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Date : 20171107


Dossier : IMM-1505-17

Référence : 2017 CF 1009

Montréal (Québec), le 7 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

MARC MADRIGAL MATORE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Au préalable

[1]               Dans sa décision, la Section de la protection des réfugiés [SPR] est arrivée à la conclusion suivante, suite à son analyse de la preuve au dossier :

Quant à l’origine ethnique du demandeur, il a été soulevé qu’un génocide contre les Tutsis est en préparation au Burundi. À cet égard, la preuve documentaire est à l’effet qu’un ou des haut-placés du Burundi auraient fait des déclarations à caractère raciste à l’encontre des Tutsis. Cependant, rien dans la preuve documentaire n’indique que ces déclarations ne soient pas que des incidents malheureux et isolés, et surtout rien ne signale qu’il y aurait présentement une chasse aux Tutsis, bien que des discours à caractère ethnique aient recommencé. Pour le moment, la preuve documentaire signale essentiellement que la crise actuelle revêt un caractère politique. À cet égard, le demandeur n’a pas d’activités politiques et le tribunal n’a pas cru que le demandeur a participé aux manifestations en avril et mai 2015. De plus, le demandeur n’a pas fait la preuve d’une possibilité sérieuse d’être persécuté en raison de son ethnie Tutsie. [La Cour souligne.]

(Motifs de la décision, au para 1 à la suite du para 24 (dû à une erreur de numérotation de paragraphes dans la décision).)

L’extrait de la SPR est erroné puisqu’elle se sert du mot « rien » d’une façon hors contexte à l’égard des propos traités plus bas, tirés de sources fiables et disant clairement le contraire. Le moratoire énoncé sur le Burundi à l’heure actuelle au Canada confirme les informations de ces sources fiables. Sans oublier que l’honorable Irwin Cotler, l’ancien ministre de la Justice et Procureur général du Canada, a lui-même exposé les mêmes faits et propos, il y a deux semaines à Ottawa devant des parlementaires. En plus d’avoir déjà, il y a deux ans, tiré la sonnette d’alarme concernant les événements dévastateurs affectant la population tutsie au Burundi, l’honorable Irwin Cotler a également prévenu les parlementaires qu’ils ne devraient pas attendre que le péril en train de se propager contre les Tutsis du Burundi tourne en génocide.

[2]               Le Canada et le monde entier ont déjà été avertis du désastre qui se propageait à l’époque au Rwanda, pendant le séjour du général Roméo Dallaire (devenu sénateur Dallaire) avec les forces canadiennes. Le Canada, comme signataire de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, a l’obligation selon ladite Convention de faire face au péril signalé des Tutsis au Burundi.

[3]               « [L]es autorités burundaises cherchent à propager une méfiance et une haine contre « l’ennemi commun » tutsi et ont recours à une sémantique génocidaire qui n’est pas sans rappeler celle utilisée en 1994 au Rwanda par le gouvernement « Hutu Power » appelant l’élimination systématique des Tutsi » (Dossier du tribunal, dans le Cartable national de documentation à l’égard du Burundi qui émane de la CISR sur les conditions du pays, Fédération internationale des droits de l’Homme-Burundi : Répression aux dynamiques génocidaires, à la p 103).

[4]               Le rapport de l’Enquête indépendante des Nations-Unies sur le Burundi [EINUB], établi conformément à la résolution S-24/1 du Conseil des droits de l’homme, indique clairement que « Nous sommes gravement préoccupés par la tendance générale à l’utilisation d’une rhétorique de division ethnique par le gouvernement, et par d’autres, qui pourrait entraîner la situation dans une spirale incontrôlable, y compris au-delà des frontières du Burundi » (Dossier du Tribunal, à la p 90).

[5]               Également, « [c]ertains partis politiques hutu souhaitent depuis longtemps que cet événement soit qualifié officiellement de génocide. Cependant, certains rescapés tutsis de 1972 considèrent que cette thèse du « double génocide » vise à occulter le plan d’extermination des Tutsi qui aurait été mis sur pied par l’Umugambwe w’Abakozi b’Ubburundi (Parti des Travailleurs du Burundi) » (Dossier du tribunal, dans le Cartable national de documentation à l’égard du Burundi qui émane de la CISR sur les conditions du pays, Fédération internationale des droits de l’Homme-Burundi : Répression aux dynamiques génocidaires, à la p 105).

