Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20171120


Dossier : T-2428-14

Référence : 2017 CF 1049

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

LA NATION CRIE D’ONION LAKE, REPRÉSENTÉE PAR SON CHEF OKIMAW FOX ET CONSEIL, DÛMENT ÉLUS

demanderesse

et

LE GOUVERNEUR GÉNÉRAL DU CANADA, SA MAJESTÉ LA REINE, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DÉVELOPPEMENT DU NORD CANADA, ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une requête présentée par la demanderesse, la Nation crie d’Onion Lake (la NCOL), dans le cadre de son action par laquelle la NCOL fait opposition à la Loi sur la transparence financière des Premières Nations, LC 2013, c 7 (la LTFPN). Au cours de la présente action, les défendeurs (le gouverneur général du Canada, Sa Majesté la Reine, représentée par le ministre des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, et le procureur général du Canada) ont présenté une requête en vue d’exclure le gouverneur général du Canada comme partie et de radier des allégations le concernant dans la déclaration. Dans une décision du 9 mai 2017, le protonotaire Lafrenière a accueilli la requête des défendeurs (la décision). Par la présente requête, la NCOL fait appel de la décision aux termes de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

[2]  Tel qu’il sera expliqué plus en détail ci-dessous, l’appel de la demanderesse est rejeté, parce que je suis d’avis que le protonotaire n’a commis aucune erreur en concluant qu’il est manifeste et évident que la demande formulée par la demanderesse contre le gouverneur général ne révèle aucune cause d’action valable. Compte tenu de l’argumentation de la demanderesse autour des rôles et des responsabilités qu’elle prétend être ceux du gouverneur général, je suis d’avis que le protonotaire a conclu à bon droit que la demande formulée par la demanderesse contre le gouverneur général n’est pas justiciable.

II.  Résumé des faits

[3]  La NCOL affirme dans sa déclaration qu’elle a été constituée en 1914 et qu’elle regroupe deux peuples issus de traités (les Makaoo et les Seekaskootch), qui succèdent à ceux qui ont conclu un traité avec la Couronne en 1876 à Waskahikanis (l’actuel Fort Pitt, en Saskatchewan) (le traité). Appelé le traité no 6, ce dernier est un traité au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11).

[4]  La LTFPN a été adoptée par la Chambre des communes et par le Sénat lors de la 41e séance et a reçu la sanction royale du gouverneur général le 27 mars 2013. Au mois de novembre 2014, la demanderesse a introduit la présente action pour faire opposition à la constitutionnalité de la LTFPN et pour solliciter diverses formes de réparation découlant de l’adoption et de la mise en œuvre de cette loi. La NCOL affirme dans sa déclaration que les défendeurs ont une obligation fiduciale envers les membres du traité de mettre en œuvre les modalités écrites, verbales ou implicites du traité, mais que les défendeurs ont mis en œuvre leurs obligations issues du traité de façon contraire à cette obligation fiduciale et aux autres obligations envers la NCOL. Il est allégué dans la déclaration que cette mise en œuvre : déroge à l’obligation fiduciale des défendeurs de gérer les terres et d’aliéner tout intérêt afférent [traduction] « au profit et à l’usage » de la NCOL, fait naître une obligation de tenir des consultations, ce que les défendeurs n’ont pas fait, et contrevient à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. La NCOL affirme plus précisément que l’adoption et la mise en œuvre de la LTFPN constituent un manquement aux obligations des défendeurs issues du traité et une violation des droits de la NCOL issus du traité.

[5]  En formulant ces revendications dans sa déclaration, la NCOL fait des allégations particulières contre le gouverneur général. Elle affirme que le gouverneur général, en tant que représentant du souverain, est le protecteur de l’honneur de la Couronne dans ses rapports avec les Premières Nations et, plus précisément, avec la NCOL, et que le gouverneur général a manqué à son obligation fiduciale de les consulter et a porté atteinte à l’honneur de la Couronne en n’honorant pas le traité. Il est aussi allégué dans la déclaration que les défendeurs ont adopté la LTFPN sans le consentement royal du gouverneur général, ce qui représente un écart dans la pratique qui n’est pas conforme à l’honneur de la Couronne ou un manquement, par le gouverneur général, de remplir ses fonctions, sans que l’honneur de la Couronne et ses devoirs aient été observés, par le refus de donner le consentement royal à la LTFPN.

[6]  Les défendeurs ont présenté une requête fondée sur les alinéas 221(1)a), b) et f) des Règles des Cours fédérales en vue de la radiation du gouverneur général en tant que défendeur et des passages ci-après de la déclaration :

[traduction]

2.  Le défendeur, le gouverneur général du Canada, est le représentant de Sa Majesté la Reine du chef du Canada, la Couronne, et est désigné comme son représentant dans la présente instance.

[...]

  1. Le défendeur, le gouverneur général du Canada, nommé sous l’autorité de la proclamation royale et des lettres patentes du 23 mars 1931, a été investi de tous les pouvoirs et de toutes les attributions dont le Roi d’Angleterre d’alors était validement investi conformément à la Loi de 1867 sur l’Amérique du Nord britannique, 1867-1946, puis par lettres patentes et par l’acte prévu par ces lettres patentes, ainsi que par l’acte délivré au gouverneur général sous le grand sceau du Canada et en vertu des lois qui étaient en vigueur au Canada et qui le sont actuellement.

  2. Le défendeur, le gouverneur général du Canada, a le pouvoir de convoquer, de proroger ou de dissoudre le Parlement du Canada, à titre de représentant légal de la Reine, et, notamment, de lire le discours du Trône annuel au nom de la Reine d’Angleterre, ce qu’il fait.

  3. La défenderesse, Sa Majesté la Reine, représentée par le ministre des Affaires autochtones, est le ministre responsable de s’acquitter des devoirs, obligations et responsabilités envers la demanderesse par l’effet d’un traité et de la common law.

  4. Par proclamation royale de 1763, LRC (1985) app. II, no 1, les terres réservées que possèdent les Premières Nations en Amérique du Nord leur appartiennent par traité à moins qu’elles ne soient cédées à la Couronne par cession légale conformément aux procédures établies dans ladite Proclamation royale.

  5. Cette proclamation royale établissait la politique selon laquelle la Couronne britannique devait traiter les Premières Nations de façon équitable et honorable et les protéger contre l’exploitation et les actes illégaux de quiconque pour quelque motif que ce soit.

  6. À tout moment pertinent, le titre ancestral était établi par cette proclamation royale et constituait la pierre angulaire du traité avec le gouvernement du Canada, et le défendeur, le gouverneur général, était institué protecteur de l’honneur de la Couronne dans l’ensemble de ses interactions et engagements avec les Premières Nations et, plus particulièrement, avec la demanderesse en l’espèce, et demeure ainsi institué.

