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Date : 20170508


Dossier : T-1376-14

Référence : 2017 CF 460

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 mai 2017

En présence de madame la protonotaire Mireille Tabib    

ENTRE :

CERTAINS SOUSCRIPTEURS DE LA LLOYD'S ET SOLINE TRADING LTD.

demandeurs

et

MEDITERRANEAN SHIPPING COMPANY S.A.

défenderesse

et

4103831 CANADA INC. (EXPLOITÉE ET FAISANT AFFAIRE SOUS LA RAISON SOCIALE TRANS SALONIKIOS

mise en cause

 


ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               La mise en cause, 4103831 Canada Inc., d.b.a. Trans Salonikios (« Trans Salonikios »), présente cette requête pour radier la mise en cause déposée contre elle par Mediterranean Shipping Company S.A. (« MSC ») au motif qu’elle ne communique aucune cause d’action raisonnable sur laquelle la Cour est compétente. Pour les motifs qui suivent, la requête sera accueillie.

[2]               Voici les faits présentés dans les plaidoyers et qui ne font l’objet d’aucune contestation.

[3]               La demanderesse, la Mediterranean Shipping Company S.A. [MSC], est un transporteur maritime. En juin 2013, par contrat de transport constaté par un connaissement, MSC a accepté de transporter un conteneur censé contenir une cargaison de crevettes surgelées depuis le port de Guayaquil, en Équateur, jusqu’au port de Montréal.

[4]               Le 26 juin 2013, le conteneur a été déchargé à Montréal et entreposé dans l’aire du terminal de Termont, en attendant le ramassage. Le jour même, Trans Salonikios, une entreprise de camionnage, s’est présentée au terminal de Termont pour ramasser le conteneur. Termont a libéré la cargaison à Trans Salonikios. Toutefois, Tans Salonikios n’était pas autorisée par la consignataire de la cargaison, la demanderesse Soline Trading Ltd., mais avait soit obtenu illégalement le code de mainlevée pour voler la cargaison ou avait été dépêchée par une ou plusieurs personnes inconnues, qui avaient obtenu illégalement le code de mainlevée. La cargaison n’a jamais été livrée au propriétaire légitime. Pour ces motifs, la demanderesse poursuit MSC, en qualité de transporteur, la tenant responsable de la livraison fautive de la cargaison.

[5]               MSC rejette toute responsabilité pour la perte. Elle allègue — quoique les demandeurs contestent vivement cette allégation — que le contrat de transport avait pris fin au moment où la cargaison avait été libérée et livrée à Termont. Néanmoins, MSC a intenté une action par voie de mise en cause contre Trans Salonikios, demandant une indemnisation, dans le cas où un jugement serait prononcé contre elle en faveur des demandeurs, au motif que la perte imputable à la livraison fautive de la cargaison résulte des actes illégaux et négligents de Trans Salonikios.

[6]               Trans Salonikios affirme que la Cour n’est pas compétente pour entendre la requête par voie de mise en cause présentée contre elle par MSC. MSC soutient qu’une décision de la compétence de la Cour est prématurée à ce stade des procédures et qu’il n’est pas évident et manifeste que la Cour n’a pas compétence pour entendre la mise en cause en raison de sa compétence générale à l’égard des recours présentés en vertu du droit maritime canadien, comme le prévoit le paragraphe 22(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7.

[7]               Les demandeurs ne prennent pas position sur les questions de compétence, mais avisent la Cour qu’elle ne devrait pas, en décidant sur la requête, faire des conclusions de fait qui nuiraient à sa demande contre MSC et qui pourraient être contraignantes pour le juge d’instance. En particulier, les demandeurs insistent pour dire que la Cour ne doit pas prétendre de décider du fond des arguments de MSC et de Trans Salonikios concernant le fait que le contrat de transport maritime conclu entre MSC et les propriétaires des marchandises avaient pris fin au moment de libérer la cargaison à Trans Salonikios.

[8]               Je n’ai pas besoin de décider cette question, car je suis convaincue que la Cour n’a pas de compétence sur la requête d’indemnisation présentée par MSC contre Trans Salonikios, que le contrat de transport ait pris fin ou non.

