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Date : 20171108


Dossier : IMM-1199-17

Référence : 2017 CF 1018

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

STELLA MBULA-KOLELA

JAELLE KERENE TSHIENDA

KALALA ONDO

(aussi connue sous le nom de JAELLE KARENE TSIENDA KALALA)

NOIYA LILYA NTANGA KALA ONDO

(aussi connue sous le nom de NOIYA LYLLA NTANGA KALALA)

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les demanderesses, Mme Stella Mbula-Kolela et ses deux enfants mineures, Jaelle et Noiya, ont demandé l’asile en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Elles ont fait valoir leur crainte de persécution en République démocratique du Congo en raison de leur religion et de leur affiliation politique en tant que membres de l’Église du Seigneur Jésus-Christ. Dans une décision rendue en décembre 2016, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté leur demande d’asile étant donné que le tribunal a conclu que, en raison d’un manque d’éléments de preuve crédibles, Mme Mbula-Kolela n’avait pas pu établir son identité et celle de ses filles en tant que ressortissantes de la République démocratique du Congo (la décision). La Section de la protection des réfugiés a plutôt conclu que Mme Mbula-Kolela et ses filles étaient de nationalité gabonaise.

[2]  Dans sa demande de contrôle judiciaire, Mme Mbula-Kolela demande à la Cour d’annuler la décision et d’ordonner qu’un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés réexamine sa demande. Mme Mbula-Kolela soutient que la décision de la Section de la protection des réfugiés est déraisonnable, puisque le tribunal n’a pas pris en considération des éléments de preuve d’une grande importance à l’appui de sa demande de citoyenneté congolaise. Elle affirme également que le tribunal s’est fondé de façon erronée sur son passeport gabonais.

[3]  La seule question que soulève la demande de contrôle judiciaire présentée par Mme Mbula-Kolela est celle de savoir si les conclusions de la Section de la protection des réfugiés étaient déraisonnables. Plus précisément, la Cour doit décider si l’examen des éléments de preuve fait par la Section de la protection des réfugiés quant à la citoyenneté congolaise de Mme Mbula-Kolela et de ses filles, et si le fait que le tribunal se soit fondé sur le passeport de Mme Mbula-Kolela pour conclure qu’elle et ses filles étaient de nationalité gabonaise, étaient déraisonnables.

[4]  Pour les motifs suivants, la demande de contrôle judiciaire de Mme Mbula-Kolela et de ses filles sera rejetée. Ayant examiné les éléments de preuve à la disposition de la Section de la protection des réfugiés et la loi applicable, je ne vois rien qui me permette d’annuler la décision. Je ne peux pas non plus constater d’erreur dans l’analyse ou dans les motifs de la Section de la protection des réfugiés. La Section de la protection des réfugiés a examiné les éléments de preuve, les conclusions du tribunal sont justifiées compte tenu des faits et de la loi, et elles font partie des issues possibles acceptables dans les circonstances. Il n’y a donc aucun motif qui justifierait l’intervention de la Cour.

II.  Résumé des faits

A.  Le contexte factuel

[5]  Mme Mbula-Kolela prétend être née à Kinshasa, République démocratique du Congo, en 1982. Elle a indiqué qu’elle et son mari avaient trouvé refuge au Gabon après une succession de manifestations meurtrières qui ont éclaté à Kintambo, en République démocratique du Congo, en mai 2010. Des membres de l’Église du Seigneur Jésus-Christ, à laquelle appartenaient Mme Mbula-Kolela et son mari, ont apparemment essuyé les tirs de l’armée congolaise lorsqu’ils sont descendus dans la rue pour protester contre l’emprisonnement de trois prêtres. Craignant pour leur vie, Mme Mbula-Kolela et son mari se sont cachés au Gabon, en passant par Brazzaville, ville située dans la République du Congo voisine.

[6]  Au Gabon, Mme Mbula-Kolela est restée discrète de peur d’être découverte et renvoyée en République démocratique du Congo. Avant de partir pour les États-Unis en avril 2016, Mme Mbula-Kolela prétend qu’une connaissance de son mari avait obtenu des documents gabonais pour elle, afin de remédier à la situation clandestine dans laquelle elle se trouvait. Quand elle est partie pour les États-Unis, elle a laissé derrière elle son mari et l’un de ses enfants.