  7. L’honneur de la Couronne comporte l’obligation du gouvernement fédéral d’agir de façon équitable à tout moment de l’exécution et de la mise en œuvre des engagements et des devoirs que le texte et l’intention du traité imposent, de façon explicite et implicite, aux défendeurs en faveur de la demanderesse.

  8. La demanderesse exerce un contrôle souverain sur la zone de ses terres de réserve en observant ses propres lois et coutumes auxquelles est assujetti le peuple de la demanderesse, la Première Nation d’Onion Lake, conformément à son traité.

  9. Le défendeur, le gouverneur général, a manqué à son obligation fiduciale et à son obligation de tenir des consultations et a porté atteinte à l’honneur de la Couronne auquel la demanderesse avait droit, en ne respectant pas les dispositions du traité.

[...]

  1. Les défendeurs ont adopté la Loi sans le consentement royal du défendeur, le gouverneur général, et cette omission représente un écart dans la pratique qui n’est pas conforme à l’honneur de la Couronne.

  2. De façon subsidiaire, le défendeur, le gouverneur général, n’a pas donné le consentement royal à la Loi, et s’est donc acquitté de son obligation envers la Couronne souveraine et la demanderesse, dans des circonstances où l’honneur de la Couronne et ses obligations n’ont en fait pas été observés, comme il a été affirmé précédemment dans la présente déclaration; les défendeurs ont alors agi de la manière décrite précédemment sans le consentement royal du gouverneur général.

[7]  Les défendeurs ont aussi présenté une requête en radiation de l’un des paragraphes de la demande de redressement figurant dans la déclaration, qui vise à obtenir un jugement déclaratoire portant que le gouverneur général ne s’est pas acquitté de son obligation de protéger la NCOL et de respecter et d’exécuter les droits issus du traité.

[8]  Le protonotaire Lafrenière a entendu la requête des défendeurs lors d’une séance extraordinaire tenue le 16 novembre 2016 et a accueilli la requête le 9 mai 2017, en rendant la décision résumée ci-dessous.

III.  La décision du protonotaire

[9]  Selon le protonotaire, les questions qui lui étaient soumises étaient : 1) celle de savoir si la désignation du gouverneur général à titre de partie à l’action était correcte; et 2) celle de savoir si la déclaration formule contre le gouverneur général une demande qui est litigieuse et relève de la compétence de notre Cour. Il a ensuite mentionné que le critère applicable à une requête en radiation en application de l’alinéa 221(1)a) des Règles consiste à savoir s’il est « manifeste et évident » que la demande ne révèle aucune cause d’action valable et a constaté, en ce qui concerne la radiation d’allégations qui constituent un abus de procédure, la compétence inhérente de la Cour d’empêcher l’abus lorsqu’il est évident qu’une instance est futile ou qu’elle n’a pas de chance de succès.

[10]  En examinant la première question en litige, le protonotaire a rejeté l’argument des défendeurs selon lequel le paragraphe 48(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7, qui dicte la façon d’entamer une procédure contre la Couronne, empêchait la désignation du gouverneur général à titre de défendeur. Bien que le paragraphe 48(1) renvoie à un modèle dont l’intitulé général comporte la mention « Sa Majesté la Reine » à titre de défenderesse d’une procédure contre la Couronne, le protonotaire a conclu que le libellé du paragraphe 48(1) fait de ce paragraphe une disposition permissive, et non obligatoire.

[11]  Les défendeurs ont aussi soutenu que la demande à l’encontre du gouverneur général devrait être radiée comme étant redondante, comme le permet l’alinéa 221(1)b) des Règles, parce que Sa Majesté la Reine est déjà désignée à titre de défenderesse. Les défendeurs ont fait valoir qu’il n’y a aucun motif de nommer une personne comme le gouverneur général en l’absence de toute allégation de responsabilité personnelle portée contre elle. Le protonotaire a constaté que la NCOL a reconnu que Son Excellence le très honorable gouverneur général David Johnston n’est pas poursuivi en son nom propre, mais aussi que la NCOL insiste pour dire qu’un jugement déclaratoire distinct contre le gouverneur général est sollicité et qu’il peut être accordé en raison de son rôle à titre de délégué du souverain au Canada concernant le respect des traités. Le protonotaire a mentionné l’argument de la NCOL, selon lequel le pouvoir de conclure des traités et de les honorer est fondé sur la prérogative royale du souverain et a constaté que la NCOL fait opposition non seulement à la constitutionnalité de la loi, mais aussi à l’exercice de la prérogative royale de façon contraire à ses droits issus du traité, cette prérogative royale étant distincte du pouvoir législatif du Parlement.

[12]  Le protonotaire a décrit la substance de la demande formulée contre le gouverneur général comme consistant à affirmer qu’il avait l’obligation envers la NCOL de ne pas sanctionner une loi qui est contraire aux droits issus de traités qu’il était tenu de protéger, cette obligation étant distincte de celle de Sa Majesté la Reine ou de la constitutionnalité des lois. Le protonotaire a toutefois conclu qu’il n’était pas nécessaire de développer cette question aux fins de la requête, parce que la manifestation de l’honneur de la Cour pourrait être jugée divisible. Ainsi, le protonotaire n’était pas disposé à exclure le gouverneur général à titre de partie sur le seul fondement de l’article 48 de la Loi ou l’alinéa 221(1)b) des Règles.

[13]  En relation avec la seconde question en litige, à savoir si la déclaration formule une demande justiciable contre le gouverneur général, les défendeurs ont affirmé que la seule participation présumée du gouverneur général aux événements donnant lieu à la présente action consistait à sanctionner la LTFPN. Le protonotaire s’est dit d’accord sur cette caractérisation de la demande formulée contre le gouverneur général. Bien qu’il soit allégué dans la déclaration que le gouverneur général a manqué à son obligation fiduciale de plusieurs façons, le protonotaire a conclu que le seul manquement allégué distinct visait la participation du gouverneur général à l’adoption de la LTFPN en donnant la sanction royale.

[14]  Le protonotaire a ensuite examiné la jurisprudence récente dans laquelle notre Cour et la Cour d’appel fédérale (qui fait l’objet d’une discussion plus loin dans les présents motifs) se sont penchées sur le rôle du gouverneur général lorsqu’il donne la sanction royale et sur la compétence des tribunaux à l’égard du processus législatif. Le protonotaire a conclu que le pouvoir discrétionnaire du gouverneur général, lorsqu’il donne la sanction royale, est entièrement régi par la convention du gouvernement responsable; le rôle du gouverneur général fait partie du processus législatif sur lequel les tribunaux n’ont aucun droit de regard; et le processus législatif ne fait naître aucune obligation de tenir des consultations. Tout en mentionnant l’argument de la NCOL selon lequel la création et le respect des traités naissent de la prérogative royale, qui se distingue, sur le plan constitutionnel, du pouvoir législatif du Parlement, le protonotaire a conclu que cela n’a pas aidé la demanderesse à démontrer l’existence d’une demande justiciable à l’encontre du gouverneur général.