[9]               Aucune des parties à ce litige n’allègue l’existence d’une relation contractuelle entre Trans Salonikios d’une part, et les demandeurs ou MSC d’autre part. Cependant, l’avocat de MSC a insisté, lors de l’audience, sur les faits circonstanciels suivants, lesquels, selon lui, ont été établis dans les communications préalables :

              Trans Salonikios a reconnu avoir une obligation envers MSC, à savoir retourner le conteneur vide après sa livraison et son déchargement par le destinataire et, si elle ne le faisait pas, elle serait tenue responsable envers MSC.

              Le terminal de Termont agit à titre de mandataire de MSC dans la libération de la cargaison aux camionneurs autorisés à la recevoir.

              La cargaison était arrimée dans un conteneur frigorifique, que Termont devait entreposer à un endroit désigné, ainsi que le brancher et le surveiller. MSC pouvait être tenue responsable envers le propriétaire de la cargaison si Termont ne remplissait pas son obligation à cet égard.

              En raison des procédés modernes de transport maritime, de la logistique de transit et du mouvement des cargaisons en conteneurs, il y existe une forte intégration entre les opérations de Termont et celles de Trans Salonikios. Les entreprises de camionnage comme Trans Salonikios doivent être vérifiées et certifiées par Termont afin d’autoriser leur accès au système informatique du terminal pour suivre le mouvement des conteneurs. Termont doit aussi vérifier si ces entreprises disposent de matériel adéquat pour le ramassage.

[10]           Bien que le dossier de requête ne comporte aucun élément de preuve à l’appui de ces faits, j’en ai néanmoins tenu compte comme s’il s’agissait d’allégations dans les plaidoyers. J’examinerai si, tous les faits allégués étant considérés comme démontrés, il est évident et manifeste que la Cour n’est pas compétente pour entendre la réclamation de la mise en cause.

[11]           Tout recours contre Trans Salonikios dans cette affaire, qu’il ait été déposé directement par les demandeurs contre Trans Salonikios ou par voie de mise en cause par MSC à des fins d’indemnisation ou de réparation, peut seulement être fondé sur la responsabilité délictuelle ou extracontractuelle. Cette responsabilité serait fondée sur le rôle de Trans Salonikios à titre d’entreprise de camionnage agissant au profit des voleurs pour ramasser la cargaison au terminal maritime ou encore à titre de voleur agissant de son propre chef pour dérober la cargaison dans le terminal. Ce genre de cause d’action n’a rien à voir avec le droit maritime canadien et ne concerne pas des questions maritimes ou d’amirauté, peu importe l’angle sous lequel ces questions sont examinées.

[12]           MSC soutient que sa requête par voie de mise en cause, étant fondée sur le vol de marchandises d’un terminal maritime, ne se distingue pas de la réclamation examinée dans ITO ‑ International Terminal Operators c Miida Electronics Inc., [1986] 1 RCS 752. Cette demande portait sur le vol de marchandises entreposées dans un terminal maritime, et la Cour suprême du Canada a conclu qu’il était régi par le droit maritime canadien et relevait de la compétence de la Cour fédérale. En prenant sa décision, la Cour suprême a conclu ce qui suit :

21.       […]

Il est clair, à mon sens, que cet entreposage accessoire par le transporteur lui-même, ou par un tiers lié par contrat avec le transporteur est aussi une affaire d’intérêt maritime en vertu du « rapport étroit existant en pratique entre le transit et l’exécution du contrat de transport » (le juge Le Dain en Cour d’appel). On peut donc conclure que la manutention et l’entreposage accessoire, avant la livraison et pendant que la marchandise reste sous la garde d’un acconier dans la zone portuaire, est suffisamment liée au contrat de transport maritime pour constituer une affaire maritime qui relève du droit maritime canadien, au sens de l’art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale.

[13]           MSC soutient de plus que les circonstances actuelles remplissent les « trois facteurs importants » qui ont défini la nature maritime de l’espèce dans ITO :

22.       Au risque de me répéter, je tiens à souligner que la nature maritime de l’espèce dépend de trois facteurs importants. Le premier est le fait que les activités d’acconage se déroulent à proximité de la mer, c’est-à-dire dans la zone qui constitue le port de Montréal. Le second est le rapport qui existe entre les activités de l’acconier dans la zone portuaire et le contrat de transport maritime. Le troisième est le fait que l’entreposage en cause était à court terme en attendant la livraison finale des marchandises au destinataire. À mon avis, ce sont ces facteurs qui, pris ensemble, permettent de caractériser la présente affaire comme mettant en cause du droit maritime canadien.

