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Date : 20171109


Dossier : IMM-227-17

Référence : 2017 CF 1027

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

MICHELLE ANN WILLIAMS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Michelle Ann Williams, est une citoyenne de Trinité-et-Tobago âgée de 51 ans. Elle a déménagé aux États-Unis en 1985 et y a vécu au cours des 15 années suivantes. Après une déclaration de culpabilité dans l’État du Nevada, elle a déménagé au Canada et y vit depuis l’an 2000. Le 27 août 2015, elle a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada et pour des motifs d’ordre humanitaire, sachant que sa déclaration de culpabilité et le défaut de se conformer à la peine pourraient la rendre interdite de territoire au Canada. Dans une lettre datée du 9 janvier 2017, un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a rejeté la demande de résidence permanente de la demanderesse au motif qu’elle était interdite de territoire pour grande criminalité. La demanderesse a maintenant présenté une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

I.  Contexte

[2]  Le 19 octobre 1998, la demanderesse a plaidé coupable pour la possession d’une carte de crédit sans le consentement du détenteur. La demanderesse maintient qu’une tierce partie lui aurait donné la carte de crédit volée et qu’elle avait l’intention de l’utiliser pour commettre une fraude, à savoir l’obtention d’une avance de fonds, mais elle a eu peur à la dernière minute et n’a pas obtenu les fonds. Elle a été condamnée à une peine de douze à trente-deux mois avec sursis et a été condamnée à verser un dédommagement de 46 403 $ US dans les premiers quatre ans et demi de sa mise en liberté conditionnelle. La demanderesse n’a pas versé le dédommagement et a accepté d’être expulsée des États-Unis peu après sa condamnation.

[3]  La demanderesse est arrivée au Canada en l’an 2000 avec un visa de visiteur valable pour six mois et s’est installée à Toronto. Sa relation avec son mari, Brett Fowler, a commencé en 2006 et ils se sont mariés en 2009. La demanderesse a deux enfants adultes et un petit fils qui vivent dans la ville de New York. En 2011, M. Fowler a reçu le diagnostic d’artères occluses et d’un anévrisme de l’aorte; son état de santé requiert des traitements réguliers et l’aide de la demanderesse.

[4]  En 2010, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Dans une lettre datée du 27 juin 2013, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a demandé plusieurs documents concernant la déclaration de culpabilité de la demanderesse. Elle a fourni le rapport de police, mais n’a pas inclus tous les documents demandés, apparemment par inadvertance. CIC a envoyé une deuxième lettre en date du 8 janvier 2014, mais ni la demanderesse ni son avocat n’auraient reçu cette lettre à l’époque. Par conséquent, la première demande de résidence permanente de la demanderesse a été rejetée dans une lettre datée du 26 juin 2014. L’avocat de la demanderesse a présenté les documents demandés le 24 octobre 2014 en demandant à CIC de réexaminer sa décision, mais cette demande a été rejetée dans une lettre datée du 22 décembre 2014. Cette lettre de rejet informait la demanderesse qu’elle pouvait présenter une nouvelle demande de résidence permanente, ce qu’elle a fait, et CIC a reçu cette demande le 3 septembre 2015.

[5]  La deuxième demande de résidence permanente de la demanderesse a été présentée au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada et également pour des motifs d’ordre humanitaire, sachant que sa déclaration de culpabilité et le défaut de se conformer à sa peine pourraient la rendre interdite de territoire au Canada. Dans une lettre datée du 16 mai 2016 (la lettre pour la première étape), Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a informé la demanderesse qu’elle répondait aux exigences d’admissibilité pour présenter une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, et que la décision ne serait prise qu’une fois toutes les exigences remplies, y compris les contrôles médicaux, de sécurité et des antécédents de la demanderesse. La lettre concernant la première étape demandait également à la demanderesse de fournir les résultats d’une vérification du casier judiciaire ainsi qu’un certificat de police à chaque endroit où elle a résidé au moins six mois ou plus depuis l’âge de 18 ans. Dans une autre lettre d’IRCC datée du 22 septembre 2016, la demanderesse devait fournir des documents judiciaires certifiés concernant sa déclaration de culpabilité au Nevada.

