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Date : 20171026


Dossier : T-2280-12

Référence : 2017 CF 957

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2017

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

TEVA CANADA LIMITÉE

demanderesse
(défenderesse reconventionnelle)

et

PFIZER CANADA INC., PFIZER INC., ET PFIZER IRELAND PHARMACEUTICALS

défenderesses
(Pfizer Canada Inc., demanderesse reconventionnelle)

et

PFIZER PRODUCTS INC.

demanderesse reconventionnelle

 


ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La Cour a été saisie pour trancher deux requêtes : 1) une requête présentée par les défenderesses (Pfizer) en vue d’obtenir une ordonnance les autorisant à modifier leur défense et demande reconventionnelle, et 2) une requête présentée par la demanderesse (Teva) afin que la Cour ordonne que des parties du dossier de requête de Pfizer et les alinéas 28Bc) à e) de la défense et demande reconventionnelle modifiée soient expurgées du dossier public de la Cour.

[2]  La réplique de Mercutio mourant résume bien mon point de vue sur ces requêtes : « Malédiction sur les deux maisons! » (Roméo et Juliette, Acte III, Scène 1).

[3]  La requête de Pfizer n’était pas nécessaire au moment où elle a été présentée puisque Teva avait consenti, sans condition, à la défense et demande reconventionnelle modifiée proposée (ci-jointe). Malgré ce consentement, Pfizer, pour des motifs qui semblent être de nature à fournir un certain avantage tactique, a présenté sa requête.

[4]  Teva, ayant consenti sans réserve à la modification, a tenté de retirer son consentement inconditionnel après que Pfizer lui a indiqué qu’elle présenterait sa requête à la Cour. Teva a également déposé une requête incidente en vue d’obtenir une ordonnance de confidentialité concernant le dossier de requête de Pfizer et une ordonnance quant à l’expurgation de parties de la défense et demande reconventionnelle modifiée.

[5]  Pfizer ayant menacé de déposer une requête, puis déposé cette requête, la Cour a dû tenir en urgence une conférence de gestion de l’instance de 25 minutes, Teva a déposé sa requête incidente et il a fallu consacrer trois heures à l’audition de ces requêtes. Chacune de ces comparutions a hypothéqué le temps de quatre avocats, d’un greffier audiencier et de moi-même.

[6]  Si Pfizer n’avait pas agi ainsi, elle aurait maintenant son acte de procédure modifié et aucune des étapes inutiles que je viens de mentionner n’aurait occupé le temps de la Cour ou utilisé ses ressources limitées.

[7]  Compte tenu de mes constatations et de ma décision quant à ces requêtes, il me semble important de rappeler le déroulement des faits et d’exposer les déclarations et les positions des parties.

[8]  La présente action porte sur le produit pharmaceutique Viagra (citrate de sildénafil) de Pfizer. En application de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/2006-242, Teva demande à être indemnisée pour les dommages qu’elle prétend avoir subis parce qu’elle n’a pas pu commercialiser ses comprimés de sildénafil.

[9]  Pfizer a affirmé, à l’alinéa 28c) de sa défense et demande reconventionnelle, que si l’on devait conclure que Teva avait le droit de réclamer des dommages-intérêts, alors toute évaluation devrait prendre en considération [traduction] « le bien-fondé des ristournes et indemnités professionnelles (qu’il s’agisse de paiements en espèces, de produits gratuits ou de prix réduits) accordées en lien avec les comprimés Teva ».

[10]  Dans sa réponse, Teva a affirmé qu’il n’y avait [traduction] « pas de fondement factuel » à cette allégation concernant ses pratiques en matière de ristournes et qu’elle se réservait le droit de demander la radiation de ces paragraphes conformément à l’article 221 des Règles des Cours fédérales. Dans sa réponse à la défense reconventionnelle, Pfizer a fourni des précisions concernant son allégation selon laquelle Teva avait commis des irrégularités en ne respectant pas la législation provinciale.

[11]  Des interrogatoires préalables ont eu lieu. Teva a désigné Scott Sherwood, directeur adjoint des finances d’entreprise, en tant que représentant. Pfizer a posé plusieurs questions concernant les pratiques de Teva en matière de ristournes et d’indemnités professionnelles. Pfizer, pensant avoir obtenu des aveux importants concernant le bien-fondé de ces pratiques, a informé Teva qu’elle modifierait sa défense et demande reconventionnelle pour donner des précisions sur ces pratiques prétendument répréhensibles. Voici ce que l’avocat de Pfizer a écrit à celui de Teva dans une lettre datée du 20 juillet 2017 :

[traduction]

Nous vous écrivons pour vous informer que Pfizer déposera une requête en vue de modifier sa défense et demande reconventionnelle. Veuillez trouver ci-joint une copie électronique du dossier de requête de Pfizer, tant dans son format public que confidentiel, qui vous est signifiée par la présente conformément à l’entente des parties d’accepter la signification par voie électronique et conformément aux Règles de la Cour fédérale. Des copies papier suivront par service de messagerie de 24 heures.

