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Date : 20171108


Dossier : T-1899-16

Référence : 2017 CF 1016

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

CONSEIL DES INNUS DE PESSAMIT

demandeur

et

GITHANE BELLEFLEUR

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de Me Bruno Leclerc (l’arbitre) rendue le 6 octobre 2016 faisant droit à la plainte pour congédiement injuste déposée par la défenderesse, Githane Bellefleur, à l’encontre de son employeur, le demandeur, le Conseil des Innus de Pessamit.

[2]  Pour les raisons qui suivent, je suis de l’avis que l’arbitre n’a pas erré, et que la présente demande doit être rejetée.

II.  Faits

[3]  La défenderesse était à l’emploi du demandeur à titre de directrice des services sociaux jusqu’au 19 juin 2015, date à laquelle elle fût congédiée. Le mandat principal du demandeur est de gérer et de promouvoir les affaires économiques, politiques et sociales de la Première Nation sur son territoire ancestral. En tant que directrice d’une des directions sectorielles qui relevaient de M. Jean-Claude Vollant (le directeur général), la défenderesse était chargée de l’aspect social, axé vers la protection des jeunes et des personnes âgées au sein de la collectivité.

[4]  En septembre 2012, le déficit financier de la Première Nation atteint des proportions alarmantes, ce qui l’oblige à mettre en place une réforme administrative et économique (la réforme) visant à stabiliser et optimiser ses ressources financières et organisationnelles. La réforme a eu naissance suite à une résolution administrative du demandeur adoptée en date du 3 février 2015. La réforme envisage, entre autres choses, la fusion de deux directions sectorielles – les services de la santé dont Madame Chantal Bacon était chargée et les services sociaux sous la responsabilité de la défenderesse. La fusion visait à ce que la nouvelle direction sectorielle soit assumée par une tierce partie.

[5]  Le 2 juin 2015, la défenderesse est avisée verbalement par le directeur général de la démise de ses fonctions. Elle reçoit une lettre en date du 15 juin 2015 lui confirmant qu’elle serait relevée de ses fonctions à compter du 19 juin 2015, et qu’elle sera assignée de nouvelles tâches et responsabilités le 3 août 2015. La lettre du 15 juin2015 indique aussi que ce changement est nécessaire dans le contexte de « l’état général des services sociaux et des constats du psychologue organisationnel suite à une évaluation du secteur », et « compte tenu du fait que l’organisation est dans un processus de réforme ».

[6]  Mme Bacon est rétrogradée au poste de conseillère en santé, mais seulement en janvier 2016. Pendant la période du 19 juin 2015 à janvier 2016, Madame Anne St-Onge, adjointe à la direction générale, a assuré l’intérim des services sociaux, et Mme Bacon a continué à gérer les services de la santé.

[7]  Le 4 août 2015, la défenderesse apprend qu’elle est affectée à un poste de conseillère en politiques sociales. Après avoir revu les tâches décrites pour ce nouveau poste, la défenderesse constate qu’elle n’a pas les compétences nécessaires. Elle apprend aussi que le salaire rattaché à son nouveau poste est bien moindre que son ancien salaire.

[8]  Quelque temps après, la défenderesse rencontre son médecin se plaignant de symptômes émotionnels. Elle obtient ainsi un certificat médical pour arrêt de travail jusqu’au 23 août 2015 qui est subséquemment prolongé jusqu’au 26 octobre 2015.

[9]  Elle signe une plainte de congédiement injuste le 11 septembre 2015. Par lettre datée du 22 septembre 2015, un inspecteur du Gouvernement du Canada confirme aux parties que la lettre du 15 juin 2015 satisfait à l’exigence du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2 [le Code], selon lequel il est nécessaire de fournir une déclaration écrite des motifs de congédiement.

[10]  Le 19 octobre 2015, la défenderesse soumet à la Direction générale du demandeur une lettre indiquant qu’elle « quitte définitivement un poste occupé au Conseil des Innus de Pessamit ». Les parties ne s’entendent pas sur le sens de ladite lettre. Ce désaccord est traité ci-dessous.