[15]  Jugeant la demande à l’encontre du gouverneur général non justiciable, le protonotaire a conclu qu’il était manifeste et évident que les allégations contenues dans les paragraphes contestés de la déclaration ne révélaient aucune cause d’action valable. Il a donc ordonné que ces paragraphes soient radiés et que le gouverneur général ne soit plus défendeur à l’action, mais il a autorisé la NCOL à modifier sa déclaration pour y inclure par ailleurs dans sa demande, certaines des allégations contenues dans ces paragraphes qui ne portaient pas directement sur le rôle du gouverneur général.

IV.  Question en litige

[16]  La NCOL décrit la question en litige dans le présent appel comme celle de savoir si le protonotaire a commis une erreur dans son analyse de la justiciabilité de la demande à l’encontre du gouverneur général en se limitant à la justiciabilité de l’acte de la sanction royale.

V.  Norme de contrôle

[17]  Les parties ont convenu, et je suis d’accord avec elles, que la norme de la décision correcte s’applique au contrôle, par la Cour, de la question soulevée par la NCOL. Dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, au paragraphe 79, la Cour d’appel fédérale a confirmé que la norme de contrôle énoncée au paragraphe 8 de l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, s’applique aux décisions des protonotaires. La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait et aux conclusions mixtes de fait et de droit est celle de l’erreur manifeste et dominante. Dans le cas des questions de droit, la norme applicable est celle de la décision correcte. Les parties conviennent que la décision était fondée sur une conclusion juridique et que la norme de contrôle applicable est donc celle de la décision correcte.

VI.  Discussion

[18]  Les parties conviennent aussi que le protonotaire a appliqué le bon critère en statuant sur la requête en radiation des défendeurs. Leur différend porte sur la question de savoir s’il a appliqué le critère à juste titre.

[19]  Pour étayer sa thèse de l’erreur commise par le protonotaire, la NCOL affirme qu’elle ne demande pas à la Cour d’annuler la sanction royale octroyée par le gouverneur général. Elle sollicite plutôt un jugement déclaratoire portant que le gouverneur général a l’obligation d’honorer le traité et qu’il ne s’est pas acquitté de cette obligation dans le cadre de la mise en œuvre de la LTFPN. La NCOL explique que sa demande contre le gouverneur général repose sur les trois questions suivantes : a) si le gouverneur général est le situs approprié en ce qui a trait à l’honneur de la Couronne qui consiste à respecter le traité; b) la teneur de cette obligation de préserver l’honneur de la Couronne; et c) si le gouverneur général a manqué à cette obligation par des actes ou des omissions concernant la LTFPN. Selon la thèse de la NCOL, chacune de ces questions est à la fois nouvelle et justiciable. La NCOL fait valoir que le protonotaire a commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas à développer ces questions aux fins de la requête dont il était saisi.

[20]  Les défendeurs rétorquent que le seul rôle qu’a joué le gouverneur général en relation avec la LTFPN consistait à octroyer la sanction royale, l’acte sur lequel le protonotaire a concentré son analyse. Ils s’en prennent à la thèse de la NCOL selon laquelle le gouverneur avait, ou aurait dû avoir, un autre rôle à jouer et soutiennent que ce serait contraire aux principes sous-jacents du système de gouvernement responsable du Canada. Les défendeurs font aussi valoir que, même si le gouverneur général avait des fonctions du type allégué par la NCOL, elles seraient exercées dans le contexte du processus législatif et, par assimilation à la jurisprudence invoquée par le protonotaire, non justiciables.

[21]  En premier lieu, je constate que le protonotaire n’a commis aucune erreur en observant qu’il n’était pas nécessaire, aux fins de la requête, d’expliquer l’obligation du gouverneur général envers la NCOL. Le protonotaire a fait cette observation en examinant la première question sur laquelle portait son analyse, soit celle de savoir si la désignation du gouverneur général à titre de partie à l’action était correcte. Les défendeurs ont fait valoir qu’il était redondant de désigner le gouverneur général quand Sa Majesté la Reine était déjà désignée à titre de défenderesse. Le protonotaire a caractérisé la substance de la demande contre le gouverneur général comme étant une déclaration selon laquelle il avait, envers la NCOL, l’obligation distincte de celle de Sa Majesté la Reine ou de la constitutionnalité des lois de ne pas sanctionner une loi qui contrevenait aux droits issus du traité qu’il était tenu de protéger. Le protonotaire a ensuite mentionné que l’on peut prétendre que la manifestation de l’honneur de la Couronne, telle qu’une obligation de tenir des consultations, est divisible en diverses émanations de la Couronne. Il n’était donc pas disposé à exclure le gouverneur général comme partie sur le seul fondement de l’article 48 de la Loi sur les Cours fédérales ou de l’alinéa 221(1)b) des Règles des Cours fédérales, lequel autorise la radiation d’un acte de procédure au motif qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant.

[22]  Selon mon interprétation de l’analyse du protonotaire, il n’était pas disposé à conclure que la désignation par la NCOL du gouverneur général à titre de partie était redondante, étant donné que l’on peut prétendre que l’honneur de la Couronne est divisible. Ayant décidé pour ce motif de rejeter l’argument des défendeurs selon lequel il y avait lieu de radier la demande aux termes de l’alinéa 221(1)b) des Règles, le protonotaire n’avait pas à développer la question de l’obligation du gouverneur général afin de trancher cet argument.

[23]  Toutefois, pour ce qui est de la seconde question examinée par le protonotaire, soit celle de savoir si la déclaration formule une demande justiciable contre le gouverneur général, il faut examiner l’argument soulevé par la NCOL dans le cadre du présent appel selon lequel sa demande soulève des questions justiciables en dehors du rôle du gouverneur général lorsqu’il octroie la sanction royale.

[24]  Je constate que, même si la NCOL a soutenu cette thèse, elle soulève néanmoins des arguments portant précisément sur le rôle du gouverneur général consistant à octroyer la sanction royale. Bien que la NCOL déclare que le situs en ce qui a trait à l’honneur de la Couronne consistant à respecter le traité ne peut être exploré que lors d’interrogatoires préalables dans le cadre du présent litige, elle est d’avis que la charge du gouverneur général, à titre de délégué du souverain ayant conclu le traité, constitue ce situs. Le NCOL revient sur les arguments entourant l’acte de la sanction royale pour expliquer ses arguments concernant la teneur de l’obligation qui en découle de préserver l’honneur de la Couronne.