[14]           Cependant, la cause d’action alléguée est portée contre Trans Salonikios, un camionneur, alors que celles dans ITO avaient été portées contre le transporteur océanique et l’acconier. Le recours de MSC contre Trans Salonikios ne vise pas l’exécution d’un contrat de transport maritime de marchandises ou les obligations et responsabilités de l’exploitant d’un terminal maritime. Dans son recours contre Trans Salonikios, MSC ne remet pas en question ses obligations d’exploitant de navire ni de transporteur maritime de marchandises ou encore les obligations de Termont à titre d’exploitant de terminal maritime, mais strictement les obligations de Trans Salonikios à titre d’entreprise de camionnage ou sa conduite de voleur.

[15]           La situation de Trans Salonikios en tant que transporteur terrestre dont la négligence a causé des dommages aux marchandises qui avaient été auparavant transportées par voie maritime ressemble beaucoup plus à celle des camionneurs dans Matsuura Machine Corp. c Hapag Lloyd AG, [1997] FCJ no 360, Sio Export Trading Co. c The « Dart Europe », [1984] 1 CF 256 et Marley Co. c Cast North America (1983) Inc., [1995] FCJ no 489 plutôt que celle de l’acconier dans ITO.

[16]           Dans Matsuura, le juge a conclu que le transport par un transporteur terrestre, même s’il est sous contrat du transporteur océanique, et même si la partie du transporteur terrestre dans le transport fait partie d’un mouvement continu, il n’est pas [traduction] « si intégralement lié aux affaires maritimes qu’il relève du droit maritime canadien au sein de la compétence législative fédérale ».

[17]           Dans The « Dart Europe », il est aussi allégué que le transporteur routier a fait preuve de négligence. En l’espèce, le conditionnement d’une machine, transportée dans un conteneur à toit ouvert, avait été endommagée durant le transport par mer. Le transporteur maritime avait pris des dispositions pour faire transporter la machine et le conteneur à un atelier de réparation à Dorval, pour qu’elle soit reconditionnée et arrimée avant de donner suite au contrat de transport. La machine a été endommagée durant son transport de l’atelier de réparation vers le port de Montréal par un camionneur engagé par le transporteur maritime. La Cour fédérale a statué que [traduction« le transport routier effectué par Godin entre l’atelier de réparation à Dorval et le port de Montréal ne peut être considéré comme “étroitement lié” au transport par mer, de telle sorte à faire “partie intégrante” des activités maritimes essentielles au transport de marchandises par mer ».

[18]           Enfin, dans Marley, où la négligence d’un transporteur ferroviaire a causé des dommages à une cargaison en transit, aux termes d’un connaissement direct, la Cour a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour entendre la requête contre le transporteur ferroviaire.

19.       […] Ce n’est pas parce qu’un contrat de transport ferroviaire ou routier est conclu au moyen d’un connaissement, qui prévoit en partie un transport par mer, que les contrats antérieurs relèvent nécessairement de la compétence de la Cour. Je ne suis certes pas disposée à accepter qu’un contrat de transport ferroviaire ou routier de marchandises aux États‑Unis, au Canada ou en Europe relève de la compétence maritime de la Cour, du simple fait que le transport s’inscrit dans le mouvement continu d’un conteneur depuis Shiller Park, en Illinois, jusqu’à Tiel, en Hollande.

[…]

21.       À mon avis, il est impossible de soutenir que les activités de Soo Line font partie intégrante d’un contrat de transport par mer, au même titre que les activités de l’exploitant de terminal dans ITO.

      Dans les circonstances de cette affaire, où il n’est pas allégué que Trans Salonikios est liée contractuellement à aucune partie du contrat de transport maritime, il est encore plus clair que ses activités ne font pas partie intégrante du transport maritime et qu’une action intentée contre elle ne relève pas de la compétence maritime de la Cour.

[19]           MSC soutient que l’affaire en cause est une question de livraison fautive. Elle prétend que la livraison appropriée de conteneurs est, en raison des procédés modernes de la logistique du transit et du mouvement de cargaisons en conteneurs, traitée par des acconiers pour le compte de compagnies de marine marchande, et exige une intégration logistique complexe entre les activités de l’acconier et celles du camionneur. Ces faits sont en jeu dans le présent litige, et la Cour doit donc réévaluer les limites du droit maritime canadien à la lumière des technologies et de procédés évolutifs.