II.  La décision de l’agent

[6]  Dans une lettre datée du 9 janvier 2017, l’agent a rejeté la deuxième demande de résidence permanente de la demanderesse au motif qu’elle était interdite de territoire pour grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR. L’agent a déterminé que l’infraction dont elle avait été déclarée coupable au Nevada, si elle avait été commise au Canada, constituerait une infraction à l’article 342 du Code criminel, LRC 1985, c C-46. La lettre de l’agent faisait remarquer que la demanderesse avait demandé à être exemptée de l’interdiction de territoire pour criminalité sur la base de motifs d’ordre humanitaires en application de l’article 25 de la LIPR, [traduction] « mais il a été décidé que les motifs d’ordre humanitaire étaient insuffisants pour justifier la demande d’exemption ». La lettre de l’agent informait également la demanderesse qu’elle devait quitter le Canada dans les soixante jours.

[7]  En plus de la lettre de l’agent, les notes de l’agent font partie des motifs de la décision de refuser la demande de résidence permanente de la demanderesse. Il est bien connu qu’il n’est pas nécessaire que la lettre qui renferme la décision fasse état de tous les motifs de la décision (voir : Ziaei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1169, au paragraphe 21, 161 ACWS (3d) 788; également voir Muthui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 105, au paragraphe 3, 237 ACWS (3d) 741).

[8]  Les notes de l’agent démontrent que l’état de santé de M. Fowler a été pris en considération. L’agent fait référence à une lettre du cardiologue de M. Fowler qui indique que la demanderesse [traduction] « a une influence positive » sur la gestion de la santé de son mari et que [traduction] « son absence aurait un impact négatif sur sa santé ». L’agent écrit que la demanderesse et son mari [traduction] « entretiennent une relation depuis une période relativement longue » et que son dévouement à l’égard de l’état de santé de son mari [traduction] « est réellement digne de mention; une grande importance a été accordée à ces deux éléments ». L’agent a ensuite déclaré :

[traduction] Malgré les indications ci-dessus, je ne suis toutefois pas d’avis que, en eux-mêmes, ces éléments constituent [sic] des motifs suffisants pour justifier l’exemption d’interdiction de territoire pour grande criminalité pour la demanderesse en application de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR. J’ai noté la gravité de l’infraction commise et l’important dédommagement qui a été imposé par le tribunal en l’espèce, soit un montant de plus de 46 000 $ US. J’ai également noté que, selon l’information fournie, la cliente n’a effectué aucun paiement au titre dudit dédommagement.

[9]  L’agent a également tenu compte des deux enfants adultes et du petit fils de la demanderesse qui vivent à New York. L’agent a conclu que [traduction] « peu d’éléments de preuve » ont été fournis pour démontrer que la demanderesse ne pouvait pas maintenir le contact avec les membres de sa famille malgré les coûts de voyage plus élevés et la distance entre New York et Trinité-et-Tobago. L’agent a ensuite réexaminé les lettres de recommandation de divers individus, y compris des amis et clients de la demanderesse. L’agent a conclu qu’il était évident que la demanderesse avait établi diverses relations depuis son arrivée au Canada. L’agent a noté que, bien qu’un certain poids ait été accordé à ce facteur, [traduction] « Le développement de relations personnelles est normal après un séjour prolongé au même endroit. » L’agent a également noté que la demanderesse a de la parenté à Trinité-et-Tobago et qu’il pouvait être raisonnable de présumer qu’elle aurait un réseau social là-bas si elle devait y retourner. L’agent a également noté que, bien que la demanderesse ait travaillé comme femme de ménage à Toronto et qu’elle ait travaillé dans des manufactures auparavant [traduction] « peu d’éléments de preuve » ont été présentés pour démontrer que la demanderesse avait développé de solides liens financiers et professionnels au Canada ou qu’elle pouvait ne pas être [traduction] « légitimement employée et autosuffisante financièrement » à Trinité-et-Tobago si elle devait y retourner.

[10]  L’agent a tenu compte des rapports sur la situation de Trinité-et-Tobago, lesquels indiquent un certain niveau de violence et de discrimination envers les femmes, de catastrophes naturelles et de criminalité, y compris de crimes de nature sexuelle. L’agent a fait remarquer que la situation dans le pays décrite dans les observations de la demanderesse était [traduction] « seulement de nature générale » et que [traduction] « peu d’éléments de preuve » avaient été fournis pour démontrer que la demanderesse serait [traduction] « personnellement et directement touchée par cette situation » si elle retournait à Trinité-et-Tobago. L’agent a noté que la demanderesse n’avait aucune déclaration de culpabilité au Canada et a déclaré que, bien que cela soit digne de mention, cela représente [traduction] « la normalité pour tous les résidents du Canada ».