[25]  La NCOL décrit la teneur de l’obligation du gouverneur général de ne pas déroger au traité, comme étant caractérisée par le rôle exercé par le gouverneur général lorsqu’il approuve ou désapprouve des lois et qu’il exerce ainsi, à titre de délégué, la prérogative royale. La NCOL fait remarquer que le protonotaire s’est fondé sur des commentaires du professeur Peter W. Hogg pour conclure que l’acte de la sanction royale constitue maintenant une convention constitutionnelle à l’égard de laquelle le gouverneur général n’a pratiquement aucun pouvoir discrétionnaire. La NCOL déclare toutefois, en se fondant sur d’autres commentaires du professeur Hogg, que cette convention est supplantée par l’obligation constitutionnelle qui incombe au gouverneur général d’agir sur la foi d’un avis constitutionnel et légitime. Elle est d’avis que la charge de gouverneur général comporte plus qu’un rôle protocolaire, que l’exercice de cette charge permet le refus de la sanction royale dans certaines circonstances et que le cas présent illustre de telles circonstances. La NCOL déclare que l’essence de la plainte consiste à dire que le gouverneur général n’a pas agi sur la foi d’un avis convenable et qu’il a ainsi dérogé aux droits de la NCOL issus du traité.

[26]  En revanche, les défendeurs sont d’avis que le gouverneur général ne jouit d’aucun pouvoir discrétionnaire à l’égard de la décision d’octroyer la sanction royale, mais qu’il doit toujours, dans le respect des conventions constitutionnelles qui régissent le système de gouvernement responsable du Canada, sanctionner un projet de loi que les deux Chambres du Parlement ont adopté.

[27]  Pour examiner les thèses respectives des parties sur le rôle du gouverneur général concernant la sanction royale, il est utile de renvoyer aux commentaires précis du professeur Hogg sur lesquels elles se fondent. Les deux parties renvoient au même ouvrage : Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 5e éd., vol. 1 (Toronto, Thomson Carswell, 2007). Le professeur Hogg écrit ce qui suit, aux pages 9 à 22 de son chapitre consacré au gouvernement responsable, sur lequel le protonotaire s’est fondé :

[traduction]

Le gouverneur général, qui doit mener à terme le processus législatif en octroyant la sanction royale à un projet de loi que les deux Chambres du Parlement ont adopté, ne joue aucun rôle discrétionnaire. Il est vrai que la Loi constitutionnelle de 1867, par son article 55, accorde au gouverneur général le pouvoir de refuser de sanctionner un projet de loi et le pouvoir de réserver un projet de loi pour la signification du bon plaisir de la Reine et, par son article 56, accorde à la Reine le pouvoir de révoquer une loi canadienne. Mais il a été résolu à la conférence impériale de 1930 que les pouvoirs de réserve et de désaveu ne doivent jamais être exercés. Cette conférence et la pleine acceptation du gouvernement responsable ont établi une convention selon laquelle le gouverneur général doit toujours octroyer la sanction royale à un projet de loi que les deux Chambres du Parlement ont adopté. Il n’existe aucune circonstance qui justifierait le refus de la sanction, une réserve, ou un désaveu par la Grande-Bretagne. [Non souligné dans l’original.]

[28]  La NCOL se fonde sur le passage ci-après du même chapitre de l’ouvrage du professeur Hogg :

[traduction]

Le gouverneur général dispose de certaines « prérogatives personnelles » ou de certains « pouvoirs de réserve » qu’il peut exercer à sa propre discrétion. Bien que, dans l’exercice de son pouvoir gouvernemental, le gouverneur général doive généralement agir conformément à l’avis du premier ministre ou du Cabinet en exerçant les pouvoirs gouvernementaux, il peut, à certaines occasions, agir en l’absence d’un avis ou même contrairement à l’avis qu’il a reçu.

La définition des occasions où le gouverneur général peut exercer un pouvoir discrétionnaire indépendant suscite de nombreux débats constitutionnels et politiques. Mais on pourrait dire que c’est dans la prémisse fondamentale du gouvernement responsable que réside la réponse : tant que le cabinet jouit de la confiance d’une majorité à la Chambre des communes, le gouverneur général est toujours obligé de suivre l’avis légitime et constitutionnel que dispense le Cabinet. Mais il existe des occasions, comme nous l’avons vu, dans lesquelles le gouvernement reste en fonction après avoir perdu la confiance de la majorité des députés à la Chambre des communes, ou après la dissolution de la Chambre des communes. Il arrive aussi, par exemple, après des élections très serrées, ou après un schisme au sein d’un parti politique, des occasions où il peut être difficile d’établir pendant un certain temps si le gouvernement jouit effectivement de la confiance d’une majorité de députés de la Chambre des communes. Dans toutes ces situations, on pourrait dire que le gouverneur général a le pouvoir discrétionnaire de refuser de suivre l’avis que dispense le ministère en place. [Non souligné dans l’original.]

[29]  Selon la thèse de la NCOL, la mention de l’[traduction] « avis légitime et constitutionnel » dans le passage ci-dessus s’entend non seulement de l’avis d’un gouvernement qui jouit de la confiance de la Chambre des communes, mais aussi d’un avis qui est par ailleurs conforme aux obligations constitutionnelles et juridiques du gouvernement. En appliquant ces principes en l’espèce, la NCOL fait valoir que le gouverneur général, en sanctionnant la LTFPN, n’a reçu aucun avis sur la conformité de la loi envisagée avec les obligations juridiques et constitutionnelles et n’a pas évalué la conformité du projet de loi avec ces exigences. Autrement dit, la NCOL fait valoir que le gouverneur général devait évaluer la constitutionnalité de la LTFPN envisagée et, plus précisément, sa conformité avec les obligations de la Couronne découlant du traité, avant de donner la sanction royale.

[30]  La NCOL est d’avis que le professeur Hogg a tort d’affirmer, dans le premier passage ci-dessus, que le gouverneur général doit toujours sanctionner un projet de loi que les deux Chambres du Parlement ont adopté. La NCOL défend sa thèse en invoquant l’ouvrage The Constitutional Law of the British Dominions d’Arthur Berriedale Keith (Londres, MacMillan, 1933), qui affirme que le gouverneur général ne pourrait pas, à bon droit, sanctionner certains types de lois pouvant être jugés interdits par le caractère essentiel des États du Commonwealth. On compte parmi les exemples de ces types de lois les projets de loi qui opéreraient la séparation de l’État du Commonwealth de la Couronne ou qui modifieraient les règles de succession au trône. La NCOL mentionne aussi les observations de la Cour suprême du Canada dans Reference re The Power of the Governor General in Council to Disallow Provincial Legislation and the Power of Reservation of a Lieutenant Governor of a Province, [1938] SCR 71, comme confirmant, à l’égard du lieutenant-gouverneur de l’Alberta, l’existence du pouvoir de réserve pour la signification du bon plaisir du gouverneur général des projets de loi adoptés par l’assemblée législative de la province.

