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Date : 20171010


Dossier : T-2040-16

Référence : 2017 CF 898

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2017

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

EAB TOOL COMPANY INC.

demanderesse

et

NORSKE TOOLS LTD.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Il s’agit d’une demande d’EAB Tool Company Inc. (EAB) sollicitant une déclaration selon laquelle la défenderesse, Norske Tools Ltd. (Norske) a :

  1. violé un certain nombre d’enregistrements de marques de commerce d’EAB, en violation de l’article 20 de la Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), c T-13 (la Loi);
  2. a fait une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l’entreprise, les produits ou services d’EAB, en violation de l’alinéa 7a) de la Loi;
  3. a appelé l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’elle a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses produits et ses services ou son entreprise et les produits, les services ou l’entreprise d’EAB, en violation de l’alinéa 7b) de la Loi;
  4. a employé, en liaison avec des produits ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde leurs caractéristiques, leur qualité, quantité ou composition, en violation du sous-alinéa 7d)(i) de la Loi.

[2]  EAB sollicite également une injonction empêchant Norske de mener de telles activités, ainsi que des dommages-intérêts ou des bénéfices, à la discrétion d’EAB, et des dépens.

[3]  Les enregistrements de marques de commerce d’EAB en cause, appelés les enregistrements EXCHANGE-A-BLADE, sont les suivants :

No

Marque de commerce

Date d’enregistrement

Produits/services

Revendications

LMC 324393

Mot servant de marque EXCHANGE-A-BLADE

6 mars 1987

Produits : lames de scie, fers à toupie, lames pour scies emporte-pièces et mèches de perceuses remises à neuf et recyclées

Services : remise à neuf de lames de scies circulaires; remise à neuf de lames de scies circulaires, de fers à toupie et de mèches de perceuses

Employée au Canada depuis au moins aussi tôt que le 2 juin 1982.

LMC 332620

https://www.ic.gc.ca/app/api/ic/ctr/trademarks/media/image/0475069

2 octobre 1987

Services : remise à neuf de lames de scies circulaires

Employée au Canada depuis au moins aussi tôt que le 13 octobre 1982.

LMC 394637

https://www.ic.gc.ca/app/api/ic/ctr/trademarks/media/image/0637503

28 février 1992

Produits : lames de scie, fers à toupie, lames pour scies emporte-pièces et mèches de perceuses remises à neuf et recyclées

Services : remise à neuf de lames de scie, de fers à toupie et de mèches de perceuses

Employée au Canada depuis au moins aussi tôt que juin 1987.

LMC 791580

https://www.ic.gc.ca/app/api/ic/ctr/trademarks/media/image/1465657

24 février 2011

Produits : lames de scies échangeables, fers à toupie échangeables et lames pour scies emporte-pièces et scies alternatives échangeables

Services : remise à neuf de lames de scies, de fers à toupie et de lames pour scies emporte-pièces et scies alternatives; recyclage d’accessoires d’outils en métal d’occasion.

Employée au Canada depuis au moins aussi tôt qu’octobre 2008.

LMC 954537

https://www.ic.gc.ca/app/api/ic/ctr/trademarks/media/image/1747840

7 novembre 2016

Produits : outils électriques et accessoires pour outils électriques, nommément lames de scies circulaires, lames de scies emporte-pièces, lames de scies électriques, mèches de perceuses électriques, fers à toupie, meules abrasives pour meuleuses électriques, embouts de tournevis électriques, lames de scies sauteuses, lames à va-et-vient pour outils électriques; outils manuels et accessoires pour outils manuels, nommément lames de scies à main; embouts de tournevis; outils à main, nommément clés à cliquet et tournevis; lames de scies amovibles, fers à toupie amovibles, lames amovibles pour scies emporte-pièces et scies alternatives.

Services : remise à neuf de lames de scies, de fers à toupie et de lames pour scies emporte-pièces et scies alternatives; recyclage d’accessoires d’outils en métal d’occasion.

Employée au Canada depuis au moins aussi tôt qu’avril 2014.

[4]  Norske fait valoir qu’EAB n’a droit à aucune des réparations demandées. Norske demande que la demande soit rejetée avec dépens.

II.  Résumé des faits

[5]  L’histoire de l’entreprise d’EAB a commencé en 1976, lorsque son président Robert Forbes a eu connaissance d’une entreprise exploitée aux États-Unis par Leo Trudgeon sous la marque de commerce TRADE-A-BLADE. Dans le cadre de son entreprise, la société de M. Trudgeon, Sibkis Trade-A-Blade, Inc. (Sibkis), vendait des lames de scie à des clients étant entendu que les clients pouvaient retourner les lames lorsqu’elles devenaient émoussées afin de les échanger pour une lame aiguisée, recevant un crédit sur le coût de la lame de scie neuve ou remise à neuf.

[6]  La société de M. Forbes à l’époque, Angus Marketing Ltd. (Angus), est devenue le distributeur canadien des lames de scie TRADE-A-BLADE pour Sibkis. Angus a obtenu des comptes auprès de quincailleries en Colombie-Britannique et en Alberta en vue de stocker des lames de scie TRADE-A-BLADE en consignation et de les vendre à des clients. Les clients pouvaient par la suite échanger une lame de scie émoussée pour une lame neuve ou remise à neuf, et recevoir un crédit d’échange. Angus visitait périodiquement chacun de ses comptes au Canada pour les réapprovisionner en lames de scie remises à neuf et achetées auprès de Sibkis, et récupérer les lames de scie émoussées qui avaient été échangées. M. Forbes apportait ensuite les lames de scie émoussées à Sibkis aux États-Unis pour les remettre en état. Pendant ces visites, M. Forbes ramassait aussi les lames neuves ou remises à neuf afin de stocker les comptes de quincaillerie d’Angus.

