Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20170505


Dossier : T-237-16

Référence : 2017 CF 447

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 mai 2017

En présence de madame la juge Strickland

RECOURS COLLECTIF ENVISAGÉ

ENTRE :

LA NATION CRIE POUNDMAKER, REPRÉSENTÉE PAR

LE CONSEIL DE LA NATION CRIE POUNDMAKER

ET SON CHEF DUANE ANTOINE,

ET LA NATION CRIE D’ONION LAKE, REPRÉSENTÉE PAR

LE CONSEIL DE LA NATION CRIE D’ONION LAKE

ET SON CHEF WALLACE FOX

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une requête, présentée pour le compte de la défenderesse, fondée sur l’article 8 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), en vue d’obtenir une ordonnance prorogeant le délai pour la signification et le dépôt de sa défense dans le présent recours collectif envisagé jusqu’à ce que la Cour ait rendu sa décision sur la requête en autorisation.

[2] Le 8 février 2016, les demandeurs ont déposé leur déclaration relativement au présent recours collectif envisagé. Les membres du groupe proposé sont, par définition, les nations indiennes – dont la Nation crie Poundmaker (Poundmaker) et la Nation crie d’Onion Lake (Onion Lake) – au nom desquelles la Couronne a accepté une désignation concernant les droits pétroliers et gaziers sur leurs terres de réserve conformément à la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5. La Nation Poundmaker et la Nation d’Onion Lake sont pour l’heure les seuls membres désignés du groupe proposé. Les demandeurs allèguent dans leur déclaration que la Couronne a manqué à ses obligations fiduciaires envers les nations indiennes et qu’elle a fait preuve de négligence pour les motifs suivants : elle n’a pas pleinement et adéquatement exploité les droits pétroliers et gaziers des membres sur les terres de réserve désignées; elle n’a pas protégé les membres du recours collectif contre la perte de revenus relativement à leurs droits pétroliers et gaziers; et elle n’a pas adéquatement perçu les revenus relativement aux droits pétroliers et gaziers des membres du groupe ni n’en a-t-elle rendu adéquatement compte. Ces agissements ont tous causé des préjudices aux membres du groupe.

[3] Aux termes de l’ordonnance rendue le 23 février 2016 par le juge en chef, j’ai été désignée juge responsable de la gestion de la présente instance, et le protonotaire Lafrenière a été désigné pour m’aider. Lors de la téléconférence initiale de gestion de l’instance tenue le 18 janvier 2017, il a été question, entre autres, du calendrier concernant la demande de précisions et du dépôt de la défense, par la défenderesse. Par conséquent, le 19 janvier 2017, j’ai ordonné à la défenderesse de présenter aux demandeurs au plus tard le 20 janvier 2017 sa demande de précisions, j’ai fixé au 10 février 2017 la tenue d’une téléconférence de suivi relativement à la gestion de l’instance et j’ai ordonné, dans l’intervalle, conformément à l’article 8 des Règles, la prorogation du délai prévu pour le dépôt de la défense jusqu’au prononcé d’une nouvelle ordonnance de la Cour. Le 10 février 2017, les parties ont confirmé que la demande de précisions avait été faite et qu’une réponse avait été fournie, ajoutant que le point au sujet de la date du dépôt de la défense n’était pas réglé. Par conséquent, j’ai enjoint à la défenderesse de déposer une requête en vue de proroger le délai pour le dépôt de sa défense jusqu’après l’audience relative à l’autorisation. Cette requête devait être instruite le 18 avril 2017. Les deux parties ont dûment déposé et signifié leurs dossiers de requête. Dans une lettre datée du 13 avril 2017, la défenderesse a informé la Cour que les parties avaient convenu qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience et que la requête pouvait être instruite sur dossier, avec les observations des parties. Par conséquent, le 13 avril 2017, j’ai ordonné que la requête soit plutôt instruite sur dossier et que la défenderesse dépose sa réponse au plus tard le 20 avril 2017.

[4] La présente ordonnance fait suite à cette requête.

La thèse de la défenderesse

[5] La défenderesse soutient que l’article 385 des Règles confère à la Cour le pouvoir, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, de proroger le délai pour le dépôt de la défense conformément à l’article 8 (Always Travel Inc c Air Canada, 2003 CFPI 212 (CF 1re inst.) au para 4 (Always Travel); art 8 et 385 des Règles), et que le juge responsable de la gestion de l’instance est le mieux placé pour déterminer si, dans un recours collectif envisagé, le dépôt de la défense est nécessaire ou utile avant l’audience relative à l’autorisation (Always Travel, au para 4; MacLean v Telus Corp, 2005 BCCA 338 au para 12 (MacLean)).