[31]  Les défendeurs font valoir que l’interprétation du rôle du gouverneur général défendue par la NCOL serait en totale contradiction avec le système de gouvernement responsable du Canada. Ils sont d’avis que le fait d’exiger que le gouverneur général effectue une évaluation indépendante de la légalité et de la constitutionnalité des lois envisagées aurait pour effet d’attribuer un caractère judiciaire à cette charge. Les défendeurs considèrent que la mention par le professeur Hogg de l’avis légitime et constitutionnel dispensé par le Cabinet désigne la présentation d’un projet de loi qui a franchi les étapes des deux Chambres du Parlement. Les défendeurs déclarent que, bien que les tribunaux soient les derniers arbitres de la légalité et de la constitutionnalité, le gouvernement ne demanderait pas qu’un projet de loi soit sanctionné sachant qu’il est illégal ou inconstitutionnel. Ils sont d’avis qu’un projet de loi qui a franchi les étapes des deux Chambres représente la volonté du peuple canadien, exprimée par la Chambre des communes et sanctionnée par le Sénat, et que la convention constitutionnelle exige que le gouverneur général sanctionne ce projet de loi.

[32]   Je trouve convaincant l’argument développé par les défendeurs sur cette question. J’accepte difficilement l’allégation selon laquelle le gouverneur général est censé exercer un rôle d’arbitre de la légalité ou de la constitutionnalité des lois envisagées. Il n’est toutefois pas nécessaire que la Cour tranche cette question. Bien que les deux parties se soient employées avec une énergie considérable à défendre leurs thèses respectives sur le pouvoir discrétionnaire, ou sur l’absence d’un tel pouvoir, dont jouit le gouverneur général lorsqu’il décide d’octroyer la sanction royale, j’estime en définitive que cette question importe peu lorsqu’il s’agit de savoir si le protonotaire a commis une erreur en concluant que la demande de la NCOL à l’encontre du gouverneur général n’est pas justiciable. La décision du protonotaire ne portait pas sur la conclusion selon laquelle le gouverneur général ne jouit d’aucun pouvoir discrétionnaire en octroyant la sanction royale. Je reconnais que le protonotaire a affirmé que la déclaration ne contenait aucune allégation selon laquelle le gouverneur général n’a pas agi sur le fondement de conseils adéquats et que la NCOL déclare dans le cadre du présent appel qu’elle avance un tel argument. J’ai toutefois établi que la décision du protonotaire ne porte pas sur ce point, mais plutôt sur la question de savoir si l’acte de la sanction royale était même justiciable.

[33]  Le protonotaire s’est fondé sur le jugement rendu dans la décision Galati c Canada (Gouverneur général), 2015 CF 91 [Galati], dans laquelle il a été conclu que l’octroi de la sanction royale est un acte législatif et qu’il n’est pas justiciable. Le protonotaire a analysé la décision Galati et son incidence sur la demande de la NCOL à l’encontre du gouverneur général et a fait les observations suivantes :

[traduction]

[31]  Dans la décision Galati c Canada (Gouverneur général), 2015 CF 91, le juge Rennie a conclu que l’octroi de la sanction royale est un acte législatif et qu’il n’est pas justiciable. La question au cœur de la décision Galati était celle savoir si le gouverneur général avait outrepassé le cadre du pouvoir discrétionnaire que lui confère la prérogative royale en sanctionnant la Loi renforçant la citoyenneté canadienne, LC 2014, c 22. Le juge Rennie a conclu que la Cour ne pouvait pas se prononcer sur la question de savoir si le gouverneur général avait outrepassé le cadre de son autorité parce que l’octroi de la sanction royale est un acte législatif et qu’il n’est pas justiciable. Il a aussi affirmé, au paragraphe 46, que le pouvoir discrétionnaire de donner la sanction royale ou non « est entièrement circonscrit par la convention constitutionnelle du gouvernement responsable […] le gouverneur général n’exerce pas un pouvoir discrétionnaire indépendant ».

[32]  Le juge Rennie, en tirant sa conclusion, a exprimé une réserve quant à l’intervention de la Cour dans le processus législatif et, plus particulièrement, dans l’octroi, par le gouverneur général, de la sanction royale. Il s’est exprimé ainsi :

[35]  Les tribunaux exercent un pouvoir de surveillance une fois qu’une loi a été adoptée. Mais avant ce moment-là, un tribunal ne peut pas soumettre le processus législatif à un contrôle ou s’y immiscer, sauf si on lui en fait la demande par un renvoi formulé en vertu de la loi pertinente. Conclure le contraire brouillerait les limites qui séparent obligatoirement les fonctions et les rôles du pouvoir législatif et des tribunaux. Soumettre à un contrôle l’acte par lequel le gouverneur général octroie la sanction royale, comme le voudraient les demandeurs, confondrait les rôles constitutionnellement distincts du pouvoir judiciaire et du pouvoir législatif, ce qui entraînerait une modification radicale de la Loi constitutionnelle de 1867 et des conventions qui sous-tendent notre système de gouvernement, notamment le droit qu’a le Parlement d’examiner et d’adopter des lois.

[33]  La NCOL demande à notre Cour de se prononcer sur la question de savoir si le gouverneur général a respecté ses obligations découlant du traité no 6. Cette question est semblable à celle soulevée dans la décision Galati, à savoir si le gouverneur général a outrepassé le cadre de son autorité en sanctionnant une loi qui, selon les appelants dans cette décision, excédait la compétence législative du Parlement. Les demandeurs demandaient essentiellement à la Cour de conclure que le gouverneur général devrait exercer un contrôle sur les actes parlementaires inappropriés. L’intervention dans le processus législatif pour déclarer que le gouverneur général a une telle obligation serait toutefois contraire à la séparation des pouvoirs et à la doctrine de la souveraineté du Parlement.

[34]  Il est à noter que le juge Rennie, au paragraphe 46 de la décision Galati, cite le passage de l’ouvrage du professeur Hogg qu’a cité la NCOL et conclut qu’il est obligatoire de sanctionner un projet de loi qui a franchi les étapes des deux Chambres du Parlement, puisque refuser d’octroyer la sanction serait incompatible avec les principes du gouvernement responsable. Ces propos s’harmonisent avec la thèse des défendeurs sur cette question. L’analyse du juge Rennie sur laquelle se fonde le protonotaire porte, toutefois, non pas sur l’étendue du pouvoir discrétionnaire du gouverneur général lorsqu’il donne la sanction royale, mais plutôt sur le fait que l’octroi de la sanction royale est un acte législatif et que les actes législatifs ne sont pas justiciables.