[7]  Lorsqu’elle est entrée au Canada depuis les États-Unis, en septembre 2016, Mme Mbula-Kolela et ses deux enfants mineures ont revendiqué être des citoyennes de la République démocratique du Congo. Toutefois, elles ont présenté des passeports gabonais lorsqu’elles ont présenté une demande d’asile à un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).

B.  La décision

[8]  Dans la décision, la Section de la protection des réfugiés a conclu que Mme Mbula-Kolela et ses filles n’étaient pas en mesure d’établir leur identité en tant que citoyennes de la République démocratique du Congo selon la prépondérance des probabilités, et elles ont donc été jugées non crédibles. Se fondant sur les décisions Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 743 et Duale c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 150, la Section de la protection des réfugiés a indiqué qu’il incombait à Mme Mbula-Kolela de produire une documentation acceptable pour établir son identité, ce qu’elle n’a pas fait en l’occurrence. Dans la décision, la Section de la protection des réfugiés a pris en considération le passeport gabonais, la carte électorale de la République démocratique du Congo, les certificats de naissance des trois demanderesses, et les notes et le formulaire du point d’entrée fournis par Mme Mbula-Kolela.

[9]  Puisque Mme Mbula-Kolela prétend ne pas être une citoyenne du Gabon malgré le fait qu’elle possède un passeport gabonais, la Section de la protection des réfugiés a vérifié les documents et s’est servie d’un rapport biométrique indiquant que Mme Mbula-Kolela avait précédemment présenté une demande de visa pour voyager jusqu’aux États-Unis, en utilisant son passeport gabonais pour confirmer sa nationalité gabonaise. Le rapport a confirmé que le passeport était authentique et retenu en tant que preuve qu’elle était née en 1980 (et non en 1982), à Franceville, au Gabon, et non en République démocratique du Congo. Le rapport indiquait également qu’elle travaillait en tant que comptable au Gabon. Selon la Section de la protection des réfugiés, aussi bien le rapport biométrique que le fait que les autorités américaines n’avaient pas contesté l’authenticité du passeport indiquait qu’il était plus probable qu’improbable que Mme Mbula-Kolela était de nationalité gabonaise. Compte tenu de son passeport gabonais, la Section de la protection des réfugiés en a déduit que Mme Mbula-Kolela ne pouvait pas être actuellement citoyenne de la République démocratique du Congo puisque les règles relatives à la citoyenneté de la République démocratique du Congo interdisent la double citoyenneté. Il en va de même pour ses deux enfants mineures.

[10]  La Section de la protection des réfugiés a rejeté la carte électorale de la République démocratique du Congo de Mme Mbula-Kolela en tant que preuve de sa citoyenneté congolaise. Le tribunal a fait remarquer que la carte avait été émise en 2016 et qu’il s’agissait d’une copie obtenue par son oncle. La Section de la protection des réfugiés a souligné la facilité avec laquelle l’oncle avait apparemment obtenu la copie comme une raison de douter de la fiabilité de la carte électorale. Un rapport d’analyse des documents a également indiqué que le document était [traduction] « probablement authentique », mais [traduction] « apocryphe ». La Section de la protection des réfugiés a accordé une grande importance à la comparaison visuelle entre la carte de Mme Mbula-Kolela et la carte d’échantillon, qui montrait des différences au niveau du style et de la qualité du code à barres ainsi qu’au niveau de la police du mot « sexe ». Pour ces motifs, la Section de la protection des réfugiés n’a accordé aucun poids à la carte électorale de la République démocratique du Congo comme élément à l’appui de l’identité revendiquée par Mme Mbula-Kolela, et a tiré des conclusions négatives quant à sa crédibilité.

