Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20171122


Dossier : T-1110-15

Référence : 2017 CF 1057

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 22 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

TOKMAKJIAN INC.

demanderesse

et

EMPLOYÉS FIGURANT À L’ANNEXE « A »

ED ACHORN

défendeurs


Table des matières

I. Résumé des faits  4

II. Décision faisant l’objet du contrôle  8

A. Contexte factuel  8

B. L’analyse de l’arbitre  10

III. Norme de contrôle  13

IV. Discussion  14

A. La présomption de la compétence provinciale pour les relations de travail  14

B. Réfuter la présomption de compétence provinciale : compétence fédérale « directe » et « dérivée »  20

C. Déterminer le nombre d’entreprises  24

D. La relation entre le critère de l’« entreprise unique » et la compétence fédérale « dérivée »  34

1) Le critère de l’« entreprise unique »  40

2) Le critère de la « compétence dérivée »  42

E. Application du droit aux faits de la présente affaire  45

1) L’arbitre a-t-elle appliqué à juste titre les critères?  45

2) Les employés de la division Transit sont-ils assujettis à la réglementation fédérale ou provinciale?  48

V. Dépens  56


JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire (la demande) d’une décision d’une arbitre (l’arbitre) nommée aux termes de l’article 251.12 du Code canadien du travail, LRC (1985), c L-2 (le Code) ayant conclu que les défendeurs étaient assujettis à la réglementation fédérale concernant les relations de travail.

[2]  La demanderesse, Tokmakjian Inc. (Tokmakjian), est établie à Vaughn, en Ontario et offre des services interprovinciaux de transport par autocars et autobus nolisés. Jusqu’en 2010, Tokmakjian offrait également des services municipaux de transport dans la région de York, en Ontario. Ces deux divisions étaient exploitées sous le nom de « Can-Ar Coach » (Coach) et « Can-Ar Transit Services » (Transit), respectivement.

[3]  Les défendeurs sont d’anciens employés de la division Transit (les employés de la division Transit). Lorsque le contrat entre Tokmakjian et la région de York a pris fin en juillet 2010, il en a été de même pour l’emploi des employés de la division Transit. À la suite de leur licenciement, les employés de la division Transit ont déposé une plainte aux termes du Code pour obtenir une indemnité de départ. Un inspecteur a ordonné le paiement, et Tokmakjian a interjeté appel, alléguant que les employés de la division Transit n’étaient pas admissibles à une indemnité de départ aux termes du Code puisqu’ils étaient assujettis aux lois du travail provinciales et non fédérales. L’audience de l’appel a eu lieu pendant quatre jours entre novembre 2013 et février 2014. Le 1er juin 2015, l’arbitre a rendu sa décision, concluant que les employés de la division Transit relevaient de la compétence fédérale pour ce qui est du droit du travail (la décision).

[4]  J’ai examiné l’affaire dans ce domaine du droit complexe, et j’ai conclu que l’arbitre avait commis une erreur : je suis d’avis que les employés de la division Transit relèvent en effet de la compétence provinciale.

I.  Résumé des faits

[5]  Tokmakjian a commencé à exercer ses activités sous le nom de « SN Diesel Service » aux environs de 1971, offrant des services d’entretien et de réparation de moteurs diesel (Diesel). Environ dix ans plus tard, Tokmakjian a acheté un service d’autobus nolisés, que la société a exploité sous le nom de Coach, qui ne comptait que trois autobus initialement. Aux environs de 1985, la ville de Vaughan a demandé à Tokmakjian d’assurer la prestation de son service municipal d’autobus. Entre-temps, Coach s’est agrandi pour atteindre le nombre de 40 autobus.

[6]  Les chauffeurs à temps plein de la division Transit de Tokmakjian étaient initialement représentés par la Can-Ar Transit Operators’ Association, qui a fusionné en 1995 avec la section locale 1587 (la section locale 1587) du syndicat Amalgamated Transit Union, et qui a ensuite présenté une demande de déclaration du fait qu’elle avait acquis les droits, privilèges et responsabilités de son prédécesseur. La question de la compétence a été soulevée lors de la demande présentée devant le Conseil canadien des relations du travail (le CCRT). À ce moment-là, Tokmakjian avait un seul emplacement (à Vaughan), un seul gestionnaire des opérations qui supervisait à la fois les employés de la division Coach et ceux de la division Transit, une équipe centrale de gestion et un seul bureau de répartition. En plus de ses 40 autobus nolisés, Tokmakjian comptait également 12 autobus pour la division Transit.

[7]  La décision du CCRT (le 7 novembre 1995), Toronto 580-280, 1482 (CCRT) au paragraphe 4 [la décision du CCRT de 1995]) contenait une analyse constitutionnelle consistant en un seul paragraphe, indiquant que le CCRT avait pris en considération [traduction] « des éléments tels que l’existence d’une installation unique de rapport, de manuels d’employés communs, et la centralisation de la répartition des employés, des services de la flotte, et de la prise de décision concernant les relations de travail ». Au vu de ces considérations, le CCRT a conclu que la division Transit [traduction] « ne pouvait être séparée » des activités de transport provinciales de Tokmakjian. Le CCRT a ensuite conclu que Tokmakjian était une entreprise fédérale aux fins du Code, s’appuyant sur la décision Charterways Transportation Ltd, 1993 CanLII 7922 (CRTO) [Charterways]. Par conséquent, le CCRT a conclu que les relations de travail de la division Transit relevaient de la compétence fédérale.

[8]  En 2002, Tokmakjian a déplacé les activités de sa division Coach à Mississauga (les divisions Transit et Diesel sont restées à Vaughan); elle a embauché un autre gestionnaire des opérations pour la division Coach et a divisé son bureau de répartition. Tokmakjian a également introduit différents systèmes de logiciels et de rémunération pour les divisions Coach et Transit.

[9]  En 2003, le Bureau de l’équité d’emploi de Développement des ressources humaines Canada (DRHC) a ordonné à Tokmakjian de se conformer aux exigences fédérales liées à l’équité en matière d’emploi. En raison du déménagement de la division Coach à Mississauga, Tokmakjian a demandé que l’on tranche la question de savoir si toutes ses activités demeuraient sous la compétence fédérale (à ce moment-là, Tokmakjian avait deux divisions principales, Diesel et Coach, la dernière ayant été divisée en deux nouvelles divisions : « Can-Ar Highway Coach » et « Vaughan Transit »).

[10]  Dans la décision de DRHC qui en a résulté, l’inspecteur a déterminé – en se fondant sur l’information fournie par Tokmakjian – que les divisions Diesel et « Vaughan Transit » relevaient toutes deux de la compétence provinciale, alors que « Can-Ar Highway Coach » relevait de la compétence fédérale en raison de ses services de transport extraprovinciaux (la décision de DRHC de 2003). Il est important de souligner que l’inspecteur qui a rédigé la décision de DRHC de 2003 est le même inspecteur qui a préparé le rapport sur lequel s’est appuyé le CCRT pour rendre la décision du CCRT de 1995.

[11]  À la suite du 11 septembre 2001, les déplacements interprovinciaux et internationaux assurés par la division Coach ont fortement diminué : la division a finalement subi une réduction d’effectifs plus tard, en 2003, et a été réinstallée à Vaughan. Quelques années plus tard, en 2006, Tokmakjian s’est vu offrir un contrat important pour assurer un service de transport municipal pour York Region Transit, ce que l’entreprise a fait au cours des quatre années suivantes.

[12]  Au début de 2010, après que Tokmakjian a appris qu’elle allait perdre son contrat avec la région de York, la section locale 1587 a obtenu une révocation d’accréditation syndicale à la suite d’une demande présentée au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) (antérieurement le CCRT). La question de la compétence n’a pas été prise en considération.

[13]  Peu de temps après, la section locale 113 d’Amalgamated Transit Union (section locale 113) a fait une demande à la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) pour obtenir l’accréditation afin de représenter les employés de la division Transit. Tokmakjian s’est opposée à l’accréditation invoquant le fait que toutes ses activités étaient réglementées sur le plan fédéral. L’affaire n’a pas été réglée avant la fin du mois de juillet 2010, lorsque le contrat de Tokmakjian avec la région de York Region a pris fin et que le contrat a été attribué à une autre société, Veolia Transportation Services (Canada) Inc. (Veolia). La section locale 113 a alors obtenu l’accréditation provinciale afin de représenter les employés des services de transport en commun de Veolia, qui comprenaient en grande partie des personnes travaillant auparavant à la division Transit de Tokmakjian.

[14]  À la suite de la cessation de leur emploi, les employés de la division Transit ont déposé une plainte afin d’obtenir une indemnité de départ conformément à l’article 235 du Code. À la suite de l’émission d’un ordre de paiement, Tokmakjian a interjeté appel pour recouvrement du salaire aux termes de la partie III du Code, alléguant que les activités de sa division Transit relevaient de la compétence provinciale. La décision qui a réglé cet appel fait maintenant l’objet de la présente demande.

[15]  Les employés de la division Transit touchés par l’appel appartiennent à trois groupes : i) 145 chauffeurs couverts par une convention collective, ii) 19 chauffeurs de la mobilité couverts par une autre convention collective et représentés par un autre syndicat, et iii) sept employés de la direction. Tous ces employés ont été embauchés par Veolia après leur cessation d’emploi avec Tokmakjian; aucun employé n’a perdu du temps de travail en raison du changement de contrat.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

A.  Contexte factuel

[16]  L’arbitre a conclu que, au 31 juillet 2010, les employés des divisions Coach et Transit travaillaient depuis le même emplacement à Vaughan. Cela signifiait qu’ils partageaient les mêmes installations de travail (y compris la salle de repos, les toilettes et l’aire de stationnement), et qu’ils utilisaient le même prestataire de service de paie externe.

[17]  L’arbitre a aussi conclu que les deux divisions avaient des gestionnaires, des répartiteurs, des systèmes de répartition et des comptes de paie différents. Tokmakjian a témoigné que les conditions d’emploi des employés des divisions Coach et Transit étaient aussi différentes, comme l’était également la gestion des deux divisions. L’arbitre a conclu que les 45 travailleurs de la division Coach – qui incluaient des chauffeurs employés non syndiqués et des entrepreneurs indépendants – et les 245 employés syndiqués de la division Transit avaient des gestionnaires différents. Le contrat de Tokmakjian avec la région de York avait aussi comme condition que l’entreprise respecterait la législation de l’Ontario sur la santé, la sécurité et les droits de la personne dans sa gestion des employés de la division Transit.

[18]  L’arbitre a conclu que les chauffeurs devaient avoir, aussi bien pour la division Coach que pour la division Transit, la même catégorie de permis. Tokmakjian a témoigné que les services de chauffeur de la division Coach étaient réglementés par la loi provinciale tandis que les services de chauffeur de la division Transit étaient réglementés par la convention collective des employés de la division Transit.

[19]  Les divisions Coach et Transit utilisaient des autobus différents. Des taux de paie différents étaient appliqués pour les chauffeurs des divisions Transit et Coach. Selon les éléments de preuve avancés par Tokmakjian, les services de chauffeur de la division Transit étaient considérés comme plus complexes et qu’ils nécessitaient, par conséquent, une formation plus détaillée que pour les services de la division Coach, étant fortement guidés par le contrat de Tokmakjian avec la région de York. Même si les mêmes personnes offraient la formation aux employés des divisions Coach et Transit, la formation était elle-même différente (par exemple, les manuels de formation étaient différents), bien qu’il ait également été démontré devant l’arbitre que les chauffeurs des divisions Coach et Transit avaient reçu la même formation en matière de service à la clientèle.

[20]  Bien que le dossier factuel présenté devant l’arbitre ne soit globalement pas remis en cause (les parties n’étaient simplement pas d’accord sur ses répercussions constitutionnelles), l’un des faits contestés concernait le pourcentage de la paie des employés de la division Transit généré par les services de chauffeur de la division Coach. La preuve indique qu’environ 0,85 % à 1,5 % des chauffeurs de la division Transit conduisaient pour la division Coach. Selon les éléments de preuve présentés à l’arbitre, au moins quatre chauffeurs de la division Coach conduisaient pour la division Transit entre 2009 et le 31 juillet 2010. Les employés de la division Transit ont témoigné que les répartiteurs de la division Coach venaient parfois trouver les chauffeurs de la division Transit pour leur demander qu’ils acceptent des quarts de la division Coach, et que d’autres chauffeurs assuraient parfois les itinéraires de la division Transit, au besoin. Par conséquent, l’arbitre a accepté que les répartiteurs ne travaillaient pas dans [traduction] « des compartiments étanches ».