[6] La Cour n’a rendu des motifs écrits relativement à cette question qu’à deux occasions et, dans les deux cas, elle a conclu que la défense n’était pas essentielle pour trancher les questions soulevées par la requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif et ne serait d’aucune utilité pour la Cour (Always Travel; Horseman c Canada, dossier T-1784-12, ordonnance et motifs du 3 décembre 2012 (Horseman)). Sauf pour la Nouvelle-Écosse, où la loi sur les recours collectifs (Class Proceedings Act, SNS 2007, c 28, art 4(6)) dispose expressément qu’il n’est pas nécessaire de déposer la défense avant l’audience relative à l’autorisation, les autres territoires ou provinces du Canada n’exigent pas que les défendeurs déposent leur défense avant cette audience ou leur usage est de ne pas le faire (Hoffman v Monsanto Canada Inc, 2002 SKCA 120 au para 23 (Hoffman); Field v GlaxoSmithKline Inc, 2013 SKQB 113 au para 45 (Field); Warner v Smith and Nephew Inc, 2016 ABCA 223 au para 105 (Warner); Dominguez v Northland Properties Corporation, 2012 BCSC 328 au para 130 (Dominguez)). Le juge Perell de la Cour supérieure de l’Ontario ordonne parfois que la défense soit déposée avant l’audience relative à l’autorisation, mais il ne le fait pas dans tous les cas (Crosslink v BASF Canada, 2014 ONSC 1682, autorisation d’interjeter appel refusée par 2014 ONSC 4529 (Crosslink); The Fanshawe College of Applied Arts and Technology v Sony Optiarc Inc, 2013 ONSC 1477; Pennyfeather v Timminco Limited, 2011 ONSC 4257 (Pennyfeather); Brazeau v Attorney General (Canada), 2016 ONSC 7836); et son point de vue selon lequel les requêtes concernant les actes de procédure doivent être présentées avant l’étape de l’autorisation n’a pas été adopté par d’autres juges ou tribunaux (Hoffman).

[7] La défenderesse soutient que l’audience relative à l’autorisation intéresse la forme et le caractère approprié de la poursuite par voie de recours collectif, et non un examen au fond (Tihomirovs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 197 au para 34 (Tihomirovs); Pro-Sys Consultants Ltd c Microsoft Corporation, 2013 CSC 57 au para 99 (Pro-Sys Consultants)), et que cet objet se distingue de celui d’une défense. Pour l’autorisation d’un recours collectif, la première condition de l’article 334.16 des Règles exige que les actes de procédure révèlent une cause d’action valable. Étant donné que les faits énoncés dans la déclaration sont tenus pour avérés et qu’aucun élément de preuve ne peut être pris en considération (art 334.16 des Règles; Canada c M. Untel, 2016 CAF 191 au para 23 (M. Untel); Gottfriedson c Canada, 2015 CF 706 au para 31), le dépôt de la défense n’est pas nécessaire pour que la Cour se prononce sur cette première condition (Kornblum c Canada (Ressources humaines et Développement social Canada), 2010 CF 656 au para 30). S’agissant des quatre autres conditions, c’est aux demandeurs qu’incombe le fardeau de produire des éléments établissant « un certain fondement factuel » pour chacune d’elles (M. Untel, au para 24). Les actes de procédure ne constituent pas des éléments de preuve (Hawthorne v Markham Stouffville Hospital, 2016 ONCA 10 au para 8; Emerging Equities Inc v Strand, 2008 ABCA 23 au para 5). Par conséquent, l’examen des éléments de preuve – et non des actes de procédure – que les parties entendent produire à l’étape de la requête relative à l’autorisation permettra de savoir si ces quatre conditions sont remplies. La défense n’est donc d’aucune utilité pour la Cour dans l’évaluation des éléments de preuve en vue de déterminer si les conditions sont réunies.

[8] La défenderesse fait aussi valoir que le dépôt de la défense ne sert à rien au présent stade. Le recours collectif est singulier en ce sens que la thèse des demandeurs peut évoluer tout au long du processus d’autorisation (Dugal v Manulife Financial Corp, 2011 ONSC 6761 au para 13; Harvey v Western Canada Lottery Corporation, 2015 SKQB 102 aux para 31-32, demande d’appel refusée par 2015 SKCA 75). Par conséquent, il est possible que la déclaration soit sensiblement modifiée ou même qu’elle soit complètement nouvelle; dans ces circonstances, il faudrait que la défense soit refaite (Brown v Canada (Attorney General), 2010 ONSC 3095, infirmée par 2011 ONSC 7712; Ewert v Canada (Attorney General), 2016 BCSC 962). Il se peut aussi que le recours collectif envisagé ne soit pas autorisé. Dans ce cas, le temps consacré à préparer la défense est une perte de temps.

La thèse des demandeurs

[9] Les demandeurs affirment que même si la Cour a le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai pour le dépôt de la défense, elle n’autorise pas automatiquement la prorogation demandée pour autant (Always Travel, au para 7). La Cour doit avoir des raisons impérieuses d’exercer son pouvoir discrétionnaire (voir Pro-Sys Consultants Ltd v Microsoft Corporation, 2015 BCSC 74 au para 33 (Pro-Sys BCSC)). En outre, elle doit, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, examiner entre autres facteurs si la défense est utile ou nécessaire pour qu’elle statue sur les questions à examiner à l’étape de l’autorisation (Scott v TD Waterhouse Investor Services (Canada) Inc, 2000 BCSC 1786 au para 40 (Scott); Pennyfeather, aux para 86 et 88-92); il est probable que la défense doive être entièrement reformulée après l’étape de l’autorisation (Shaver v British Columbia, 2017 BCSC 108 au para 80 (Shaver)); le dépôt de la défense avant l’étape de l’autorisation engendrerait une perte de temps et de travail (Murray v Alberta (Minister of Health), 2007 ABQB 231 au para 29 (Murray); Smith v Sino-Forest Corp, 2012 ONSC 1924 aux para 51‑52 (Smith)); l’obligation de déposer la défense avant l’audience relative à l’autorisation risque de causer une injustice aux défendeurs (Murray, au para 29; Smith, aux para 49, 53-54). La nature de l’instance et les droits revendiqués constituent aussi des facteurs contextuels dont il faut tenir compte dans une telle décision (Murray, au para 25).