[35]  Je suis d’avis que le protonotaire n’a commis aucune erreur en se fondant sur la décision Galati pour étayer sa conclusion selon laquelle l’octroi, par le gouverneur général, de la sanction royale en l’espèce n’est pas justiciable. La NCOL fait valoir que la décision Galati peut être distinguée de l’espèce, parce qu’elle est née d’une demande de contrôle judiciaire, et parce qu’elle ne comportait aucune opposition à la constitutionnalité d’une loi. Je suis d’avis que la distinction fondée sur le type d’instance n’est pas pertinente quant au caractère justiciable de cette question et que la décision Galati ne peut être distinguée du fait que l’action de la NCOL soulève des questions constitutionnelles. Dans la décision Galati, la demande d’annulation de la sanction, par le gouverneur général, de la Loi renforçant la citoyenneté canadienne, LC 2014, c 22 était fondée sur l’argument selon lequel les dispositions de la loi excédaient la compétence législative que la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement. Même si cette décision mettait en jeu d’autres arguments constitutionnels que ceux que la NCOL a soulevés, les demandeurs dans la décision Galati défendaient aussi une thèse fondée sur des principes constitutionnels, et la Cour a tout de même conclu au caractère législatif, et donc non justiciable, de l’acte reproché du gouverneur général.

[36]  Pour parvenir à cette décision, le protonotaire s’est aussi fondé sur le jugement récent de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Gouverneur général en conseil) c Première Nation Crie Mikisew, 2016 CAF 311 [Courtoreille]. Dans l’arrêt Courtoreille, le juge de Montigny, s’exprimant au nom de la majorité, a cité, avec approbation, la décision Galati en tirant la conclusion suivante :

[60]  Je suis donc d’avis, pour les motifs qui précèdent, que la filière législative — et ce dès le début, de l’analyse des possibilités d’action à l’édiction d’une loi à la suite de son adoption par les deux chambres et l’octroi de la sanction royale par le gouverneur général — ressortit entièrement au Parlement. L’imposition, à quelque étape du processus que ce soit, de l’obligation de consulter comme condition à toute loi non seulement se révélerait peu pratique et lourde et risquerait de paralyser la filière législative, mais entraverait également les ministres et d’autres parlementaires dans leur capacité législative. Ainsi que le juge Hughes le fait judicieusement observer, « [...] une intervention dans le processus législatif serait une ingérence judiciaire indue dans la fonction législative du Parlement, ce qui compromettrait donc sa souveraineté » (motifs du jugement, au par. 71).

[37]  Comme en témoigne le passage ci-dessus, l’arrêt Courtoreille portait sur la question de savoir si la Couronne a l’obligation de tenir des consultations lorsqu’elle envisage d’apporter des modifications à une loi qui pourraient nuire aux droits issus de traités. Le juge de Montigny, au paragraphe 3 de la décision, a résumé la conclusion de la Cour en ces termes :

[3] [...] je conclus que la mesure législative ne se prête pas au contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et qu’introduire l’obligation de consulter dans la filière législative va à l’encontre de la doctrine de la séparation des pouvoirs et du principe du privilège parlementaire.

[38]  La NCOL mentionne que la Cour suprême du Canada a accordé l’autorisation d’interjeter appel de l’arrêt Courtoreille. De plus, dans des motifs concordants, au paragraphe 87 de l’arrêt Courtoreille, le juge Pelletier a fait les remarques suivantes :

[87]  Autrement dit, l’obligation de consulter interviendrait indubitablement dès l’approbation par le pouvoir exécutif d’un projet qui porte atteinte aux intérêts d’une Première nation sur un territoire donné. Pourrait-on affirmer que l’obligation de consulter ne prendrait pas naissance si le même projet était approuvé et mis à exécution par le truchement d’une loi adoptée à cette fin? Certes, ce n’est pas la question à trancher, mais elle met en lumière l’aspect problématique, dans d’autres circonstances, de l’argument quant à la nature indivisible de la filière législative, de l’élaboration des politiques à l’approbation vice-royale.

[39]  Bien que je sois conscient du point soulevé par le juge Pelletier, que la Cour suprême pourrait examiner dans le cadre du futur appel, je souscris à l’argument des défendeurs selon lequel le commentaire du juge Pelletier est une remarque incidente et que le droit, dans son état actuel, est tel que la majorité dans l’arrêt Courtoreille l’a articulé. Le protonotaire s’est fondé sur l’arrêt Courtoreille tant parce qu’elle adopte la conclusion de la décision Galati selon laquelle l’octroi, par le gouverneur général, de la sanction royale n’est pas justiciable, que parce qu’elle conclut qu’il n’existe aucune obligation de tenir des consultations préalables à l’adoption de la loi, et ce, même si les droits issus de traités seront touchés. Même si le protonotaire a exprimé sa conclusion, selon laquelle la demande formulée contre le gouverneur général n’est pas justiciable, comme découlant du fait que le seul geste du gouverneur général en l’espèce était de sanctionner la LTFPN, il ressort clairement de la décision que le protonotaire savait que la NCOL alléguait aussi que le gouverneur général avait l’obligation de tenir des consultations. Le protonotaire a conclu que la décision ayant force exécutoire rendue dans l’arrêt Courtoreille empêchait la reconnaissance de toute obligation de consulter. Je ne relève aucune erreur dans cette conclusion.

[40]  Je reconnais toutefois que la NCOL, dans l’argumentation qu’elle présente dans le cadre du présent appel, ne se contente pas d’alléguer que le gouverneur général avait le pouvoir discrétionnaire de ne pas sanctionner la LTFPN et qu’il avait l’obligation de tenir des consultations préalables à l’adoption de cette loi. La NCOL invoque le traité sur la constitution britannique de l’auteur Walter Bagehot, The English Constitution (Oxford, Oxford University Press, 1867, réimprimé en 2001), à la page 64, pour le principe selon lequel, dans une monarchie constitutionnelle, le souverain a trois droits : le droit d’être consulté, le droit d’encourager et le droit d’avertir. La NCOL fait valoir que le gouverneur général avait ces trois droits et qu’il devait les exercer dans le contexte des démarches du gouvernement visant l’adoption de la LTFPN. Selon la thèse de la NCOL, en substance, le gouverneur général aurait dû avertir le gouvernement que la loi envisagée contreviendrait aux droits de la NCOL issus du traité.