[21]  L’arbitre a également entendu des témoignages au sujet des activités de Tokmakjian durant la conférence du G20, à Toronto, qui a eu lieu en juin 2010. Les employés de la division Transit ont témoigné que, à ce moment-là, il y a eu un besoin soudain et grandement accru de chauffeurs pour la division Coach et de nombreux chauffeurs de la division Transit ont offert leurs services pour la division Coach pour une grande partie, voire l’ensemble de cette période de paie.

B.  L’analyse de l’arbitre

[22]  L’introduction de la section « Décision » de l’arbitre était la suivante :

[traduction] Les parties ne s’entendent pas sur la question de la compétence constitutionnelle depuis de nombreuses années. Il est regrettable que la question ait été tranchée de façon ponctuelle, plutôt que laissée à l’appréciation du CCRI ou de la CRTO, l’un ou l’autre comptant plus d’expertise dans ce domaine du droit complexe. Toutefois, je dois faire de mon mieux pour déterminer la compétence constitutionnelle appropriée de la division Transit, puisque, si cette dernière ne relève pas de la compétence fédérale, je n’ai pas l’autorité nécessaire pour traiter de la question de l’indemnité de départ, conformément à l’article 167 du Code canadien du Travail.

[23]  L’arbitre a reconnu que les questions liées à l’emploi relevaient a priori de la compétence provinciale. Toutefois, elle s’est appuyée aussi fortement sur la décision du CCRT de 1995, écrivant que [traduction] « la stabilité est une valeur importante » et [traduction] « une fois qu’il a été déterminé qu’un employeur relève de la compétence fédérale, [...] son statut devrait rester constant, à moins qu’il soit démontré qu’il y a eu un changement important au sein de l’entreprise depuis la dernière décision relative à la compétence ». L’arbitre n’a toutefois pas pris en considération la décision de DRHC de 2003, concluant que cette décision avait été rendue dans un but précis dans un contexte non contradictoire, à une période durant laquelle les divisions Coach et Transit étaient exploitées depuis des emplacements distincts.

[24]  Partant de ce constat, l’arbitre a cité l’arrêt Tessier Ltée c Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), 2012 CSC 23 [Tessier] pour appuyer l’idée qu’elle devait d’abord déterminer si les divisions Coach et Transit étaient une [traduction] « entreprise unique » ou [traduction] « deux entreprises distinctes ». Elle a ensuite examiné la preuve dont elle disposait pour déterminer les points communs et les différences entre les activités et la [traduction] « nature du travail » des deux divisions, et a conclu ce qui suit :

[traduction] En m’appuyant sur mon analyse des faits de manière générale, il semble qu’un grand nombre de ces faits pourraient justifier l’une ou l’autre issue. Toutefois, je suis d’avis qu’il y a une légère prépondérance de facteurs indiquant qu’il s’agit d’une seule entreprise plutôt que de deux entreprises distinctes.

[25]  En ce qui concerne la jurisprudence dont elle disposait, l’arbitre a distingué un grand nombre de cas qui lui avaient été présentés par Tokmakjian, parce que la question était de savoir si une compétence [traduction] « dérivée » pouvait être établie et non si les activités constituaient [traduction] « une seule entreprise ». Elle a examiné la décision Trentway-Wagar Inc, 2007 CanLII 57371 (CRTO) [Trentway-Wagar] comme étant [traduction] « la plus similaire compte tenu des faits et de la question juridique posée », et a déterminé que [traduction] « le niveau de centralisation par rapport à l’autonomie » était [traduction] « environ le même » dans la décision Trentway-Wagar que dans le dossier dont elle était saisie. L’arbitre n’a pas tenu compte de l’opinion dissidente rendue dans la décision Trentway-Wagar, concluant qu’il ne s’agissait pas d’un cas de compétence dérivée.

[26]  L’arbitre a finalement conclu que les divisions Transit et Coach étaient une [traduction] « entreprise unique » offrant des services de transport interprovinciaux, et que les employés de la division Transit étaient ainsi assujettis à la compétence fédérale aux fins des relations de travail.

[27]  L’arbitre a également fait remarquer que, si elle avait tort et que les divisions Transit et Coach étaient bien deux entreprises distinctes, elle n’aurait pas conclu que les employés de la division Transit relevaient de la compétence fédérale aux termes d’une analyse fondée sur la compétence « dérivée ». Ses commentaires sur ce point, qui correspondent à des obiter dicta (c’est-à-dire, des remarques incidentes ou extérieures), étaient les suivants :

[traduction] Il est certainement facile d’imaginer comment les deux secteurs d’activités pourraient être assez simplement séparés. Le niveau d’échanges et de croisements entre les deux secteurs d’activités n’est pas élevé, dans le cours normal des événements. Si les faits tels qu’ils existaient étaient suffisants pour établir qu’il s’agit de deux entreprises, alors je devrais aussi conclure qu’il y avait une dépendance ou une intégration insuffisante pour conclure que Transit était assujettie à une compétence fédérale dérivée.

III.  Norme de contrôle

[28]  La question de savoir si les employés de la division Transit étaient assujettis à la réglementation fédérale ou provinciale est une question constitutionnelle. La Cour d’appel fédérale (CAF) a récemment confirmé dans l’arrêt Sawyer c Transcanada Pipeline Limited, 2017 CAF 159 [Sawyer] que les questions constitutionnelles sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte :

[7]  [...] La constitutionnalité est l’une des rares questions qui demeurent assujetties à la norme de la décision correcte. C’est le cas depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 58, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir] et ça l’est toujours aujourd’hui (voir Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 RCS 293 [Edmonton East]).

[8]  La raison d’être de ce principe est que l’analyse juridique de la constitution ne fait pas partie de l’expertise de l’Office : Dunsmuir, par. 58 à 61; Westcoast Energy Inc. c. Canada (Office national de l’énergie), [1998] 1 R.C.S. 322, par. 40 [Westcoast Energy]). Ce point est mis en évidence par le fait que, selon la prémisse qui sous‑tend la déférence, c’est‑à‑dire l’existence d’un éventail d’issues possibles, des personnes raisonnables peuvent avoir des opinions différentes, mais également acceptables, sur la même question : (voir Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471). La gouvernance de la fédération canadienne ne serait pas bien servie par l’application de la déférence (et sa tolérance à l’égard des issues divergentes mais également justifiables) à la question de la compétence législative.

[29]  La CAF a aussi appliqué la norme de la décision correcte pour les questions constitutionnelles en cause dans l’arrêt Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski c Alliance de la fonction publique du Canada, 2015 CAF 211 [Nishnawbe] (au paragraphe 6) et l’arrêt Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada, section 114) c Pacific Coach Lines Ltd., 2012 CAF 329 [arrêt PCL (CAF)] (au paragraphe 18). La Cour suprême du Canada (CSC) a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel dans les deux arrêts (2016 CarswellNat 962 (WL Can); 2013 CarswellNat 1865 (WL Can)).

[30]  En conséquence, aucune déférence n’est requise de la part de notre Cour à l’égard de la décision constitutionnelle rendue par l’arbitre.

IV.   Discussion

A.  La présomption de la compétence provinciale pour les relations de travail

[31]  Le pouvoir législatif au Canada est partagé entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux (voir Peter W Hogg, Constitutional Law of Canada, 5e éd. (Canada : Thomson Reuters, 2007) (supplément sous forme de feuillets mobiles, 2016) ch. 5.1 [Hogg]). La répartition des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux est établie dans la Loi constitutionnelle de 1867. D’une manière générale, les législatures provinciales sont dotées de vastes pouvoirs sur les affaires locales, tandis que le gouvernement fédéral détient des pouvoirs qui sont mieux exercés sur le plan national (Consolidated Fastfrate Inc. c Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53, aux paragraphes 29 et 30 [Fastfrate]).

[32]  Les employés de la division Transit n’ont droit à une indemnité de départ qu’aux termes du Code si le gouvernement fédéral avait la compétence constitutionnelle de réglementer les relations de travail de la division Transit. Il me revient donc de déterminer l’ordre de gouvernement qui avait compétence à l’égard des employés de la division Transit.

[33]  Pour commencer, la Loi constitutionnelle de 1867 ne nous dit pas si les « relations de travail » sont une question fédérale ou provinciale; elle nous dit, cependant, que les provinces ont la compétence, aux termes du paragraphe 92(13), de réglementer les questions locales liées à la « propriété » et aux « droits civils ». Les tribunaux ont interprété ces pouvoirs de façon à inclure les questions liées au travail et à l’emploi (Tessier, au paragraphe 11).

[34]  Bien que les provinces aient une compétence sur les questions liées au travail en raison du paragraphe 92(13), le gouvernement fédéral a toutefois une compétence exceptionnelle sur les questions liées au travail d’entreprises ou d’ouvrages « fédéraux » – c’est-à-dire, les activités qui relèvent de la compétence fédérale (arrêt NIL/TU,O Child and Family Services Society c B.C. Government and Service Employees’ Union, 2010 CSC 45, au paragraphe 12 [NIL/TU,O]). En d’autres mots, lorsque le gouvernement fédéral a une autorité constitutionnelle sur une entreprise, il a également le pouvoir de réglementer les relations de travail de cette entreprise (Tessier, au paragraphe 15, citant Reference re Industrial Relations and Disputes Investigation Act, [1955] RCS 529 (CSC) [l’Affaire des débardeurs]). Ceci est dû au fait qu’un niveau approprié de contrôle sur les relations de travail est nécessaire pour gérer efficacement une entreprise.

[35]  Le partage des compétences aux termes de la Loi constitutionnelle de 1867 a comme conséquence que les provinces ont une compétence « présumée » sur les relations de travail en application du paragraphe 92(13) et que le gouvernement fédéral a une compétence sur les relations de travail uniquement en cas de besoin (NIL/TU,O, au paragraphe 11). La compétence fédérale sur les questions liées au travail est l’exception, non la règle. Pour que la compétence fédérale s’applique aux relations de travail d’une entreprise, la présomption provinciale doit être réfutée (Nishnawbe, au paragraphe 29).

[36]  L’arbitre a invoqué la présomption de la compétence provinciale sur les questions liées au travail comme suit :

[traduction] Bien qu’il existe la présomption que l’emploi soit une question de réglementation provinciale, une fois qu’il a été déterminé qu’un employeur relève de la compétence fédérale, il me semble que son statut devrait rester constant à moins qu’il soit démontré qu’il y a eu un changement important au sein de l’entreprise depuis la dernière décision relative à la compétence. La stabilité est une valeur importante, et la compétence constitutionnelle d’une organisation ne devrait pas changer aussi facilement ou aussi fréquemment, à moins qu’il y ait une raison importante de le faire.

[37]  Dans la présente demande, Tokmakjian allègue que l’arbitre a commis une erreur en omettant de commencer par la présomption de compétence provinciale, plutôt que de commencer par une préférence pour la « stabilité ».

[38]  Je suis d’accord avec Tokmakjian sur le fait que l’arbitre a en effet commis une erreur en mentionnant la présomption de compétence provinciale, mais en omettant ensuite de l’appliquer. Cette erreur est similaire à celle commise dans l’arrêt Nishnawbe, dans laquelle le juge Stratas a critiqué le CCRI pour avoir renvoyé à la présomption de compétence provinciale dans sa décision, mais de ne pas s’y être engagé (aux paragraphes 29 à 33). Puisque la présomption de compétence provinciale découle de la Loi constitutionnelle de 1867, les décideurs doivent se rappeler que la compétence fédérale sur les questions liées aux relations de travail est exceptionnelle, et interpréter de façon restrictive les situations où la compétence provinciale est écartée (Fastfrate, au paragraphe 27; NIL/TU,O, au paragraphe 11). Le président de la CRTO, Bernard Fishbein, par exemple, a observé récemment dans une analyse constitutionnelle exhaustive que [traduction] « les tribunaux n’écarteront pas rapidement la présomption de la compétence provinciale sur les relations de travail » (Ramkey Communications Inc, 2017 CanLII 16933 (CRTO), au paragraphe 153 [Ramkey]).

[39]  La dissidence de la juge McLachlin (tel était alors son titre) est aussi intéressante dans l’arrêt Westcoast Energy Inc. c Canada (Office national de l’énergie), [1998] 1 RCS 322 (CSC) [Westcoast], qui a depuis lors obtenu un appui (Tessier, au paragraphe 45). La juge McLachlin a écrit que, lorsqu’un pouvoir fédéral est exceptionnel, « il s’ensuit qu’il ne devrait être exercé que dans la mesure requise pour réaliser l’objet qui le sous-tend, et pas plus » (Westcoast, au paragraphe 116).