[10] Le fardeau de convaincre la Cour que la prorogation est justifiée incombe à la défenderesse, qui doit s’en acquitter au moyen d’éléments de preuve. Or, elle n’en a fourni aucun, ni par affidavit ni autrement, à l’appui de sa requête (Always Travel, aux para 8-9).

[11] Les demandeurs font valoir que les tribunaux ont dans le passé exercé leur pouvoir discrétionnaire de proroger le délai prescrit pour le dépôt de la défense jusqu’à ce qu’il soit statué sur la requête en autorisation, vu qu’elle n’était pas jugée être utile avant (Smith, au para 45; Shaver, au para 81), mais ces dernières années, les tribunaux de l’Ontario, de la Colombie‑Britannique, de l’Alberta et d’ailleurs ont demandé aux juges à mettre fin à cet usage (Shaver, au para 82; Pennyfeather, aux para 83-84; Pro-Sys BCSC, au para 31; Gay v Regional Health Authority 7, 2014 NBCA 10 au para 25 (Gay)). Les tribunaux ont reconnu que les demandes de prorogation sont le plus souvent des tactiques employées par les défendeurs (Smith, aux para 52-54; Shaver, au para 81).

[12] En outre, il est plus efficace et économique d’exiger le dépôt de la défense, car elle permet de cerner les questions en litige dès le départ et de régler les différends sur la cause d’action, par exemple la compétence ratione materiae de la Cour (Scott, au para 48; Smith, aux para 49 et 88; Pennyfeather, au para 89). Cette exigence facilite aussi l’analyse des conditions d’autorisation (Scott, aux para 35 et 48; Pennyfeather, aux para 89-90), plus particulièrement elle permet de révéler les questions ou les points communs.

[13] Les demandeurs soutiennent également que même lorsque la teneur de la demande n’est pas en cause, le dépôt de la défense avant l’étape de l’autorisation aide la Cour à faire l’analyse des autres conditions d’autorisation – surtout les questions et points communs – et est compatible avec cette analyse (Scott, au para 35; Smith, au para 48; Pennyfeather, aux para 89‑90). Les actes de procédure liés à l’instance initiale doivent être clos pour que la Cour puisse relever les questions communes, lesquelles peuvent être pertinentes pour la requête en autorisation (Scott, aux para 40-41; Smith, au para 48; Shaver, au para 82). Par exemple, un moyen de défense fondé sur la prescription doit être allégué, et cet allégué devient une question ou un point commun. Comme le dossier de la requête en autorisation est plus complet une fois que le demandeur connaît la thèse du défendeur, il s’ensuit que la Cour est mieux outillée pour statuer sur les véritables questions litigieuses (Shaver, aux para 82-84).

[14] Selon les demandeurs, le dépôt de la défense peut aussi aider la Cour à comprendre le cadre législatif et historique dans lequel s’inscrit la demande (Murray, au para 29). Vu le rôle crucial du contexte historique dans les questions en litige soulevées en l’espèce, la défense aidera la Cour à saisir dans quelle mesure les parties s’entendent ou non sur l’exactitude de l’exposé des faits chronologiques et des obligations. La Cour pourra ainsi économiser le temps et les ressources qu’elle aurait normalement consacrés à des points non contestés (Pro-Sys BCSC, au para 33).

[15] Les demandeurs affirment que l’issue de la requête en autorisation n’entraînera vraisemblablement pas une reformulation importante de la défense (Smith, aux para 50-51). Et, en ce qui concerne les allégués que la défenderesse ne conteste pas, le dépôt de la défense avant l’étape de l’autorisation profitera vraisemblablement aux demandeurs puisqu’aucune modification ne sera apportée à ces allégués à l’issue de la requête en autorisation. Par ailleurs, il ne suffit pas que la défenderesse se contente d’affirmer que l’issue de la requête en autorisation aura des répercussions sur le contenu de sa défense (Murray, aux para 28-29). De plus, il est bien établi que le dépôt de la défense avant l’étape de l’autorisation ne constitue pas un fardeau de nature à entraîner une reprise importante du travail (Murray, au para 29), puisque la défenderesse aura déjà examiné les faits et le droit pour rédiger les affidavits qu’elle produira à l’audience relative à l’autorisation, et l’accomplissement de cette tâche lui permet de rédiger son projet de défense. Le dépôt d’une défense modifiée représente un travail et des dépenses supplémentaires minimes (Pro-Sys BCSC, au para 32). En outre, la crainte de la défenderesse de devoir consacrer inutilement du temps et de l’argent au dépôt d’une défense modifiée est exagérée, étant donné que comparativement aux frais associés à un recours collectif, le dépôt d’une défense modifiée est très peu coûteux.