[20]           L’argument de MSC est hors propos. Il avait déjà été établi que les activités d’un exploitant de terminal sont entièrement liées à des questions maritimes et que ses obligations envers les transporteurs maritimes et les propriétaires des cargaisons sont régies par le droit maritime canadien, ce qui comprend l’obligation d’un exploitant de terminal de livrer le conteneur au bon consignataire. L’intégration logistique entre l’exploitant de terminal et l’entreprise de camionnage n’a pas comme résultat que les activités du camionneur relèvent de la compétence fédérale par association. La cause d’action invoquée par MSC contre Trans Salonikios dans cette affaire découlerait du fait que l’exploitant de terminal n’a pas rempli son obligation d’assurer l’exécution de la livraison, mais elle n’est pas fondée sur le manquement de l’exploitant de terminal à ses obligations. Elle est fondée uniquement sur la responsabilité extracontractuelle de Trans Salonikios à l’égard de MSC, à titre d’entreprise de camionnage ou découlant du vol.

[21]           L’intégration des activités et de la logistique entre Termont et Trans Salonikios, bien qu’elle fasse partie des res gestae, ne modifie nullement le caractère de la relation juridique, qui est régie par les lois provinciales, entre MSC, un transporteur maritime, et Trans Salonikios, une entreprise de camionnage.

[22]           Enfin, MSC soutient que la Cour fédérale devrait entendre la requête par voie de mise en cause comme une question d’économie des ressources judiciaires, puisqu’il serait inutile et donnerait lieu au risque de jugements contradictoires si la requête par voie de mise en cause était décidée dans une cour différente alors qu’elle comporte les mêmes faits et les mêmes preuves. Cet argument a déjà été considéré et rejeté par la Cour dans The « Dart Europe », cité plus haut :

12.       Je suis, bien sûr, conscient qu’il est souhaitable de maintenir toutes les parties touchées par le résultat d’une action comme parties à l’action. Cependant, aussi souhaitable serait-il de joindre le transporteur terrestre au transporteur de la cargaison, à l’expéditeur, au transporteur maritime, au navire et au consignataire, dans la même action, surtout lorsqu’on allègue que le transporteur terrestre est la partie négligente, ce souhait ou le souci d’accélérer les procédures ne peuvent pas conférer à une cour une compétence qu’elle ne possède pas. Il faudrait un effort d’imagination herculéen de cette Cour et de la Constitution de ce pays pour considérer une collision routière dans une province comme une question d’amirauté relevant de la compétence fédérale.

[23]           La requête de MSC par voie de mise en cause de Trans Salonikios est donc rejetée, avec dépens à Trans Salonikios.

[24]           La décision sur cette requête ne dépendait pas de la décision quant à savoir si le contrat de transport entre les propriétaires de la cargaison et MSC avait pris fin, et aucun des arguments de MSC ou de Trans Salonikios ne dépendait d’une telle décision ou ne s’y fiait. Par conséquent, les préoccupations des demandeurs et l’insistance à l’égard du fait que MSC et Trans Salonikios s’entendent pour que les conclusions de la Cour ne puissent pas contraindre le juge d’instance n’étaient pas fondées. La participation des demandeurs à cette requête était inutile. Aucuns dépens ne seront donc adjugés aux demandeurs ou contre eux.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.                  la requête de la mise en cause soit accueillie, avec dépens à la défenderesse;

2.                  la requête par voie de mise en cause contre la mise en cause soit rejetée, avec dépens à la défenderesse.

« Mireille Tabib »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1376-14

 

INTITULÉ :

CERTAINS SOUSCRIPTEURS À LA LLOYD'S ET SOLINE TRADING LTD. c MEDITERRANEAN SHIPPING COMPANY S.A. ET 4103831 CANADA INC. (EXPLOITÉE ET FAISANT AFFAIRE SOUS LA RAISON SOCIALE TRANS SALONIKIOS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er mai 2017

 

Ordonnance et motifs :

LA PROTONOTAIRE TABIB

 

DATE DES MOTIFS :

le 8 mai 2017

 

COMPARUTIONS :

Me James Manson

 

pour les demandeurs

 

Me Giovanni F. De Sua

 

pour la défenderesse

 

Me Jean-François Bilodeau

 

pour la mise en cause

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

FERNANDES HEARN s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour les demandeurs

 

ASTELL LACHANCE DU SABLON DE SUA

Avocats

Montréal (Québec)

 

pour la défenderesse

 

ROBINSON SHEPPARD SHAPIRO

Avocats et procureurs

Montréal (Québec)

 

pour la mise en cause

 

 

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