[11]  En plus des faits décrits ci-dessus, le demandeur fait référence à une situation de conflits entre les secteurs des services sociaux et celui des services de la santé, ainsi qu’entre leurs directeurs respectifs, qui aurait débuté en mai 2015 et aurait nécessité l’engagement d’un psychologue organisationnel. Cette situation a généré une liasse de documents de correspondance adressés par ou au directeur général, la défenderesse et/ou Mme Bacon. Cependant, cette correspondance a été exclue de la preuve par l’arbitre. La pertinence de cette correspondance est traitée ci-dessous.

III.  Décision

[12]  L’audition de la plainte se tient les 28 et 29 juin 2016 devant l’arbitre, durant laquelle les seuls témoins étaient le directeur général et la défenderesse. Il importe de noter qu’il n’existe aucun enregistrement ou transcription de cette audition, ce qui a limité la capacité des parties à faire preuve de certaines allégations à l’égard de son déroulement.

[13]  L’arbitre accueille la plainte de congédiement injuste de la défenderesse et ordonne la réintégration de celle-ci. Il conclut qu’il s’agit d’un congédiement déguisé, et que le congédiement était injuste au sens des articles 240 à 246 du Code.

[14]  L’arbitre détermine que les motifs avancés par le demandeur dans sa lettre du 15 juin 2015 ne constituaient pas une cause suffisante pour justifier le congédiement. L’employeur n’a pas prouvé les trois motifs de congédiement allégués, soit (i) l’état général des services sociaux; (ii) les constats du psychologue organisationnel; et (iii) le processus de réforme de l’organisation. L’arbitre était de l’avis qu’aucune preuve étayant le premier facteur concernant l’état général des services sociaux n’ait été soumise. L’arbitre a noté aussi que le demandeur avait refusé de mettre en preuve les constats du psychologue organisationnel. Finalement, l’arbitre a constaté que les changements reliés au dernier motif restaient indéfinis à l’époque et n’ont pas été mis en œuvre en 2015. L’arbitre a donc conclu que la décision de l’employeur revêtait un aspect arbitraire.

[15]  Tel qu’indiqué ci-dessus, l’arbitre a exclu de la preuve la correspondance concernant la situation de conflits entre les secteurs des services sociaux et des services de la santé, et entre leurs directeurs respectifs. Malgré que le demandeur soumet que cette correspondance fait preuve de l’état général des services sociaux (un des motifs allégués dans la lettre du 15 juin 2015), l’arbitre a conclu qu’elle ne fût pas pertinente puisqu’il n’était pas satisfait que cette situation de conflits soit envisagée par l’expression « l’état général des services sociaux ». Pour la même raison, l’arbitre a interdit toute question sur la situation de conflits et la correspondance exclue.

IV.  Questions en litige

[16]  Les points suivants doivent être examinés dans cette demande de contrôle judiciaire :

  1. Est-ce que l’arbitre a fait preuve de partialité et d’iniquité procédurale envers le demandeur?
  2. Est-ce que l’arbitre a considéré s’il avait juridiction considérant l’abolition du poste de la défenderesse?
  3. Est-ce que l’arbitre avait raison d’exclure certains documents?
  4. Est-ce que l’arbitre a erré en ne considérant pas la démission de la défenderesse et les faits postérieurs à la lettre du 15 juin 2015?
  5. Est-ce que l’arbitre a erré en s’ingérant dans le processus de la réforme?

[17]  Avant d’examiner ces questions, il faut examiner, pour chacune, quelle est la norme de contrôle applicable.

[18]  La défenderesse a soumis d’autres questions en litige, reliées principalement à de la preuve produite par le demandeur qui aurait pu être présentée à l’arbitre. La défenderesse soumet que cette preuve est inadmissible. Puisque je rejette la présente demande, il n’est pas nécessaire que je considère les questions additionnelles soulevées par la défenderesse.

