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Date : 20171114


Dossier : IMM-1575-17

Référence : 2017 CF 1036

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

MANPREET KAUR ARORA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’immigration a refusé la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse au titre du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral), dans le groupe « Éducateurs/éducatrices et aides-éducateurs/aides-éducatrices de la petite enfance » de la Classification nationale des professions.

L’agent a conclu que la demanderesse, en déclarant qu’elle avait travaillé comme enseignante à l’école Tender Kids Pre-School (Tender Kids), avait fait une présentation erronée sur un fait important qui emportait son interdiction de territoire pendant cinq ans aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 :

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

II.  Exposé des faits

[2]  La demanderesse, une citoyenne de l’Inde, a déclaré qu’elle était enseignante de prématernelle à l’école Tender Kids de Delhi depuis octobre 2008.

[3]  L’agent n’a pu trouver de preuve de l’existence de ses prétendus employeurs, l’école publique Akash et Tender Kids.

[4]  Il a envisagé la possibilité que la lettre de recommandation fournie dans les documents relatifs à la demande soit frauduleuse en constatant que des numéros de téléphone injoignables et associés à un autre nom avaient été donnés pour le directeur. L’agent a envoyé une lettre relative à l’équité procédurale faisant état de ses doutes.

[5]  En réponse, la demanderesse lui a transmis une lettre d’explications, une facture de téléphone cellulaire et un affidavit du directeur.

[6]  Une visite des lieux, effectuée à l’invitation de la demanderesse, fait l’objet d’une controverse en l’espèce. Deux agents d’immigration, dont M. Hetherington, le premier secrétaire du Haut-commissariat du Canada, dressent le compte rendu suivant de cette visite :

[TRADUCTION]

  • La propriétaire d’un salon d’esthétique voisin de l’école n’a pas reconnu la demanderesse sur la photographie présentée, mais elle a reconnu d’autres membres du personnel.

  • Aucun voisin n’a accepté de fournir des renseignements.

  • Le propriétaire n’était pas disponible pour cause de maladie.

  • Une certaine Mme Kaur a reconnu la demanderesse sur la photographie et affirmé qu’elle était à l’école deux jours auparavant.

  • Mme Kaur et un préposé à l’entretien ont confirmé que la demanderesse travaillait comme enseignante à Tender Kids.

  • Une autre enseignante, Nancy Kaur (Nancy), a refusé de fournir des renseignements. Cependant, Mme Kaur et Nancy ont toutes les deux confirmé que la demanderesse ne s’était pas présentée à l’école le jour de la visite.

  • La demanderesse, jointe au téléphone parce qu’elle n’était pas présente lors de la visite des lieux, a nié l’existence d’un salon d’esthétique dans le voisinage et affirmé qu’elle se trouvait à l’école le matin, malgré les déclarations contraires de deux témoins. Elle a expliqué qu’elle était sortie faire une course et que l’une de ces témoins était au courant.

  • Durant son entrevue, le directeur a appelé Mme Kaur à quelques reprises avant que les agents lui demandent d’éteindre son téléphone.

[7]  Les agents, manifestement suspicieux devant le déroulement des choses, ont sommé les témoins de dire la vérité. Mme Kaur a admis verbalement que la demanderesse ne travaillait pas à Tender Kids, et elle l’a ensuite confirmé par écrit.

[8]  Ces incohérences ont amené les agents à conclure que la demanderesse avait fait une présentation erronée sur son expérience de travail.

[9]  Quatre jours après la visite des lieux, elle a déposé une plainte auprès de la Section de l’immigration de l’ambassade de Varsovie, dont relevait son dossier. Ses doléances portaient sur la nature de la visite et le ton adopté par les agents. Une déclaration de Mme Kaur a été jointe à la plainte :

[TRADUCTION]

  • Les agents nous ont interdit de quitter l’école et ont enfermé les trois enseignants à clé dans trois pièces distinctes.

  • Les communications avec le directeur ont été interdites, et nos téléphones cellulaires ont été confisqués.

  • Trois enseignants et le préposé à l’entretien ont confirmé que la demanderesse travaillait à l’école.

  • L’un des agents a affirmé qu’il y avait eu fraude et que Mme Kaur risquait de perdre son emploi.

  • Sous la pression, Mme Kaur a signé tout ce que l’agent lui a présenté.

[10]  Après la visite des lieux, l’agent a envoyé une seconde lettre relative à l’équité procédurale.

[11]  La réponse de la demanderesse, rédigée avec l’aide d’un conseiller en immigration canadien, était accompagnée de documents non attestés de tiers et d’un affidavit dans lequel, à part quelques nouvelles fioritures, Mme Kaur reprend mot pour mot son récit des actes agressifs.

Comme le fait valoir le défendeur dans son argumentaire, il manque à cet affidavit une déclaration quelconque attestant que la demanderesse enseignait à l’école en cause.

[12]  Dans sa décision, l’agent rappelle les faits principaux et, en s’appuyant largement sur le compte rendu de la visite des lieux, il conclut que la demanderesse a fait une présentation erronée à propos de sa situation d’emploi. Il n’a pas retenu l’affidavit de Mme Kaur à cause de ses déclarations changeantes concernant le travail d’enseignante de la demanderesse.