[7]  En 1978, la relation entre M. Forbes et M. Trudgeon et leurs sociétés respectives avait pris fin. M. Forbes avait trouvé un autre fournisseur de lames de scie neuves et avait décidé de mettre sur pied sa propre installation de remise à neuf de lames de scie. M. Trudgeon a convenu de libérer Angus de ses obligations contractuelles à la condition que M. Forbes cesse d’utiliser la marque de commerce TRADE-A-BLADE au Canada. Angus a cessé d’être le distributeur canadien pour Sibkis, mais M. Forbes n’a pas signé le projet d’entente que M. Trudgeon avait proposé à propos de l’abandon de l’usage de la marque de commerce TRADE-A-BLADE. En septembre 1979, M. Forbes a constitué une nouvelle société en personne morale, Canadian Trade-A-Blade Ltd. (maintenant la demanderesse EAB), et a continué à utiliser, par l’intermédiaire de cette société, la marque de commerce TRADE-A-BLADE.

[8]  En 1980, Sibkis a enregistré la marque de commerce TRADE-A-BLADE au Canada en liaison avec des lames de scies circulaires et a informé M. Forbes de l’enregistrement. En 1981, Canadian Trade-A-Blade Ltd. a changé sa dénomination sociale à Canadian Exchange-A-Blade Ltd. En 1982, Canadian Exchange-A-Blade Ltd. a cessé d’utiliser la marque de commerce TRADE-A-BLADE et a commencé à vendre ses biens et à fournir ses services sous la marque de commerce EXCHANGE-A-BLADE. M. Forbes a reconnu en contre-interrogatoire que sa société avait adopté la marque de commerce EXCHANGE-A-BLADE afin de se distinguer de TRADE-A-BLADE.

[9]  Ensuite, aucune lame n’a été vendue au Canada sous la marque de commerce TRADE-A-BLADE par Sibkis ou autrement jusqu’en octobre 2016 (quelque 34 années plus tard), lorsque Norske a commencé à l’utiliser. L’enregistrement de la marque de commerce canadienne de Sibkis en liaison avec TRADE-A-BLADE a été radié pour non-renouvellement en 1996.

[10]  À partir de 1982, l’entreprise EXCHANGE-A-BLADE de M. Forbes a connu une croissance constante. En mars 2013, Canadian Exchange-A-Blade Ltd. a changé sa dénomination sociale pour EAB Tool Company Inc., et a conservé ce nom depuis.

[11]  Norske a été constituée en personne morale en novembre 2015 et, en décembre 2015, elle a acheté les actifs de Sibkis, y compris les droits relatifs à la marque de commerce TRADE-A-BLADE aux États-Unis. Norske exploite une entreprise de fabrication et de distribution d’accessoires d’outils électriques. Notamment, Norske distribue ses produits à des détaillants en rénovation domiciliaire et à des quincailleries. Norske a commencé à vendre ses produits en association avec la marque de commerce TRADE-A-BLADE le 13 octobre 2016. Ses produits comprennent des lames de scies circulaires, des scies cylindriques, des lames en diamant, des outils oscillants, des lames à va-et-vient, des fers à toupie et des mèches de perceuses. Norske offre également un programme incitatif de fidélisation dans le cadre duquel les clients peuvent retourner des produits usagés en échange de nouveaux produits de la marque de commerce TRADE-A-BLADE à rabais. Les parties conviennent que, en dehors de la différence de leurs marques de commerce, leurs entreprises respectives sont essentiellement la même aux fins de l’espèce. Les produits de Norske vendus sous la marque de commerce TRADE-A-BLADE portent également l’étiquette « THE ORIGINAL EXCHANGE SYSTEM ».

[12]  Norske a présenté une demande d’enregistrement de deux marques de commerce :

No

Marque de commerce

Date de la demande

Produits/
services

Revendications

1 765 241

Mot servant de marque TRADE-A-BLADE

27 janvier 2016

Des lames, nommément, des lames de scie, des lames en diamant, des lames oscillantes; des scies, nommément, des scies cylindriques à lames en diamant, des scies cylindriques bimétal, des scies cylindriques au carbure à bout rapporté, des scies sauteuses et alternatives; des mèches de perceuses, à savoir, des mèches de perceuses à tuile et à maçonnerie, des arêtes tranchantes, des forets de tarière et des forets plats

Emploi projeté au Canada

1 768 577

TRADE-A-BLADE THE ORIGINAL EXCHANGE SYSTEM ET DESSIN :

http://www.ic.gc.ca/app/api/ic/ctr/trademarks/media/image/1768577

19 février 2016

Des lames, nommément, des lames de scie, des lames en diamant, des lames oscillantes; des scies, nommément, des scies cylindriques à lames en diamant, des scies cylindriques bimétal, des scies cylindriques au carbure à bout rapporté, des scies sauteuses et alternatives; des mèches de perceuses, à savoir, des mèches de perceuses à tuile et à maçonnerie, des arêtes tranchantes, des forets de tarière et des forets plats

Emploi projeté au Canada

[13]  Ces deux demandes d’enregistrement de marque de commerce font actuellement l’objet d’une procédure d’opposition introduite par EAB.

[14]  Norske a fait son entrée sur le marché en octobre 2016 dans un magasin de fournitures de construction RONA à Elora, en Ontario.

[15]  Quelques-uns des directeurs et autres employés de Norske sont d’anciens employés d’EAB. Par exemple, Robert Johnston, le vice-président et directeur général de Norske, était autrefois le directeur général d’EAB.

III.  Les témoins

[16]  EAB a présenté des affidavits de deux témoins : son président, Robert Forbes, et son vice-président des ventes, Danny Wight.

[17]  M. Forbes a présenté un historique de l’usage et de l’enregistrement de la marque de commerce EXCHANGE-A-BLADE d’EAB, y compris des chiffres concernant les ventes et la publicité. Il a également décrit l’usage fait par Norske de sa marque de commerce TRADE-A-BLADE. M. Forbes a également présenté plusieurs exemples des produits respectifs des parties portant les marques de commerce pertinentes. M. Forbes a présenté des détails concernant les clients qu’EAB avait perdus récemment au profit de Norske. Il a aussi fait mention des essais qui avaient été effectués sur les produits de Norske. Finalement, M. Forbes a fourni des détails sur l’historique d’EAB en liaison avec certains des employés et des propriétaires de Norske.

