire des visites ici, et elle fait valoir que l’agent a commis une erreur en omettant de déterminer si elle était admissible au programme du regroupement familial et d’évaluer la probabilité qu’une demande en vertu du programme soit une réussite.

[34]           Je ne vois aucune erreur dans le fait que l’agent ait fait référence aux programmes de visas qui pourraient permettre d’autres visites au Canada. Je reconnais que cela ne permettrait à madame Tosunovska d’atteindre l’objectif de résider avec sa famille de façon permanente, mais l’agent n’en a fait aucune mention. L’agent a plutôt fait mention de la façon dont ces possibilités pourraient permettre à madame Tosunovska de faire des visites de longue durée et retrouver périodiquement sa famille et ainsi atténuer les difficultés que pourrait entraîner le fait de retourner en Macédoine.

[35]           En ce qui concerne le programme du regroupement familial, madame Tosunovska indique que ce programme est sensiblement différent de ce qu’il a déjà été, fonctionnant maintenant comme une sorte de loterie. Comme l’a cependant reconnu son avocat dans ses observations de vive voix, la Cour doit décider de cette demande en se fondant sur les documents présentés à l’agent. Les documents présentés à l’agent à l’appui de la demande CH comprenaient ce que l’agent a décrit comme un ensemble de documents de travail, d’études de recherche et d’articles publiés entre 2003 et 2016 sur le programme de réunification des familles, et qui décrivent les changements au programme et, dans certains cas, constituent des critiques des politiques d’immigration.

[36]           Ces documents comprennent des références aux changements des programmes d’immigration associés au regroupement familial, y compris des critères financiers régissant l’immigration de membres de la famille et de quotas sur le nombre de demandes par année. L’agent n’a pas analysé les répercussions de ces changements aux politiques d’immigration sur les possibilités d’accès à ces programmes propres à la situation de madame Tosunovska, estimant plutôt que de se pencher sur de telles questions de politiques publiques outrepassait la portée d’une demande CH. Je ne peux pas conclure que l’agent était tenu de procéder à cette analyse afin de conclure que la possibilité d’avoir recours au programme de regroupement familial puisse constituer un facteur d’atténuation des difficultés financières qui découleraient de la séparation. L’agent a estimé que la preuve était insuffisante pour établir que le demandeur ne pourrait pas se prévaloir de ces programmes.

VI.              Conclusion

[37]           En conclusion, je souscris aux observations formulées par le défendeur voulant que les circonstances présentées par madame Tosunovska dans sa demande CH puissent bien avoir justifié l’octroi d’une exemption en vertu de l’article 25 de la LIPR, mais que la nature de l’examen selon la norme de la décision raisonnable ne permette pas à la Cour s’appuyant sur le droit administratif de substituer sa propre appréciation de la preuve à celle du décideur. Madame Tosunovska n’a relevé aucune erreur commise par l’agent qui pourrait justifier l’intervention de la Cour. Sa demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

[38]           Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2381-17

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2381-17

INTITULÉ :

RUZHA TOSUNOVSKA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 novembre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE :

Le 28 novembre 2017

COMPARUTIONS :

Adela Crossley

Pour le DEMANDEUR

David Knapp

Pour le DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocats

Cabinet d’Adela Crossley

Toronto (Ontario)

Pour le DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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