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Date : 20171102


Dossier : IMM-1275-17

Référence : 2017 CF 984

Montréal (Québec), le 2 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

JEUDI ALFRED, MICHELINE

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision rendue le 6 mars 2017 par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC]. Dans cette décision, l’agent a conclu que la demande d’asile de la demanderesse ne pouvait pas être renvoyée à la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, conformément à l’alinéa 101(1)e) de la LIPR.

II.                 Faits

[2]               La demanderesse, âgée de 42 ans, est citoyenne d’Haïti.

[3]               Le 21 septembre 2016, la demanderesse et son mari, aussi citoyen haïtien, ont quitté Haïti et sont arrivés aux États-Unis à l’aide de visas de visiteurs. Le couple a demandé l’asile aux États-Unis, affirmant craindre la mort en Haïti à cause de l’implication du mari dans un parti politique.

[4]               Le 4 mars 2017, alors qu’ils demeuraient encore aux États-Unis, les époux sont entrés au Canada en se présentant au point d’entrée de Saint-Bernard-de-Lacolle. Ils ont déposé une demande d’asile par l’entremise de l’Entente sur les pays tiers sûrs entre le Canada et les États-Unis [Entente], sans toutefois avoir attendu une décision finale de leur demande d’asile présentée aux États-Unis.

[5]               Le 6 mars 2017, lors de son entrevue avec l’agent de l’ASFC, la demanderesse a déclaré avoir sa mère, Mme Marie Hémène Henry, résidente permanente, et son demi-frère, M. Pierre Antoine Laloi, résident permanent, au Canada.

[6]               L’agent a refusé de recevoir la demande d’asile, n’étant pas convaincu que la demanderesse ait réussi à prouver qu’elle avait un lien de parenté avec les personnes susmentionnées, au sens de l’article 159.5 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR]. Le même jour, une mesure d’exclusion a été prononcée contre la demanderesse par le délégué du ministre en vertu de l’article 228 du RIPR, suite au rapport d’interdiction de territoire préparé par l’agent de l’ASFC aux termes du paragraphe 44(1) de la LIPR.

III.               Décision

[7]               Le 6 mars 2017, l’agent a conclu que la demande d’asile était irrecevable et ne pouvait être déférée à la SPR, conformément à l’alinéa 101(1)e) de la LIPR.

[8]               Selon l’information recueillie lors de l’entrevue avec la demanderesse, l’agent a consigné les motifs de son refus de recevoir la demande d’asile de la demanderesse dans le Système Mondial de Gestion des Cas [SMGC] en notant, entre autres, que la demanderesse a déclaré avoir un demi-frère et une mère au Canada. Suite aux vérifications effectuées dans le SMGC, ces personnes, que la demanderesse affirme être des membres de sa famille, n’auraient pas nommé la demanderesse dans leur demande d’asile à leur arrivée au Canada. D’après la demanderesse, la raison de cette omission serait que la demanderesse et son demi-frère n’ont pas le même père.

[9]               L’agent a aussi noté des contradictions entre la version des faits de la demanderesse et celle de son mari au sujet de la période durant laquelle Mme Henry aurait vécu chez le couple en Haïti. La demanderesse aurait également déclaré à l’agent ne pas avoir de souvenirs de son père, car elle était trop jeune pour se rappeler les circonstances du décès de son père en 2004. Or, l’agent a constaté que la demanderesse avait 29 ans lorsque son père est décédé. Enfin, il a été révélé dans le SMGC que la demanderesse et son mari avaient présenté des demandes de visa pour le Canada et que, dans ces demandes, le couple avait déclaré visiter M. Pierre Laloi, un « ami de la famille ».

[10]           Pour ces motifs, l’agent a conclu que la demanderesse n’a pas de famille au Canada. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

IV.              Questions en litige

[11]           Les questions en litige sont les suivantes :

1.      L’agent a-t-il violé les principes de justice naturelle et d’équité procédurale?

2.      La décision de l’agent est-elle raisonnable?

[12]           La norme de contrôle applicable aux décisions rendues par les agents d’immigration selon lesquelles une demande d’asile présentée au Canada par l’entremise de l’Entente est déclarée irrecevable est celle de la décision raisonnable (Biosa c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 431 au para 17; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 51 [Dunsmuir]). La Cour n’a donc pas à intervenir si la décision de l’agent appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, ci-dessus, au para 47).

V.                 Dispositions pertinentes

[13]           Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes en l’espèce :

Irrecevabilité

Ineligibility

101 (1) La demande est irrecevable dans les cas suivants :

101 (1) A claim is ineligible to be referred to the Refugee Protection Division if

[...]

e) arrivée, directement ou indirectement, d’un pays désigné par règlement autre que celui dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

(e) the claimant came directly or indirectly to Canada from a country designated by the regulations, other than a country of their nationality or their former habitual residence; or

[14]           Les dispositions suivantes du RIPR sont aussi pertinentes :

159.5 L’alinéa 101(1)e) de la Loi ne s’applique pas si le demandeur qui cherche à entrer au Canada à un endroit autre que l’un de ceux visés aux alinéas 159.4(1)a) à c) démontre, conformément au paragraphe 100(4) de la Loi, qu’il se trouve dans l’une ou l’autre des situations suivantes :