[18]  L’affidavit de M. Wight décrit une visite au magasin de fournitures de construction RONA à Elora, en Ontario, peu de temps après qu’il a commencé à stocker des produits TRADE-A-BLADE de Norske. Il décrit les produits qu’il a vus et le fonctionnement du système d’échange de lames de Norske.

[19]  Norske a présenté cinq affidavits :

  1. le propriétaire de Sibkis, Leo Trudgeon;
  2. CharlesWestrik, copropriétaire du magasin de fournitures de construction RONA à Elora, en Ontario;
  3. le vice-président et directeur général de Norske, Robert Johnston;
  4. David Russell, ancien distributeur de produits de la marque de commerce EXCHANGE-A-BLADE et TRADE-A-BLADE;
  5. Laurie Jaegge, une adjointe spécialisée en marques de commerce au cabinet d’avocats de Norske.

[20]  M. Trudgeon décrit les débuts de la marque TRADE-A-BLADE et ses rapports avec M. Forbes à cette époque.

[21]  L’affidavit de M. Westrik répond à la description de M. Forbes d’une interaction qu’ils ont eu à propos des impressions des clients à l’égard des marques respectives des parties.

[22]  L’affidavit de M. Johnston présente des renseignements généraux à propos de Norske, dont sa marque TRADE-A-BLADE. M. Johnston décrit également la nouvelle image de marque d’EAB en 2012 et répond à la discussion de M. Forbes à propos de l’historique d’EAB avec quelques-uns des employés et propriétaires de Norske.

[23]  M. Russell décrit son travail dans les années 1970 et 1980 avec M. Forbes, et Laurie Jaegge fournit des renseignements concernant les enregistrements et les demandes d’enregistrement des marques de commerce TRADE-A-BLADE.

IV.  Discussion

A.  Violation de la marque de commerce en application de l’article 20

[24]  L’article 20 de la Loi est libellé ainsi :

Violation

Infringement

20 (1) Le droit du propriétaire d’une marque de commerce déposée à l’emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne qui est non admise à l’employer selon la présente loi et qui :

20 (1) The right of the owner of a registered trade-mark to its exclusive use is deemed to be infringed by any person who is not entitled to its use under this Act and who

a) soit vend, distribue ou annonce des produits ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion;

(a) sells, distributes or advertises any goods or services in association with a confusing trade-mark or trade-name;

b) soit fabrique, fait fabriquer, a en sa possession, importe, exporte ou tente d’exporter des produits, en vue de leur vente ou de leur distribution et en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion;

(b) manufactures, causes to be manufactured, possesses, imports, exports or attempts to export any goods in association with a confusing trade-mark or trade-name, for the purpose of their sale or distribution;

c) soit vend, offre en vente ou distribue des étiquettes ou des emballages, quelle qu’en soit la forme, portant une marque de commerce ou un nom commercial alors que :

(c) sells, offers for sale or distributes any label or packaging, in any form, bearing a trade-mark or trade-name, if

(i) d’une part, elle sait ou devrait savoir que les étiquettes ou les emballages sont destinés à être associés à des produits ou services qui ne sont pas ceux du propriétaire de la marque de commerce déposée,

(i) the person knows or ought to know that the label or packaging is intended to be associated with goods or services that are not those of the owner of the registered trade-mark, and

(ii) d’autre part, la vente, la distribution ou l’annonce des produits ou services en liaison avec les étiquettes ou les emballages constituerait une vente, une distribution ou une annonce en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion;

(ii) the sale, distribution or advertisement of the goods or services in association with the label or packaging would be a sale, distribution or advertisement in association with a confusing trade-mark or trade-name; or

d) soit fabrique, fait fabriquer, a en sa possession, importe, exporte ou tente d’exporter des étiquettes ou des emballages, quelle qu’en soit la forme, portant une marque de commerce ou un nom commercial, en vue de leur vente ou de leur distribution ou en vue de la vente, de la distribution ou de l’annonce de produits ou services en liaison avec ceux-ci, alors que :

(d) manufactures, causes to be manufactured, possesses, imports, exports or attempts to export any label or packaging, in any form, bearing a trade-mark or trade-name, for the purpose of its sale or distribution or for the purpose of the sale, distribution or advertisement of goods or services in association with it, if

(i) d’une part, elle sait ou devrait savoir que les étiquettes ou les emballages sont destinés à être associés à des produits ou services qui ne sont pas ceux du propriétaire de la marque de commerce déposée,

(i) the person knows or ought to know that the label or packaging is intended to be associated with goods or services that are not those of the owner of the registered trade-mark, and

(ii) d’autre part, la vente, la distribution ou l’annonce des produits ou services en liaison avec les étiquettes ou les emballages constituerait une vente, une distribution ou une annonce en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion.

(ii) the sale, distribution or advertisement of the goods or services in association with the label or packaging would be a sale, distribution or advertisement in association with a confusing trade-mark or trade-name.

[25]  La validité des marques de commerce enregistrées d’EAB en cause n’est pas en litige. Par conséquent, la seule question en litige à l’égard de la question liée à la violation de la marque de commerce consiste à savoir si EAB a établi que les marques de commerce de Norske se confondent avec celles d’EAB.

[26]  L’article 6 de la Loi énonce les directives suivantes sur la question relative à la confusion :

Quand une marque ou un nom crée de la confusion

When mark or name confusing

6 (1) Pour l’application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

6 (1) For the purposes of this Act, a trade-mark or trade-name is confusing with another trade-mark or trade-name if the use of the first mentioned trade-mark or trade-name would cause confusion with the last mentioned trade-mark or trade-name in the manner and circumstances described in this section.

Idem

Idem

(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the goods or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the goods or services are of the same general class.

Idem

Idem

(3) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec un nom commercial, lorsque l’emploi des deux dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à cette marque et les produits liés à l’entreprise poursuivie sous ce nom sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à cette marque et les services liés à l’entreprise poursuivie sous ce nom sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou services soient ou non de la même catégorie générale.

(3) The use of a trade-mark causes confusion with a trade-name if the use of both the trade-mark and trade-name in the same area would be likely to lead to the inference that the goods or services associated with the trade-mark and those associated with the business carried on under the trade-name are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the goods or services are of the same general class.