[16] Enfin, selon les demandeurs, refuser de céder à la tactique de la défenderesse n’a rien d’inéquitable (Smith, aux para 52-53) : il s’agit plutôt d’une façon juste, efficace et rentable de régler l’action qui concorde avec le principe fondamental des contentieux civils selon lequel les demandeurs ont le droit de connaître les arguments auxquels ils devront répondre (Shaver, au para 83; Smith, au para 49). La défenderesse n’a produit aucun élément de preuve et n’a pas non plus mentionné dans ses observations écrites que l’obligation de déposer sa défense avant l’étape de l’autorisation lui porterait préjudice.

La réponse de la défenderesse

[17] En réponse, la défenderesse fait valoir que les décisions Always Travel et Horseman n’exigent pas que des éléments de preuve soient fournis pour justifier la prorogation du délai pour le dépôt de la défense. Dans l’affaire Always Travel, la Cour a rendu sa décision en se fondant sur la déclaration. En l’espèce, la déclaration des demandeurs fait état d’un niveau de complexité élevé étant donné que tous les aspects de Pétrole et gaz des Indiens du Canada (PGIC) y sont contestés, et les droits pétroliers et gaziers ainsi que des problèmes de drainage sont aussi en jeu sur toutes les réserves indiennes au Canada. La déclaration comporte également ce que les demandeurs qualifient d’exposé complet des faits chronologiques. Selon la défenderesse, il est incontestable qu’une défense adéquate en l’espèce exigera un investissement important de ressources, de temps et d’argent. Les demandeurs n’ont pas fait valoir qu’ils subiraient un préjudice si la défense n’était déposée qu’après l’autorisation de l’action comme recours collectif et ils n’ont présenté aucun élément de preuve à cet égard non plus.

[18] La défenderesse soutient en outre que les demandeurs n’invoquent aucune décision autorisant un recours collectif où la Cour s’est appuyée sur la défense pour énoncer les questions communes : à son avis, l’absence de telles décisions s’explique par le fait que les tribunaux tranchent les questions à examiner dans le cadre de la requête en autorisation en fonction de la preuve, et non des actes de procédure. Par ailleurs, le seul exemple concret relevé par les demandeurs pour expliquer en quoi la défense est essentielle pour trancher les questions à examiner à cette étape – à savoir, les délais de prescription invoqués – est pertinent uniquement pour l’examen au fond. La période visée par le recours collectif est un élément examiné dans le cadre du processus d’autorisation, dont l’issue repose sur la preuve et les arguments juridiques, et ne peut être examinée indépendamment des délais de prescription applicables ni des questions concernant le principe de la possibilité de découvrir, et ce, sans égard au fait que la défense n’a pas été déposée (Pro-Sys BCSC, au para 26).

Analyse

[19] Comme le soulignent les parties, rien n’est prévu dans les Règles quant à l’opportunité de déposer la défense après le prononcé de la décision sur la requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif.

[20] Selon l’article 204, le défendeur conteste l’action en signifiant et en déposant sa défense dans les 30 jours après avoir reçu signification de la déclaration, si cette signification a été faite au Canada. Selon l’article 8, la Cour peut, sur requête, proroger ou abréger tout délai prévu par les présentes règles ou fixé par ordonnance. Selon l’article 3, les Règles « sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ». Et, selon les alinéas 385(1)a) et b), le juge responsable de la gestion de l’instance peut « donner toute directive ou rendre toute ordonnance nécessaires pour permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » et « sans égard aux délais prévus par les présentes règles, fixer les délais applicables aux mesures à entreprendre subséquemment dans l’instance ». La partie 5.1 des Règles porte sur les recours collectifs. S’agissant de la signification et du dépôt d’un avis de requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif, le paragraphe 334.15(1) dispose que, dans le cas d’une action, la requête doit être présentée au plus tard 90 jours après celle des deux dates ci-après qui est postérieure à l’autre : a) la date à laquelle la dernière défense a été déposée, et b) la date à laquelle, aux termes de l’article 204, la dernière défense doit être signifiée et déposée. De manière plus générale, l’article 334.11 dispose que les règles applicables aux actions ou aux demandes, selon le cas, s’appliquent aux recours collectifs dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles avec la partie 5.1.