V.  Analyse

A.  La norme de contrôle

[19]  La décision arbitrale faisant l’objet de ce contrôle judiciaire soulève deux aspects divergents (de nature différente), déclenchant ainsi la segmentation des questions aux fins de l’analyse : Société Radio-Canada c SODRAC 2003 Inc, 2015 CSC 57 au para 42. La norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique généralement aux conclusions de faits et de droit d’un tribunal spécialisé : Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9 aux paras 51-58.

[20]  Cependant, les questions d’équité procédurale et de partialité sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43. En dépit de l’argument contraire avancé par la défenderesse, la présence d’une clause privative n’a aucune conséquence à cet égard : Donald J M Brown et John M Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), Toronto (On), Carswell, 2013, au para 14:4211.

[21]  En appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable, je dois faire preuve de retenue et déférence à la décision de l’arbitre, reconnaissant son expertise dans le domaine. Je ne dois pas simplement substituer mon opinion à la sienne. Cette instruction est même plus importante dans une affaire comme celle-ci où (i) l’arbitre a vu et entendu les témoins en personne, et (ii) il n’existe aucun enregistrement ou transcription de l’audition.

B.  Partialité et iniquité procédurale

[22]  Le demandeur allègue que « l’arbitre entretient à l’égard du demandeur en raison de son statut de Conseil autochtone un préjugé défavorable entraînant de sa part de la partialité dans sa prise de décision en cours d’audition mais aussi en regard des conclusions auxquelles il en arrive ». Le demandeur allègue plusieurs faits à l’appui de cet argument :

  1. Dans trois autres affaires impliquant le demandeur où l’arbitre a rendu des décisions (entre 2006 et 2016), il n’a jamais donné raison au demandeur;
  2. L’arbitre a exigé tous les documents relatifs à la réforme, sans que la défenderesse ne les ait requis;
  3. L’arbitre a intervenu et interrompu l’avocat du demandeur à plusieurs reprises pendant l’audition;
  4. L’arbitre a exclu plusieurs documents de la preuve, incluant certains échanges de courriels et documents médicaux déposés par la défenderesse, et a rejeté plusieurs questions soulevées par le demandeur; et
  5. L’arbitre a mal évalué et apprécié la lettre de démission de la défenderesse (le demandeur avance que la démission de la défenderesse témoigne de son incapacité de gérer).

[23]  Le critère applicable pour déterminer s’il existe une crainte raisonnable de partialité n’est pas contesté et il a été formulé pour la première fois par la Cour suprême du Canada en ces termes : « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » (Voir Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25 au para 20, qui cite Committee for Justice and Liberty c Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369 à la p 394.)

[24]  Les allégations de partialité sont extrêmement graves et en l’absence d’éléments de preuve pour les étayer, elles ne devraient pas être soulevées : Joshi c Banque Canadienne impériale de commerce, 2015 CAF 105 au para 19.

[25]  En ce qui concerne les trois autres affaires impliquant le demandeur, cet argument est clairement insuffisant pour établir une crainte raisonnable de partialité. Je note d’abord qu’une seule des décisions en question a été attaquée. En plus, toute crainte de partialité qui aurait pu exister en relation à ces décisions existait avant l’audition devant l’arbitre dans cette cause. Le défaut du demandeur de soulever la question de partialité devant l’arbitre indique qu’il n’avait une telle crainte à l’époque. Rien n’a changé depuis.

[26]  En ce qui concerne l’exigence par l’arbitre que certains documents soient produits sans que le défendeur les demande, cet argument est aussi insuffisant pour établir une crainte raisonnable de partialité. L’arbitre a le droit de fixer sa procédure (voir l’article 242(2)b) du Code), et son intérêt pour les documents relatifs à la réforme n’est pas surprenant. Il ne semble y avoir aucun doute que les documents relatifs à la réforme furent pertinents.

[27]  En ce qui concerne les interventions et interruptions par l’arbitre alléguées par le demandeur, je note que les affidavits de Mme St-Onge et du directeur général en font référence. Toutefois, je note que l’affidavit de la défenderesse conteste les allégations à cet égard. Je ne suis pas convaincu par l’argument du demandeur. Il s’agit d’un exemple qui démontre la difficulté pour les parties d’appuyer leurs arguments en l’absence d’un enregistrement ou d’une transcription de l’audition devant l’arbitre.