Idem

Idem

(4) L’emploi d’un nom commercial crée de la confusion avec une marque de commerce, lorsque l’emploi des deux dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à l’entreprise poursuivie sous ce nom et les produits liés à cette marque sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à l’entreprise poursuivie sous ce nom et les services liés à cette marque sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou services soient ou non de la même catégorie générale.

(4) The use of a trade-name causes confusion with a trade-mark if the use of both the trade-name and trade-mark in the same area would be likely to lead to the inference that the goods or services associated with the business carried on under the trade-name and those associated with the trade-mark are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the goods or services are of the same general class.

Éléments d’appréciation

What to be considered

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

c) le genre de produits, services ou entreprises;

(c) the nature of the goods, services or business;

d) la nature du commerce;

(d) the nature of the trade; and

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

[27]  La liste des facteurs à examiner à l’article 6 de la Loi, telle qu’elle est présentée au paragraphe (5), revêt une importance clé. Je me penche sur chacun de ces facteurs à tour de rôle ci-dessous.

[28]  Comme il est énoncé dans Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, au paragraphe 20 :

Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue [de la marque], alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce [antérieures] et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques.

[29]  En l’espèce, une comparaison des mots servant de marque respectifs des parties peut suffire à évaluer la confusion, car ils sont au plus près l’un de l’autre. Si la marque TRADE-A-BLADE de Norske n’est pas susceptible de causer de la confusion avec le mot servant de marque EXCHANGE-A-BLADE d’EAB, il est inutile d’examiner d’autres marques d’EAB qui ressemblent moins à la marque de Norske. Inversement, si l’on juge que la marque de Norske est susceptible de causer de la confusion avec le mot servant de marque EXCHANGE-A-BLADE d’EAB, alors il y a violation et il est inutile de se demander si la marque de commerce ressemble à d’autres marques d’EAB. Cette approche a été adoptée par la Cour suprême du Canada (CSC) dans l’arrêt Masterpiece Inc. c Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27 [Masterpiece] au paragraphe 61.

1)  Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

[30]  EAB reconnaît que ni EXCHANGE-A-BLADE ni TRADE-A-BLADE ne possède un caractère distinctif inhérent. Effectivement, chaque marque de commerce décrit le modèle d’affaires des parties de manière succincte. Ces marques de commerce ont donc droit uniquement à une protection d’une faible portée, de sorte que même de légères différences entre ces marques seront suffisantes pour atténuer toute confusion possible, et il y aura inévitablement une certaine confusion acceptable : Boston Pizza International Inc. c Boston Chicken Inc., 2001 CFPI 1024, au paragraphe 66.

[31]  Cependant, EAB fait valoir que, grâce à la vaste publicité et au large emploi dont elle a fait l’objet pendant plus de 35 ans, et ce, en l’absence de TRADE-A-BLADE sur le marché, sa marque EXCHANGE-A-BLADE est devenue bien connue et, par conséquent, a acquis un caractère distinctif élevé. EAB cite des chiffres relatifs aux ventes et à la publicité remontant jusqu’aux années 1990, qui confirment l’étendue de son emploi et de sa publicité.

[32]  Je retiens que la marque EXCHANGE-A-BLADE a acquis un certain caractère distinctif au fil des ans. À mon avis, ce caractère distinctif acquis suffit à mettre en balance l’effet défavorable de l’absence de caractère distinctif inhérent, mais ne suffit pas à en faire une considération qui penche en la faveur d’EAB. J’estime que ce facteur n’est pas concluant.

2)  La période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage

[33]  Ce facteur penche clairement en faveur d’EAB. Elle a fait usage de sa marque EXCHANGE-A-BLADE de manière constante pendant 35 ans, alors que Norske n’a commencé à utiliser sa marque TRADE-A-BLADE qu’en 2016.

[34]  Norske fait valoir que les origines de sa marque TRADE-A-BLADE remontent aux années 1970, avant la conception de la marque EXCHANGE-A-BLADE d’EAB. Cependant, il serait inapproprié de tenir compte des premières années d’emploi de la marque TRADE-A-BLADE au moment d’examiner la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage. Après avoir fait usage de la marque TRADE-A-BLADE au Canada pendant quelques années, celle-ci n’a été utilisée par personne entre 1982 et 2016. À mon avis, cela constitue manifestement une disparition complète et durable de la marque du marché canadien. Aux fins de la présente analyse, c’est comme si la marque TRADE-A-BLADE n’avait jamais été sur le marché avant 2016.

3)  La nature des produits, services ou entreprises

[35]  Les parties conviennent que leurs produits, services et entreprises respectifs sont essentiellement les mêmes. En conséquence, ce facteur favorise une conclusion de probabilité de confusion.

4)  La nature du commerce

[36]  La nature des entreprises respectives des parties est, de manière semblable, essentiellement la même, tout comme les circuits commerciaux dans lesquels les produits respectifs des parties circulent. Ce facteur favorise une conclusion de probabilité de confusion.

[37]  Norske fait valoir deux questions en faveur d’une conclusion selon laquelle ce facteur ne favorise pas une probabilité de confusion. D’abord, Norske fait valoir que les produits de différents fournisseurs sont disposés de façon distincte dans les quincailleries. À mon avis, la preuve pour appuyer cette affirmation est faible. Ensuite, Norske soutient que, en raison des nombreux types de lames de scie qui sont offerts pour de nombreuses tâches de sciage, un acheteur doit faire preuve d’une attention particulière lorsqu’il choisit une lame de scie et, donc, la probabilité de confusion est moindre. Je ne suis pas d’accord. À mon avis, une lame de scie est un type d’article peu coûteux qui est acheté régulièrement par des clients, qui sont habituellement des professionnels. Il existe un certain nombre de types différents de lames de scie, les acheteurs ont tendance à connaître ces différents types et les spécifications pour chacun d’eux sont clairement indiquées, de façon à ce qu’un acheteur n’ait aucune difficulté à reconnaître la lame souhaitée.

