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Date : 20171115


Dossier : IMM-1727-17

Référence : 2017 CF 1040

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

DAWIT ABRAHAM TEKLE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Résumé des faits

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, déposée en application du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, qui a pour objet de faire annuler la décision (la décision) de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Cette décision portait sur l’appel d’une décision de la Section de la protection des réfugiés, laquelle avait rejeté la demande d’asile du demandeur.

[2]  La question déterminante de la procédure porte sur l’identité du demandeur. La Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés ont toutes les deux conclu que le demandeur n’avait pas réussi à établir son identité à l’aide d’éléments de preuve crédibles et fiables.

[3]  Le demandeur, Dawit Abraham Tekle, est né le 17 juillet 1986 en Érythrée, et il aurait déménagé à Addis-Ababa (Éthiopie) avant l’âge adulte.

[4]  En 1998, la guerre a éclaté entre l’Éthiopie et l’Érythrée et, selon les allégations du demandeur, il a été déporté en Érythrée, ainsi que son père et son frère, en 2000.

[5]  Le demandeur indique dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) qu’il est de religion chrétienne pentecôtiste, qu’il a été élevé dans cette religion et que cette religion a été interdite par le gouvernement de l’Érythrée qui a rendu sa pratique illégale en mai 2002.

[6]  Le demandeur prétend qu’il a été mis en garde à vue lors d’une réunion d’étude biblique en avril 2005, puis détenu huit mois dans un camp de prisonniers en étant soumis à des interrogatoires et à de la torture.

[7]  Le demandeur se serait évadé le 1er janvier 2006, au petit matin, du camp de prisonniers pour s’enfuir au Soudan, là où il a demeuré sans statut jusqu’en novembre 2008. Espérant se rendre en Europe, il aurait pris la route de la Libye, serait resté en ce pays jusqu’en mai 2011, au moment où le conflit en Libye s’aggravait, pour ensuite revenir au Soudan.

[8]  Selon lui, en février 2014, il se serait procuré un faux passeport, aurait pris un vol à destination du Mexique et, de là, se serait rendu à la frontière des États-Unis pour présenter une demande d’asile. Cette demande aurait été rejetée et, craignant d’être déporté en Érythrée, il est venu au Canada le 12 août 2015 et a présenté une demande d’asile.

[9]  Le demandeur soutient qu’il craint d’être emprisonné et torturé en Érythrée à cause de son évasion de prison et aussi de sa confession.

[10]  Pour étayer sa demande, le demandeur a présenté une « copie de copie » d’un certificat de naissance, une « copie de copie » d’une carte d’identité nationale, un permis de conduire du Texas, des lettres provenant d’églises de Toronto et du Texas, deux lettres de témoin, un rapport psychiatrique et les documents de la demande d’asile présentée aux États-Unis.

[11]  La demande d’asile du demandeur a été entendue par la Section de la protection des réfugiés le 12 octobre 2016, et la décision de refus a été rendue par écrit le 20 octobre 2016.

[12]  La Section de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à établir son identité au moyen d’éléments de preuve dignes de confiance et crédibles.

[13]  Conformément à l’alinéa 111(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), la Section d’appel des réfugiés a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés après avoir conclu que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger et a rejeté l’appel du demandeur au motif qu’il n’avait pas réussi à établir son identité au moyen d’éléments crédibles et dignes de confiance.

II.  Norme de contrôle

[14]  Le rôle de la Section d’appel des réfugiés est établi dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, [Huruglica] et notre Cour applique la norme de la décision raisonnable pour le contrôle judiciaire des conclusions tirées par la Section d’appel des réfugiés.

[15]  La Section d’appel des réfugiés applique la norme de la décision correcte pour contrôler une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés et effectue son propre examen des éléments de preuve et sa propre analyse de la question. Cependant, la Section d’appel des réfugiés ne modifie pas les conclusions de la Section de la protection des réfugiés lorsque ces conclusions découlent d’avantages propres à la Section de la protection des réfugiés ou d’un raisonnement compréhensible dont les prémisses s’appuient sur ces avantages. Le juge Manson développe plus en détail cette norme dans la décision Anel c Canada (Citoyenneté et Immigration ), 2016 CF 759, paragraphe 25 :

Dans l’arrêt Huruglica susmentionné, la Cour d’appel fédérale a soutenu que même si la SAR doit effectuer sa propre analyse d’une question et examiner les conclusions de la SPR en fonction de la norme de la décision correcte, les exigences quant à la déférence à l’égard des décisions de la SPR doivent être évaluées au cas par cas. Lorsqu’il est question de crédibilité, la SAR doit déterminer si la SPR était effectivement mieux placée pour tirer une conclusion sur cet aspect de la demande. Si l’erreur ou l’absence d’erreur est facile à déterminer pour la SAR, la SPR peut ne pas avoir de réel avantage; la SAR ne devrait renvoyer une affaire à la SPR pour nouvel examen que si elle juge essentiel que la SPR entende les témoignages de vive voix.