[41]  La NCOL invoque aussi la convention constitutionnelle exigeant le consentement royal avant l’adoption par le Parlement de projets de loi concernant les prérogatives, les revenus héréditaires ou les biens ou intérêts personnels du souverain. Pour expliquer la conclusion, la NCOL a mentionné à la Cour l’extrait ci-après de l’ouvrage d’Audrey O’Brien et de Marc Bosc, dir., La procédure et les usages de la Chambre des communes, 2e éd. (Ottawa, Chambre des Communes, 2009), au chapitre 16, intitulé « Le processus législatif » :

Dérivé des pratiques britanniques, le consentement royal (à ne pas confondre avec la sanction royale ou la recommandation royale) fait partie des règles et des usages tacites de la Chambre des communes du Canada. Toute mesure législative qui touche les prérogatives, les revenus héréditaires ou les biens ou intérêts de la Couronne exige le consentement royal, qui, au Canada, émane du gouverneur général en sa qualité de représentant du souverain. Ce consentement est donc nécessaire pour reporter, aliéner ou céder des droits de propriété de la Couronne, ou pour renoncer à l’une de ses prérogatives. C’est ainsi qu’il a été exigé pour des projets de loi relatifs à des chemins de fer sur lesquels la Couronne avait un droit de servitude, à des droits de propriété de la Couronne (sur les parcs nationaux et les réserves indiennes), à la saisie-arrêt et à la distraction de pensions et à des modifications à la Loi sur l’administration financière.

Le consentement royal n’est pas requis lorsque le projet de loi vise des biens que la Couronne détient pour ses sujets. Le consentement de la Couronne ne signifie toutefois pas que celle-ci approuve la teneur du projet de loi, mais simplement qu’elle accepte d’enlever un obstacle à sa progression afin que les deux chambres puissent l’examiner et demander, à terme, la sanction royale.

Bien que le consentement royal soit souvent donné à l’étape de la deuxième lecture d’un projet de loi, il peut l’être à n’importe quelle étape précédant l’adoption définitive du projet de loi par la Chambre. Il peut prendre la forme d’un message spécial, mais il est habituellement transmis par un ministre qui prend la parole à la Chambre pour déclarer : « Son Excellence le (la) gouverneur(e) général(e) a été informé(e) de la teneur de ce projet de loi et consent, dans la mesure où les prérogatives de Sa Majesté sont touchées, à ce que le Parlement étudie le projet de loi et fasse à cet égard ce qu’il juge approprié. » À défaut de consentement préalable, le Président refusera de mettre aux voix la motion portant adoption de troisième lecture. Si, par mégarde, un projet de loi exigeant le consentement royal devait franchir toutes les étapes à la Chambre sans l’avoir obtenu, il faudrait alors déclarer nulles et non avenues les délibérations pertinentes. [Souligné par la demanderesse.]

[42]  Les défendeurs ne s’en prennent pas à la façon dont la NCOL décrit cette convention, comme s’appliquant aux projets de loi concernant les prérogatives, les revenus héréditaires ou les biens ou intérêts personnels du souverain, mais ils nient toute application de cette convention en l’espèce.

[43]  La NCOL reconnaît que ces arguments, concernant sa thèse selon laquelle le gouverneur général a manqué à ses obligations constitutionnelles, sont nouveaux, mais soutient que cela ne les empêche pas d’être justiciables et qu’ils ne devraient pas être exclus dans le cadre d’une requête en radiation. Les défendeurs sont d’accord pour dire que la nouveauté de la demande de la NCOL ne devrait pas lui nuire, mais ils soutiennent que les demandes nouvelles doivent néanmoins présenter une cause d’action valable pour survivre à une opposition fondée sur l’article 221 des Règles. Les défendeurs sont d’avis que les arguments de la NCOL concernant le rôle du gouverneur général ne sont pas conformes au système de gouvernement responsable du Canada et que, de toute façon, les obligations prétendument assumées par le gouverneur général s’inscriraient toutes dans le processus législatif, ce qui révèle clairement qu’une demande fondée sur ces obligations n’est pas justiciable.

[44]  En ce qui a trait à la thèse de la NCOL sur la convention du consentement royal, les défendeurs soutiennent aussi que l’argument de la NCOL, sur la façon dont la LTFPN exige le consentement royal, n’est pas suffisamment développé pour leur permettre de l’examiner et d’y répondre. Je suis d’accord pour dire que la NCOL a très peu développé son argument, mais je l’analyserai tel qu’il a été avancé. La NCOL énonce cet élément de sa demande aux paragraphes 78 et 79 de la déclaration, reproduits dans les présents motifs. La NCOL décrit ce volet de sa demande dans son mémoire des faits et du droit de la façon suivante :

[traduction]

43. En plus de l’obligation constitutionnelle qui incombe à la Couronne de tenir des consultations, une autre convention constitutionnelle nécessite le consentement royal lors de la discussion concernant la LTFPN. Les projets de loi concernant les prérogatives, les revenus héréditaires ou les biens ou intérêts personnels du souverain nécessitent le consentement royal. Lors du dépôt de la LTFPN au Parlement en tant que projet de loi C-27, cela a été fait dans des circonstances où le consentement royal n’a pas été sollicité ni donné, même si le projet de loi limite la prérogative du gouverneur général et donc sa capacité de respecter le texte et l’esprit du traité. L’absence de consentement du gouverneur général au nom de Sa Majesté à l’égard de la LTFPN constitue un autre méfait qui témoigne d’un abandon injustifié sur le plan constitutionnel, par le gouverneur général, de son rôle qui consiste à préserver et à utiliser la prérogative au besoin afin de protéger les droits de la demanderesse issus du traité.

[45]  Je peux difficilement trouver une cause d’action invoquée aux paragraphes 78 et 79 de la déclaration, malgré l’avantage des explications fournies dans le mémoire des faits et du droit de la NCOL. Le paragraphe 79, formulé comme une allégation subsidiaire, affirme que le gouverneur général n’a pas donné de consentement royal à la LTFPN et qu’il s’est acquitté ainsi de son obligation envers la NCOL. Cette affirmation ne peut certainement pas donner lieu à une demande à l’encontre le gouverneur général.

[46]  Le paragraphe 78, en revanche, affirme que les défendeurs (dont le gouverneur général) ont adopté la LTFPN sans consentement royal et que cette omission constitue un écart dans la pratique qui n’est pas conforme à l’honneur de la Couronne. La NCOL explique sa thèse du consentement royal obligatoire dans son mémoire en affirmant que la loi limite la prérogative royale et la capacité du gouverneur général de respecter le traité. La NCOL affirme que l’absence de consentement royal constitue une omission qui constitue un abandon, par le gouverneur général, de son devoir de protéger les droits de la NCOL issus du traité. Il n’est pas clair, cependant, en quoi l’absence de consentement du gouvernement général peut possiblement servir de fondement à une cause d’action contre lui. On peut présumer que la NCOL serait d’avis que le gouverneur général n’aurait pas dû consentir au projet de loi. Selon les faits non contestés, aucun consentement royal n’a été demandé ni accordé. Il me paraît donc manifeste et évident que ces faits ne peuvent pas étayer une cause d’action contre le gouverneur général selon cette convention.