[40]  Par conséquent, lorsqu’une compétence fédérale sur une question est l’exception, non la règle, les décideurs doivent se servir de cette idée comme point de départ – toute autre approche risque d’ébranler la séparation des pouvoirs Westcoast, au paragraphe 161, citant l’arrêt Travailleurs unis des transports c Central Western Railway Corp., [1990] 3 RCS 1112 (CSC), à la page 1146, 1990 CarswellNat 1029 (WL Can), au paragraphe 60 [Central Western]).

[41]  Les employés de la division Transit allèguent que l’arbitre a donné à la décision du CCRT de 1995 une importance appropriée et s’appuient sur l’arrêt Fastfrate pour appuyer l’idée que la constance et la prévisibilité relativement aux questions constitutionnelles sont « essentielles » (Fastfrate, au paragraphe 45).

[42]  Premièrement, je ne suis pas convaincu du fait que la présomption de compétence provinciale disparaît simplement parce qu’une décision a été prise par un tribunal du travail sur la question constitutionnelle – surtout lorsque cette décision antérieure est hâtive, et a précédé d’importants développements dans le domaine du droit constitutionnel. En l’espèce, la décision du CCRT de 1995 était antérieure aux arrêts Westcoast et Tessier, et à la jurisprudence en appel qui a interprété ces arrêts (dont l’arrêt Sawyer, l’arrêt Total Oilfield Rentals Limited Partnership c Canada (Attorney General), 2014 ABCA 250 [Total Oilfield], et l’arrêt Actton Transport Ltd v British Columbia (Employment Standards), 2010 BCCA 272 [Actton Transport], lesquels sont tous examinés plus en détail ci-dessous).

[43]  Deuxièmement, les observations de la CSC sur la « prévisibilité » constitutionnelle dans l’arrêt Fastfrate ne soutiennent pas l’idée avancée par les employés de la division Transit. Dans l’arrêt Fastfrate, la CSC a fait référence à la « prévisibilité » en soutenant une jurisprudence existante propre aux activités d’expédition de marchandises de Fastfrate. Cela s’avère judicieux, puisqu’une grande part de la jurisprudence dans ce domaine du droit est propre à un secteur d’activité. Mais l’arrêt Fastfrate n’a pas utilisé le terme « constance » pour écarter la présomption de la compétence provinciale qui découle de la séparation des pouvoirs établie dans la Loi constitutionnelle de 1867. Au contraire, la CSC, dans l’arrêt Fastfrate, a donné plein effet à la présomption de compétence provinciale en interprétant la Loi constitutionnelle de 1867 d’une manière qui perçoit la compétence fédérale sur les relations de travail « comme l’exception et non comme la règle » (Fastfrate, au paragraphe 44). L’invocation par les employés de la division Transit de l’arrêt Fastfrate pour le principe de la « constance » dans ce contexte est donc malavisée.

[44]  Les employés de la division Transit allèguent en outre que, malgré les observations faites par l’arbitre sur la « constance », elle a toutefois mené à juste titre sa propre analyse et n’a pas simplement suivi la décision du CCRT de 1995. Dans une observation orale, l’avocat des employés de la division Transit a suggéré en outre que l’arbitre avait examiné les faits tels qu’ils existaient en juillet 2010 et n’avait pas [TRADUCTION] « regardé en arrière ».

[45]  Là encore, je ne suis pas d’accord. L’arbitre a jugé que la conclusion constitutionnelle de la décision du CCRT de 1995 devait [traduction] « rester constante » en raison de l’absence d’un [traduction] « motif impérieux » et d’un [traduction] « changement important » aux activités de Tokmakjian. En effet, l’arbitre a conclu qu’un [traduction] « facteur important » dans son analyse constitutionnelle était le fait que [traduction] « les mêmes types d’activités ont été menés depuis la décision d’accréditation initiale » et que la [traduction] « nature fondamentale de l’entreprise » était toujours la même qu’elle était au moment de la décision du CCRT de 1995. Elle a ensuite conclu que [traduction] « une décision existante sur la compétence constitutionnelle » ne devrait pas être touchée par des changements dans les [traduction] « proportions » du travail de nature fédérale et provinciale d’une entreprise, s’il n’y a pas d’autres changements importants dans les activités de l’entreprise. Pour cette raison, je ne peux pas accepter l’argument avancé par les employés de la division Transit selon lequel l’arbitre n’a pas [traduction] « regardé en arrière ».

[46]  De plus, et bien que je sois convaincu du fait que l’arbitre a commis une erreur en s’éloignant de la présomption de compétence provinciale, j’aimerais faire remarquer que la justification de la « constance » de l’arbitre était elle-même incohérente : elle reposait fortement sur la décision du CCRT de 1995 et ne donnait aucun poids à la décision de DRHC de 2003. Les parties au présent litige ont changé de position au fil des années en ce qui a trait au côté de la ligne de partage constitutionnelle dont elles relevaient, en fonction de ce qui leur était plus bénéfique au moment en question. Pour cette raison, il incombait à l’arbitre d’examiner les activités de Tokmakjian en juillet 2010, et non de s’appuyer sélectivement sur une décision constitutionnelle précoce, superficielle et désuète.

[47]  En résumé, je conclus que l’arbitre s’est appuyée de façon erronée sur les motifs [traduction] « impérieux » pour partir de la décision du CCRT de 1995, et qu’elle n’a pas répondu à la question de savoir si les employés de la division Transit avaient réfuté ou non avec succès la présomption de la compétence provinciale sur les questions liées au travail de la division Transit.

B.  Réfuter la présomption de compétence provinciale : compétence fédérale « directe » et « dérivée »

[48]  Les tribunaux ont passé la majeure partie du dernier siècle à se demander comment déterminer la compétence constitutionnelle sur les questions de relations de travail. Après avoir examiné la jurisprudence, s’il y a une chose qui est claire dans mon esprit dans ce domaine du droit, c’est que rien n’est clair. En effet, dans la décision Ramkey – une décision de 229 paragraphes – le président Fishbein a observé que le droit dans ce domaine est une [traduction] « mer de jurisprudence déconcertante et souvent contradictoire » (au paragraphe 5). Bien que je ne propose pas d’aller aussi loin que ne l’a fait le président Fishbein dans cet effort pour naviguer dans des eaux dangereuses, je vais essayer d’exposer mes points de vue sur ce que la loi exige dans une analyse constitutionnelle des relations de travail — du moins pour ce qui est des entreprises de transport.

[49]  Comme il a été expliqué précédemment aux paragraphes [34] et [35], le gouvernement fédéral a une compétence exceptionnelle sur les questions de relations de travail des entreprises « fédérales ». La question de savoir si une entreprise est considérée comme étant « fédérale » — la présomption provinciale étant alors réfutée – dépend de la nature des activités de l’entreprise, évaluée en fonction des «  activités normales ou habituelles de l’affaire » et « sans tenir compte de facteurs exceptionnels ou occasionnels » (NIL/TU,O, au paragraphe 14, citant l’arrêt Northern Telecom c Travailleurs en communication, [1980] 1 RCS 115 (CSC), à la page 132, 1979 CarswellNat 639F (WL Can) [Northern Telecom 1], au paragraphe 31). C’est ce que l’on appelle le « critère fonctionnel » (NIL/TU,O, au paragraphe 14).

[50]  Si le « critère fonctionnel » n’est pas concluant, le décideur devra alors aussi examiner si la compétence provinciale sur les relations de travail de l’entreprise « porterait atteinte au chef de compétence fédérale en cause » (NIL/TU,O, au paragraphe 18).

[51]  Dans son récent jugement dans l’arrêt Tessier, la CSC a clarifié la façon dont l’« évaluation fonctionnelle » comporte en fait deux circonstances dans lesquelles le gouvernement fédéral peut affirmer sa compétence sur les relations de travail d’une entreprise (Tessier, aux paragraphes 18 et 19).

[52]  Dans la première circonstance, le gouvernement fédéral a une compétence sur les relations de travail d’une entreprise qui est elle-même « fédérale ». Dans la deuxième circonstance, le gouvernement fédéral a une compétence si l’entreprise n’est pas en soi « fédérale », mais qu’elle fait « partie intégrante » d’une autre entreprise fédérale. Dans l’arrêt Tessier, la Cour a appelé ces deux circonstances comme la compétence « directe » et la compétence « dérivée », respectivement. La CSC a expliqué que les deux circonstances reposent sur la « nature fonctionnelle essentielle » de l’entreprise dont les relations de travail sont en cause :

17  [...] la Cour a donc établi que le fédéral a compétence en matière de réglementation du travail dans deux circonstances : lorsque l’emploi s’exerce dans le cadre d’un ouvrage, d’une entreprise ou d’un commerce relevant du pouvoir législatif du Parlement ou lorsqu’il se rapporte à une activité faisant partie intégrante d’une entreprise assujettie à la réglementation fédérale, ce qui est parfois appelé compétence dérivée. Dans Travailleurs unis des transports c. Central Western Railway Corp., [1990] 3 R.C.S. 1112, p. 1124-1125, le juge en chef Dickson a indiqué qu’il s’agissait là de deux formes de compétence distinctes, mais connexes.

[18]  S’agissant de la compétence fédérale directe en matière de travail, on détermine si la nature fonctionnelle essentielle de l’ouvrage, du commerce ou de l’entreprise le fait tomber dans un champ de compétence fédérale, tandis que dans le cas de la compétence dérivée, on détermine si cette nature est telle que l’ouvrage fait partie intégrante d’une entreprise fédérale. Dans les deux cas, l’attribution de la compétence en matière de relations de travail nécessite l’établissement de la nature fonctionnelle essentielle de l’ouvrage.

[Non souligné dans l’original]

[53]  La partie de l’arrêt Central Western, précité dans l’arrêt Tessier, est rédigée ainsi :

Il y a deux façons dont Central Western peut être considérée comme relevant de la compétence fédérale et, partant, du Code canadien du travail. Premièrement, on peut considérer qu’il s’agit d’un chemin de fer interprovincial qui tombe en conséquence dans le champ d’application de l’al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 à titre d’ouvrage ou d’entreprise de compétence fédérale. Deuxièmement, si l’on peut à bon droit voir l’appelante comme faisant partie intégrante d’un ouvrage ou d’une entreprise à caractère fédéral qui existe déjà, elle relève de la compétence fédérale suivant l’alinéa 92(10)a). Par souci de clarté, je tiens à préciser que ces deux approches, en dépit de leur connexité, sont distinctes l’une de l’autre. Dans le premier cas, il s’agit surtout de déterminer si le chemin de fer constitue en lui-même un ouvrage ou une entreprise de compétence fédérale. Dans le second cas, cependant, la compétence tient à une conclusion que la réglementation de la matière en question fait partie intégrante d’une entreprise fédérale principale.

[Souligné dans l’original.]

[54]  Dans une application typique du critère fonctionnel, le décideur examinera si le caractère constitutionnel d’une entreprise est en soi fédéral, et, si ce n’est pas le cas, le décideur peut examiner la relation entre cette entreprise et une autre entreprise fédérale.

[55]  Il arrive parfois que le critère fonctionnel soit compliqué par le fait qu’une seule entreprise peut exercer plus d’une « activité » au sens constitutionnel pertinent. Par exemple, dans Re Employees of the Canadian Pacific Railway in Empress Hotel (City), le Conseil privé a déclaré que l’appelant menait deux entreprises : une entreprise ferroviaire et une entreprise hôtelière, plutôt qu’une seule entreprise de chemin de fer ([1950] 1 DLR 721 (Comité judiciaire du Conseil privé), au paragraphe 14, 1949 CarswellBC 115 (WL Can), au paragraphe 14). Lorsque le nombre d’entreprises est contesté, l’évaluation fonctionnelle exige d’abord que le décideur détermine si les activités forment une entreprise « unique » ou non.

C.  Déterminer le nombre d’entreprises

[56]  Le pouvoir fédéral qui préoccupe la Cour dans le cadre de la présente demande est précisé à l’alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui stipule que les travaux et entreprises d’une nature « locale » relèvent de la compétence provinciale, à moins qu’ils ne relient une province à une autre ou à d’autres provinces, ou s’étendent au-delà des limites d’une province, auquel cas le gouvernement fédéral a la compétence (voir l’arrêt Total Oilfield, aux paragraphes 34 à 41). L’alinéa 92(10)a) a été interprété comme signifiant que les gouvernements provinciaux ont une autorité sur les entreprises de transports intraprovinciaux, alors que le gouvernement fédéral a une compétence sur les entreprises de transports interprovinciaux et internationaux (Total Oilfield, au paragraphe 39).