5)  Le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans leur présentation ou leur son, ou dans les idées qu’ils suggèrent

[38]  Au paragraphe 49 de sa décision dans l’arrêt Masterpiece, la CSC avait ceci à dire à propos de ce facteur :

[49]  En analysant la question de savoir si les marques de commerce en cause créaient de la confusion, le juge a appliqué dans l’ordre les facteurs énoncés au par. 6(5) de la Loi avant d’examiner si ces marques se ressemblaient. Bien que l’adoption d’une telle démarche ne constitue pas une erreur de droit, il arrive souvent que le degré de ressemblance soit le facteur susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion, et ce même s’il est mentionné en dernier lieu au par. 6(5) [...] Comme le souligne le professeur Vaver, si les marques ou les noms ne se ressemblent pas, il est peu probable que l’analyse amène à conclure à la probabilité de confusion même si les autres facteurs tendent fortement à indiquer le contraire. En effet, ces autres facteurs ne deviennent importants que si les marques sont jugées identiques ou très similaires (Vaver, p. 532). En conséquence, certains prétendent que, dans la plupart des cas, l’étude de la ressemblance devrait constituer le point de départ de l’analyse relative à la confusion (ibid.).

[Renvois omis.]

[39]  Même si j’ai effectivement mené mon analyse relative à la confusion conformément à l’ordre selon lequel les critères sont énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi, je reconnais que le facteur du degré de ressemblance pourrait être, et il l’est en l’espèce, le plus important.

[40]  L’arrêt Masterpiece indique également qu’il est possible de comparer les marques de commerce en n’examinant que les caractéristiques qui définissent les marques de commerce ou les noms commerciaux pertinents; seuls ces éléments permettront aux consommateurs d’établir la distinction entre les deux marques de commerce ou entre la marque de commerce et le nom commercial : au paragraphe 61.

[41]  EAB souligne le caractère commun de la partie « A-BLADE » des marques de commerce des deux parties. EAB souligne également que la seule différence entre EXCHANGE-A-BLADE et TRADE-A-BLADE (EXCHANGE par rapport à TRADE) porte sur des mots qui sont des synonymes. Qui plus est, EAB signale que les changements récents au logo de sa société et les modèles de couleur n’ont aucune incidence sur la question de savoir si les activités de Norske sont susceptibles de causer de la confusion avec l’enregistrement du mot servant de marque EXCHANGE-A-BLADE d’EAB, qui est indépendant de toute conception particulière.

[42]  Pour sa part, Norske souligne que la différence entre les marques des parties est le premier mot, ce que l’on considère important dans l’évaluation du caractère distinctif : Masterpiece, au paragraphe 63, Conde Nast Publications Inc. c Union des éditions modernes (1979), 46 CPR (2d) 183 (CF 1re inst.), à la page 188. Norske souligne également que les premiers mots de la marque des parties, « EXCHANGE » et « TRADE », ont un aspect et un son différents. Même si cela est vrai, je suis d’accord avec EAB que ces mots sont synonymes, de sorte que les idées suggérées par ces deux marques (ce qui est également une considération en application de l’alinéa 6(5)e) de la Loi) sont similaires.

[43]  Norske souligne également que ses demandes d’enregistrement du mot servant de marque TRADE-A-BLADE et du modèle ont toutes deux été approuvées par un examinateur du Bureau des marques de commerce qui n’a prétendument observé aucune similitude susceptible de causer de la confusion entre celles-ci et les enregistrements des marques de commerce EXCHANGE-A-BLADE d’EAB. Le même argument peut être avancé à l’égard de trois des demandes d’enregistrement de marques de commerce EXCHANGE-A-BLADE d’EAB qui ont été accordées pendant une période où l’enregistrement de la marque de commerce TRADE-A-BLADE de Sibkis demeurait en vigueur.

[44]  EAB signale qu’il n’y a aucune preuve qu’un examinateur quelconque du Bureau des marques de commerce a réellement comparé ces marques les unes avec les autres. De toute façon, la conclusion d’un examinateur ne peut être plus que convaincante. Elle ne lie pas la Cour.

[45]  Même si les marques EXCHANGE-A-BLADE et TRADE-A-BLADE laissent entendre des idées similaires, je suis d’avis que la différence entre elles est importante compte tenu de la faible portée de la protection à laquelle de telles marques n’ayant pas un caractère distinctif inhérent ont droit, notamment puisque la différence se situe au début de la marque. Je suis également persuadé par le fait que, à plusieurs reprises, le Bureau des marques de commerce n’a relevé aucune confusion entre ces marques.

6)  Circonstances de l’espèce

[46]  Norske soutient qu’une circonstance importante de l’espèce est l’absence de toute preuve de confusion réelle. Elle s’appuie sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans Marlboro Canada Limitée c Philip Morris Products SA, 2012 CAF 201 [Marlboro], pour soutenir cet argument. Même si l’arrêt Marlboro aborde effectivement cette question au paragraphe 59, il est important de souligner que la Cour était préoccupée dans cette affaire par l’absence de confusion réelle « sur une longue période ». Il s’agit d’une distinction clé en l’espèce, puisque les marques des parties avaient coexisté pendant environ un mois seulement lorsque la présente demande a été déposée, et pendant environ trois mois lorsque la preuve d’EAB a été préparée. L’absence de preuve d’une confusion réelle sur une période aussi courte n’est pas révélatrice.

[47]  Le principe applicable sur ce point a été exprimé par la Cour suprême du Canada dans Mattel, Inc. c 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, au paragraphe 55 :

La preuve d’une confusion réelle serait une « circonstance de l’espèce » pertinente, mais elle n’est pas nécessaire [...], même s’il est démontré que les marques de commerce ont été exploitées dans la même région pendant dix ans [...] Comme nous le verrons plus loin, une conclusion défavorable peut toutefois être tirée de l’absence d’une telle preuve dans le cas où elle pourrait facilement être obtenue si l’allégation de probabilité de confusion était justifiée.

[En italiques dans l’original; renvois omis.]