III.  Questions en litige

[11]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. La demanderesse s’est-elle vu refuser l’équité procédurale par l’agent qui a rendu une décision défavorable en matière de motifs d’ordre humanitaire après qu’elle ait été jugée admissible à la première étape?

  2. Était-il raisonnable que l’agent conclue que les motifs d’ordre humanitaire étaient insuffisants pour permettre une exemption de l’interdiction de territoire pour criminalité de la demanderesse?

IV.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[12]  La décision d’un agent de refuser une dispense conformément au paragraphe 25(1) de la LIPR doit être examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 44, [2015] 3 RCS 909). La décision d’un agent aux termes du paragraphe 25(1) est hautement discrétionnaire, puisque cette disposition « prévoit un mécanisme en cas de circonstances exceptionnelles » et la Cour « doit accorder une déférence considérable » à l’agent (Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1303, au paragraphe 4 [2016] ACF no 1305; Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, au paragraphe 15 [2002] 4 RCF 358).

[13]  Conformément à la norme de la décision raisonnable, la Cour doit examiner une décision en s’en tenant « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ». Toutefois, la Cour doit aussi se demander si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]. Ces critères sont remplis dès lors que les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses]. De plus, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable », et « il [ne] rentre [pas] dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59, 61, [2009] 1 RCS 339 [Khosa].

[14]  La norme de contrôle applicable à une allégation de manquement à l’équité procédurale est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502; Khosa, au paragraphe 43. La question de savoir si une décision administrative était juste est en général susceptible de révision par un tribunal. Cependant, le cadre analytique n’est pas tant la norme de la décision correcte ou de la décision raisonnable, mais plutôt une question d’équité. Comme le font remarquer Jones & deVillars, Principles of Administrative Law, sixième édition (Toronto : Carswell, 2014) page 266) :

L’équité d’une procédure n’est pas mesurée par les normes de la « décision correcte » ou de la « décision raisonnable ». Elle est mesurée par la question de savoir si la procédure respectait le niveau d’équité requis par la loi. La confusion vient du fait que, lorsque le tribunal examine la question de savoir si une procédure est équitable, il […] se prononce sur la question de savoir si la procédure a été rendue correctement. Il ne faut pas faire montre de retenue à l’égard de la façon de faire du tribunal. L’instance s’est déroulée de façon équitable ou non.

[15]  Lorsqu’elle applique la norme de la décision correcte, la cour de révision n’acquiesce pas au raisonnement du décideur. En cas de désaccord avec la conclusion du décideur, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose (voir l’arrêt Dunsmuir, paragraphe 50). En outre, la Cour doit s’assurer que la démarche empruntée pour examiner la décision faisant l’objet du contrôle a atteint le niveau d’équité exigé dans les circonstances de l’espèce (voir : Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 115, [2002] 1 RCS 3). Au moment d’appliquer une norme de la décision correcte, il n’est pas seulement question de savoir si la décision faisant l’objet du contrôle est correcte, mais également d’établir si le processus suivi pour prendre sa décision était équitable (voir Makoundi c Canada (Procureur général), 2014 CF 1177, au paragraphe 35, 471 FTR 71).

B.  La demanderesse s’est-elle vu refuser l’équité procédurale par l’agent qui a rendu une décision défavorable en matière de motifs d’ordre humanitaire après qu’elle ait été jugée admissible à la première étape?

[16]  La demanderesse prétend que l’agent a commis une faute procédurale en prenant une décision défavorable relativement à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire après qu’un autre décideur ait pris une décision favorable en s’appuyant sur les mêmes éléments de preuve, y compris la preuve des antécédents criminels de la demanderesse. Selon la demanderesse, les facteurs d’ordre humanitaire sont normalement pris en considération à la première étape et la deuxième étape comprend l’examen médical et celui des antécédents criminels et non un nouvel examen des éléments de preuve et des facteurs d’ordre humanitaire. Selon la demanderesse, parce que le décideur a pris en compte tous les éléments de preuve à la première étape, y compris les antécédents criminels, la décision rendue à la première étape était par conséquent une approbation de la demande de résidence permanente de la demanderesse, en attendant les résultats des examens de routine pour la santé et le casier judiciaire. La demanderesse dit qu’étant donné qu’elle n’a pas été informée que son interdiction de territoire pour grande criminalité devait toujours être examinée, il était raisonnable pour elle de conclure que son admissibilité avait été approuvée après avoir reçu la lettre concernant la première étape.