[57]  Tokmakjian est une entreprise de transport parce qu’elle utilise des autobus pour transporter des personnes (Total Oilfield, au paragraphe 43; Fastfrate, au paragraphe 65). Toutefois, ses activités de transport ne relèvent de la compétence fédérale que si ces activités sont interprovinciales. Une entreprise de transport est « interprovinciale » aux fins de l’alinéa 92(10)a), si elle traverse les frontières provinciales « de façon continuelle et régulière », même si ces activités interprovinciales ne constituent qu’une partie minime de ses activités globales de transport (Tessier, aux paragraphes 51 et 52; Total Oilfield, aux paragraphes 71 et 74). Le critère « de façon continuelle et régulière » signifie qu’une seule entreprise de transport menant essentiellement des activités intraprovinciales peut quand même être assujettie à la réglementation fédérale.

[58]  Le contexte fourni dans les deux paragraphes ci-dessus aide à expliquer la raison pour laquelle la question de savoir s’il y a une ou plusieurs entreprises fait bel et bien une différence lorsqu’il s’agit de définir le caractère constitutionnel des entreprises de transport.

[59]  Dans la présente demande, Tokmakjian allègue que les divisions Coach et Transit représentaient deux entreprises différentes en juillet 2010. Si c’était le cas, alors seule la division Coach serait assujettie à la compétence fédérale aux termes de l’alinéa 92(10)a) et, par extension, seuls les employés de la division Coach seraient assujettis au Code, puisque seules les activités de la division Coach comportent un passage des frontières provinciales « de façon continuelle et régulière ».

[60]  Les employés de la division Transit affirment, au contraire, que les divisions Coach et Transit forment une entreprise de transport « unique ». Les divisions Coach et Transit seraient alors toutes les deux assujetties à la réglementation fédérale puisqu’elles constitueraient une seule entreprise dont les activités comportent un passage des frontières provinciales « de façon continuelle et régulière » – même si ces voyages transfrontaliers ne constituaient qu’une part minime des activités de la division Coach, et qu’ils représentaient une part encore moins importante des activités globales de Tokmakjian après le 11 septembre 2001.

[61]  Ce type de différend « une entreprise ou deux » a été examiné pour la première fois dans le cadre de l’arrêt Ontario (Attorney General) v Winner, [1954] 4 DLR 657 (Comité judiciaire du Conseil privé), 1954 CarswellNB 40 (WL Can) [Winner]. Dans cet arrêt, MacKenzie Coach Lines exploitait un service d’autobus entre le Maine et la Nouvelle-Écosse en passant par le Nouveau-Brunswick, certains passagers montant et descendant au Nouveau-Brunswick. La province du Nouveau-Brunswick affirmait qu’elle avait l’autorité de réglementer les voyages qui partaient de la province ou qui s’y terminaient.

[62]  Le Conseil privé a statué qu’il aurait accepté un tel argument s’il y avait eu des éléments de preuve du fait que [traduction] « M. Winner était engagé par deux entreprises, l’une au sein de la province et l’autre ayant une nature de connectivité » (Winner, au paragraphe 50 (DLR) et au paragraphe 50 (WL Can)). Toutefois, le Conseil privé a déclaré qu’il n’y avait aucune preuve appuyant une telle constatation, écrivant que [traduction] « les mêmes autobus portaient les deux types de passagers en suivant les mêmes itinéraires; les trajets peuvent avoir été différents, du fait que l’un de ces trajets s’effectuait en partie en dehors de la province et que l’autre s’effectuait entièrement au sein de la province, mais il s’agissait de la même entreprise qui prenait part aux deux activités » (Winner, au paragraphe 50 (DLR) et au paragraphe 50 (WL Can)).

[63]  Dans l’arrêt Winner, le Conseil privé a rejeté l’argument selon lequel une distinction pouvait être faite entre les parties interprovinciales [traduction] « essentielles » et les parties intraprovinciales [traduction] « accessoires » aux activités, concluant finalement ce qui suit :

[traduction] La question n’est pas de savoir de laquelle de ses parties on peut dépouiller l’entreprise sans affecter l’ensemble de ses activités; c’est au contraire de savoir quelle est la nature de l’entreprise que l’on exploite. Y a‑t‑il une seule entreprise, et une partie de cette entreprise de l’intimé consiste‑t‑elle à transporter des voyageurs entre deux points qui se trouvent tous deux dans les limites de la province, ou y a‑t‑il deux entreprises?

[Winner, aux paragraphes 51 et 52 (DLR), aux paragraphes 51 et 52 (WL Can)]

Dans l’arrêt Winner, le Conseil privé a conclu que l’entreprise de transport était [traduction] « une entreprise qui est en fait unique et indivisible » et la question de savoir si cela aurait pu être mené autrement ou non n’était pas pertinente (Winner, au paragraphe 55 (DLR), au paragraphe 55 (WL Can)).

[64]  L’analyse dans l’arrêt Winner a ensuite été invoquée par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt ATU, Local 279 v Ottawa-Carleton Regional Transit Commission, 4 DLR (4th) 452 (ONCA), 1983 CarswellOnt 599 (WL Can) [OC Transpo]. Dans cet arrêt, OC Transpo exerçait principalement ses activités dans la région d’Ottawa-Carleton, en Ontario, mais un petit pourcentage de ses activités comprenait des itinéraires d’autobus traversant Hull, au Québec.

[65]  OC Transpo affirmait que son système de transport municipal était assujetti à la compétence provinciale puisque les itinéraires passant par Hull étaient minimes et non essentiels à ses activités et pouvaient être supprimés sans que cela n’ait d’incidence sur la nature essentielle d’OC Transpo (OC Transpo, à la page 458 (DLR)).

[66]  Toutefois, la Cour d’appel a jugé que l’analyse dans l’arrêt Winner était [traduction] « une réponse complète à l’argument selon lequel les itinéraires d’autobus jusqu’à Hull pouvaient être retirés des activités d’OC Transpo », faisant valoir que les itinéraires vers Hull étaient [traduction] « une part intégrante et historique » de l’entreprise de transport (OC Transpo, à la page 460 (DLR)). En conséquence, puisqu’il s’agissait d’une entreprise unique offrant des services de transports interprovinciaux, OC Transpo relevait de la compétence fédérale, même si ses itinéraires interprovinciaux ne constituaient qu’une part minime de l’ensemble de ses activités (OC Transpo, à la page 458 (DLR)).

[67]  Lors de l’audience de la présente demande, l’avocat des employés de la division Transit a allégué que les arrêts Winner et OC Transpo tranchaient la question constitutionnelle. Comme il a été allégué, ces arrêts définissent les principes appropriés à appliquer pour déterminer si une entreprise de transport comprend une ou plusieurs entreprises et ces principes ont depuis lors été appliqués et élaborés par plusieurs conseils du travail et décideurs, notamment dans les décisions Charterways, aux paragraphes 20 et 29, Transit Windsor, 1993 CanLII 7885 (CRTO), aux paragraphes 9 et 10 [Transit Windsor], 1113666 Ontario Limited cob Deluxeway Bus Lines, [1995] OLRD No 1603 (CRTO), au paragraphe 14 [Deluxeway], Supply Chain Express Inc, 2001 CanLII 9134 (CRTO), au paragraphe 44 [Supply Chain], Trentway-Wagar, au paragraphe 46, et Q-Tek Tankers Ltd, 2016 CarswellNat 4625 (WL Can) (décision du Canada), aux paragraphes 18 et 38 à 43 [Q-Tek]

[68]  L’avocat des employés de la division Transit a également soutenu que ces affaires établissent les indices factuels pertinents pour déterminer s’il existe une entreprise de transport unique, et si l’arbitre a bien pris en compte ces indices.

[69]  Je ne suis pas d’accord sur le fait que la question constitutionnelle de la présente demande débute et prend fin avec les arrêts Winner et OC Transpo et avec les différentes décisions liées aux relations de travail qui ont suivi. La raison est que ce n’est qu’en 1999 dans l’arrêt Westcoast – bien après que les arrêts OC Transpo et Winner aient été tranchés – que la CSC a appliqué directement le critère de l’« entreprise unique ». Dans l’arrêt Westcoast, la CSC s’est penchée sur la question de savoir si c’était la compétence fédérale ou provinciale qui s’appliquait à certaines canalisations de collecte et usines de traitement du gaz naturel situées entièrement en Colombie-Britannique, mais alimentant en gaz naturel une canalisation principale interprovinciale.

[70]  S’appuyant sur le critère relatif à la compétence constitutionnelle établi dans l’arrêt Central Western, les juges majoritaires dans l’arrêt Westcoast ont conclu que les canalisations de collecte et les usines de traitement ne relevaient de la compétence fédérale que si elles i) constituaient une entreprise ou un ouvrage fédéral unique, ou si elles ii) faisaient partie intégrante de la canalisation principale (Westcoast aux paragraphes 45 et 46) En d’autres mots et en utilisant le libellé adopté plus tard dans l’arrêt Tessier, s’il était conclu qu’il s’agissait d’une entreprise unique, alors l’ensemble de l’entreprise relèverait «directement » de la compétence fédérale en raison du caractère interprovincial de la canalisation principale. Si les installations délimitées de façon provinciale étaient une entreprise distincte, elles pourraient tout de même être considérées comme faisant partie intégrante de la canalisation interprovinciale, auquel cas elles auraient un caractère fédéral « dérivé ».

[71]  Pour déterminer si les canalisations de collecte, les usines de traitement et la canalisation principale étaient une entreprise « unique », les juges majoritaires dans l’arrêt Westcoast ont fait remarquer que l’existence d’un lien physique ou le fait que les activités appartiennent à la même entité n’est pas suffisant pour conclure à une entreprise unique (Westcoast, au paragraphe 48). La CSC a plutôt écrit qu’il fallait un lien plus fondamental et important :

49  Pour être considérées comme une entreprise fédérale unique pour l’application de l’al. 92(10)a), les diverses activités visées doivent être intégrées sur le plan fonctionnel et être assujetties à une gestion, à une direction et à un contrôle communs. Le professeur Hogg affirme, à la p. 22-10, que [TRADUCTION] « [c]’est la mesure dans laquelle les [diverses] activités sont intégrées sur le plan fonctionnel ou commercial qui détermine si elles forment ou non une seule et même entreprise ». Il ajoute, à la p. 22-11, que les diverses activités formeront une entreprise unique si elles sont [TRADUCTION] « de fait, exercées en commun en tant qu’exploitation unique ». Autrement dit, outre un propriétaire unique, il doit y avoir intégration fonctionnelle et gestion commune. Le lien physique doit être assorti d’un lien opérationnel. L’existence de rapports commerciaux étroits ne suffit pas. Voir Central Western, précité, à la p. 1132.

[72]  L’arrêt Westcoast a également adopté le principe établi dans l’arrêt Winner selon lequel « la façon dont l’entreprise aurait pu être structurée ou celle dont d’autres entreprises analogues sont exploitées ne sont pas pertinentes » pour déterminer s’il s’agit d’une entreprise « unique » ou non (au paragraphe 53).

[73]  La CAF s’est récemment appuyée sur l’arrêt Westcoast dans l’arrêt Sawyer, une décision à laquelle j’ai fait référence ci-dessus dans l’analyse de la norme de contrôle. La Cour a conclu dans l’arrêt Sawyer que l’Office national de l’énergie n’avait pas bien appliqué le critère de l’« entreprise unique » établi dans l’arrêt Westcoast en omettant de se concentrer sur le concept de l’« intégration fonctionnelle », expliquant ce qui suit :

44  Le critère est de savoir si les parties de l’entreprise sont intégrées du point de vue fonctionnel, et si oui, comment elles fonctionnent ensemble et dans quel but. La nature de l’entreprise ne peut être déterminée que lorsque ces critères sont pris en compte.

[...]

47  Autrement dit, l’Office n’a pas tenu compte de la nature de l’entreprise ou de l’engagement en litige. L’Office disposait de nombreux éléments de preuve, dont aucun n’était contesté, selon lesquels l’objectif du pipeline de PRGT était de transporter le gaz du BSOC pour l’exporter sur les marchés internationaux. L’Office a examiné où se situait le pipeline, et il n’a pas demandé ce qu’il faisait.

[74]  Étant donné que l’arrêt Sawyer a été publié après l’audience de la présente demande, j’ai invité les parties à présenter des observations au sujet du traitement de l’arrêt Westcoast dans l’arrêt Sawyer, et sur la question de savoir si ces affaires étaient différentes. Dans leurs observations déposées après l’audience, les parties ont convenu du fait que le critère établi dans l’arrêt Westcoast était en effet pertinent pour trancher la présente demande.