[28]  En ce qui concerne l’exclusion de certains documents et questions, il n’est pas nécessaire que je traite de cette question dans le contexte des allégations de partialité. Il suffit que je traite de cette question ci-dessous dans le contexte de l’analyse du caractère raisonnable de la décision de l’arbitre. Si le demandeur ne réussit pas à établir que l’exclusion des documents et questions fût raisonnable, je suis convaincu qu’il ne serait pas plus capable d’établir une crainte de partialité.

[29]  Ma conclusion en ce qui concerne l’allégation que l’arbitre a suggéré plusieurs faits et questions est la même que celle en ce qui concerne les interventions et interruptions alléguées : considérant que les parties ne s’entendent pas sur le déroulement de l’audition devant l’arbitre, et qu’il n’existe aucun enregistrement ou transcription, je ne suis pas convaincu par l’argument du demandeur à cet égard.

[30]  En sommaire, je ne vois aucun fondement pour une crainte raisonnable de partialité, et surtout pas en raison du statut du demandeur en tant que Conseil autochtone.

[31]  Dans cette section j’ai considéré chacun des arguments du demandeur de façon individuelle. Toutefois, je confirme que j’arrive à la même conclusion quand je considère ces arguments ensemble.

C.  Considération de l’abolition du poste de la défenderesse et la juridiction de l’arbitre

[32]  Le demandeur soumet que l’arbitre a erré par son défaut de reconnaître que la défenderesse a été relevée de ses fonctions de directrice des services sociaux dans le contexte de la réforme qui visait à fusionner les secteurs des services sociaux et des services de la santé.

[33]  Je ne suis pas d’accord que l’arbitre ait erré. Il a considéré la preuve du demandeur à cet égard, incluant le fait que la réforme visait à fusionner les secteurs de façon progressive. Mais l’arbitre a conclu que le délai entre le congédiement de la défenderesse en juin 2015 et la rétrogradation de Mme Bacon en janvier 2016, dans le contexte de la réforme, était suffisant pour contredire l’allégation du demandeur selon laquelle le congédiement de la défenderesse faisait partie de la réforme. Je ne suis pas convaincu que cette conclusion soit déraisonnable ou faite sans égard à toute la preuve pertinente.

[34]  Le demandeur soumet que l’arbitre n’avait pas juridiction dans ce cas, citant l’article 242(3.1)a) du Code : « L’arbitre ne peut procéder à l’instruction de la plainte dans l’un ou l’autre des cas suivants : … a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste ».

[35]  Puisque je suis satisfait que la conclusion de l’arbitre à cet égard fût raisonnable, il suit que l’arbitre n’était pas convaincu que la raison du congédiement de la défenderesse était l’abolition de son poste. Donc, l’article 242(3.1)a) du Code ne s’applique pas.

D.  Exclusion de certains documents

[36]  Le demandeur soumet que certains documents ont été exclus de la preuve sans justification. Les documents en question se regroupent dans deux catégories :

  1. La correspondance adressée par ou au directeur général, la défenderesse et/ou Mme Bacon concernant la situation de conflits entre les secteurs des services sociaux et des services de la santé, et leurs directeurs respectifs, pendant la période de mai 2014 jusqu’à mai 2015.
  2. Les documents et évaluations psychologiques de la défenderesse.

[37]  Le demandeur soumet que la correspondance concernant la situation de conflits était pertinente à l’état général des services sociaux dont il est fait référence dans la lettre du 15 juin 2015 par laquelle la défenderesse a été relevée de ses fonctions.

[38]  Tel qu’indiqué au paragraphe [15] ci-dessus, l’arbitre a conclu que cette correspondance ne fût pas pertinente du moment que la situation de conflits ne figurait pas dans les motifs qui auraient provoqué le congédiement de la défenderesse.