159.5 Paragraph 101(1)(e) of the Act does not apply if a claimant who seeks to enter Canada at a location other than one identified in paragraphs 159.4(1)(a) to (c) establishes, in accordance with subsection 100(4) of the Act, that

[…]

b) un membre de sa famille est au Canada et est, selon le cas :

(b) a family member of the claimant is in Canada and is

[…]

(ii) un résident permanent sous le régime de la Loi,

(ii) a permanent resident under the Act, or

VI.              Analyse

[15]           Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

A.                 L’agent a-t-il violé les principes de justice naturelle et d’équité procédurale?

[16]           La demanderesse soumet que l’agent aurait commis une erreur en inscrivant dans sa lettre le numéro de la demande déposée par la demanderesse au lieu de fournir des motifs écrits de son refus. L’agent aurait également omis de préciser l’alinéa correspondant à la situation de la demanderesse, à savoir l’alinéa 101(1)e de la LIPR. L’agent avait l’obligation de justifier et de motiver sa décision pour permettre à la demanderesse de comprendre le bien-fondé de sa décision et pour se défendre en toute connaissance de cause. La décision de l’agent est inintelligible.

[17]           Le défendeur, quant à lui, trouve qu’il y a eu une erreur d’écriture faite par inadvertance dans la lettre transmise à la demanderesse puisque les motifs de la décision se résument au numéro de la demande présentée par la demanderesse. D’après le défendeur, cela ne change certes pas la substance de la matière. En effet, le défendeur soumet cependant que les notes prises par l’agent lors de l’entrevue avec la demanderesse, consignées dans le SMGC, peuvent être considérées comme des motifs à l’appui d’une décision (Alkhairat v Canada (Citizenship and Immigration), 2017 FC 285 au para 16).

[18]           La Cour considère que les notes consignées par l’agent au SMGC présentent suffisamment de motifs détaillés pour satisfaire à l’obligation d’équité procédurale. Les notes du SMGC communiquées à la demanderesse remplissent l’obligation de donner des motifs. D’ailleurs, la Cour suprême du Canada a statué que lorsque aucun autre document n’indique les motifs de la décision, les notes de l’agent devraient être considérées, par déduction, comme les motifs de la décision (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 44). Malgré que l’agent ait pu citer l’alinéa 101(1)e) de la LIPR, il ne fait aucun doute que la décision est tout de même compréhensible et cette disposition de la LIPR est la seule qui pouvait s’appliquer en l’espèce. Les notes du SMGC et la lettre d’irrecevabilité de la demande d’asile, considérées ensemble, expriment adéquatement les motifs de la décision et satisfont aux exigences de la justice naturelle. La Cour conclut que la décision de l’agent est justifiée, transparente et intelligible (Dunsmuir, ci-dessus, au para 47).

VII.            La décision de l’agent est-elle raisonnable?

[19]           D’après la demanderesse, l’agent aurait dû accepter de recevoir la demande d’asile puisque la mère et le demi-frère de la demanderesse sont des résidents permanents du Canada. La demanderesse allègue avoir dit la vérité sur le fait d’avoir un lien de parenté avec ces personnes. La demanderesse a même présenté à l’agent des copies de l’acte de naissance de sa mère et de l’acte de mariage de ses parents.

[20]           Le défendeur, quant à lui, soutient que la décision de l’agent est raisonnable. Le défendeur ajoute que les affidavits de Mme Henry et de M. Laloi, déposés le 31 août 2017, ne sauraient avoir un impact dans le cadre de la présente demande. Seule la preuve devant le décideur administratif doit être considérée (Osagie v Canada (Citizenship and Immigration), 2017 FC 635 au para 8).

[21]           Le défendeur rappelle que le couple a vécu environ six mois aux États-Unis et a demandé l’asile (demande toujours pendante) avant d’entrer au Canada. L’agent aurait eu raison de ne pas conclure sur l’existence d’un lien de parenté entre la demanderesse et M. Laloi et Mme Henry, compte tenu de l’ensemble de la preuve.

[22]           D’après la preuve et l’information disponible dans le dossier de la demanderesse, ainsi que les notes de l’agent dans le SMGC, la Cour conclut que l’agent a rendu une décision raisonnable. En effet, la demanderesse n’a pas été en mesure de prouver qu’elle avait des membres de la famille au Canada, lui permettant de bénéficier de l’une des exceptions prévues aux articles 159.1 à 159.7 du RIPR.

[23]           Bien que la décision de l’agent soit brève et que les motifs se retrouvent dans les notes au SMGC, la Cour est convaincue que « cela ne met pas en doute leur validité » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16). Pour ces motifs, la Cour conclut que l’agent a rendu une décision raisonnable. La décision de l’agent fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, ci-dessus, au para 47).

VIII.         Conclusion

[24]           La présente demande contrôle de judiciaire est rejetée.

[25]           L’intitulé de la cause est modifié afin de refléter le bon défendeur, soit le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile.


JUGEMENT au dossier IMM-1275-17

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1275-17

 

INTITULÉ :

JEUDI ALFRED, MICHELINE c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 NOVEMBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

Aristide Koudiatou

 

Pour la partie demanderesse

 

Daniel Latulippe

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Aristide Koudiatou

 

Pour la partie demanderesse

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

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