[48]  Norske souligne également que, non seulement il n’y a aucune preuve de confusion réelle, il y a en fait une preuve de l’absence de confusion. Même si l’affidavit de M. Forbes mentionnait des renseignements obtenus auprès de Charles Westrik, copropriétaire du magasin de RONA de fournitures de construction à Elora, en Ontario, laissant entendre que ses clients pourraient être confus par le passage aux produits de TRADE-A-BLADE, M. Westrik lui-même a rejeté cette suggestion, et a confirmé son point de vue que ses clients reconnaissaient que TRADE-A-BLADE et EXCHANGE-A-BLADE sont des marques distinctes.

[49]  EAB fait valoir qu’une circonstance de l’espèce est le [traduction] « plan soigneusement orchestré [de Norske] d’émuler la gamme de produits, l’emballage, le système de crédit [d’EAB] et d’embaucher ses employés pour obtenir accès aux clients [d’EAB] ». Comme le fait valoir Norske, la preuve pour appuyer cet argument est faible, tout comme l’appui jurisprudentiel. Même si Norske reconnaît qu’elle emploie effectivement certains anciens employés d’EAB et que son modèle d’entreprise est semblable à celui d’EAB, elle soutient que ses activités ne sont pas inappropriées. Je suis d’accord qu’il n’y a rien d’inapproprié en soi d’émuler un modèle d’affaires qui réussit ou d’embaucher les employés d’un concurrent.

7)  Conclusion sur la violation de la marque de commerce

[50]  Dans les paragraphes qui précèdent, j’ai conclu que le facteur relatif au caractère distinct inhérent et la mesure dans laquelle la marque devient connue est neutre, et que les facteurs liés (i) à la période d’usage, (ii) au genre de produits, services et entreprises et (iii) à la nature du commerce favorisent tous une conclusion de probabilité de confusion. Parmi les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi, seul le degré de ressemblance favorise une conclusion de non-confusion.

[51]  Je suis influencé par la preuve limitée de probabilité de confusion. Même si EAB n’a pas à prouver un cas quelconque de violation réelle, elle a néanmoins le fardeau d’établir la probabilité de confusion. En tenant compte des facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi ainsi que des circonstances de l’espèce, je ne suis pas convaincu que les exigences des paragraphes 6(1) au 6(4) sont satisfaites. Je ne suis pas convaincu que l’utilisation de ces deux marques de commerce dans le même domaine mènerait à la conclusion que les produits ou services associés à celles-ci proviennent de la même source. À mon avis, la nature du commerce est telle que les acheteurs des produits respectifs des parties sont informés et sont peu susceptibles d’être confus.

[52]  Je suis également influencé par le fait qu’EAB elle-même, par l’entremise de son président, M. Forbes, a adopté la marque EXCHANGE-A-BLADE expressément dans le but de distinguer l’entreprise d’EAB de TRADE-A-BLADE. Je comprends que les marques TRADE-A-BLADE et EXCHANGE-A-BLADE n’ont jamais coexisté au moment où cette dernière marque a été adoptée, mais EAB percevait en l’apparence que les marques n’entraînaient aucune confusion l’une envers l’autre à l’époque.

[53]  D’après ma conclusion selon laquelle il est peu probable que la marque TRADE-A-BLADE prête à confusion avec la marque EXCHANGE-A-BLADE, je conclus que Norske n’a pas violé les marques de commerce d’EAB.

B.  Déclaration fausse ou trompeuse en application de l’alinéa 7a)

[54]  L’alinéa 7a) de la Loi dispose ce qui suit :

Interdictions

Prohibitions

7 Nul ne peut :

7 No person shall

a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l’entreprise, les produits ou les services d’un concurrent

(a) make a false or misleading statement tending to discredit the business, goods or services of a competitor

[55]  Les parties conviennent que les éléments essentiels pour établir une demande en application de l’alinéa 7a) sont énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt S & S Industries Inc. c Rowell, [1966] SCR 419, à la page 424 :

[traduction]

1.  l’existence d’une déclaration fausse ou trompeuse;

2.  le fait que cette déclaration tend à discréditer l’entreprise, les [produits] ou les services d’un concurrent;

3.  le fait qu’il en résulte un dommage.

[56]  Notamment, il n’est pas nécessaire d’établir que la déclaration fausse ou trompeuse a été faite de manière malveillante ou en connaissance de sa fausseté, mais il est nécessaire de montrer la tendance de cette déclaration à discréditer et les dommages qui en découlent.

[57]  EAB fait valoir que l’expression « THE ORIGINAL EXCHANGE SYSTEM » utilisée par Norske en liaison avec ses produits est fausse et trompeuse, et qu’elle tend à discréditer l’entreprise, les produits ou les services d’EAB en laissant entendre qu’EAB n’était pas la première à offrir un système d’échange de lames au Canada.

[58]  Norske réfute l’argument d’EAB en soutenant que Norske tire ses droits de Sibkis, qui était la propriétaire du système d’échange de lames qu’Angus a fait entrer au Canada en qualité de distributeur pendant les années 1970. Norske fait remarquer que l’usage précoce du système TRADE-A-BLADE au Canada était pour le compte de Sibkis. Pour ce motif, Norske fait valoir que son système d’échange de lames est effectivement l’original.

[59]  Norske soutient aussi que EAB ne peut pas prétendre avoir des droits à l’égard du système d’échange de lames tel qu’il existait dans les années 1970 puisque EAB n’a été constituée en personne morale qu’après la fin de la relation précoce entre Sibkis et Angus. Par conséquent, il n’est ni faux ni trompeur de laisser entendre que le système d’échange de lames d’EAB n’est pas l’original.

[60]  Enfin, Norske fait valoir que, même si les autres éléments essentiels d’une violation en application de l’alinéa 7a) de la Loi sont présents, EAB n’a toujours pas établi que des dommages en auraient découlé.

[61]  À mon avis, Norske ne peut pas véritablement prétendre être « THE ORIGINAL EXCHANGE SYSTEM ». La raison principale qui sous-tend ce point de vue est que la marque TRADE-A-BLADE, avec laquelle Norske revendique sa liaison, a été abandonnée pendant plusieurs décennies. En outre, pendant cette période, EAB (qui a été constituée en personne morale) a établi sa marque ainsi que son entreprise d’échange de lames. Je suis d’accord avec EAB que l’expression « THE ORIGINAL EXCHANGE SYSTEM » utilisée par Norske laisse faussement entendre qu’EAB n’était pas la première entreprise sur le marché à proposer un système d’échange de lames. Qui plus est, en raison d’un écart chronologique pendant lequel ni Norske ni Sibkis n’a mené d’activité au Canada, il est fallacieux de la part de Norske de prétendre être « THE ORIGINAL EXCHANGE SYSTEM ».