Il a rejeté la demande après avoir conclu que la demanderesse avait présenté erronément un fait important.

[13]  La demanderesse conteste à la fois la décision et le processus décisionnel. À l’appui de sa contestation du processus décisionnel, la demanderesse a présenté deux affidavits censés établir que l’enquête a été menée de manière inéquitable. Le défendeur conteste l’admissibilité de ces affidavits et a déposé en réplique un affidavit dans lequel M. Hetherington décrit le déroulement de la visite des lieux. En guise de justification, le défendeur a expliqué que l’affidavit de M. Hetherington visait à éclairer la Cour sur le contexte général.

[14]  Les affidavits touchent au fond de la décision, mais ils soulèvent aussi la question de l’équité procédurale du processus décisionnel.

Étant donné le caractère inhabituel et alambiqué de la présente instance, j’ai admis tous les affidavits. Ils se rapportent au débat sur l’équité procédurale, qui met notamment en cause une allégation de « fermeture d’esprit » du décideur et qui a une incidence sur les deux questions en litige dans le présent contrôle judiciaire.

III.  Discussion

[15]  Deux questions sont en litige ici :

  1. La conclusion de présentation erronée sur un fait important est-elle justifiée?

  2. Cette conclusion découle-t-elle d’un processus équitable d’un point de vue procédural?

[16]  Il est bien établi que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique à une conclusion de présentation erronée sur un fait important (Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 401, 279 ACWS (3d) 810), et que l’appréciation de l’équité procédurale est assujettie à la norme de la décision correcte (Rahimi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 758, 282 ACWS (3d) 842).

A.  Présentation erronée sur un fait important

[17]  Nul ne conteste que la question de savoir si la demanderesse occupait un poste d’enseignante à Tender Kids constitue un fait important.

[18]  Pour déterminer s’il y a eu présentation erronée sur un fait important, l’agent a procédé à un examen détaillé des éléments de preuve contradictoires. Il a soupesé ces éléments de preuve et leur a accordé plus ou moins de valeur et, dans certains cas, il n’en a accordé aucune. Bref, l’agent s’est acquitté de son mandat.

[19]  Il lui était loisible de préférer le compte rendu de la visite des lieux aux éléments de preuve qui le contredisent. Comme l’agent s’est fondé sur un compte rendu interne plutôt que sur celui d’une demanderesse, la Cour a porté une attention particulière aux indices de préjugé institutionnel involontaire dans ses conclusions.

Je n’en ai relevé aucun. Au vu de l’ensemble des éléments de preuve, je ne puis voir comment l’agent aurait pu parvenir à une autre conclusion raisonnable.

B.  Équité procédurale

[20]  Cette question comporte deux volets. Le premier volet tient à la « fermeture d’esprit » imputée à l’agent, qui constitue en fait une allégation de préjugé ou de crainte raisonnable de préjugé. Peu importe si le préjugé allégué en est un « de confirmation » ou non, c’est un préjugé de toute façon.

Le second volet met en cause la démarche suivie pour recueillir certains des éléments de preuve compromettants, surtout dans le contexte de la visite des lieux.

[21]  La demanderesse prétend que l’agent a fait preuve de « fermeture d’esprit » quand, parce qu’il avait été incapable de trouver l’école, il a envoyé une première lettre relative à l’équité procédurale faisant état de doutes liés à une présentation erronée. Elle soutient que cette « fermeture d’esprit » a par la suite entaché tous les autres aspects du processus décisionnel, y compris l’appréciation des éléments de preuve fournis en réponse aux lettres relatives à l’équité procédurale.

[22]  Certes, la première lettre relative à l’équité procédurale aurait pu être rédigée sur un ton plus neutre compte tenu de l’incertitude de la situation, mais l’agent se trouvait dans une impasse. S’il avait adopté un ton plus neutre, il risquait de se voir taxé d’avoir induit la destinataire en erreur quant aux conséquences d’une réponse. Comme il a opté pour un ton plus péremptoire, il fait face à des allégations de partialité.

[23]  Je ne vois pas de manquement à l’équité ou d’indice de partialité dans le fait que l’agent expose clairement ses doutes et les conséquences possibles d’une réponse pas tout à fait franche.

[24]  Il n’a pas non plus manqué à son devoir d’équité en tenant compte des événements survenus lors de la visite des lieux. La demanderesse a été informée de ce qui s’était produit et elle a eu la possibilité de répliquer. La seule question potentiellement contentieuse est de savoir si, en admettant que les événements se soient déroulés de la manière alléguée, les éléments de preuve ont été recueillis sous la contrainte. Il appartient à la demanderesse d’établir les faits sous-jacents d’une allégation de contrainte ou de mauvais traitement.

[25]  À mon avis, la demanderesse n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que les deux agents d’immigration ont eu les agissements arbitraires et agressifs allégués.

[26]  En somme, je ne relève aucun manquement à l’équité procédurale.

IV.  Conclusion

[27]  Pour l’ensemble des motifs précédents et en dépit du plaidoyer vibrant et pondéré de l’avocat de la demanderesse, le présent contrôle judiciaire est rejeté. Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1575-17

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1575-17

 

INTITULÉ :

MANPREET KAUR ARORA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 novembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Andres Pelenur

 

Pour la demanderesse

 

Christopher Ezrin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borders Law Firm

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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