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Date : 20171127


Dossier : IMM-1806-17

Référence : 2017 CF 1070

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2017

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

SHABBIR SADIK KAPASI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               M. Kapasi (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire du rejet par l’agent des visas (l’agent) de sa demande de visa de résident permanent à titre de travailleur qualifié. Il a présenté sa demande sous le code 1113 de la Classification nationale des professions [CNP] – agents/agentes en valeurs, agents/agentes en placements et négociateurs/négociatrices en valeurs. Sa demande a été rejetée malgré le fait qu’il a donné des détails sur les postes qu’il a occupés et les responsabilités qu’il a détenues au sein de grandes institutions financières. Pour les motifs suivants, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie puisque l’agent a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en se fondant principalement sur le libellé de la CNP plutôt que sur les dispositions législatives applicables.

I.                    Contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen de l’Inde et est devenu, avec sa femme et son fils, résident permanent canadien en 2005. Sa carte de résidence permanente est venue à échéance en 2010 et, dans l’attente de la décision en examen, il a renoncé à son statut de résident permanent canadien au début de l’année 2017.

[3]               Il a présenté une demande en décembre 2014 dans le cadre du programme fédéral de travailleurs qualifiés sous le code 1113 de la CNP. Dans cette demande, le demandeur déclare posséder de l’expérience comme représentant en investissement et que cette expérience est semblable à la description des agents/agentes en valeurs, agents/agentes en placements prévue au CNP 1113. Le demandeur affirmait satisfaire aux exigences prévues au paragraphe 75(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR), qui dispose des exigences devant être satisfaites pour qu’un travailleur étranger soit considéré comme étant un travailleur qualifié.

[4]               Le 17 mars 2015, le demandeur a reçu une lettre d’Immigration et Citoyenneté Canada confirmant son admissibilité au programme.

[5]               Il a cependant été avisé par lettre datée du 23 février 2017 que sa demande était refusée. Le demandeur a reçu les motifs du refus dans une lettre datée du 3 mai 2017.

II.                 Décision visée par le contrôle

[6]               La décision est constituée de deux documents, soit la lettre de refus du 23 février 2017 et les motifs du 3 mai 2017.

[7]               Dans la lettre du 23 février, l’agent mentionne que le demandeur ne satisfait pas aux exigences prévues aux alinéas b) et c) du paragraphe 75(2) puisqu’il n’exécutait pas les actes et fonctions décrits à la catégorie 1113. L’agent note que pour être admissibles, les demandeurs doivent démontrer qu’ils ont exécuté les fonctions décrites dans l’énoncé principal de la catégorie de la CNP visée et qu’ils ont effectué un nombre important des tâches principales relatives à activité professionnelle, en plus d’effectuer toutes les fonctions essentielles.

[8]               Dans ses motifs du 3 mai, l’agent décrit les tâches principales associées à chaque titre d’emploi de la catégorie 1113 de la CNP. Il compare chacune de ces fonctions aux fonctions ressortant de la preuve du demandeur, qu’il a exécutées dans le cadre de son poste de directeur des valeurs mobilières mondiales chez Bank of America, de son poste de directeur principal de la division des capitaux propres chez Goldman Sachs, de directeur à la Deutche Bank et de vice-président chez HDFC Mutual Fund.

[9]               Relativement au poste à la Bank of America, l’agent est d’avis que le poste du demandeur ne satisfaisait pas, tant à l’égard « du titre ou du niveau » les postes mentionnés à titre d’exemple à la catégorie CNP 1113. Il ajoute également que le poste à la Bank of America ne nécessitait pas d’exécuter « des ordres sur les placements en achetant et en vendant des produits (...), de faire des offres d’achat ou de vente des valeurs (...) et vérifier les portefeuilles de placements des clients » comme l’exige la CNP numéro 1113. L’agent conclut que bien que les tâches afférentes au poste du demandeur impliquaient de gérer des clients, les clients visés par la catégorie 1113 sont des personnes et des entreprises plutôt que des clients d’importance comme les banques.

[10]           En ce qui a trait au poste chez Goldman Sachs, l’agent affirme que la lettre d’emploi fournie n’énumérait aucune tâche et que la liste des fonctions déposée par le demandeur ne pouvait recevoir beaucoup de poids puisque cette preuve était intéressée.

[11]           Il adopte la même position à l’égard des renseignements concernant le poste du demandeur à la Deutche Bank.

[12]           Enfin, relativement au poste chez HDFC, l’agent souligne que le poste n’est pas semblable, tant à l’égard « du titre ou du niveau », aux postes mentionnés à la catégorie CNP 1113. L’agent fait également observer que la preuve est insuffisante pour établir que le demandeur exécutait les fonctions de courtier décrites dans la CNP.

[13]           En fonction de cette évaluation, l’agent a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences prévues au paragraphe 75(2) du RIPR.

III.               Questions en litige

[14]           Le demandeur soutient que la décision de l’agent est déraisonnable et soulève plusieurs questions. La question de savoir si l’agent a entravé son pouvoir discrétionnaire tranche toutefois le présent recours.

IV.              Norme de contrôle applicable

[15]           La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable (Zhu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 155, au paragraphe 23).

V.                 Analyse

A.                 Entrave au pouvoir discrétionnaire

[16]           Le demandeur allègue que l’agent a commis une erreur en appliquant de façon stricte le libellé et les titres utilisés par la CNP, entravant ainsi son pouvoir discrétionnaire et faisant défaut d’évaluer en bonne et due forme la preuve du demandeur.