[11]  En ce qui concerne les certificats de naissance, Mme Mbula-Kolela n’a été en mesure de fournir à la Section de la protection des réfugiés qu’une copie de son certificat de naissance en date du mois de novembre 2016, que son cousin a prétendument pu obtenir en son nom. La Section de la protection des réfugiés a fait remarquer la prévalence et la disponibilité de documents frauduleux, falsifiés en République démocratique du Congo, plus précisément les certificats de naissance, qui ne sont apparemment pas consignés dans le registre d’état civil. Puisque n’importe qui peut demander une copie du certificat de naissance d’une autre personne, la Section de la protection des réfugiés a choisi de ne pas conférer une valeur probante au document à l’appui de l’identité revendiquée par Mme Mbula-Kolela. La Section de la protection des réfugiés a de plus refusé de donner du poids aux documents d’« attestation de déclaration de naissance » pour ses deux filles mineures, qui indiquent que leur mère est née à Kinshasa, en République démocratique du Congo, puisque Mme Mbula-Kolela a indiqué dans son témoignage qu’elle avait simplement donné l’information au médecin qui n’a alors pas demandé à voir des documents d’identification avant de rédiger les « attestations ».

[12]  Pour appuyer sa demande, Mme Mbula-Kolela a également soumis une lettre écrite de son mari, qui se trouve actuellement au Gabon avec leur autre enfant, et une copie de son certificat de nationalité de la République démocratique du Congo. En outre, elle a présenté le passeport canadien et le certificat de naissance de sa mère qui indiquent que sa mère est née en République démocratique du Congo. Toutefois, le tribunal n’a pas été convaincu par ces éléments de preuve et a fait remarquer que Mme Mbula-Kolela n’avait pas présenté un certificat de nationalité, un permis de conduire ou une autre carte d’identité de la République démocratique du Congo, et qu’elle avait déclaré ne jamais avoir détenu de passeport de la République démocratique du Congo. Mme Mbula-Kolela a en outre témoigné qu’elle n’était pas en mesure d’obtenir des documents scolaires ou une lettre d’emploi puisqu’elle était mère au foyer en République démocratique du Congo.

[13]  La Section de la protection des réfugiés a en outre observé que le formulaire du point d’entrée initialement signé par Mme Mbula-Kolela à son arrivée au Canada en septembre 2016 indiquait qu’elle était née à Libreville, au Gabon, qu’elle avait la citoyenneté gabonaise, qu’elle s’était mariée en avril 2000, et qu’elle avait séjourné en République démocratique du Congo de 2006 à 2010 en tant que visiteuse. Suivant les conseils de son avocat, le formulaire a ensuite été modifié en octobre 2016 pour indiquer qu’elle était plutôt née à Kinshasa, en République démocratique du Congo, qu’elle était citoyenne de la République démocratique du Congo, qu’elle s’était mariée en 2009 et qu’elle se trouvait au Gabon, de mai 2010 à avril 2016 à titre de visiteuse. Pour expliquer cette divergence, Mme Mbula-Kolela a déclaré que l’agent de l’ASFC avait rempli les formulaires en se fondant sur l’information contenue dans son passeport gabonais. La Section de la protection des réfugiés n’a pas trouvé cette explication raisonnable et a choisi de ne pas prendre en considération le formulaire modifié puisque Mme Mbula-Kolela avait signé le formulaire initial malgré le fait qu’il comportait prétendument de faux renseignements. À l’appui de son évaluation, la Section de la protection des réfugiés a indiqué que les formulaires étaient en français, la seule langue que Mme Mbula-Kolela prétend parler, et qu’elle aurait dû par conséquent avoir compris la signification de ces renseignements. La Section de la protection des réfugiés a aussi invoqué le fait que Mme Mbula-Kolela avait dit à l’agent de l’ASFC qu’elle était née en République démocratique du Congo et qu’elle lui avait présenté la carte électorale de la République démocratique du Congo, mais qu’elle a tout de même signé le formulaire prétendument erroné.