[12]  L’avocat de Teva a répondu en donnant le consentement de son client concernant la modification proposée, indiquant que Teva [traduction] « fournirait des réponses corrigées » quant aux questions posées lors de l’interrogatoire préalable, et a déclaré que puisque Pfizer avait le consentement de Teva, aucune requête n’était nécessaire. Dans une lettre datée du 27 juillet 2017, l’avocat de Teva a écrit à ce qui suit à l’avocat de Pfizer :

[traduction]
Je vous écris en réponse à votre lettre datée du 20 juillet 2017, dans laquelle vous indiquiez que Pfizer souhaitait modifier sa défense et demande reconventionnelle. Teva m’a demandé de consentir aux modifications proposées.

En premier lieu, les témoignages sur lesquels Pfizer cherche à s’appuyer sont en grande partie inexacts et, conformément à l’article 245 des Règles des Cours fédérales, nous fournirons d’ici peu des réponses corrigées.

De plus, Teva conteste la manière dont vous avez préparé les documents pour la version publique du dossier de requête que vous avez signifié le 20 juillet. Les transcriptions ont été cotées confidentielles dans leur intégralité et il n’appartient pas à votre client de décider unilatéralement de ne pas tenir compte cette désignation comme il l’a fait. Advenant la présentation du dossier de requête, Teva insisterait pour que les transcriptions soient expurgées dans leur intégralité.

Cela étant dit, puisque Teva a consenti aux modifications, il n’y a aucune raison de déposer le dossier de requête et Teva s’attend à ce qu’il ne le soit pas. Dans le cas contraire, veuillez nous en aviser immédiatement afin que Teva puisse présenter une requête pour protéger ses renseignements confidentiels.

[Non souligné dans l’original.]

[13]  Le 28 juillet 2017, l’avocat de Pfizer a écrit pour exprimer de vives préoccupations quant au fait que Teva [traduction] « a tardé de façon inexpliquée à vouloir corriger ses preuves », indiquant ce qui suit : [traduction] « Comme par hasard, ce n’est que depuis que Pfizer a signifié à Teva sa requête en modification, compte tenu des éléments de preuve donnés par M. Sherwood, que Teva souhaite corriger les éléments de preuve fournis par ce dernier. La façon dont agit Teva est révélatrice ».

[14]  L’avocat de Pfizer a également répondu, le 31 juillet 2017, à la demande visant à déterminer si Pfizer, en dépit du consentement de Teva, déposerait bel et bien sa requête : [traduction] « Pfizer présentera la version publique de son dossier de requête, comme elle est en droit de le faire ». [Non souligné dans l’original.] Teva a répondu à Pfizer et a envoyé un courriel à la Cour pour demander la tenue en urgence une conférence de gestion de l’instance.

[15]  Voici ce que Teva a écrit dans sa lettre à Pfizer le 31 juillet 2017 :

[traduction]
Je vous écris en réponse à votre lettre datée du 31 juillet 2017 dans laquelle vous indiquez que Pfizer a toujours l’intention de présenter une requête en autorisation de modifier sa défense et demande reconventionnelle malgré le fait que vous obtiendrez le consentement de Teva quant aux modifications proposées.

De toute évidence, la requête de Pfizer est inutile, puisqu’aucune autorisation n’est requise. Cette requête jette bien sûr la lumière sur la motivation réelle de Pfizer de présenter publiquement, malgré tout, du matériel qui n’est ni requis ni nécessaire compte tenu du consentement de Teva. Elle fait également redouter une divulgation inappropriée et une violation potentielle de l’engagement tacite de confidentialité. La divulgation publique d’éléments obtenus par la contrainte (et inexacts) n’est pas admissible lorsqu’elle est tout à fait inutile.

De plus, il est évident qu’en obligeant inutilement Teva à présenter une requête, on impose un fardeau tout à fait injustifié à la Cour et à Teva, surtout compte tenu du fait que Teva croyait raisonnablement que son consentement aux modifications des actes de procédure éliminerait la nécessité d’une requête en confidentialité.

Comme vous le savez, nous avons demandé la tenue immédiate d’une conférence de gestion de l’instance devant monsieur le juge Zinn, lors de laquelle nous porterons à son attention la conduite de votre client.

[Non souligné dans l’original.]

[16]  Le 31 juillet 2017 à 16 h 51, l’avocat de Teva a envoyé un courriel à la Cour pour l’aviser, ainsi que Pfizer, que Teva allait demander une expurgation dans la défense et demande reconventionnelle modifiée :

[traduction]

Teva présentera, lors de la conférence de gestion de l’instance qui se tiendra demain, des observations concernant le traitement de la défense et demande reconventionnelle modifiée proposée. En attendant, nous vous demandons respectueusement de ne pas placer les ébauches d’actes de procédures dans le dossier de la Cour. [Non souligné dans l’original.]

[17]  Durant la conférence de gestion de l’instance qui a débuté le 1er août 2017 à 10 h 30, l’avocat de Teva a informé la Cour et Pfizer qu’il avait reçu la consigne de présenter une requête sollicitant une ordonnance de mise sous scellés de parties des documents déposés avec la requête de Pfizer (des documents qui, selon Teva, contenaient des renseignements confidentiels) et l’expurgation des alinéas 28Bc) à e) de la défense et demande reconventionnelle modifiée.