[75]  Les employés de la division Transit ont avancé que le critère de l’« entreprise unique » établi dans l’arrêt Westcoast, et élaboré davantage dans l’arrêt Sawyer, était approprié dans le contexte des relations de travail et ils ont fait remarquer que les concepts de la gestion, de la direction et du contrôle communs étaient largement appliqués dans l’arbitrage des relations de travail.

[76]  Tokmakjian a indiqué que ce critère était utilisé dans le contexte des relations de travail dans la décision Pacific Coach Lines Ltd, 2012 CCRI 623, aux paragraphes 65 à 70 [PCL (CCRI)], une décision de la Commission des relations de travail qui a été présentée à l’arbitre et que l’arbitre a prise en considération de façon détaillée dans sa décision.

[77]  Fait important à signaler, la CAF a par la suite confirmé la décision du CCRI dans PCL (CAF), écrivant que le Conseil avait dûment tenu compte du droit applicable, avait utilisé le cadre d’analyse qui convenait, et avait décliné compétence en raison de son analyse constitutionnelle et de sa conclusion (PCL (CAF), aux paragraphes 24 et 25).

[78]  Notre Cour a aussi récemment appliqué les principes sous-tendant l’arrêt Westcoast dans la décision Première nation de Berens River c Gibson-Peron, 2015 CF 614, lorsque la juge Strickland a confirmé l’analyse d’un arbitre au motif que i) une compétence fédérale directe requiert un examen de la nature fonctionnelle essentielle de l’entité en question, et ii) l’« intégration fonctionnelle » doit être prise en compte dans le cadre de cet examen (au paragraphe 90).

[79]  Les principes établis dans l’arrêt Westcoast ont également été appliqués par d’autres tribunaux des relations de travail pour trancher la question de la compétence lorsqu’une entreprise offre des services multiples (par exemple, voir les décisions Rivtow Marine Ltd. and Tiger Tugz Inc., 1999 CCRI 30, aux paragraphes 19 à 23 et 26 à 29; Seaspan International Ltd., 2004 CCRI 267, aux paragraphes  47 et 48). En effet, dans la décision Trentway-Wagar, sur laquelle l’arbitre s’est appuyée dans sa décision, bien que la CRTO n’ait cité ni l’arrêt Central Western ni l’arrêt Westcoast, elle a néanmoins formulé la question du nombre d’entreprises en fonction du principe de l’« intégration fonctionnelle », écrivant [traduction] : « la fonctionnalité du travail du transport en commun de Whitby est-elle intégrée dans une seule entreprise unifiée? » (au paragraphe 37). De même, dans la décision Supply Chain, qui est invoquée par les employés de la division Transit dans la présente demande, la CRTO a cité l’arrêt Westcoast et a finalement conclu ce qui suit [traduction] : « l’examen des affaires effectué par les tribunaux et les commissions de travail a mis l’accent sur l’intégration fonctionnelle des activités » (au paragraphe 90).

[80]  Les quatre autres décisions se rapportant au travail invoquées par les employés de la division Transit, et énumérées au paragraphe [67] des présents motifs, ne citent pas l’arrêt Westcoast. Toutefois, dans les décisions Transit Windsor, Q-Tek, et Deluxeway, les tribunaux ont conclu que les entités en cause étaient « intégrées » (aux paragraphes 9, 18 et 14, respectivement), alors que dans la décision Charterways, la CRTO a adopté un point de vue « fonctionnel et pratique » pour déterminer le nombre d’entreprises (au paragraphe 28).

[81]  J’aimerais aussi faire deux dernières observations concernant l’application de l’arrêt Westcoast dans le contexte des relations de travail, au vu des autres décisions de la CSC.

[82]  Premièrement, l’arrêt Westcoast a suivi et élaboré le critère à deux volets établi dans l’arrêt Central Western, qui était également une affaire liée aux relations de travail.

[83]  Deuxièmement, l’arrêt Westcoast a été résumé plus récemment par la CSC dans l’arrêt lié aux relations de travail Tessier en tant qu’exemple de compétence fédérale « directe ». La CSC a noté que Westcoast avait exploité une entreprise unique, « indivisible » dans un champ de compétence fédérale (Tessier, au paragraphe 44). En effet, l’arrêt Tessier a implicitement reconnu que l’analyse de l’« entreprise unique » était nécessaire pour effectuer correctement l’analyse de la compétence dérivée de seconde phase; la CSC a statué qu’« une entreprise indivisible et intégrée ne doit pas être artificiellement scindée aux fins de classification constitutionnelle » (au paragraphe 55). La Cour a opposé cette situation avec celle dans laquelle une « unité fonctionnelle particulière » d’une entité autrement réglementée par la province effectue des services pleinement intégrés à une entreprise fédérale connexe (Tessier, au paragraphe 49, citant l’arrêt Northern Telecom Canada Ltée c Syndicat des travailleurs en communication du Canada, [1983] 1 RCS 733 (CSC), aux pages 770 et 771, 1983 CarswellNat 535 (WL Can), au paragraphe 68 [Northern Telecom 2]).

[84]  Je suis par conséquent convaincu que l’arrêt Westcoast régit les situations où le nombre d’entreprises est contesté dans les affaires qui doivent trancher la question de la compétence constitutionnelle sur les relations de travail, et j’examinerai la présente demande en en tenant compte. En d’autres mots, je conclus que l’arrêt Westcoast établit le critère en fonction duquel les décideurs déterminent si une entreprise est « unique », au sens constitutionnel d’être « indivisible » et « intégrée » (Tessier, au paragraphe 55). Ainsi, lorsqu’un décideur examine la question de la compétence fédérale sur les relations de travail, et que les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si les activités pertinentes d’une entité constituent une ou plusieurs entreprises, le décideur doit appliquer le critère de l’« entreprise unique » établi dans l’arrêt Westcoast dans le cadre de l’analyse de la compétence « directe » de première étape.

D.  La relation entre le critère de l’« entreprise unique » et la compétence fédérale « dérivée »

[85]  Les parties de cette demande ne s’entendent pas sur la distinction entre le critère de l’« entreprise unique » comme élément de l’analyse de la compétence fédérale « directe » d’une part, et le critère pour la compétence fédérale « dérivée » d’autre part. La distinction est importante dans le cadre de la présente demande pour trois raisons.

[86]  Tout d’abord, l’arbitre a fait la distinction entre les analyses des affaires qui lui ont été présentées et qui comprenaient des considérations de la compétence « dérivée », notamment la dissidence dans la décision Trentway-Wagar.

[87]  Deuxièmement, dans sa décision, l’arbitre a uniquement caractérisé la compétence « dérivée » comme exigeant une « intégration fonctionnelle », plutôt que cette analyse ne s’applique également à la première étape de l’évaluation de l’« entreprise unique ».

[88]  La troisième raison, qui est peut-être encore plus importante, est que, tandis que l’arbitre concluait que les divisions Coach et Transit ne représentaient qu’une seule et même entreprise, elle a également fait remarquer qu’elle n’aurait pas conclu que cette compétence dérivée s’appliquait si ces deux divisions avaient été deux entreprises distinctes (voir l’extrait de sa décision au paragraphe [27] des présents motifs, dans les remarques incidentes de l’arbitre).

[89]  Tokmakjian affirme que l’arbitre a commis une erreur en caractérisant les critères pertinents et que ses remarques incidentes sont incompatibles avec une analyse adéquate de la compétence « directe ». Tokmakjian soutient que l’arbitre était tenue de prendre en considération des concepts comme l’intégration fonctionnelle, la dépendance et l’indivisibilité dans le cadre du critère de première étape de l’« entreprise unique », et non de reporter ces considérations à l’étape de l’analyse de la compétence « dérivée ».

[90]  Les employés de la division Transit, par contre, ont affirmé devant l’arbitre que l’intégration fonctionnelle n’était pas pertinente pour trancher la question de la compétence fédérale directe. Les employés de la division Transit soutiennent toujours dans le cadre de la présente demande que Tokmakjian a essentiellement mal compris et qu’elle confond les deux étapes du critère fonctionnel. Ils admettent quelques irrégularités dans la formulation de l’arbitre, mais soutiennent essentiellement que la fonctionnalité a prévalu sur la forme, avançant que la décision de l’arbitre est une analyse attentive et approfondie de tous les indices pertinents, et de leurs répercussions constitutionnelles exactes. Pour terminer, ils allèguent que rien ne découle des remarques incidentes de l’arbitre et qu’ils ne sont de toute façon pas d’accord avec le fait qu’ils sont incompatibles avec le fond de la conclusion globale de l’arbitre.

[91]  Je ne suis pas convaincu par les arguments des employés de la division Transit. Le chevauchement des critères de l’« entreprise unique » et de la « compétence dérivée » a été abordé par la juge McLachlin dans son opinion dissidente dans l’arrêt Westcoast. La juge McLachlin a conclu que la première étape du critère de l’« entreprise unique » de la première étape était une répétition de la deuxième étape du critère de la « compétence dérivée », écrivant ce qui suit en référence à la décision des juges majoritaires :

19  Mes collègues les juges Iacobucci et Major semblent avoir perçu différemment les deux volets du critère établi dans l’arrêt Central Western, précité. Ils affirment essentiellement que les deux manières dont un ouvrage, ou une entreprise peuvent relever de la clause résiduelle de l’al. 92(10)a) sont les suivantes : (1) en faisant partie d’un ouvrage ou d’une entreprise unique et intégré de nature interprovinciale, (2) en faisant « partie intégrante » d’un ouvrage ou d’une entreprise de nature interprovinciale (voir le par. 45). En toute déférence, il me semble que cela revient au même. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit de décider si l’ouvrage ou l’entreprise fait partie d’un système intégré.

[Non souligné dans l’original]

[92]  Ainsi, selon le raisonnement de la juge McLachlin, l’analyse de l’intégration fonctionnelle « revient au même », quel que soit le moment de l’analyse, faisant en sorte que l’on pourrait soutenir que les deux volets du critère sont redondants.

[93]  Ce chevauchement des critères de l’« entreprise unique » et de l’« analyse de la compétence dérivée » a également été remarqué par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique [BCCA] dans l’arrêt Actton Transport :

[traduction] [39]  Lorsqu’il s’agit de déterminer si un aspect des affaires devrait être considéré comme faisant partie d’une entreprise fédérale unique (la position des appelants dans ce cas-ci) ou en tant qu’activité faisant partie intégrante du point de vue fonctionnel d’une entreprise fédérale, tout tourne autour de l’intégration fonctionnelle. Tel que je le comprends, voici ce qu’ont déclaré les juges majoritaires dans l’arrêt Westcoast Energy Inc. c Canada (Office national de l’énergie) :

 [49] Pour être considérées comme une entreprise fédérale unique pour l’application de l’al. 92(10)a), les diverses activités visées doivent être intégrées sur le plan fonctionnel et être assujetties à une gestion, à une direction et à un contrôle communs. Le professeur Hogg affirme, à la p. 22-10, que [traduction] « [c]’est la mesure dans laquelle les [diverses] activités sont intégrées sur le plan fonctionnel ou commercial qui détermine si elles forment ou non une seule et même entreprise ». Il ajoute, à la p. 22-11, que les diverses activités formeront une entreprise unique si elles sont [traduction] « de fait, exercées en commun en tant qu’exploitation unique ». Autrement dit, outre un propriétaire unique, il doit y avoir intégration fonctionnelle et gestion commune. Le lien physique doit être assorti d’un lien opérationnel. L’existence de rapports commerciaux étroits ne suffit pas. Voir [Travailleurs unis des transports c. Central Western Railway Corp., [1990] 3 RCS 1112], à la page 1132.

[Non souligné dans l’original]

[94]  Il convient de noter que la CSC dans l’arrêt Tessier a cité la décision Actton Transport comme affaire où « le travail de certains employés pouvait être séparé de l’entreprise générale de l’employeur » (au paragraphe 49). Dans l’arrêt Tessier, la Cour a également approuvé la manière dont la juge McLachlin a structuré ses motifs dissidents dans l’arrêt Westcoast, faisant remarquer que la juge McLachlin avait « analysé la question différemment » que la majorité, « d’une manière qui donne un éclairage particulièrement utile en l’espèce » pour la CSC (Tessier, au paragraphe 45).