C.  La norme de contrôle

[14]  Il est bien établi que les questions portant sur les conclusions liées à l’identité, notamment les évaluations des documents d’identité, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Katsiashvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 622, au paragraphe 10; Behary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 794, au paragraphe 7). De même, lorsqu’il s’agit de la crédibilité ou de la vraisemblance du récit d’un demandeur d’asile, les conclusions de la Section de la protection des réfugiés sont de nature factuelle et commandent un degré élevé de déférence judiciaire, compte tenu du rôle de juge des faits du tribunal administratif (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa], au paragraphe 59). Depuis l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [Dunsmuir], les tribunaux ont systématiquement appliqué une norme de la décision raisonnable lorsqu’ils prennent en considération la détermination des faits. La norme de la décision raisonnable exige la déférence envers le décideur puisque la décision raisonnable « repose sur le choix du législateur de confier à un tribunal administratif spécialisé la responsabilité d’appliquer les dispositions législatives, ainsi que sur l’expertise de ce tribunal en la matière » (Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, au paragraphe 33).

III.  Analyse

[15]  Mme Mbula-Kolela fait valoir que la Section de la protection des réfugiés était déraisonnable dans son évaluation des éléments de preuve qui lui ont été présentés. En particulier, elle prétend que rien ne prouvait que les autorités américaines eussent vérifié l’authenticité de son passeport gabonais et que la Section de la protection des réfugiés n’avait aucun motif valable d’écarter la présomption de la validité des documents émanant de la République démocratique du Congo. Mme Mbula-Kolela affirme en outre que la Section de la protection des réfugiés avait omis de prendre en considération le fait que son passeport gabonais contenait de faux renseignements, notamment concernant son lieu de naissance.

[16]  En ce qui concerne la carte électorale de la République démocratique du Congo, Mme Mbula-Kolela maintient que la Section de la protection des réfugiés a négligé de reconnaître le fait que le document fourni était une copie de l’original et qu’elle a présumé de façon déraisonnable que la carte n’était pas authentique parce qu’un tiers l’avait obtenue en son nom. Mme Mbula-Kolela soutient en outre que la Section de la protection des réfugiés a fait une erreur en rejetant le certificat de naissance comme preuve de sa citoyenneté, simplement en raison du fait que des documents falsifiés s’obtiennent facilement en République démocratique du Congo. Elle affirme que la Section de la protection des réfugiés s’est en outre livrée à des conjectures dans son analyse. En dernier lieu, Mme Mbula-Kolela soutient que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en refusant de reconnaître la véracité du contenu modifié du formulaire du point d’entrée et en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité de Mme Mbula-Kolela pour ce motif.

[17]  Je ne suis pas convaincu par les arguments avancés par Mme Mbula-Kolela et j’en conclus plutôt que la décision de la Section de la protection des réfugiés s’inscrit bien dans les limites du caractère raisonnable.

[18]  La Section de la protection des réfugiés était en droit de conclure que la documentation fournie par Mme Mbula-Kolela n’offrait pas suffisamment d’éléments de preuve sur son identité de citoyenne congolaise compte tenu de l’authenticité du passeport gabonais qu’elle détenait et qu’elle a utilisé pour entrer aux États-Unis et au Canada. La conclusion de la Section de la protection des réfugiés était fondée sur le poids de la preuve dont elle disposait, et il convient de faire preuve de déférence à l’égard de cette décision relative à un contrôle judiciaire. Une lecture de la décision suffit à me convaincre que la Section de la protection des réfugiés n’a pas écarté ou omis de prendre en considération les éléments de preuve soumis par Mme Mbula-Kolela. La Section de la protection des réfugiés a examiné les éléments de preuve minutieusement et les a trouvés insuffisants et non convaincants pour confirmer l’affirmation de Mme Mbula-Kolela quant au fait qu’elle est une citoyenne de la République démocratique du Congo. Il ne s’agit pas d’un cas dans lequel le tribunal administratif a négligé quelques éléments de preuve contradictoires pour en arriver à sa conclusion de fait. Il s’agit plutôt d’un cas dans lequel les motifs ont indiqué clairement que la Section de la protection des réfugiés avait pris en considération attentivement tous les éléments de preuve apportés par Mme Mbula-Kolela, mais qu’elle ne les a pas trouvés convaincants.