[17]  Le défendeur a affirmé que la demanderesse a mal interprété la lettre concernant la première étape qui indiquait seulement que la demanderesse répondait aux exigences d’admissibilité de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada et qu’une décision finale serait prise une fois que tous les renseignements additionnels demandés seraient présentés. Le défendeur signale que la demanderesse a reçu une lettre, environ quatre mois après la lettre concernant la première étape, qui demandait des documents judiciaires concernant sa déclaration de culpabilité, suivi d’une autre lettre datée du 8 décembre 2016, l’informant que sa demande avait été transférée au bureau d’IRCC d’Etobicoke pour évaluation approfondie. Le défendeur est d’avis qu’il est évident dans la lettre concernant la première étape et la demande de documents additionnels qu’il n’y avait pas d’évaluation des facteurs d’ordre humanitaire à la première étape. Selon le défendeur, la seule question qui a été considérée était de savoir si elle avait satisfait ou non aux critères d’admissibilité de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Le défendeur affirme que cette procédure est entièrement conforme aux sections 5.31 et 5.36 du manuel intitulé Catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, qui précise également qu’en cas de grande criminalité, la demande doit être renvoyée à un bureau intérieur d’IRCC, comme ce fut le cas en l’espèce.

[18]  L’argument de la demanderesse selon lequel l’agent a commis une faute procédurale en prenant une décision défavorable relativement à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire après qu’un précédent décideur a pris une décision positive dans la lettre concernant la première étape est sans fondement. La lettre concernant la première étape en l’espèce n’indiquait pas que les antécédents criminels de la demanderesse ne seraient pas examinés à la deuxième étape. En fait, la lettre concernant la première étape stipule seulement que la demanderesse répondait aux critères lui permettant de présenter une demande de résidence permanente en tant que membre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, et qu’une décision finale suivrait lorsqu’elle aurait répondu à toutes les autres exigences pour devenir une résidente permanente, y compris les contrôles médicaux, de sécurité et des antécédents de la demanderesse. La requête de documentation subséquente à la lettre concernant la première étape mine la position de la demanderesse selon laquelle le décideur à la première étape avait tenu compte de tous les éléments de preuve, y compris ceux relatifs à la criminalité et aux facteurs d’ordre humanitaire.

C.  Était-il raisonnable que l’agent conclue que les motifs d’ordre humanitaire étaient insuffisants pour permettre une exemption de l’interdiction de territoire pour criminalité de la demanderesse?

[19]  La demanderesse cite la section 5.25 du guide IP 5 Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire (lignes directrices sur les facteurs d’ordre humanitaire), prétendant que les dispositions d’interdiction de territoire pour criminalité visent à donner la priorité à la sécurité et que l’agent aurait dû tenir compte du fait que la demanderesse n’avait pas de casier judiciaire au Canada et ne représentait pas une menace pour la sécurité nationale. Le fait que l’agent ne l’a pas fait est une erreur susceptible de révision, selon la demanderesse, qui cite Figueroa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 673, [2014] ACF no 702 [Figueroa]. Selon la demanderesse, l’agent a appliqué le mauvais critère en n’analysant pas pourquoi la gravité de son crime et le niveau de menace pour la sécurité nationale l’emportaient sur les facteurs d’ordre humanitaire.

[20]  La demanderesse cite Melendez c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 1363, 275 ACWS (3d) 835, pour proposer qu’il soit insuffisant de simplement énoncer que la gravité de l’infraction commise l’emporte sur les facteurs d’ordre humanitaire sans expliquer pourquoi, et qu’une affirmation sans autre motif rend la décision inintelligible. La demanderesse est d’avis que l’agent n’a pas tenu compte de ce qui suit : pourquoi une infraction de plus de deux décennies pour une carte de crédit volée l’emporte sur les difficultés auxquelles le mari de la demanderesse doit faire face, la personne dont elle est la principale responsable des soins; l’intérêt supérieur de son petit-fils; les difficultés pour les enfants et autres individus dont elle prend soin par l’entremise de son travail; les difficultés de la demanderesse occasionnées par les conditions économiques défavorables et les taux élevés de criminalité, y compris la violence faite aux femmes, à Trinité-et-Tobago.