[39]  À mon avis, l’arbitre avait raison de noter que les motifs invoqués relatifs à la rétrogradation de la défenderesse n’incluaient pas la situation de conflits. Il est raisonnable de conclure que la référence à l’état général des services sociaux dans la lettre du 15 juin 2015 ne fût pas suffisamment précise.

[40]  De plus, le demandeur savait (suivant la lettre du 22 septembre 2015 d’un inspecteur du Gouvernement du Canada) que la lettre du 15 juin 2015 risquait d’être vue comme un énoncé complet des motifs de congédiement. Si le demandeur voulait alléguer d’autres motifs pour avoir relevé la défenderesse de ses responsabilités de directrice des services sociaux, il aurait dû les mentionner par écrit. Le demandeur s’est excusé de cette omission durant l’audience. Le demandeur a mentionné qu’après avoir reçu la lettre de démission du 19 octobre 2015, il croyait que l’affaire était classée et qu’il n’y avait plus aucun besoin de clarifier les motifs de congédiement. Je n’accepte pas cet argument. Même si le demandeur croyait en octobre 2015 que l’affaire était classée, il est devenu clair, au plus tard en décembre 2015, que ceci n’était pas le cas quand l’avocat de la défenderesse a indiqué qu’il ne serait pas possible d’arriver à un règlement de l’affaire et qu’un arbitre devait être nommé pour entendre la plainte.

[41]  Puisque la situation de conflits n’était pas parmi les motifs de congédiement de la défenderesse, il était raisonnable d’exclure la correspondance qui fait preuve de cette situation de conflits. Ce raisonnement n’est pas compromis par le fait que les documents en question avaient été introduits par la défenderesse.

[42]  Le même raisonnement peut justifier l’exclusion des documents et évaluations psychologiques de la défenderesse. Ils ne sont pas pertinents aux motifs énumérés dans la lettre du 15 juin 2015. Cependant, il n’est pas clair si ces documents ont été exclus. Tel qu’indiqué par la défenderesse, l’arbitre a reconnu dans sa décision l’état psychologique de la défenderesse après avoir pris connaissance des tâches associées à son nouveau poste.

E.  Considération de la démission de la défenderesse et les faits postérieurs

[43]  Le demandeur soumet que l’arbitre ne devait pas empêcher la preuve de la démission libre et volontaire de la défenderesse et des événements postérieurs au 15 juin 2015 (la date du congédiement de la défenderesse).

[44]  Premièrement, l’arbitre n’a pas ignoré systématiquement tous les faits postérieurs au 15 juin 2015. Il a considéré la lettre de démission de la défenderesse datée du 19 octobre 2015, ainsi que les circonstances qui l’entouraient. Il a considéré son manque de clarté et l’explication de la défenderesse, lors de son témoignage, qu’elle n’a pas consulté son avocat avant d’envoyer la lettre, et qu’elle voulait simplement indiquer qu’elle n’acceptait pas son nouveau poste. Devant l’arbitre, le demandeur n’a offert aucun argument ou preuve du contraire.

[45]  Devant moi, le demandeur soumet qu’il y a plusieurs indications dans la lettre du 19 octobre 2015 qu’il s’agissait bien d’une lettre de démission de la défenderesse en tant qu’employé du demandeur : (i) la défenderesse fait référence au poste qu’elle a occupé et non au nouveau poste crée par le demandeur; (ii) la défenderesse indique qu’elle quitte définitivement son emploi, et exige son indemnité de départ; et (iii) il n’existe aucune autre raison pour avoir soumis cette lettre.

[46]  Malgré l’absence d’une conclusion explicite à cet égard dans sa décision, il est clair que l’arbitre a accepté le témoignage de la défenderesse concernant le sens de la lettre. À mon avis, cette conclusion était raisonnable. L’envoi de la lettre le 19 octobre 2015 pouvait bien avoir pour but simplement d’aviser le demandeur qu’elle ne retournait pas au travail le 26 octobre 2015 comme prévu dans son certificat médical.