[19]  Tout au long de l’argumentation, Mme Mbula-Kolela propose des interprétations différentes des éléments de preuve présentés à la Section de la protection des réfugiés et fait valoir que ses éléments de preuve auraient dû prévaloir. Les arguments avancés par Mme Mbula-Kolela expriment simplement son désaccord concernant l’évaluation par la Section de la protection des réfugiés des éléments de preuve et elle demande à la Cour de retenir sa propre évaluation plutôt que celle du décideur. Mme Mbula-Kolela invite la Cour à réévaluer les éléments de preuve qu’elle a présentés devant la Section de la protection des réfugiés. Toutefois, lorsque l’on effectue un examen selon la norme de la décision raisonnable des conclusions de fait, la Cour n’a pas comme rôle de le faire ni de réévaluer l’importance relative accordée par le décideur à tout facteur ou élément de preuve pertinent (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, au paragraphe 99).

[20]  Lorsque la Cour examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, et les conclusions du décideur ne devraient pas être modifiées tant que la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Selon la norme de la décision raisonnable, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et si la décision est étayée par une preuve acceptable qui peut être justifiée en fait et en droit, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable et ne peut réévaluer la preuve (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], aux paragraphes 16 et 17; Khosa, aux paragraphes 59 et 61).

[21]  Une décision n’est pas déraisonnable parce que les éléments de preuve auraient pu appuyer une autre conclusion. Le fait qu’il puisse y avoir d’autres interprétations plausibles, et que l’une d’entre elles puisse appuyer une conclusion plus favorable pour Mme Mbula-Kolela, ne signifie pas que l’interprétation retenue par la Section de la protection des réfugiés n’était pas raisonnable. La norme de la décision raisonnable veut que la Cour de révision parte de la décision même et de la reconnaissance du fait que c’est au décideur administratif que revient la responsabilité principale de décider. La Cour examine les motifs et le résultat et, s’il existe une explication justifiable au résultat obtenu, il s’abstient d’intervenir.

[22]  Étant donné que le passeport gabonais de Mme Mbula-Kolela avait été vérifié et qu’il avait été jugé véritablement authentique, il était raisonnable que la Section de la protection des réfugiés le prenne en considération. Compte tenu des problèmes associés à la carte électorale de la République démocratique du Congo (à savoir, une copie obtenue par son oncle et d’une authenticité incertaine en raison d’anomalies au niveau du code à barres et de la police) et à d’autres éléments de preuve documentaire indiquant à quel point il est facile d’obtenir des documents frauduleux de la République démocratique du Congo, il était loisible à la Section de la protection des réfugiés d’accorder moins de poids aux documents de la République démocratique du Congo qu’au passeport gabonais. Dans cette affaire, lors de son entrée au Canada, Mme Mbula-Kolela a présenté un passeport gabonais qu’elle avait elle-même utilisé pour obtenir un visa pour les États-Unis et pour entrer dans ce pays, et qui avait été jugé véritablement authentique à la suite d’un rapport biométrique. Face à ce passeport gabonais, et pour soutenir sa revendication du fait qu’elle n’était pas une citoyenne du Gabon, mais de la République démocratique du Congo, Mme Mbula-Kolela n’a présenté que des documents pour lesquels la Section de la protection des réfugiés avait de bonnes raisons de remettre en question leur authenticité : la carte électorale de la République démocratique du Congo, les certificats de naissance et d’autres documents comme la lettre de son mari et le passeport de sa mère. Aucun autre document n’a été offert par Mme Mbula-Kolela pour appuyer son récit.

[23]  Étant donné le manque d’éléments de preuve indiquant qu’elle était une citoyenne congolaise, et compte tenu de son passeport gabonais, le tribunal pouvait conclure que, selon la prépondérance des probabilités, Mme Mbula-Kolela était de nationalité gabonaise, plutôt que citoyenne de la République démocratique du Congo.

[24]  Je conclus également qu’accorder peu de poids au formulaire du point d’entrée modifié était une option raisonnable pour la Section de la protection des réfugiés. Dans la décision, la Section de la protection des réfugiés a indiqué plusieurs motifs pour lesquels elle a privilégié le fait de retenir la première version du formulaire du point d’entrée de Mme Mbula-Kolela. Je ne conteste pas le fait qu’un autre tribunal ou même cette Cour aurait pu arriver à une conclusion différente et accorder plus de poids au formulaire modifié. Mais, encore une fois, ce n’est pas la question que j’ai à trancher lors d’un contrôle judiciaire. La Section de la protection des réfugiés a tiré une conclusion négative du fait que Mme Mbula-Kolela avait signé le formulaire du point d’entrée et revendiqué, un mois plus tard, que tout son récit était faux. Je me dois de souligner que les modifications faites par Mme Mbula-Kolela étaient loin d’être mineures. Il s’agissait d’un renversement complet de son récit, non seulement en ce qui concerne sa citoyenneté, mais également sur des faits importants concernant sa demande d’asile, tels que le lieu où elle a passé plusieurs années et la manière dont elle a vécu au cours de celles-ci.