[21] Compte tenu de ce qui précède et de la jurisprudence, je suis d’accord avec les parties pour dire que la question de savoir si, dans une situation donnée, il y a lieu de proroger le délai prescrit pour le dépôt de la défense jusqu’au prononcé de la décision sur la requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif, relève de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge (Always Travel, aux para 4 et 7; art 8 et 385 des Règles; Shaver, au para 80; Murray, au para 20; voir également Ward K. Branch, c.r., Class Actions in Canada, (Toronto (Ontario), Thomson Reuters Canada Limited, 2016) (feuillets mobiles mis à jour en novembre 2016, version 46) vol 1, au para 4.1390 (« Class Actions in Canada »)). Ce point a été examiné dans la décision Always Travel, où le juge a aussi conclu qu’il n’y a pas lieu d’accueillir automatiquement les requêtes de ce type et qu’il appartient aux défendeurs, en leur qualité de parties requérantes, de convaincre la Cour qu’elle devrait accorder la réparation demandée. Dans cette affaire, le juge Hugessen a conclu que l’absence de tout élément de preuve sous forme d’affidavit ou autre, comme c’est le cas en l’espèce, constituait un sérieux inconvénient. Toutefois, ce défaut n’a pas entraîné le rejet de la requête, car le juge a pu rendre une décision à la simple lecture de la déclaration. À cet égard, vu la complexité de l’affaire dont il était saisi, il était fort invraisemblable que le fait d’exiger le dépôt de la défense à cette étape de l’instance permette d’apporter une solution au litige qui soit la plus expéditive et économique possible. Il a également conclu que la défense n’était pas essentielle pour trancher les questions à examiner dans le cadre de la requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif et qu’elle serait probablement peu utile à la Cour à cette étape de l’instance. L’article 299.18 (l’actuel paragraphe 334.16(1)) définissait et limitait les questions auxquelles la Cour devait répondre dans le cadre d’une telle requête, lesquelles pouvaient être tranchées uniquement à la lumière de la déclaration, la défense n’étant pas nécessaire à ce stade.

[22] Dans la décision Horseman, le juge Zinn renvoyait à la décision Always Travel, ajoutant qu’il devait, pour se prononcer sur la requête dont il était saisi, essentiellement se demander si la réparation demandée par la défenderesse favorisait l’atteinte de l’objet de l’article 3 des Règles, soit d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. Le juge Zinn a conclu que les documents produits permettaient d’établir que le recours collectif envisagé soulevait des questions de droit complexes et importantes et qu’une défense adéquate exigerait un investissement important de ressources, de temps et d’argent, que cet exercice serait peu utile à la requête en autorisation et qu’il pourrait devoir être repris, en partie, selon l’issue de la requête en autorisation. Il a en outre conclu que l’octroi de l’ordonnance sollicitée ne causerait pas de préjudice évident aux demandeurs. En conséquence, il a ordonné que le délai prescrit pour la signification et le dépôt de la défense soit prorogé au plus tard 30 jours après le prononcé de la décision finale sur la requête en autorisation.

[23] Comme je l’ai mentionné plus haut, ces deux décisions invoquées par les parties sont les seules où la Cour a examiné une requête en vue de proroger le délai pour le dépôt de la défense jusqu’à ce que soit rendue la décision sur la requête en autorisation. Cependant, il semble que selon la pratique habituelle dans plusieurs provinces, la défense ne soit déposée qu’après le prononcé de la décision sur la requête en autorisation (Hoffman, au para 27; Field, au para 45; Warner, au para 105; Dominguez, au para 130; Ring v Canada (Attorney General), 2010 NLCA 20 au para 29, autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada refusée, [2010] CSCR no 187 (WL)); et qu’en Nouvelle-Écosse, il s’agit de la procédure prescrite par la Class Proceedings Act.

[24] Cela dit, comme le soulignent les parties, le juge Perell de la Cour supérieure de justice de l’Ontario s’est dit d’avis dans la décision Pennyfeather qu’il convenait de réexaminer l’usage selon lequel les défendeurs ne sont pas tenus de déposer leur défense avant l’étape de l’autorisation. Selon lui, il serait en règle générale préférable que les actes de procédure soient clos avant que l’action ne passe à l’étape de l’autorisation.

[25] Le juge Perell a fait remarquer que le paragraphe 2(3) de la Loi de 1992 sur les recours collectifs de l’Ontario – semblable au paragraphe 334.16(1) des Règles – permet de penser que le législateur voulait que la règle générale soit de déposer la défense avant l’étape de la motion en certification. Il a aussi fait remarquer que, conformément au paragraphe 5(1) de cette loi, le demandeur doit satisfaire à cinq conditions interdépendantes pour que le tribunal certifie son action ou sa demande comme recours collectif, et que le grand avantage que présente l’obligation de clore les actes de procédure est qu’elle donne la possibilité de régler les controverses se rapportant à la première de ces cinq conditions avant la requête en certification, ou à tout le moins de la circonscrire ou d’en réduire la portée. L’obligation pour le défendeur de déposer sa défense l’incite à exposer les moyens qu’il entend invoquer pour contester la déclaration du demandeur, ce qui peut permettre de savoir si la condition visée à l’alinéa 5(1)a) est un point litigieux et si une demande de précisions ou un vice de forme fait l’objet d’une opposition. Cette obligation serait particulièrement utile lorsque la compétence ratione materiae permettant au tribunal de statuer sur la demande est contestée. Si ce motif de contestation est jugé fondé, le recours collectif est rejeté ou suspendu, ce qui permet d’éviter les coûts élevés qu’entraîne l’instruction complète de la requête en certification (au para 89). En outre, il serait préférable d’examiner si un acte de procédure est valable au stade d’une motion interlocutoire plutôt qu’à l’étape de la certification, étant donné que les tribunaux autorisent fréquemment la modification de la déclaration lors de l’analyse fondée sur l’alinéa 5(1)a), ce qui, à tout le moins, exacerbe les complexités inhérentes à une décision sur la motion en certification en raison de l’interdépendance des conditions (au para 90).