[18]  La Cour a conclu que la requête en modification présentée par Pfizer et la requête en confidentialité présentée par Teva seraient entendues à Toronto le 5 octobre 2017 et que tous les documents seraient mis sous scellés dans le dossier de la Cour en attendant que cette dernière statue sur les requêtes.

[19]  Lorsque ces requêtes ont été entendues, la Cour, compte tenu de l’article 200 des Règles des Cours fédérales, a demandé à l’avocat de Pfizer pourquoi cette dernière avait présenté sa requête en autorisation de modifier. L’article 200 des Règles des Cours fédérales prévoit ce qui suit :

Malgré les règles 75 et 76, une partie peut, sans autorisation, modifier l’un de ses actes de procédures à tout moment avant qu’une autre partie y ait répondu ou sur dépôt du consentement écrit des autres parties. [Non souligné dans l’original.]

[20]  En dépit des tentatives vaillantes et répétées de M. Pasparakis, la Cour n’a reçu aucune réponse satisfaisante; en effet, selon moi, il n’en existe aucune. Le simple fait qu’une partie ait le [traduction] « droit » de faire quelque chose, comme l’affirme Pfizer, ne signifie pas qu’elle devrait le faire lorsque les Règles des Cours fédérales prévoient une façon moins coûteuse et accaparante d’obtenir le résultat demandé. La requête en autorisation de modifier était et demeure inutile compte tenu du consentement de Teva. Le dépôt de cette requête par Pfizer, comme je l’ai exprimé à l’audience, était inutile et a porté atteinte au déroulement de l’instance et de la procédure de la Cour.

[21]  À cause de cette requête de Pfizer, Teva a eu le temps d’essayer de revenir sur le consentement sans équivoque et sans condition qu’elle avait donné quant à la modification.

[22]  À l’audience, l’avocat de Teva a admis que si les transcriptions de l’interrogatoire préalable pouvaient être interprétées comme reflétant les allégations formulées aux alinéas 28Bc) à e) de la défense et demande reconventionnelle modifiée, il n’y avait alors aucun motif justifiant leur expurgation. D’après moi, ce critère a été respecté. Teva l’a bien reconnu puisqu’elle souhaite maintenant [traduction] « corriger » les réponses données lors de l’interrogatoire préalable.

[23]  Puisqu’elle avait consenti sans condition au dépôt de la défense et demande reconventionnelle modifiée, Teva n’aurait pas dû chercher, seulement trois jours plus tard, à revenir sur ce consentement. Elle a, elle aussi, abusé de la procédure de la Cour.

[24]  Pfizer est la principale responsable du gaspillage des ressources judiciaires que ces événements ont causé. La cause immédiate a été sa décision de présenter une requête en autorisation de modifier son acte de procédure, alors qu’elle avait le consentement de Teva quant à la modification demandée.

[25]  Il est possible que les documents déposés contiennent des renseignements confidentiels et exclusifs. Teva affirme que c’est le cas. Étant donné qu’aucun des documents déposés à l’égard de ces requêtes n’aurait normalement dû l’être, j’estime qu’un examen plus poussé par la Cour pour déterminer quels documents devraient être expurgés ou mis sous scellés, le cas échéant, serait un gaspillage supplémentaire des ressources judiciaires. Je demanderai donc au greffe d’enlever tous les documents déposés du dossier de la Cour et de les rendre à la partie qui les a déposés, exception faite des copies du juge qui seront déchiquetées.

[26]  À mon avis, aucune des parties n’a droit à des dépens : Pfizer n’aurait jamais dû présenter cette requête et Teva n’aurait pas dû faire de surenchère en retirant son consentement sans condition. Mon seul regret est de ne pas pouvoir ordonner aux deux parties de dédommager la Cour pour ses pertes.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-2280-12

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. Le greffe acceptera le dépôt de la défense et demande reconventionnelle modifiée ci-jointe.

  2. Le greffe enlèvera du dossier public et du dossier scellé de la Cour, et rendra à la partie qui les a déposés (exception faite des copies du juge qui doivent être détruites), tous les documents déposés par l’une ou l’autre des parties en lien avec la requête de Pfizer en autorisation de modifier son acte de procédure et la requête incidente de Teva pour obtenir une ordonnance de confidentialité et l’expurgation des documents présentés dans ces requêtes.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de septembre 2019

Lionbridge


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2280-12

 

INTITULÉ :

TEVA CANADA LIMITÉE c PFIZER CANADA INC., PFIZER INC. ET PFIZER IRELAND PHARMACEUTICALS; ET PFIZER PRODUCTS INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 octobre 2017

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 octobre 2017

 

COMPARUTIONS :

Jonathan Stainsby

Scott Beeser

POUR LA DEMANDERESSE

 (DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE)

Orestes Pasparakis

Daniel Daniele

Pour les défendeurs

ET LES DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aitken Klee LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 (DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE)

 

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les défendeurs

ET LES DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

 

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