[25]  Il est bien reconnu que le décideur est censé avoir soupesé et pris en considération la totalité des éléments de preuve qui lui ont été soumis, à moins que l’on démontre le contraire (Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86, au paragraphe 36; Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) (QL), au paragraphe 1). Ce n’est que lorsqu’un tribunal administratif passe sous silence des éléments de preuve qui contredisent ses conclusions de façon claire que la Cour peut intervenir et inférer que le tribunal n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait (Ozdemir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331, aux paragraphes 9 et 10; Tovar c Canada (Citoyenneté et de Immigration),2016 CF 598, au paragraphe 26; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (QL), au paragraphe 17). Ce n’est pas le cas ici et Mme Mbula-Kolela n’a pas relevé des éléments de preuve essentiels qui ont été négligés par la Section de la protection des réfugiés.

[26]  La cour de révision doit considérer les motifs dans leur ensemble, à la lumière du dossier (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 53; Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, au paragraphe 3). Lors d’un contrôle judiciaire, un tribunal de révision ne doit pas s’embarquer dans une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur »; il doit plutôt considérer les motifs et l’issue de la décision d’un tribunal comme un tout (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 138; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54; Newfoundland Nurses, au paragraphe 14). La Cour doit examiner les motifs en « essayant de les comprendre, et non pas en se posant des questions sur chaque possibilité de contradiction, d’ambiguïté ou sur chaque expression malheureuse » (Ragupathy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, au paragraphe 15). Lorsque les motifs sont lus comme un tout, j’estime que la décision de la Section de la protection des réfugiés indique que le tribunal a évalué comme il convient tous les facteurs nécessaires et a fourni une analyse des éléments de preuve présentés. De nouveau, selon la norme de contrôle de la décision raisonnable, le rôle de cette Cour est de déterminer si les conclusions de la Section de la protection des réfugiés possèdent les attributs de la justification, de la transparence ou de l’intelligibilité, et si elles font partie des issues possibles et acceptables. Suite à mon examen des motifs de la Section de la protection des réfugiés et du dossier, je ne trouve rien de déraisonnable dans les conclusions de fait de la Section de la protection des réfugiés. L’intervention de notre Cour n’est pas justifiée.

IV.  Conclusion

[27]  Pour les motifs établis précédemment, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. Même si Mme Mbula-Kolela aurait préféré qu’une autre décision soit prise, je conclus que la Section de la protection des réfugiés a pris en considération tous les éléments de preuve qui lui ont été soumis et qu’elle a expliqué de façon appropriée les motifs pour lesquels elle a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, Mme Mbula-Kolela et ses deux filles étaient de nationalité gabonaise et n’étaient pas des citoyennes de la République démocratique du Congo. La décision de la Section de la protection des réfugiés est raisonnable et fournit des motifs suffisants. Elle est intelligible, défendable et étayée par la preuve, et je conclus qu’elle satisfait à la norme de la décision raisonnable.

[28]  Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification. Je conviens qu’il n’y a pas de question de cette nature.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1199-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.
  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1199-17

 

INTITULÉ :

STELLA MBULA-KOLELA, JAELLE KERENE TSHIENDA, KALALA ONDO, (AUSSI CONNUE SOUS LE NOM DE JAELLE KARENE TSIENDA KALALA), NOIYA LILYA NTANGA KALA ONDO, (AUSSI CONNUE SOUS LE NOM DE NOIYA LYLLA NTANGA KALALA) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 septembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Ronald Shacter

 

Pour les demanderesses

 

Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Silcoff, Shacter

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demanderesses

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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