[95]  Il y a également une importante fluidité terminologique entre l’analyse de la première étape de la compétence « directe » et l’analyse de la deuxième étape de la compétence « dérivée » dans la jurisprudence, ce qui appuie davantage les observations de la juge McLachlin dans l’arrêt Westcoast concernant le fait que les deux critères reviennent « au même », ou le fait que, comme l’a déclaré la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans la décision Actton Transport, [traduction] « tout tourne autour de l’intégration fonctionnelle ». Dans l’arrêt Winner, par exemple, le Conseil privé a fondé sa conclusion de l’« entreprise unique » sur des considérations d’« indivisibilité » (Winner, au paragraphe 55), tandis que dans la décision OC Transpo, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu à une « entreprise unique » parce que les itinéraires passant par Hull faisaient partie « intégrante » des activités d’OC Transpo (OC Transpo, au paragraphe 14). Dans l’arrêt Northern Telecom 1, le juge Dickson, écrivant pour la CSC, a cité un arrêt de la CSC faisant autorité impliquant des débardeurs et comportant une conclusion d’« entreprise unique et indivisible » (Northern Telecom 1, à la page 134 (RCS), au paragraphe 36 (WL Can), citant l’Affaire des débardeurs), tandis que la Cour a ensuite précisé dans l’arrêt Tessier que l’Affaire des débardeurs avait été « considérée comme un cas de compétence dérivée » (Tessier, au paragraphe 33).

[96]  En effet, pour en revenir à l’arrêt Central Western, le juge Dickson a examiné dans cette décision si Central Western était directement une entreprise « fédérale » en vertu de son « lien opérationnel » et de son « intégration fonctionnelle » avec la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (aux pages 1135 et 1136 (RCS), aux paragraphes 36 et 37 (WL Can)), mais a ensuite également pris en considération « l’intégration fonctionnelle » parallèlement au facteur principal de la « dépendance » dans son examen de la question de savoir si Central Western faisait « partie intégrante » des Chemins de fer nationaux du Canada (aux pages 1136 à 1140, 1141 et 1142 (RCS), aux paragraphes 38 à 43, 49 à 51 (WL Can)).

[97]  Malgré le chevauchement dans l’élaboration du critère de première étape de l’« entreprise unique » et du critère de deuxième étape de la « compétence dérivée », ces critères restent tous deux en vigueur. L’arrêt Sawyer confirme que le critère établi par les juges majoritaires dans l’arrêt Westcoast représente l’état du droit, et les deux parties à la présente demande en conviennent.

[98]  En effet, il n’existe pas d’autre critère permettant de déterminer si une entreprise est « unique », au sens d’« intégré » et d’« indivisible » envisagé dans l’arrêt Tessier. Par conséquent, notre Cour doit déterminer comment la première étape du critère de l’« entreprise unique » et la deuxième étape du critère de la « compétence dérivée » fonctionnent ensemble aux fins de la présente demande, compte tenu de l’analyse par l’arbitre et des conclusions qui s’y rattachent aux termes des deux étapes.

1)  Le critère de l’« entreprise unique »

[99]  Selon moi, le critère de l’« entreprise unique » établi dans l’arrêt Westcoast permet de résoudre des situations dans lesquelles une organisation comporte des activités ou divisions distinctes qui, à première vue, se distinguent les unes des autres par une quelconque caractéristique (par exemple, l’étendue géographique ou le type de service). Ainsi, le critère de l’« entreprise unique » repose sur l’idée que la simple notion d’une société commerciale ne suffit pas pour conclure à l’existence d’une « entreprise unique » parce qu’une seule entreprise peut exercer des activités distinctes, lesquelles peuvent relever de compétences différentes.

[100]  La jurisprudence établit clairement qu’un lien physique entre deux activités, ce qui peut se produire dans le cas d’une propriété commune ou de relations commerciales étroites, ne suffit pas pour établir une « entreprise unique » (Westcoast, aux paragraphes 48 et 49). Lorsque deux ou plusieurs activités sous une seule société parapluie sont analysées afin d’en déterminer leur caractère constitutionnel, c’est la réalité concrète, fonctionnelle, pratique et factuelle qui a de l’importance – et non l’apparence de l’entreprise en cause (Sawyer, aux paragraphes 68 et 69; Northern Telecom 1, à la page 133 (RCS), au paragraphe 32 (WL Can)).

[101]  Le critère de l’« entreprise unique » sert ainsi de protection contre le risque qu’un décideur confonde par erreur l’entente commerciale particulière d’une entreprise avec l’intégration fonctionnelle de ses exploitations connexes requise en vertu du droit constitutionnel. Comme il a été déclaré dans l’arrêt Sawyer, [traduction] « l’entente commerciale peut éclairer la question de la gestion et du contrôle communs et de ce fait, celle de l’intégration fonctionnelle, mais elle ne définit pas l’entreprise » et [traduction] « elle n’est pertinente que dans la mesure où elle renseigne sur le niveau d’intégration fonctionnelle » (Sawyer, aux paragraphes 38 et 65, citant l’arrêt Westcoast, au paragraphe 49).

[102]  Dans l’arrêt Sawyer, la CAF a donné d’autres directives sur la façon de bien appliquer le critère de l’« entreprise unique » : il ne s’agit pas tant de savoir si deux activités connexes sont différentes du point de vue fonctionnel, mais plutôt de connaître le niveau et la qualité de l’intégration fonctionnelle – y compris comprendre comment et à quelle fin les activités « fonctionnent ensemble » (Sawyer, au paragraphe 44). Cela est particulièrement important lorsqu’un aspect des activités d’une entreprise est confiné à l’intérieur d’une province. Dans de tels cas, ce serait une erreur de ne prendre en considération que l’endroit où est située l’entreprise, et de ne pas s’interroger sur la façon dont elle mène ses activités (arrêt Sawyer, aux paragraphes 37, 46 et 47). Les décideurs doivent prendre en considération la nature du projet dans son ensemble, et ne pas poser un regard myope sur les limites géographiques de l’activité à l’étude.

[103]  Comme l’a déclaré la CSC dans l’arrêt Westcoast, le critère de l’« entreprise unique » se fonde sur les faits et il est ainsi difficile de le résumer de façon exhaustive (au paragraphe 64). Toutefois, certaines questions peuvent guider l’analyse; par exemple, examiner l’objectif principal de l’activité à l’étude; le fait qu’elle soit affectée exclusivement ou même principalement à l’exploitation de l’entreprise interprovinciale principale; se demander si les biens ou les services fournis dans le cadre d’une entreprise le sont pour le seul bénéfice de l’autre entreprise ou de ses clients, ou des deux à la fois, ou s’ils sont disponibles de façon générale (Westcoast aux paragraphes 70, 54, et 65 respectivement); et se demander si les activités ont une interdépendance fonctionnelle, en ce sens que l’une n’existerait pas sans l’autre (Sawyer, au paragraphe 49).

2)  Le critère de la « compétence dérivée »

[104]  J’en viens maintenant à l’analyse de la « compétence dérivée » : cette deuxième étape du critère couvre les situations factuelles variées dans lesquelles une entreprise particulière n’est pas en soi de nature fédérale, mais pourrait relever de la compétence fédérale en raison de son lien avec une autre entreprise fédérale. Il se peut qu’il n’y ait pas de gestion et de contrôle communs aux deux entreprises, bien que ce ne soit pas nécessairement le cas (Northern Telecom 2, à la page 771 (RCS), au paragraphe 70 (WL (Can)).

[105]  L’analyse approfondie de la jurisprudence dans ce domaine, fournie dans l’arrêt Tessier, donne également à penser qu’aucun critère exhaustif n’est possible, mais la CSC a toutefois offert le sommaire suivant au paragraphe 46 :

Ainsi, la Cour a généralement examiné le lien entre l’entreprise fédérale et l’activité censée en former une partie intégrante dans la perspective de chacune, évaluant dans quelle mesure l’exploitation efficace de l’entreprise fédérale dépendait des services fournis par l’entreprise connexe et soupesant l’importance de ces services pour l’entreprise connexe elle‑même.

[106]  Au paragraphe 55 de l’arrêt Tessier, la CSC a aussi cité avec approbation un passage du paragraphe 124 de l’opinion dissidente de la juge McLachlin dans l’arrêt Westcoast :

L’ouvrage ou l’entreprise de nature locale doit, en raison de son lien avec l’ouvrage ou l’entreprise de nature interprovinciale, être essentiellement exploité en tant que partie de l’entité interprovinciale et perdre son caractère distinct. Dans le cas d’une entreprise de transport ou de communication interprovinciale, l’ouvrage ou l’entreprise de nature locale doit, pour être fonctionnellement intégré, être de nature interprovinciale du point de vue de ses activités quotidiennes normales — c’est-à-dire constituer ce qu’on pourrait appeler une « entreprise interprovinciale ou internationale » [...] Si l’ouvrage ou l’entreprise de nature locale a, sur le plan de son fonctionnement, un caractère dominant différent du transport interprovincial ou des communications interprovinciales, cet ouvrage ou cette entreprise continue de relever de la compétence provinciale.

[Souligné par la CSC dans l’arrêt Tessier]

[107]  Ainsi, bien que le critère relatif à la compétence fédérale dérivée puisse porter sur la question de savoir si la filiale est « fondamentale », « essentielle » ou « vitale » à l’entreprise fédérale (Tessier, au paragraphe 37, extrait de Northern Telecom 1, à la page 132 (RCS), au paragraphe 32 (WL Can)), l’intégration fonctionnelle a une importance dans cette analyse de deuxième étape, tout autant qu’elle ne l’a dans l’analyse de première étape de l’« entreprise unique ». Dans Syndicat des débardeurs du Port de Québec (SCFP, section locale 2614) c Société des arrimeurs de Québec Inc., 2011 CAF 17, par exemple, la CAF a décrit la compétence dérivée comme un examen obligatoire aussi bien de la dépendance que de l’intégration :

[48]  Ces facteurs énoncés dans la décision Northern Telecom de 1980 ne sont pas censés être appliqués de façon rigide ou stricte, mais plutôt d’une manière souple en tenant compte des faits particuliers à chaque dossier. Il s’agit de déterminer d’une façon fonctionnelle et pratique si les entreprises en cause sont dépendantes l’une de l’autre au point d’être fonctionnellement intégrées : Travailleurs unis des transports c. Central Western Railway Corp., [1990] 3 R.C.S. 1112, aux pages 1139-40.

[49]  Le degré d’intégration fonctionnelle peut varier, mais il doit être substantiel et important tout en étant vital, essentiel ou fondamental [...]

[Non souligné dans l’original]

[108]  Le critère de l’« entreprise unique » et le critère de la « compétence dérivée » sont donc tous deux caractérisés par un examen de l’« intégration », que cette intégration découle, par exemple, de la dépendance d’une entreprise fédérale envers une filiale, ou d’une interrelation fonctionnelle entre deux activités sous contrôle commun.

[109]  Je remarque que, dans la décision à l’étude, l’arbitre a déterminé incorrectement que l’« intégration fonctionnelle » n’était pertinente qu’à l’égard du critère de la « compétence dérivée » et non à l’égard du critère de l’« entreprise unique ». Je mets donc ici l’accent sur le chevauchement de ces critères, et je m’intéresse plus particulièrement à la façon dont l’« intégration fonctionnelle » fonctionne dans les deux analyses. Toutefois, je ne souhaite pas que l’on m’interprète comme concluant qu’il n’existe absolument aucune différence entre le critère de l’« entreprise unique » et celui de la « compétence dérivée ».

[110]  L’une de ces différences est l’« orientation » de la dépendance, ou « qui dépend de qui ». La jurisprudence indique que, pour que la « compétence dérivée » soit établie, l’entreprise fédérale doit dépendre des services de la filiale (Tessier, au paragraphe 46), et non le contraire (Fastfrate, au paragraphe 75). Toutefois, qu’une telle règle existe pour le critère de l’« entreprise unique » ne me semble pas évident (Westcoast, au paragraphe 54).

[111]  On pourrait très bien trouver d’autres caractéristiques distinctives dans la vaste jurisprudence qui s’applique à d’autres secteurs (non liés aux transports). Toutefois, ce n’est ni mon intérêt ni ma tâche, lesquels consistent plutôt à appliquer le bon critère juridique aux faits de l’affaire dont j’ai été saisi.

E.  Application du droit aux faits de la présente affaire

1)  L’arbitre a-t-elle appliqué à juste titre les critères?

[112]  Ayant examiné le droit applicable, et malgré l’effort louable déployé par l’arbitre pour offrir une analyse attentive et approfondie dans sa décision longue et exhaustive, je conclus qu’elle n’a pas choisi ni appliqué les bons critères constitutionnels. En toute justice, je ne crois pas que le cadre constitutionnel pertinent a été articulé devant l’arbitre avec autant de clarté que ne l’a fait la présente demande.

[113]  J’ai déjà conclu que l’arbitre n’avait pas donné effet à la présomption de la compétence provinciale sur les relations de travail. Je conclus également que, bien que l’arbitre ait bien indiqué que sa première tâche était de déterminer s’il existait une ou plusieurs entreprises, elle n’a pas mené son analyse en se référant aux principes constitutionnels établis dans l’arrêt Westcoast, lesquels se trouvaient dans les documents qui lui avaient été présentés, et qui auraient dû orienter son analyse.