III.  Questions en litige et analyse

[16]  Le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés n’a pas pris en considération la totalité des éléments de preuve en vue de décider si son identité personnelle et son identité nationale ont été établies selon la prépondérance des probabilités. Notre Cour rejette cet argument par les motifs qui suivent.

[17]  Premièrement, le demandeur a soutenu que la Section d’appel des réfugiés n’avait accordé aucun poids aux documents d’identité, à savoir un certificat de naissance et une carte d’identité nationale, parce qu’il s’agissait de photocopies de photocopies, mais qu’elle n’avait pas pris en compte la raison pour laquelle le demandeur n’avait pas été en mesure de produire les originaux. Néanmoins, cette thèse n’est pas celle que le demandeur a défendue devant la Section d’appel des réfugiés. Il avait plutôt soutenu que la Section de la protection des réfugiés avait omis d’expliquer pourquoi le certificat de naissance et la carte d’identité nationale n’étaient pas des documents valides, vu la présomption de validité qui s’applique aux pièces d’identité. La Section d’appel des réfugiés a fourni des motifs en réplique à cette thèse en soulignant que ces pièces n’ont pas de valeur probante et que, par conséquent, elles ne peuvent servir à identifier le demandeur.

[18]  Quoi qu’il en soit, aucun élément de preuve ne vient étayer que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur à cet égard. Aux paragraphes 10 à 17 des motifs, la Section de la protection des réfugiés a fourni plusieurs raisons qui démontrent que les explications du demandeur n’étaient pas crédibles lorsqu’il a tenté de décrire son incapacité à produire les originaux. Le demandeur n’a présenté aucune observation allant à l’encontre de ces raisons, si ce n’est que la Section de la protection des réfugiés s’était montrée [traduction] « critique à l’excès » à l’égard de ses pièces d’identité et qu’elle [traduction] « cherchait à dénigrer tout élément présenté plutôt que de l’aborder de manière équitable et raisonnable ».

[19]  Deuxièmement, le demandeur a soutenu que la Section d’appel des réfugiés n’avait pas adéquatement pris compte des éléments de preuve du psychiatre. Il a soutenu que ce rapport médical avait pour objet [traduction] « d’expliquer les incohérences qui pourraient avoir été observées lors de l’audience en raison de la fragilité psychologique du demandeur », en invoquant la décision Feleke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 539. La Section d’appel des réfugiés n’a pas tenu compte de cette question; elle a plutôt conclu qu’il fallait accorder peu de poids à ce rapport parce qu’il était fondé sur un historique que le demandeur a produit et qu’il avait été démontré que ce dernier était peu crédible.

[20]  En ce qui a trait aux observations du demandeur, il a été souligné que le rapport médical n’offrait aucun commentaire au sujet de la difficulté du demandeur à décrire les événements. Au contraire, il est ressorti du rapport que le demandeur [traduction] « avait l’air d’un historien fiable » et que l’auteur [traduction] « prévoyait que M. Tekle n’aurait aucune difficulté à se représenter lui-même à l’audience ».

[21]  Qui plus est, la Cour souscrit à la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle le fait que le demandeur ne soit pas crédible implique qu’un rapport fondé sur un historique produit par celui-ci manque de fiabilité. Abstraction faite des tests effectués par le médecin, le diagnostic, le pronostic et le traitement que les rapports médicaux recommandent se fondent sur le résumé des faits initial tiré de l’historique du patient. Si l’historique est faux, la fiabilité des avis exprimés dans le rapport médical serait compromise.

[22]  Pour conclure, la Cour ne souscrit pas aux observations du demandeur; selon celui-ci, la Section d’appel des réfugiés a fait preuve d’une trop grande retenue à l’égard de la Section de la protection des réfugiés et n’aurait agi que pour la forme du fait en n’effectuant pas sa propre analyse, ce qui se démontre par le fait qu’elle a refusé d’aborder certaines questions soulevées par le demandeur à l’égard de la décision de la Section de la protection des réfugiés.