[21]  Le défendeur soutient que la demanderesse demande à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve, ce qui ne constitue pas un motif de contrôle judiciaire. Le défendeur note que l’agent a expliqué les motifs de la décision d’interdiction de territoire pour grande criminalité, qui comprend non seulement la gravité de l’infraction, mais également le fait que la demanderesse ne s’est pas conformée à l’importante ordonnance de dédommagement. Le défendeur est d’avis que l’agent a tenu compte des facteurs d’ordre humanitaire, mais les a trouvés insuffisants pour l’emporter sur l’interdiction de territoire et qu’il était loisible à l’agent de tirer cette conclusion. Le défendeur distingue Figueroa comme tenant compte de l’article 34 de LIPR (interdiction de territoire pour raison de sécurité nationale) plutôt que l’alinéa 36(1)b) (interdiction de territoire pour grande criminalité) qui s’applique dans le présent cas.

[22]  Selon le défendeur, les éléments de preuve de la demanderesse étaient insuffisants pour démontrer la nature de l’impact négatif que le retour forcé de la demanderesse à Trinité-et-Tobago aurait eu sur elle. Le défendeur est d’avis que les éléments de preuve étaient insuffisants pour démontrer : que sa famille ne pourrait pas aller lui rendre visite à Trinité-et-Tobago; qu’elle ne trouverait pas de travail là-bas; et à quel type d’impact négatif son mari serait confronté si elle était renvoyée là-bas, à l’exception d’une simple affirmation selon laquelle il en serait affecté de manière négative. Le défendeur soutient la décision de l’agent que les éléments de preuve documentaire sur la situation du pays étaient de nature générale et ne démontrait pas que la demanderesse ferait face à de supposées difficultés à Trinité-et-Tobago.

[23]  Selon l’arrêt Newfoundland Nurses, les motifs de l’agent doivent être suffisamment clairs pour permettre à la Cour de comprendre pourquoi l’agent en est arrivé à la conclusion à laquelle il est parvenu. Il est troublant que l’agent, en l’espèce, semble avoir tiré la conclusion que le niveau de criminalité de la demanderesse était si grave qu’il l’emportait sur toutes les considérations d’ordre humanitaire. L’agent a rejeté la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse sans tenir compte du fond de l’infraction ou comment elle interagit avec l’objectif de prioriser la sécurité comme il est énoncé à l’alinéa 3(1)h) de la LIPR. Il semble que l’agent n’a pas été attentif à la section 5.25 des lignes directrices sur les motifs d’ordre humanitaire. Cette section prévoit que, dans certains cas, les facteurs d’ordre humanitaire peuvent l’emporter sur [traduction] « un incident criminel relativement mineur ou isolé » ou l’annuler.

[24]  À mon avis, la décision de l’agent n’explique pas suffisamment pourquoi l’infraction pour possession d’une carte de crédit volée à l’extérieur du Canada il y a près de vingt ans l’emporte sur les facteurs d’ordre humanitaire. Il n’était pas raisonnable que l’agent qualifie tout simplement l’infraction de « grave » sans d’abord évaluer les circonstances et l’essentiel de l’infraction par rapport aux considérations d’ordre humanitaire. L’agent n’est pas arrivé à expliquer pourquoi la gravité de l’infraction commise et le dédommagement non payé l’emportaient sur les facteurs d’ordre humanitaire. La décision est inintelligible en l’absence d’une ou de raisons pour lesquelles il en a été ainsi. La décision doit être annulée et l’affaire renvoyée devant un autre agent pour un nouvel examen.

V.  Conclusion

[25]  La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est accueillie.

[26]  Aucune des parties n’a soulevé une question grave de portée générale et aucune question en ce sens n’est certifiée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-227-17

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire; la décision de l’agent d’immigration, datée du 9 janvier 2017, est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il en fasse un nouvel examen conformément aux motifs du présent jugement, et aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-227-17

 

INTITULÉ :

MICHELLE ANN WILLIAMS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 septembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Stephanie Fung

 

Pour la demanderesse

 

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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