[114]  Je conclus que l’arbitre s’est plutôt intéressée au niveau de « centralisation » et s’est effectivement donné comme consigne de ne pas prendre en considération l’« intégration fonctionnelle » à moins qu’une analyse de la compétence dérivée s’avère nécessaire. Même si ce n’était pas nécessairement une erreur de la part de l’arbitre d’examiner les types de raisonnement dans d’autres décisions portant sur les relations de travail et qui comportaient des analyses de la compétence dérivée, je suis convaincu que l’arbitre l’a fait parce qu’elle avait mal compris le rôle que joue l’« intégration fonctionnelle » à l’égard de la compétence directe et de la compétence dérivée, comme elle le démontre davantage dans ses remarques incidentes citées au paragraphe [27] des présents motifs.

[115]  Les remarques incidentes de l’arbitre s’ajoutaient à sa conclusion selon laquelle, même si de nombreux faits pouvaient soutenir « les deux issues », il y avait une « légère prépondérance » indiquant que les divisions Coach et Transit étaient une entreprise « unique » (voir l’extrait de sa conclusion au paragraphe [24] des présents motifs). Ce renvoi à une simple « légère prépondérance » des faits en faveur d’une entreprise « unique » est aussi important : selon moi, on ne peut conclure à une entreprise « unique » en se fondant sur une norme aussi faible. Une telle issue ne serait pas conforme à la qualité exceptionnelle de la compétence fédérale sur les relations de travail. Elle ne serait pas non plus conforme aux concepts qui animent à la fois le critère de l’« entreprise unique » et le critère de la « compétence dérivée », qui suggèrent qu’un niveau important d’interrelation s’avère nécessaire. Il est important de faire la distinction entre l’examen de l’« intégration fonctionnelle » pour trancher la question de la compétence sur les relations de travail et la question de savoir si une entreprise est une entreprise de transport interprovinciale : elle ne l’est que lorsque même un transport interprovincial minimal donne lieu à la conclusion que l’entreprise est une entreprise « fédérale » en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 (voir l’arrêt Consumers’ Gas Co. c Canada (Office national de l’Énergie) (1996), 195 N.R. 150 (CAF), au paragraphe 10, 1996 CarswellNat 335 (WL Can), au paragraphe 10, cité dans l’arrêt Tessier, au paragraphe 52).

[116]  Toutefois, les erreurs d’un arbitre dans l’analyse constitutionnelle ne signifient pas automatiquement qu’une mauvaise décision a été prise (Nishnawbe, au paragraphe 46). En effet, les employés de la division Transit affirmaient dans les observations déposées après l’audience que l’analyse de l’arbitre était essentiellement conforme à l’arrêt Westcoast et à l’arrêt Sawyer, de sorte que toute irrégularité technique dans son exposé du droit était sans conséquence.

[117]  Il appartient donc à la Cour de déterminer la question constitutionnelle de la présente demande. Étant donné que les parties s’entendent sur le droit applicable et que les éléments de preuve qui m’ont été présentés sont de nature documentaire dans l’ensemble, non contestés et résumés par l’arbitre dans sa décision, je ne vois aucun motif de ne pas entreprendre l’analyse : renvoyer la présente affaire à l’arbitrage prolongerait davantage et inutilement un différend qui perdure depuis près de huit ans, depuis le jour où les employés de la division Transit ont changé d’employeur. Demander la tenue d’une autre audience, compte tenu des constatations factuelles globalement incontestées, ne servirait pas les intérêts des parties ou du système de justice. Comme l’a écrit la juge Karakatsanis dans l’arrêt Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, au paragraphe 25, « [l]e règlement expéditif des litiges par les tribunaux permet aux personnes concernées d’aller de l’avant ».

[118]  Lorsque les faits essentiels ont été déterminés ou ne sont pas contestés, la Cour a la capacité – et, selon moi, la responsabilité – de répondre à la question centrale de savoir si la demanderesse est assujettie à la réglementation fédérale ou provinciale (Nishnawbe, au paragraphe 46; Turnaround Couriers Inc. c Société Canadienne Des Postes, 2012 CAF 36; Syndicat des agents de sécurité Garda, Section CPI-CSN c Corporation de sécurité Garda Canada, 2011CAF 302 [Garda]; Native Child and Family Services of Toronto c Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, 2008 CAF 338, conf. par 2010 CSC 46; décision Nation crie de Fox Lake c Anderson, 2013 CF 1276). En outre, au paragraphe 29 de l’arrêt Garda, le juge Mainville a déclaré qu’il fallait faire preuve de retenue à l’égard des conclusions factuelles sous-jacentes d’un arbitre si ces conclusions peuvent être séparées de l’analyse constitutionnelle, comme c’est le cas dans la présente demande.

2)  Les employés de la division Transit sont-ils assujettis à la réglementation fédérale ou provinciale?

[119]  Je pars de la présomption que les relations de travail de la division Coach et de la division Transit relèvent de la réglementation provinciale (NIL/TU,O, au paragraphe 11). Le seul pouvoir fédéral pertinent dans la présente demande figure à l’alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867, aux termes duquel le gouvernement fédéral a compétence sur les entreprises de transports interprovinciaux. Il est incontesté qu’en juillet 2010, Tokmakjian était une entreprise de transport. Parmi les activités de la division Coach, on comptait de façon régulière et continue des passages des frontières provinciales. Par conséquent, la division Coach était une entreprise interprovinciale au sens de l’alinéa 92(10)a). Cela signifie qu’elle était une entreprise « fédérale » pour les fins du critère fonctionnel, et que la présomption de compétence provinciale est réfutée en ce qui a trait aux relations de travail de la division Coach à ce moment-là.

[120]  À première vue, les activités de la division Transit, en revanche, étaient intraprovinciales : je ne dispose d’aucune preuve qui pourrait appuyer la conclusion que les conducteurs ou les autobus de la division Transit traversaient régulièrement et continuellement les frontières provinciales. Par conséquent, la seule façon dont les relations de travail de la division Transit relèveraient de la compétence fédérale serait en raison du lien de la division Transit avec la division Coach, une entreprise de transport interprovinciale. Pour réfuter la présomption de compétence provinciale, je dois conclure que la division Transit était une entreprise « fédérale » soit parce qu’elle formait i) une entreprise « unique » avec la division Coach (compétence directe), soit parce qu’elle ii) faisait « partie intégrante » de la division Coach (compétence dérivée). Dans tout autre cas, la présomption de compétence provinciale à l’égard des relations de travail de la division Transit prévaut.

[121]  Pour conclure à une entreprise « unique », et conclure par conséquent que la division Transit était « directement » une entreprise fédérale, je dois établir que la division Transit et la division Coach étaient « intégrées sur le plan fonctionnel » et assujetties « à une gestion, à une direction et à un contrôle communs » (Westcoast, au paragraphe 65).

[122]  Pour conclure à une compétence fédérale « dérivée », je dois établir que la « nature fonctionnelle essentielle » de la division Transit faisait en sorte que cette dernière faisait « partie intégrante » de la division Coach en évaluant dans quelle mesure l’exploitation efficace de la division Coach dépendait des services fournis par la division Transit et en soupesant l’importance de ces services pour la division Transit elle-même (Tessier, aux paragraphes 18 et 46).

[123]   Ces analyses abordent le « critère fonctionnel » en deux étapes et soulèvent un certain nombre d’aspects qui se chevauchent en ce qui a trait à l’intégration. Je dois mettre l’accent sur les « activités normales ou habituelles de l’affaire » et ne pas tenir compte des « facteurs exceptionnels ou occasionnels » (NIL/TU,O, au paragraphe 14). Puisque dans la présente demande, aussi bien le critère de la compétence « directe » que le critère de la compétence « dérivée » valident la relation entre la division Coach et la division Transit, je vais tenir compte globalement des deux analyses.

[124]  Je ne suis pas convaincu par l’argument de Tokmakjian selon lequel les observations des employés de la division Transit déposées devant la CRTO en 2010 corroborent la position de Tokmakjian dans le cadre de la présente demande. Je ne crois pas que les demandes présentées antérieurement à une commission des relations de travail soient d’une grande aide, soit parce qu’elles n’ont jamais été tranchées soit parce qu’elles l’ont été il y a longtemps, de manière superficielle, et sans référence aux principes juridiques régissant ce domaine à l’époque. Ces principes ont évolué, comme l’a fait Tokmakjian. En formulant cette conclusion, je n’exclus toutefois pas la possibilité qu’une décision arbitrale reliée aux relations de travail puisse aider d’autres décideurs à déterminer si une entreprise donnée est « fédérale », réfutant ainsi la présomption de compétence provinciale.

[125]  À l’époque pertinente, la division Coach assurait des services d’autobus nolisés et la division Transit assurait des services municipaux. Je ne conclus pas que les divisions Transit et Coach travaillaient ensemble vers un objectif quelconque (Sawyer, au paragraphe 44) – sauf si cet objectif était « le transport en autobus », ce qui, dans les circonstances de l’espèce, est trop large pour être significatif, et trop éloigné des réalités en matière d’exploitation de Tokmakjian.

[126]  Les employés de la division Transit affirment, en s’appuyant sur l’arrêt Sawyer, que les activités municipales de la division Transit étaient de nature contractuelle et qu’elles constituaient par conséquent, une simple entente commerciale accessoire à leur nature intégrée. Cet argument n’est pas convaincant, puisque je dois prendre en considération la façon dont les divisions Transit et Coach étaient réellement exploitées (Sawyer, au paragraphe 38), et non la façon dont elles « auraient pu » être exploitées si elles avaient été organisées différemment (Westcoast, au paragraphe 53). Le fait que les activités de la division Transit dans la région de York découlaient d’un contrat n’est d’aucune aide dans cette analyse. Et, en passant, le fait que, lorsque Tokmakjian a perdu le contrat de la région de York, les employés de la division Transit ont été mis à pied et immédiatement réembauchés par Veolia amoindrit l’argument invoqué par les employés de la division Transit à cet égard.

[127]  Selon moi, rien ne valide l’utilisation d’installations communes, puisqu’un lien physique est insuffisant pour établir une entreprise unique (Westcoast, au paragraphe 48). Selon les témoignages devant l’arbitre, les divisions Coach et Transit exerçaient leurs activités dans une même installation physique pour des raisons de commodité commerciale uniquement, puisque les activités de la division Coach ont diminué après le 11 septembre 2001 et qu’elles ne justifiaient pas l’utilisation d’une installation distincte. Je ne suis pas d’avis que l’utilisation d’une même structure simplifiait ou contribuait à l’avancement d’un objectif commun, intégratif. Il en va de même pour l’utilisation commune des salles de repos, des toilettes et de l’aire de stationnement.

[128]  De même, j’estime qu’un grand nombre des facteurs invoqués par l’arbitre n’indiquaient que des raisons de commodité pour l’entreprise. Par exemple, l’arbitre trouvait important le fait que les chauffeurs de la division Transit qui offraient leurs services pour la division Coach étaient payés pour les deux types de travail au moyen d’un chèque de paie unique et en a déduit, compte tenu du manque d’éléments de preuve de nature financière à sa disposition, que Tokmakjian avait adopté une approche de [traduction] « mise en commun » en ce qui a trait aux finances. En effet, l’arbitre a considéré la séparation financière comme étant [traduction] « un facteur important » dans son analyse, écrivant que, sans preuve du fait que les données financières des divisions Coach et Transit étaient séparées, elle « ne pouvait pas » conclure que [traduction] « deux affaires ou entreprises distinctes [étaient] exploitées par Tokmakjian ».

[129]   En gardant ces conclusions à l’esprit, je ne suis pas d’accord avec les observations des employés de la division Transit déposées après l’audience et affirmant que l’analyse de l’arbitre était essentiellement conforme à l’arrêt Sawyer, qui établit expressément que [traduction] « les ententes commerciales et de facturation » sont des facteurs [traduction] « accessoires » (Sawyer, au paragraphe 38).

[130]  Contrairement à l’arbitre, je ne trouve pas qu’il soit utile de caractériser le contrat de Tokmakjian avec la région de York comme étant [traduction] « un très gros contrat répétitif de services d’autobus nolisés ». Les divisions Transit et Coach avaient chacune leur propre système de répartition, leurs propres chauffeurs et leur propre équipement. Sur les plans pratique, fonctionnel et factuel, ces différences servaient à répondre aux finalités différentes des deux divisions et en étaient une indication – la première offrant des services de transports interprovinciaux en autobus nolisés; la deuxième assurant le service d’autobus municipal et ayant uniquement des itinéraires en Ontario.