[23]  Sur la question de l’analyse que la Section d’appel des réfugiés doit effectuer elle-même sur diverses sujets, notre Cour estime que la Section d’appel des réfugiés s’est fondée sur d’autres motifs que ceux de la Section de la protection des réfugiés, entre autres sur la fiabilité des pièces d’identité, du rapport médical visant le demandeur et des éléments de preuve du demandeur relatifs à la guerre entre l’Éthiopie et l’Érythrée, motifs qui démontrent que la Section d’appel des réfugiés a effectué sa propre évaluation pour rejeter les aspects de la preuve en vue d’établir l’identité du demandeur.

[24]  Notre Cour reconnaît que la Section d’appel des réfugiés n’a émis aucun commentaire à l’égard des observations du demandeur qui portaient sur les pièces que les autorités américaines ont délivrées au demandeur ou sur les lettres d’amis, de parents et de pasteurs qui servaient à corroborer son identité personnelle et son identité nationale.

[25]  C’est sous cet angle que notre Cour doit conclure qu’elle doit procéder avec prudence avant d’affirmer que la Section d’appel des réfugiés a fait preuve de trop de retenue à l’égard de la Section de la protection des réfugiés en souscrivant à certains des motifs avancés par la Section de la protection des réfugiés. En fait, lorsque deux décideurs compétents examinent les mêmes circonstances de fait, le premier d’entre eux est celui qui devrait relever les points les plus pertinents à l’appui d’une décision raisonnable et bien expliquée. Il ne faut pas que notre Cour se montre critique à l’excès à l’égard de la Section d’appel des réfugiés parce que celle-ci aurait tiré les mêmes conclusions que la Section de la protection des réfugiés en appliquant la même logique aux mêmes éléments au dossier lorsque le raisonnement est solide. Dans le cas contraire, notre Cour imposerait à la Section d’appel des réfugiés la nécessité d’emprunter une voie différente que celle suivie par la Section de la protection des réfugiés pour s’assurer d’adopter des motifs distincts afin d’en arriver à la même conclusion, alors qu’au départ, aucun motif valable ne saurait être invoqué en vue d’interjeter appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés.

[26]  Ce principe s’applique également aux situations pour lesquelles la Section d’appel des réfugiés n’aborde pas les questions soulevées par le demandeur. Il est bien connu en droit que, premièrement, « le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soitil, qui a mené à sa conclusion finale »; deuxièmement, « la cour de justice doit d’abord chercher à [...] compléter [les motifs] avant de tenter de les contrecarrer » et, troisièmement, la cour de révision doit « examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » : voir l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, paragraphes 12, 14 et 15.

[27]  C’est dans cette optique que notre Cour conclut que la Section d’appel des réfugiés n’a pas commis d’erreur en omettant d’aborder des questions soulevées par le demandeur concernant la Section de la protection des réfugiés, soit le peu de poids accordé aux lettres d’appui de certaines personnes et le rejet des éléments de preuve liés à la demande d’asile présentée par le demandeur aux États-Unis.

[28]  La Section de la protection des réfugiés a mentionné qu’aucune des lettres de soutien n’avait contribué à identifier le demandeur, à l’exception des lettres manuscrites et non assermentées que n’importe qui aurait pu produire. De même, la Section de la protection des réfugiés a mentionné qu’aucun des documents provenant de la demande d’asile rejetée par les États-Unis n’était pertinent à l’identification du demandeur. De plus, la Section de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur n’était pas crédible lorsqu’il a affirmé ne pas connaître les motifs du rejet de sa demande d’asile ou qu’il n’était pas en mesure d’obtenir cette information auprès des avocats qui l’avaient représenté dans cette affaire.

[29]  Il serait mal venu de critiquer la Section d’appel des réfugiés parce qu’elle s’est fiée aux conclusions de la Section de la protection des réfugiés et, qui plus est, celle-ci n’avait pas l’obligation de le faire, car celles-ci sont éloquentes à la lecture des motifs de la Section de la protection des réfugiés.

[30]  La Section d’appel des réfugiés a indiqué qu’elle avait effectué une [traduction] « analyse complète et indépendante des éléments de preuve produits ». Rien ne motive notre Cour à ne pas tenir compte de cette affirmation.

IV.  Conclusion

[31]  La présente demande est rejetée. Il n’y a pas de question à certifier à des fins d’appel.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1727-17

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée, qu’il n’y ait pas de question à certifier à des fins d’appel et que l’intitulé de la cause soit modifié.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1727-17

 

INTITULÉ :

DAWIT ABRAHAM TEKLE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 OCTOBRE 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE XX NOVEMBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

Paul Vandervennen

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Stephen Jarvis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Paul Vandervennen

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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