[62]  Je ne retiens pas l’argument de Norske selon lequel EAB ne peut prétendre être la première entreprise sur le marché à proposer un système d’échange de lames, puisque c’était Angus (et non EAB) qui était sur le marché à l’origine. EAB (sous son nom original, Canadian Trade-A-Blade Ltd.) était manifestement la successeure de l’entreprise lancée par Angus. Il semble n’y avoir aucun écart chronologique entre l’entreprise lancée par Angus et celle continuée par EAB. De plus, même si l’usage précoce de la marque TRADE-A-BLADE au Canada était en qualité de distributeur pour le compte de Sibkis, le visage de l’entreprise au Canada a toujours été celui de M. Forbes. Sibkis n’avait aucune présence au Canada, sauf par l’intermédiaire d’Angus et de M. Forbes. Il convient également de souligner que les sociétés de M. Forbes ont fait usage de la marque TRADE-A-BLADE au Canada pour leur propre compte (non pas en qualité de distributeurs) pendant une période d’environ quatre ans avant de la modifier pour EXCHANGE-A-BLADE. En vérité, le système EXCHANGE-A-BLADE d’EAB est le système d’échange de lames d’origine au Canada.

[63]  Pour les motifs qui précèdent, je conclus que l’usage par Norske de l’expression « THE ORIGINAL EXCHANGE SYSTEM » est faux et trompeur.

[64]  Je me penche maintenant sur les questions suivantes : (i) celle de savoir si l’usage par Norske de l’expression « THE ORIGINAL EXCHANGE SYSTEM » tend à discréditer l’entreprise, les produits et les services d’EAB, et (ii) l’argument de Norske concernant le manque de preuve quant aux dommages qui en ont découlé. La preuve d’EAB concernant les dommages figure dans l’affidavit de M. Forbes. Dans celui-ci, il dresse une liste de 17 clients que, à sa connaissance, EAB avait perdus au Canada entre les environs du 19 octobre 2016, moment auquel Norske a fait son entrée sur le marché, et le 4 janvier 2017. L’affidavit de M. Forbes présente également des chiffres de vente pour ces clients au cours de l’année précédente. Toutefois, pendant le contre-interrogatoire, M. Forbes a fait quelques aveux importants en ce qui a trait à cette preuve. Parmi ceux-ci, le principal était que les renseignements de M. Forbes à propos des clients perdus étaient fondés sur une preuve par ouï-dire présentée par le vice-président des ventes d’EAB, Danny Wight. Norske fait valoir que cette preuve par ouï-dire était inadmissible, puisque M. Wight était disponible afin de présenter cette preuve lui-même. De plus, M. Forbes a avoué que sa preuve concernant les chiffres des ventes était également une preuve par ouï-dire. Les chiffres ont été préparés par ses employés du service de comptabilité, mais sans documents à l’appui. Il convient également de souligner les aveux de M. Forbes selon lesquels EAB compte plusieurs milliers de clients en Amérique du Nord et des clients sont perdus à l’occasion pour différentes raisons.

[65]  EAB ne conteste pas que la preuve détaillée présentée dans l’affidavit de M. Forbes concernant les clients perdus et les ventes est une preuve par ouï-dire. Cependant, EAB répond que cela ne peut que limiter le montant des dommages-intérêts, pas les éliminer entièrement. EAB fait valoir qu’une partie des dommages-intérêts peut être présumée à partir des activités de Norske (Oakley, Inc. c Untel (2000), 193 FTR 42, 8 CPR (4th) 506 (CF 1re inst.), aux paragraphes 7 et 8), le fait que la preuve en question peut être une preuve par ouï-dire ne va pas à l’encontre de cet argument. EAB soutient que la preuve au dossier suffit à établir qu’elle a subi un certain dommage et que le montant précis d’une indemnité devrait être décidé dans le cadre d’un renvoi ordonné en l’espèce.

[66]  Je suis d’accord avec Norske que l’essentiel de la preuve d’EAB portant sur la perte de clients et de ventes constitue une preuve par ouï-dire inadmissible. D’après la preuve admissible, le seul client qu’EAB a établi avoir perdu au profit de Norske est le magasin de fournitures de construction RONA à Elora, en Ontario. Je suis disposé à accepter le fait que la perte ne serait-ce que d’un seul client a causé un certain dommage à EAB. Cependant, la demande d’EAB en application de l’alinéa 7a) de la Loi n’est pas fondée sur la présence de Norske sur le marché en général, mais plutôt sur l’usage qu’elle fait de l’expression fausse et trompeuse « THE ORIGINAL EXCHANGE SYSTEM ». Il n’y a aucune preuve d’un dommage causé à EAB découlant de l’usage de cette expression par Norske, plutôt que la marque TRADE-A-BLADE. De plus, pour le même motif, je ne suis pas convaincu que l’utilisation de cette expression tend à discréditer l’entreprise, les produits ou les services d’EAB.

[67]  Pour ces motifs, je conclus qu’EAB n’a pas réussi à prouver sa demande en application de l’alinéa 7a) de la Loi.

C.  Appeler l’attention du public selon l’alinéa 7b)

[68]  L’alinéa 7b) de la Loi dispose ce qui suit :

Interdictions

Prohibitions

7 Nul ne peut :

7 No person shall

[…]

b) appeler l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre

(b) direct public attention to his goods, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his goods, services or business and the goods, services or business of another

[69]  L’alinéa 7b) constitue une codification du délit de commercialisation trompeuse en common law : Kirkbi AG c Gestions Ritvik Inc., 2005 CSC 65. Les parties conviennent que les éléments suivants doivent être prouvés pour établir une demande en application de l’alinéa 7b) :

  1. l’existence d’un achalandage pendant la période pertinente;
  2. le fait que le public a été induit en erreur par une fausse déclaration;
  3. le préjudice réel ou possible pour [la demanderesse].