[26] Le juge Perell a également observé que, dans bien des cas, le caractère valable de la demande – tant sur la forme que sur le fond – n’est pas en cause et que, par conséquent, l’obligation de déposer les actes de procédure ne nécessite aucune étape interlocutoire et le fait d’avoir tous les actes de procédures au dossier facilite l’analyse des quatre autres conditions requises pour la certification (au para 91). Par exemple, le dépôt de la défense avant l’étape de la certification permet au tribunal de disposer de renseignements utiles pour décider si le recours collectif constitue le meilleur moyen de régler l’affaire et pour analyser le plan du demandeur quant au déroulement de l’instance (au para 92). De plus, il se peut que la défense révèle des questions favorables à la certification (au para 92).

[27] Dans la décision Smith, le juge Perell a exposé son point de vue de manière plus détaillée : il a expliqué notamment que les défendeurs dans cette affaire ne craignaient pas de devoir consacrer inutilement du temps et du travail au dépôt de leur défense, leur tactique consistant plutôt à éviter d’exposer leurs moyens de défense, et que le fait de refuser de céder à leur tactique n’avait rien d’inéquitable (aux para 46 à 56).

[28] Le point de vue du juge Perell a été repris dans la décision Shaver, prononcée récemment par la Cour suprême de la Colombie-Britannique (au para 81). De plus, dans l’arrêt Gay, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a dit que même lorsque les parties en arrivent à un consentement, les juges appelés à statuer sur la motion en certification devraient, de façon générale, exiger que les parties déposent et échangent tous les actes de procédure avant de les entendre, et elle a fait sienne la décision Pennyfeather sur ce point (au para 25). Cependant, la Cour supérieure de justice de l’Ontario ne semble pas s’être automatiquement ralliée à l’opinion du juge Perell (voir Crosslink, au para 76), et d’autres tribunaux canadiens semblent aussi s’en tenir à la pratique d’autoriser le dépôt de la défense après l’étape de l’autorisation ou de la certification (voir Warner, au para 105; Field, au para 45).

[29] Je ne suis pas liée par les décisions Pennyfeather et Smith, mais il n’en demeure pas moins que des considérations légitimes y sont soulevées.

[30] Voici ce que je retiens de l’ensemble de la jurisprudence :

  • i) la question de savoir si un défendeur doit présenter une défense avant l’audience relative à l’autorisation est une question qui intéresse purement l’exercice du pouvoir discrétionnaire judiciaire (voir Class Actions in Canada, 4.1390, p 4-85-4-87; Always Travel, aux para 4 et 7; Murray, au para 20; Shaver, au para 80; MacLean v Telus, au para 10), sauf en Nouvelle-Écosse où la procédure est obligatoire;

  • ii) la question de savoir si ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé dépend des faits de l’affaire et doit être examinée de manière souple et libérale, en cherchant à concilier efficacité et équité (Western Canadian Shopping Centres Inc. c Dutton, 2001 CSC 46, au para 51; Hoffman, aux para 23, 24 et 27; Murray, aux para 24-29; Alberta Municipal Retired Police Officers’ Mutual Benefit Society v Alberta, 2009 ABQB 44, aux para 4-8; voir également MacLean, au para 12, et Pro-Sys BCSC, au para 34);

  • iii) bien que la prorogation du délai applicable au dépôt semble être une pratique ou un usage courant, elle n’est pas accordée de façon automatique et ne va pas de soi (Always Travel, aux para 7 et 9; Gay, au para 25), et le fardeau de la preuve incombe à la partie requérante (Always Travel, au para 8; voir également Murray, au para 28);

  • iv) sur ce point, la requête doit être fondée sur des motifs valables qui doivent généralement être étayés par des éléments de preuve, même si la Cour peut recourir au contenu de la déclaration lorsque les circonstances l’y autorisent (Always Travel, aux para 8-9; Murray, aux para 28-29);

  • v) voici quelques facteurs à prendre en compte dans l’examen d’une requête de ce genre :

  1. la question de savoir si la défense servira à la Cour à ce stade de la procédure. En d’autres termes, la défense est-elle essentielle pour trancher les questions qui doivent être examinées dans le cadre de la requête en autorisation ou est-elle susceptible d’être utile à la Cour (Always Travel, au para 6, Mangan v Inco Ltd, [1996] OJ no 2655 (CJO div gén), au para 13 (Mangan); Horseman, à la p 2; Murray, au para 29);

  2. la question de savoir si la réparation demandée permettra d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible (Always Travel, au para 9; Horseman, à la p 2; Mangan, aux para 9-12);

  3. la pertinence des facteurs contextuels que sont la nature des actes de procédure et les droits revendiqués (Murray, au para 25);

  4. la complexité de l’affaire (Mangan, au para 13; Murray, au para 27; Horseman, à la p 2; Always Travel, au para 9);

  5. le temps et le travail nécessaires à la préparation de la défense (Mangan, au para 13; Murray, au para 29);

  6. la possibilité que la défense doive être entièrement reformulée en fonction de l’issue de l’audience relative à l’autorisation (Mangan, au para 13; Murray, aux para 27-28);

  7. l’existence d’un préjudice évident à l’égard du demandeur (Horseman, à la p 3).