[47]  Les arguments de la NCOL concernant le consentement royal, ainsi que ses arguments fondés sur le droit d’un souverain d’être consulté, d’encourager et d’avertir, révèlent aussi le même problème que celui sur lequel le protonotaire s’est fondé pour conclure que la demande formulée contre le gouverneur général n’était pas justiciable. Ces arguments se rapportent tous aux rôles que le gouverneur général avait, ou aurait dû avoir, selon la NCOL, dans le processus législatif. Comme la Cour d’appel fédérale l’a expliqué au paragraphe 60 de l’arrêt Courtoreille, reproduit intégralement dans les présents motifs, la filière législative – et ce, dès le début de l’analyse d’un projet de loi à sa réception de la sanction royale – ressortit entièrement au Parlement. Il est évident que les responsabilités que la NCOL tente d’associer à la charge de gouverneur général appartiennent toutes manifestement au cadre législatif, dans lequel la branche judiciaire du gouvernement ne devrait pas intervenir.

[48]  Quant à l’argument de la NCOL selon lequel le gouverneur général est tenu de mener une évaluation indépendante de la constitutionnalité et de la légalité d’un projet de loi avant de le sanctionner, je trouve problématiques ces responsabilités proposées additionnelles dans le contexte de la monarchie constitutionnelle moderne en vigueur au Canada. Comme la NCOL l’a reconnu, il s’agit toutefois de nouvelles propositions à l’égard desquelles il y a peu de jurisprudence, et il n’est pas nécessaire que je me prononce sur l’application de responsabilités qui, même si elles s’appliquaient en l’espèce, ne seraient manifestement pas justiciables. Tout comme l’octroi de la sanction royale et le niveau des consultations menées dans le processus législatif ne sont pas justiciables, il n’appartiendrait pas à la Cour de surveiller les rôles que les arguments nouveaux de la NCOL auraient pour effet d’attribuer au gouverneur général.

[49]  En réponse à l’argument des défendeurs selon lequel ces rôles font tous partie du processus législatif et qu’ils ne sont donc pas justiciables, la NCOL mentionne que la réparation qu’elle ne cherche à obtenir qu’un jugement déclaratoire à titre de réparation contre le gouverneur général. Elle demande à la Cour de déclarer que le gouverneur général ne s’est pas acquitté de ses obligations de protéger la NCOL et de respecter et de réaliser les droits de la NCOL issus du traité. Je ne considère pas que le fait que la NCOL ne demande qu’un jugement déclaratoire lui soit d’un quelconque secours. Le demandeur a invoqué l’article 64 des Règles des Cours fédérales, selon laquelle il ne peut être fait opposition à une instance au motif qu’elle ne vise que l’obtention d’un jugement déclaratoire, et que la Cour peut faire des déclarations de droit qui lient les parties à l’instance, qu’une réparation soit ou puisse être demandée ou non en conséquence. Pour que la Cour fasse une déclaration, cependant, cette réparation doit néanmoins comporter une question qui est justiciable par la Cour (voir, par exemple, Black v Canada (Prime Minister) (2001), 47 OR (3d) 532 (C. sup. j. Ont.), conf. par 54 OR (3d) 215 (CA Ont.); Nickerson v Nickerson (1991), OJ no 1188 (C. Ont. (Div. gén.)). La compétence de la Cour pour accorder un jugement déclaratoire ne s’applique pas aux questions non justiciables, pas plus que sa compétence pour accorder des brefs de prérogative ou d’autres formes plus actives ne s’applique à ces questions.

[50]  Par conséquent, je conclus que le protonotaire a eu raison de conclure qu’il est manifeste et évident que la déclaration de la NCOL ne révèle aucune cause d’action valable contre le gouverneur général. Je comprends que le protonotaire dans sa décision n’a pas analysé certains des arguments avancés par la NCOL dans le cadre du présent appel, entourant le consentement royal et l’existence d’une obligation d’avertir; toutefois, ces arguments n’ont pas réussi pour la même raison que ceux qui portent sur la sanction royale et sur l’existence d’une obligation de tenir des consultations. Comme le protonotaire l’a conclu à juste titre, le rôle du gouverneur général dans le processus législatif n’est pas justiciable. Le présent appel doit donc être rejeté, et l’ordonnance du protonotaire ne sera pas modifiée. En tirant cette conclusion, je mentionne que j’ai le même point de vue, exprimé par le protonotaire au terme de la décision, selon lequel la radiation de la demande formulée contre le gouverneur général ne laisse pas la NCOL sans aucun moyen. Son opposition à la constitutionnalité de la LTFPN demeure à trancher dans la présente action. À cet égard, j’ai interprété la déclaration comme contenant l’allégation selon laquelle à la fois le gouverneur général et les défendeurs ont manqué à leurs obligations découlant de l’honneur de la Couronne, à leurs obligations fiduciales et à une obligation de tenir des consultations. Ainsi, ces causes d’action, que la NCOL a voulu avancer contre le gouverneur général, demeurent à trancher contre les autres défendeurs.

VII.  Dépens

[51]  Le protonotaire a adjugé aux défendeurs les dépens de la requête dont il était saisi, établis à 1 000 $, débours et taxes compris. Chaque partie a demandé les dépens dans le cadre du présent appel, mais a laissé à la Cour le soin d’en établir la somme, bien que la NCOL ait proposé une somme allant de 1 000 $ à 4 000 $. J’adopte la même approche que celle du protonotaire, en adjugeant aux défendeurs les dépens, établis à 1 000 $, tout compris, selon l’issue de la cause.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-2428-14

LA COUR ORDONNE que la requête de la demanderesse, interjetant appel de l’ordonnance du protonotaire Lafrenière du 9 mai 2017, soit rejetée, avec les dépens, établis à 1 000 $, débours et taxes compris, adjugés aux défendeurs suivant l’issue de la cause.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour de mai 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T -2428-14

INTITULÉ :

LA NATION CRIE D’ONION LAKE, REPRÉSENTÉE PAR SON CHEF OKIMAW FOX ET CONSEIL, DÛMENT ÉLUS c LE GOUVERNEUR GÉNÉRAL DU CANADA, SA MAJESTÉ LA REINE, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DÉVELOPPEMENT DU NORD CANADA, ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 novembre 2017

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 20 novembre 2017

COMPARUTIONS :

Robert W. Hladun

Michael Marchen

Pour la demanderesse

Michael Roberts

Soniya Bhasin

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hladun & Company

Avocats

Edmonton (Alberta)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

Pour les défendeurs

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.