[70]  Une demande fondée sur l’alinéa 7b) de la Loi se distingue d’une allégation de violation d’une marque de commerce aux termes de l’article 20, en ce sens que la Cour peut tenir compte des caractéristiques de la marque de commerce autres que celles indiquées dans l’enregistrement de la marque de commerce. EAB signale l’usage par Norske du mot « EXCHANGE » dans l’expression « THE ORIGINAL EXCHANGE SYSTEM ». EAB signale également l’usage par Norske de termes comme « SOCKTOOTH » (ainsi qu’un graphique de celui-ci) et le modèle d’emballage général de Norske.

[71]  Je retiens qu’EAB dispose d’un achalandage à l’égard de ses marques de commerce et que, par conséquent, elle satisfait au premier des éléments essentiels aux fins d’une demande fondée sur l’alinéa 7b). Toutefois, je ne suis pas convaincu que le public a été induit en erreur en raison de la représentation trompeuse par Norske. J’ai indiqué plus tôt pourquoi je conclus qu’il n’y a aucune probabilité de confusion par rapport aux marques de commerce enregistrées d’EAB. En mettant l’accent sur des caractéristiques de la marque de commerce d’EAB autres que celles indiquées dans les enregistrements de marques de commerce, je suis d’abord frappé par la différence importante dans les modèles de couleur respectifs des parties, celui de Norske étant principalement jaune, alors que celui d’EAB est principalement rouge et vert. Au moment de comparer les modèles d’emballage respectifs des parties, les principales similitudes semblent concerner les produits eux-mêmes plutôt que l’emballage.

[72]  En outre, je ne suis pas disposé à tirer une conclusion de probabilité de confusion quelconque relativement à l’usage par Norske de l’expression « THE ORIGINAL EXCHANGE SYSTEM » ou du mot « EXCHANGE » dans cette expression. Même si j’ai conclu que cette expression est fausse et trompeuse, je ne suis pas convaincu que la preuve appuie une conclusion selon laquelle l’usage de cette expression par Norske (ou de tout mot contenu dans celle-ci) dans le cadre de son modèle d’emballage général est susceptible de causer de la confusion entre les produits, les services ou l’entreprise de Norske et ceux d’EAB.

[73]  En ce qui concerne l’usage par Norske du terme « SOCKTOOTH » et (ou) de la conception graphique du maillon SOCKTOOTH, je constate une similitude claire par rapport à l’usage d’EAB. Bien entendu, la similitude dans la conception graphique s’explique, à tout le moins en grande partie, par la forme et la conception fonctionnelle du maillon SOCKTOOTH en soi. EAB ne peut faire valoir un droit afférent à une marque de commerce exclusif à l’égard d’une telle conception. Plus important encore, je ne suis saisi d’aucun élément de preuve objectif indiquant que l’usage par Norske d’une représentation graphique similaire du maillon SOCKTOOTH est susceptible de causer de la confusion. EAB fait valoir qu’elle a inventé le terme « SOCKTOOTH » et qu’elle est la seule autre société à utiliser ce terme, en dehors de Norske. Quoi qu’il en soit, je ne suis pas convaincu que l’usage par Norske du terme « SOCKTOOTH » est susceptible de causer de la confusion.

D.  Désignation qui est fausse sous un rapport essentiel, selon le sous-alinéa 7d)(i)

[74]  Le sous-alinéa 7d)(i) de la Loi dispose ce qui suit :

Interdictions

Prohibitions

7 Nul ne peut :

7 No person shall

[…]

d) employer, en liaison avec des produits ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde :

(d) make use, in association with goods or services, of any description that is false in a material respect and likely to mislead the public as to

(i) soit leurs caractéristiques, leur qualité, quantité ou composition

(i) the character, quality, quantity or composition,

[en blanc]

[en blanc]

of the goods or services.

[75]  EAB fait valoir sa demande fondée sur le sous-alinéa 7d)(i) pour le même motif que sa demande fondée sur l’alinéa 7a) susmentionnée.

[76]  Pour les mêmes motifs que ceux examinés précédemment à l’égard de l’alinéa 7a), je conclus que la désignation par Norske de son système TRADE-A-BLADE comme « THE ORIGINAL EXCHANGE SYSTEM » est fausse sous un rapport essentiel. Cependant, je suis également d’avis (là encore pour les mêmes motifs examinés précédemment à l’égard de l’alinéa 7a)) que la preuve d’EAB relative à des dommages ne suffit pas à établir un lien de causalité entre l’usage Norske de l’expression « THE ORIGINAL EXCHANGE SYSTEM » et la perte de ventes d’EAB. Je suis tout aussi peu convaincu que l’usage par Norske de cette expression est susceptible de tromper le public en ce qui concerne les caractéristiques, la qualité, quantité ou composition de ses produits ou services.

V.  Conclusion

[77]  Pour les motifs susmentionnés, je conclus que la demande d’EAB devrait être rejetée avec dépens.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-2040-16

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La demande est rejetée avec dépens.

  2. Si les parties ne peuvent pas s’entendre sur le montant des dépens, Norske devra signifier et déposer des observations, ne comptant pas plus de dix (10) pages, dans les 30 jours suivant la date de la présente décision. EAB disposera de 15 jours à compter de la réception des observations de Norske pour signifier et déposer ses observations complémentaires qui seront limitées à 13 pages. Par la suite, Norske peut, dans les cinq (5) jours suivant la réception des observations d’EAB, signifier et déposer des observations en réponse ne comptant pas plus de trois (3) pages.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour de mai 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2040-16

 

INTITULÉ :

EAB TOOL COMPANY INC. c NORSKE TOOLS LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATES DE L’AUDITION :

LES 16 et 17 AOÛT 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 octobre 2017

 

COMPARUTIONS :

Bruce M. Green

Stephanie Melnychuk

 

Pour le demanderesse

 

David Kurtis

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Oyen Wiggs Green & Mutala LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le demanderesse

 

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la défenderesse

 

 

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