[31] Autrement dit, le simple fait que la jurisprudence démontre l’existence d’un usage courant qui est devenu la pratique devant la Cour fédérale et d’autres tribunaux n’est pas suffisant à lui seul pour décider si le dépôt de la défense doit être exigé après la tenue de l’audience relative à l’autorisation. Le juge responsable de la gestion de l’instance doit examiner la requête de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. Pour ce faire, la mesure dans laquelle la défense aidera la Cour dans sa décision, la complexité des questions de droit, l’ampleur des reformulations à apporter éventuellement à la défense, ainsi que le temps et les frais nécessaires à la préparation de la défense constituent autant de facteurs importants à considérer à ce stade. Il appartient à la défenderesse de convaincre la Cour que la prorogation du délai devrait être autorisée : l’absence d’éléments de preuve, même si elle n’est pas nécessairement déterminante, ne favorise certainement pas la défenderesse.

[32] S’agissant du premier facteur, la défenderesse fait remarquer que la jurisprudence applicable en l’espèce indique clairement que le critère qui permet d’autoriser l’instance comme recours collectif n’intéresse pas le fond, mais bien la forme de l’action (Tihomirovs, au para 34; Pro-Sys Consultants, au para 99). Selon le critère applicable à l’étape de l’autorisation énoncé à l’article 334.16 des Règles, le juge autorise une instance comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :

  1. les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

  2. il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

  3. les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux-ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

  4. le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

  5. il existe un représentant demandeur qui :

  • i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe,

  • ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement,

  • iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs,

  • iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

[33] Dans l’arrêt M. Untel, la Cour d’appel fédérale indique que, s’agissant de la première condition, les faits énoncés dans la déclaration sont tenus pour avérés et les demandeurs doivent établir que leur demande a une possibilité raisonnable d’être accueillie si la tenue d’un procès est autorisée. De plus, il incombe aux demandeurs de produire des éléments tendant à établir, selon un certain fondement factuel, que les quatre autres conditions sont remplies (aux para 23-24).

[34] En l’espèce, ni l’une ni l’autre des parties n’affirme que la cause d’action pourrait faire l’objet d’un différend – par exemple sur la compétence ratione materiae –, un tel différend n’étant guère probable. Je ne suis pas non plus convaincue que la défense soit nécessaire à l’analyse des autres conditions requises pour l’autorisation. Par conséquent, j’incline à souscrire à l’opinion selon laquelle la défense n’est pas vraiment utile pour permettre à la Cour de statuer sur la question de l’autorisation comme telle. La première condition du critère se rattache au contenu de la déclaration et les autres conditions, aux éléments de preuve, lesquels ne font pas partie de la défense.

[35] Cependant, en l’espèce, comme dans l’affaire Always Travel, la défenderesse n’a présenté aucun témoignage par affidavit ni aucun élément de preuve pour étayer sa prétention selon laquelle sa requête devrait être accueillie. Dans ses observations écrites, elle expose essentiellement le fondement juridique sur lequel les tribunaux canadiens se sont habituellement appuyés pour autoriser le dépôt tardif de la défense après que soit tranchée la requête en autorisation.

[36] Cela dit, dans la décision Always Travel, le juge Hugessen a examiné la déclaration pour décider s’il y avait lieu de faire droit à la requête même si celle-ci n’était étayée par aucun élément de preuve. Sur ce point, le juge Hugessen a conclu que s’il devait exiger que la défense soit déposée dans le délai habituel ou dans un délai supplémentaire raisonnable, les étapes logiques qui suivraient seraient la production des documents et la tenue des interrogatoires préalables. Par conséquent, lorsque l’action n’est pas encore autorisée comme recours collectif et qu’il est impossible de savoir si l’instance se poursuivra comme action ou comme recours collectif, il serait « extrêmement exigeant » pour les demandeurs et les défendeurs d’entreprendre un tel travail – soit la production des documents et la tenue des interrogatoires préalables – sans savoir si ce travail profiterait à quiconque dans l’éventualité où l’action ne serait pas autorisée comme recours collectif ou si une partie seulement était autorisée (au para 12).

[37] Dans la décision Horseman, même si on ne sait pas vraiment si dans cette affaire des éléments de preuve avaient été produits au soutien de la requête, le juge Zinn a dit que la simple lecture des documents produits lui a permis de souscrire aux observations de la défenderesse portant que le recours collectif envisagé soulevait des questions de droit complexes et importantes découlant de onze traités distincts négociés sur une longue période et des actes ou omissions de la défenderesse survenus sur une période encore plus longue. Une défense adéquate dans un tel cas aurait exigé un investissement important de ressources, de temps et d’argent qui aurait été peu utile à la Cour pour trancher la requête en autorisation et la défenderesse aurait pu être tenue de reprendre ce travail, en partie, selon l’issue de la requête. En outre, le fait d’accorder l’ordonnance sollicitée ne causait aucun préjudice évident aux demandeurs.

[38] À mon avis, dans la présente requête, ni l’une ni l’autre des parties n’a présenté d’argument particulièrement convaincant pour justifier si, selon les faits et les circonstances propres à l’espèce, le délai pour le dépôt de la défense devait être prorogé jusqu’à ce qu’il soit statué sur la requête en autorisation. Cette omission s’explique peut-être par le fait que la procédure n’en est qu’à une étape initiale et qu’aucune démarche n’a encore été faite, mis à part le dépôt de la déclaration ainsi que la préparation d’une demande de précisions et la réponse à cette demande.