[47]  Le demandeur soumet que la preuve des faits postérieurs visait à démontrer, entre autres choses, les étapes de la réforme. Je ne suis pas convaincu que l’arbitre ait ignoré ou exclu de la preuve concernant la réforme. En fait, cette allégation semble être en contradiction avec l’allégation selon laquelle l’arbitre ait exigé tous les documents relatifs à la réforme (voir le paragraphe [22] ci-dessus). Tel qu’indiqué, l’arbitre a considéré la preuve sur la réforme et a conclu qu’elle n’était pas reliée à la réforme.

[48]  À mon avis, il était raisonnable de conclure qu’aucun fait postérieur au 15 juin 2015 n’aurait changé la conclusion de l’arbitre selon laquelle la défenderesse aurait fait l’objet d’un congédiement déguisé qui était injuste.

F.  Ingérence dans le processus de la réforme

[49]  Considérant la conclusion raisonnable de l’arbitre que le congédiement de la défenderesse ne faisait pas partie de la réforme, il suit que l’arbitre ne s’est pas ingéré dans le processus de la réforme.

VI.  Conclusion

[50]  Je ne trouve aucune erreur commise par l’arbitre. Il a accepté la lettre du 15 juin 2015 comme indication des motifs de congédiement. Il a analysé chacun des motifs indiqués dans cette lettre : (i) l’état général des services sociaux; (ii) les constats du psychologue organisationnel; et (iii) le processus de réforme de l’organisation. Il a conclu que la preuve n’appuyait aucun de ces motifs. Il n’y avait aucune preuve à l’appui des deux premiers motifs. En ce qui concerne la réforme, il a conclu que la preuve indiquait que le congédiement n’y était pas lié. Par ailleurs, l’arbitre a exclu la preuve concernant les conflits entre les secteurs et entre leurs directeurs respectifs parce que ces conflits ne figuraient pas parmi les motifs de congédiement et n’étaient donc pas pertinents. À mon avis, toutes ces conclusions sont raisonnables.

[51]  À la fin de sa décision, l’arbitre a conclu que le nouveau poste offert à la défenderesse équivalait à une rétrogradation, et que cela constituait un congédiement déguisé et injuste. Cette conclusion est aussi raisonnable.

[52]  Je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée avec dépens.

[53]  La défenderesse demande que les dépens soient calculés sur une base procureur-client. À l’appui de cette demande, elle soumet qu’un des arguments du demandeur était frivole. Spécifiquement, le demandeur expliquait pourquoi, lors de l’audition devant l’arbitre, il n’a pas demandé au directeur général d’introduire la correspondance qui faisait preuve d’une situation de conflits entre les secteurs des services sociaux et des services de la santé, et entre leurs directeurs respectifs. Il alléguait que le directeur général avait un handicap visuel et que sa première langue était le Innu. À mon avis, cet argument par le demandeur n’était pas important ou central et ne devrait pas provoquer une augmentation des dépens. Il s’agit peut-être d’un autre exemple qui démontre les difficultés pour les parties d’appuyer leurs arguments en l’absence d’un enregistrement ou d’une transcription de l’audition devant l’arbitre.

[54]  La défenderesse aurait pu également appuyer sa demande de dépens élevés sur l’allégation du demandeur, sans fondement, que l’arbitre démontrait de la partialité contre lui. Malgré qu’il ne semble y avoir aucune indication que quelque partialité existait en raison du statut du demandeur en tant que Conseil autochtone (comme le demandeur l’allègue), je suis de l’avis que la question de partialité ne fût pas frivole. La norme de contrôle sur la question de partialité, ainsi que sur l’exclusion de la preuve et des questions y afférentes, est celle de la décision correcte. Donc, le fardeau de preuve pour le demandeur sur ces questions était beaucoup moindre que pour les autres.


JUGEMENT au dossier T-1899-16

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1899-16

 

INTITULÉ :

CONSEIL DES INNUS DE PESSAMIT c GITHANE BELLEFLEUR

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Kenneth Gauthier

 

Pour la partie demanderesse

 

Me Grégoire Dostie

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kenneth Gauthier

Avocat

Baie-Comeau (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

Leblanc, Dostie

Avocats

Baie-Comeau (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

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