[17]           Un décideur administratif commet une entrave à son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il se fonde uniquement sur des directives sans effet exécutoires comme si elles constituaient la loi (Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198, au paragraphe 62; Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, au paragraphe 24). Il s’agit exactement de ce qui s’est passé en l’espèce. Par conséquent, la décision de l’agent est déraisonnable.

[18]           L’article 75 du RIPR établit le cadre législatif applicable auquel l’agent était lié. L’alinéa 75(2)b) du RIPR dispose que les demandeurs doivent accomplir l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession dans les descriptions des professions de cette classification. L’alinéa 75(2)c) du RIPR prévoit qu’un demandeur doit exercer « une partie appréciable des fonctions principales de la profession figurant dans les descriptions des professions de cette classification, notamment toutes les fonctions essentielles ».

[19]           Il est vrai que l’article 75 du RIPR incorpore dans une certaine mesure la CNP comme étant la norme en fonction de laquelle l’expérience du demandeur est mesurée, mais il n’ordonne toutefois d’effectuer une analyse microscopique de l’expérience d’un demandeur selon le libellé exact des titres et fonctions énumérés dans la CNP.

[20]           En l’espèce, l’énoncé principal de la catégorie de CNP 1113 dispose que les agents en valeurs et les agents en placements achètent et vendent certains produits financiers pour des investisseurs, des gestionnaires de caisses de retraite, des banques, des sociétés de fiducie, des compagnies d’assurances et d’autres établissements. Les négociateurs en valeurs négocient ces valeurs au nom des compagnies de placement et autres groupes. Les fonctions principales de chacun de ces postes suivent généralement l’énoncé principal. La CNP comprend également une liste d’exemples de titres admissibles dans cette catégorie.

[21]           L’agent, plutôt que d’utiliser la CNP comme guide dans son évaluation de l’admissibilité du demandeur en vertu de l’article 75 du RIPR comme l’exige la loi, a appliqué le libellé exact de la CNP, qui n’a pas de valeur exécutoire, mesurant les titres et fonctions énumérés par le demandeur en regard des mots utilisés dans la CNP. Cette méthode est déraisonnable puisque l’agent aurait dû examiner si les titres d’emploi et les fonctions exercées par le demandeur satisfaisaient aux conditions de fond de l’article 75 du RIPR, qui n’intègre pas l’ensemble de la CNP.

[22]           L’agent a déclaré que les divers postes du demandeur [traduction] « ne semblent pas correspondre, tant par le titre que par le niveau, aux postes énumérés à la catégorie 1113 de la CNP ». Toutefois, comme le tutoriel de la CNP retrouvé dans le dossier le montre, les titres et niveaux de postes retrouvés à la CNP constituent seulement des illustrations et un demandeur n’a pas à respecter à la lettre ces postes pour être admissible en vertu de la loi. Par conséquent, l’agent n’est pas lié par ces descriptions et le fait qu’il s’y est fié dans une large mesure fait en sorte qu’il n’a donc pas adéquatement tenu compte de la preuve du demandeur.

[23]           Il est par ailleurs bien établi qu’un demandeur n’a pas à formuler sa demande selon les fonctions exactes énumérées dans la CNP. Ainsi, un agent ne devrait pas évaluer une demande en fonction du libellé strict de la CNP (Song c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 141, au paragraphe 29). Malgré cela, en l’espèce, l’agent a affirmé que [traduction« la preuve est insuffisante pour démontrer que le demandeur a exécuté des ordres sur les placements en achetant et en vendant des produits, a fait des offres d’achat ou de vente de valeurs et a vérifié les portefeuilles de placements des clients », qui sont les fonctions décrites pour les « négociateurs en valeur » dans la CNP. Une fois de plus, l’agent a considéré de façon trop rigide les fonctions énumérées, sans tenir compte de l’essence des expériences de travail du demandeur.

[24]           En commettant une entrave à son pouvoir discrétionnaire, l’agent a fait défaut de tenir compte de la preuve du demandeur. Il a par exemple rejeté la lettre du demandeur de la Bank of America parce que cette lettre mettait l’accent sur les clients à grande échelle. Bien qu’il en ressortait que le demandeur exécutait l’essence des fonctions énumérées à la catégorie 1113 de la CNP, l’agent a écarté cette preuve en notant que les clients du demandeur n’étaient pas des individus. L’agent a conclu que le terme « client » utilisé dans les fonctions retrouvées à la CNP renvoyait aux [traduction] « personnes ou petites entreprises » et que leur « portefeuille » signifiait les « comptes personnels d’investissement ». On ne retrouve toutefois aucun fondement à cette conclusion dans la CNP ni, ce qui est encore plus important, dans les dispositions législatives qui devaient être appliquées par l’agent.

[25]           Prises ensemble, ces erreurs démontrent que l’agent a agi de façon déraisonnable et a fondé sa décision sur le libellé précis de la CNP relatif aux titres et aux fonctions, commettant ainsi une entrave à son pouvoir discrétionnaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1806-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agent est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.
  2. Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et aucune n’est soulevée.
  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Ann Marie McDonald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1806-17

INTITULÉ :

SHABBIR SADIK KAPASI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 octobre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 27 novembre 2017

COMPARUTIONS :

Harry Virk

Pour le demandeur

Helen Park

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Liberty Law Corporation

Avocats

Abbotsford (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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