[39] En outre, à l’heure actuelle, seulement deux membres potentiels forment le groupe, même si les demandeurs affirment que 70 autres réserves de Premières Nations peuvent être visées par le recours collectif envisagé. Lors de la conférence de gestion de l’instance, la défenderesse a affirmé que la Cour était saisie d’autres demandes actives qui sont rendues à des étapes beaucoup plus avancées que celle de la présente action et dans lesquelles sont aussi allégués des problèmes de drainage et des problèmes liés au contrôle et à la gestion des baux sur les réserves en lien avec le développement pétrolier et gazier. De plus, la défenderesse a dit que d’autres actions de ce type sont actuellement suspendues ou font l’objet d’une gestion de l’instance. Par conséquent, les Premières Nations dans ces autres affaires ont intenté des actions en leur propre nom. Pourtant, en l’espèce, les demandeurs prétendent qu’ils ont intenté la poursuite en leur propre nom, au nom de chacun d’eux et au nom d’autres Premières Nations. Selon la défenderesse, le recours collectif n’est pas nécessaire et ne mènera à rien étant donné que de nombreuses questions ne visent que la réserve d’une seule Première Nation. Je tiens également à faire remarquer que les demandeurs affirment qu’ils ne disposent d’aucun renseignement concernant l’identité d’autres membres potentiels du groupe, et que c’est plutôt la défenderesse qui détient cette information.

[40] La composition du groupe est examinée à l’étape de l’autorisation du recours collectif envisagé, et je ne suis pas appelée à trancher cette question à ce stade-ci. Cependant, ce point révèle que la préparation et le dépôt de la défense dès à présent et dans les présentes circonstances risquent d’être peu utiles à la Cour et n’apportera certainement pas à une solution au litige qui soit la plus expéditive et économique possible. En d’autres termes, ces questions seront inévitablement examinées lors de l’audience relative à l’autorisation et il est difficile de savoir quelle est l’utilité de la défense, le cas échéant, à la présente étape. Comme l’indique la déclaration, l’affaire est complexe, car elle met en jeu les droits, notamment ceux issus de traités, dont jouit chacun des membres du groupe proposé, droits qui peuvent se chevaucher ou non, et la réponse de la défenderesse à ces droits. Par ailleurs, la déclaration soulève des questions de droit potentiellement complexes qui comportent des considérations d’ordre historique et scientifique, étant donné que les demandeurs affirment qu’il y aurait 70 terres de réserve désignées dans lesquelles la production de pétrole et de gaz relève du contrôle de PGIC en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba.

[41] La lecture de la déclaration permet aussi de constater que le recours collectif envisagé met en jeu les obligations légales potentielles de plusieurs entités, dont le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (devenu Affaires autochtones et du Nord Canada, ci-après le ministère), la Couronne et PGIC; il met aussi en jeu des obligations découlant de diverses dispositions législatives. La demande renvoie à au moins 12 obligations fiduciaires; elle fait état de 17 raisons pour lesquelles la Couronne, le ministère et PGIC avaient, et auraient raisonnablement dû savoir qu’ils avaient, une obligation fiduciaire envers chaque membre du groupe; elle énonce 5 raisons justifiant l’existence d’une obligation de diligence envers les membres du groupe, et 26 occasions où la Couronne, le ministère et PGIC n’ont pas satisfait à la norme de diligence applicable. Comme les demandeurs l’ont souligné dans leur réponse à la demande de précisions, des témoignages d’experts seront présentés dans le contexte de l’évaluation des dommages-intérêts, ce qui laisse entrevoir une décision d’une grande complexité, vu la nature des pertes économiques et leur cause.

[42] Enfin, je conclus que, à la présente étape du processus, j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire de proroger le délai pour le dépôt de la défense. Cependant, la question de la prorogation de ce délai pourra, sur autorisation, être réexaminée si, en cours d’instance, le dépôt de la défense est jugé utile.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

  1. Le délai pour la signification et le dépôt de la défense, par la défenderesse, dans le cadre du présent recours collectif envisagé est, sauf ordonnance contraire de la Cour, prorogé de 30 jours après qu’il sera statué sur la requête en autorisation, si la Cour y fait droit.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-237-16

 

INTITULÉ :

LA NATION CRIE POUNDMAKER REPRÉSENTÉE PAR LE CONSEIL DE LA NATION CRIE POUNDMAKER ET SON CHEF DUANE ANTOINE

ET LA NATION CRIE D’ONION LAKE REPRÉSENTÉE PAR LE CONSEIL DE LA NATION CRIE D’ONION LAKE ET SON CHEF WALLACE FOX c SA MAJESTÉ LA REINE

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

Le 5 mai 2017

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Harvey Strosberg

Heather Rumble Peterson

Patricia A. Speight

 

Pour les DEMANDEURS

 

Catherine Coughlan

Travis Henderson

Kathleen Kohlman

 

Pour la DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Strosberg Sasso Sutts LLP

Avocats

Windsor (Ontario)

 

Pour les DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour la DÉFENDERESSE

 

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