[131]  Ces différentes finalités se traduisaient également par des différences quant au paiement (les chauffeurs de la division Coach étaient payés par voyage tandis que les chauffeurs de la division Transit étaient payés à l’heure) et à la formation. Et dans la mesure où il y avait un chevauchement dans la formation reçue par les chauffeurs des divisions Transit et Coach, la preuve indique que ce n’était le cas que pour la question limitée du service à la clientèle, et non pour la formation offerte aux chauffeurs pour exercer leur principale fonction.

[132]  Je ne suis pas d’avis que la division Transit soutenait la division Coach ou travaillait pour cette dernière, en totalité ou en partie, de la manière envisagée dans l’arrêt Westcoast. Je ne suis pas d’avis non plus que l’exploitation efficace de la division Coach dépendait de la division Transit de quelque façon que ce soit, que ce soit pour le déploiement d’employés ou l’utilisation de l’équipement ou d’autres services, comme il est exposé dans l’arrêt Tessier. Au contraire, l’arbitre a déclaré que les divisions Coach et Transit avaient [traduction] « différentes réserves » de chauffeurs, qui n’étaient pas traitées comme étant interchangeables, et que le mélange de chauffeurs n’était ni fréquent ni répandu. Je remarque également que la preuve présentée par Tokmakjian indiquait que ce mélange se faisait de façon volontaire et n’était pas ordonné par Tokmakjian par des voies officielles. À cet égard, ce n’est pas le nombre d’entrecroisements, mais leur nature qui importe : Tokmakjian n’a pas demandé aux employés de Transit de conduire pour la division Coach, sauf dans les circonstances exceptionnelles de la conférence du G-20, que je ne peux pas prendre en compte vu que cet événement est sans précédent et par conséquent exceptionnel, en Ontario (NIL/TU,O, au paragraphe 14). En effet, le différend factuel le plus important porté devant l’arbitre portait sur la question de savoir si 0,85 % ou 1,5 % des chauffeurs de la division Transit conduisaient pour la division Coach – un pourcentage négligeable selon les deux statistiques. De nouveau, tous les services offerts par les chauffeurs de la division Transit à la division Coach ont été volontaires et minimes.

[133]  Les employés de la division Transit m’ont encouragé à me concentrer sur l’aspect du « contrôle » du critère de l’« entreprise unique » établi dans l’arrêt Westcoast, laissant entendre que le haut niveau de contrôle par Tokmakjian sur les divisions Coach et Transit supplantait les différences en matière de gestion au niveau des divisions.

[134]  Je ne suis pas d’avis que ce haut niveau de contrôle était utilisé afin de poursuivre un objectif commun et intégratif, comme c’était le cas dans l’arrêt Sawyer. Tokmakjian a présenté des éléments de preuve indiquant que l’entrecroisement des chauffeurs était extrêmement limité, et purement volontaire. Sur ce point, l’arbitre a convenu du fait que Tokmakjian n’avait pas consigné rigoureusement l’entrecroisement des chauffeurs, soit parce que cet entrecroisement [traduction] « n’avait pas d’importance », soit parce qu’il avait lieu [traduction] « occasionnellement ».

[135]  En outre, contrairement à la position prise par les employés de la division Transit sur le contrôle commun, le dossier montre que la division Transit était trop grande pour être gérée par les mêmes personnes que celles gérant la division Coach; en juillet 2010, Tokmakjian avait dépassé la capacité d’un système de gestion centralisée. Je ne suis pas d’avis qu’il y avait un niveau important de « gestion ou de contrôle commun » à l’égard des deux divisions : les gestionnaires avaient essentiellement un contrôle sur leurs propres employés, y compris pour l’embauche et le congédiement, et ces processus fonctionnaient nécessairement différemment, puisque les employés de la division Transit étaient assujettis aux conditions d’une convention collective, tandis que les employés et les entrepreneurs de la division Coach n’étaient pas syndiqués.

[136]  Tenant compte de tous ces faits, qui soit sont incontestés, soit découlent des conclusions de l’arbitre à l’égard desquelles la Cour doit faire preuve d’une grande déférence, je conclus que la division Transit ne formait pas une entreprise « unique » avec la division Coach, qu’elle ne faisait pas « partie intégrante » de ses activités, et qu’elle n’était donc pas « fédérale » dans le but de réfuter la présomption de la compétence provinciale sur ses relations de travail selon une analyse de la compétence « directe » ou « dérivée ».

[137]  J’ai déterminé que les divisions Coach et Transit étaient, à l’époque des faits, non intégrées sur le plan fonctionnel, en me concentrant sur ce que faisaient les divisions Coach et Transit, et non sur leur emplacement (Sawyer, au paragraphe 47) : en effet, ce que faisaient les divisions Coach et Transit définissait la portée géographique de leurs activités, et non l’inverse. J’ai pris en compte les indices de l’intégration, et non les différences (Sawyer, au paragraphe 44), et les activités que chaque division exerçait réellement (Sawyer, au paragraphe 38, citant l’arrêt Fastfrate, au paragraphe 76), sans tenir compte des questions de simple commodité commerciale ou d’entreprise (Westcoast, au paragraphe 66), ni des facteurs exceptionnels ou occasionnels ou de la façon dont Tokmakjian « aurait pu » être exploitée si elle avait été structurée différemment (NIL/TU,O, au paragraphe 14; Westcoast, au paragraphe 53). La présomption provinciale n’a pas été réfutée.

[138]  Puisque cette analyse s’avère concluante, il ne m’est pas nécessaire de déterminer si la réglementation provinciale de la division Transit porterait atteinte au « contenu essentiel » du chef de compétence fédérale (Nishnawbe, au paragraphe 72).

[139]  Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, et la décision est annulée. Puisque la division Transit ne relève pas de la compétence fédérale, mais relève plutôt de la compétence provinciale, l’arbitre n’a pas le pouvoir de traiter de la question de l’indemnité de départ aux termes de l’article 167 du Code.

V.  Dépens

[140]  À l’audience de la présente demande, les parties ont convenu que les dépens seraient adjugés à la partie ayant gain de cause. Par conséquent, Tokmakjian a droit à ses dépens contre les employés de la division Transit.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1110-15

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est accueillie.

  2. La décision de l’arbitre datée du 1er juin 2015 est annulée puisque les défendeurs ne sont pas assujettis au Code canadien du Travail, LRC (1985), c L-2;

  3. Les dépens sont adjugés à la demanderesse

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de juillet 2020

Lionbridge


Annexe A

Liste des employés (défendeurs), plaignants dans les dossiers :

YM2727-3244, YM2727-3308 et YM2727-3309

Vella  Sam

Schembri  Mike

Van Bebber  Andreas

Passaro  Rosa

Gosney  David

Civichino  Frank

Stoltenhoff  Vince

Walker Noel

Ash Chris

Kumar  Sarita

Quinche Liberta

Castro John

Castro Leopoldina

McKenzie Hamlet

Arasakula Jalan

Rowsell  Bruce

Khan  Zahid

Santarita Alda

Annamalai Vijay

Rabinovich Manuel

Walji Nazim

Zamora Blanca

Lue Gregory

Singh  Kerlaminar

Desai Abdul

Thacius Abraham

Amirthalingam  Arunan

Mahadeo  Elena

Rajenthram  Siva

Selvachandiran Tharmarajah

Smart Stanford

Gomes  Barry

Singh  Amar

Kanapathy  Devan

Clark  Sandra

Thavarajah  Kiru

Damji  Shaffin

Kandiah Nesarajah

Nadarajah  Jeeva

Atbay  Abdul

Drummond  Michael

Li  Sue

Giannatassio  Gloria

Natt  Kamaljit

Ricketts  Hyacinth

Tung  Qunicy

Karnis  Laszlo

Terrett  Judith

Mohanapalan  Mark

Bollers  Andrea

Newman Tim

Sivakkolunthu  Nagules

Rose Bernard

McDonald  Christine

Nischal  Lalit

Kostukovsky  Alex

Chorowiec Walter

Leung  William

Shortell  Scott

Perera Atula (Len)

Medeiros Fernandina

Dutra  Manuel

Pararasasegaram S

Bukhari  Suraya

Achorn  Ed

Markandu  Thana

Arasakulasingam Sutha

Lal  Prem

Navarro  Windsor

Wu  Kwok

Lee  Ronald

Moushi Samira

Lewis  Miranda

Hainsworth  Steve

Ponnambalan  Sureshkumar

Hui  Thomas

Vincent  Aneeta

Packeyarajah Nanthacumaar

Forutan  Fatemeh

Singh  Devinder

Hamilton  Winston

Rajakulasooriyar Mylvaganam

Akhlaghi Ardeshir

Kelly  Sue

Guzman  Rene

Vallipuranathan  Kandiah

Nicoletti  Franco

Lingaratnam  Kumar

Subramaniam  Matheswaran

Rajcoomar  Muneshwar

Thanabalasingham  Kulasingham

Samson  Yonas

McKay  Laura

Datta  Sanjay

Bouffard  Maxime

Raveendran  Thambapillai

Tandel  Abdolkarim

Cheema  Narinder

Fu  Eric

Mao  Hau-Shing

Muir  Frank

Rudhra  Satish

Au  Thomas

Ursini  Tony

Arunasalam  Ariyaratnam

Bakharev  Olga

Kandiah Satchithanantham

Poliyekudiyil  Jose Paul

Selvarajah  Selvendra

Sivapathan  Piranavan

Vinayagamurthy  Saishankar

Vyramuthu Sutharsan

Edjiu  Atour

Robet  Alexander

Shakoor  Amtul

Ahmed  Ashfaq

Ladha  Mirza

Karthigesu  Poopathirajah

Huo Jinian

Mailvaganam  Balasingham 

Ahmed  Mehmood

Mighty  Angela

Phangura  Mandeep

Jeyaseelan  Thambiayah

Nithiyanandan Vadivel

Pathmanathan  Sivanathan

Poologanathan  Subramaniam

Tchirkov  Anna

Zatulovsky Igor

Kaplan  Tatiana

Tharmalingam Balachandran

Tynes-Constantine  Sharon

Jegatheswaran Vimal

Thiagarajah  Kandiah

Manuel  Aloysius

Arumaithurai  Thayaparan

Markandu  Selvakumaran

Jegatheeswaran  Ramesh

Rai  Ranjit

Sharma  Raman

Rana  Muhammad

Ramanathan  Ratnakumar

Bdwal Ajit

Mohanaraj  Arulampalam

Annamalai Vasanthakumar

Arumugam  Sivanathan

Kats  Igor

Prabhaharan  Kumaraguru

Chan  Sui-Fun

Karthigesu  Sivarojiny

Sahota  Jasmeet

Shanmugathas  Kokulan

Soliba  Ali

Velautham  Sasikumar

Anthonipillai  Lawrence

Ganeshalingam  Narmilan

Cromwell  Marlene

Kamalathasan Rajaratnam

Sandirasegaram Karalasingam

Sundaralingam  Sathiyan

Varithamby Thevarajan

Mai Thomas

Alagaiah  Gnanaswaran

Duncan  Floyd

Palany  Prabakaran

Subramaniam  Srirengan

Thampipilai  Vigneswaran

Bai  Jian

Jeyanathan  Sellathurai

Luk  Kwun

McIntyre  Kevin

Sambalis  Vassilios

Vekneswaran  Cinnadurai

Kalirasa  Pathmajeyalan

Kandiah  Ganesarajah

Pararajasingam  Elango

Allman  Faig

Derhovagimian  Zaghkanouch

Kandiah  Selvarajah

Subramaniam  Vishnukumar

Cresswell  Ronald

Luis Agostini

Antonio Pacheco

Gowriji Ganesharatnam

Edgar Montenegro

James Nickerson

Kenneth Edgar

Eddie Chen

Ahmed Abdul

Bassi Rupinder

Cestra Alberta

Kumar Shawn

Lama Gennaro

Libab Tesfa

Lynch Alan

Millard Kim

Mitkowski Mile

Mohammed Jameel

Perpelista Victoria

Prestanizzi Joseph

Rae Teresa

Ursini Tony

Senthilkumar Velucchamy

Dominique Oronos

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1110-15

 

INTITULÉ :

TOKMAKJIAN INC c LES EMPLOYÉS FIGURANT À L’ANNEXE « A », ED ACHORN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 avril 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Joseph Morrison

 

Pour la demanderesse

 

Simon Blackstone

Karen Ensslen

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthews Dinsdale & Clark

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Ursel Phillips Fellows Hopkinson LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les défendeurs

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.