[6]               « [L]es discours extrêmement violents des autorités burundaises contre le Rwanda et son président tutsi Paul Kagame battent leur plein et participent à renforcer l’idée que le Burundi est menacé par un « ennemi commun extérieur », dont le plan est de commettre un génocide contre les Hutu burundais » (Dossier du tribunal, dans le Cartable national de documentation à l’égard du Burundi qui émane de la CISR sur les conditions du pays, Fédération internationale des droits de l’Homme-Burundi : Répression aux dynamiques génocidaires, à la p 107).

[7]               La Cour est convaincue que la SPR « a omis d’étudier les éléments de preuve à la lumière de la situation particulière du requérant » (Jeyachandran c Canada (Solliciteur général), [1995] ACF no 487 (QL) aux para 9-10 [Jeyachandran]). Les conditions du pays n’ont pas été lues dans leur ensemble. Cette omission démontre un trou majeur dans la compréhension de la SPR, qui a analysé et évalué la preuve documentaire de façon erronée. La Cour souligne à cet effet que le contexte socio-politique, la culture et l’historique du pays sont primordiaux pour comprendre une logique particulière, différente de celle pouvant émaner de la situation dans un autre pays (voir Ye c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 584 [Ye]).

II.                 Nature de l’affaire

[8]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision rendue le 22 février 2017, dans laquelle la SPR de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur d’asile n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Par conséquent, la SPR a rejeté la demande d’asile fondée sur les articles 96 et 97(1) de la LIPR, conformément au paragraphe 107(1) de la LIPR.

III.               Faits

[9]               Le demandeur, âgé de 36 ans, est citoyen du Burundi d’origine tutsie.

[10]           Les 26 avril et 13 mai 2015, le demandeur allègue avoir participé aux manifestations au Burundi à l’encontre du troisième mandat du président Nkurunziza. La peur du demandeur d’être arrêté ou tué en raison de sa participation aux manifestations en tant que jeune tutsi aurait débuté suite à la tentative du coup d’État du 13 mai 2015.

[11]           Du 12 juin au 25 octobre 2015 et du 15 décembre 2015 au 20 février 2016, le demandeur aurait quitté son quartier de Nyakabiga pour se cacher chez sa mère dans le quartier de Mutanga Sud. Le demandeur serait ensuite retourné à Nyakabiga, croyant que la situation se serait calmée.

[12]           Le 6 mai 2016, un groupe de policiers aurait arrêté le demandeur à Nyakabiga et l’aurait détenu durant trois jours dans un endroit nommé Ndadaye. Le demandeur aurait été enfermé dans un conteneur avec d’autres jeunes tutsis. Le demandeur aurait été libéré, suite à une rançon payée par sa famille.

[13]           Le 20 mai 2016, le demandeur se serait caché, cette fois-ci, dans la province de Bururi, dans la région de Mugamba (village natal de sa mère).

[14]           Après être retourné vivre chez sa mère à Mutanga Sud, le demandeur a réussi à obtenir un visa de touriste américain et est arrivé aux États-Unis le 2 décembre 2016. Le même jour, le demandeur s’est rendu à la frontière canadienne pour demander l’asile au Canada.

IV.              Décision

[15]           En raison de contradictions entre le témoignage oral et le formulaire d’immigration (Fondement de la demande d’asile) du demandeur, la SPR n’a pas cru l’ensemble du récit du demandeur. La SPR a rejeté les explications du demandeur relativement à ces contradictions, parce qu’elle les a jugées insatisfaisantes. Le tribunal a tiré une inférence négative sur la crédibilité du demandeur.

[16]           La SPR a également conclu que, compte tenu de l’ensemble de la preuve, le demandeur n’a pas fait la preuve d’une possibilité sérieuse d’être persécuté en raison de son ethnie tutsie. Selon la SPR, le demandeur n’a pas su démontrer, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’une menace à sa vie, ni celle d’un risque de torture ou de traitements ou peines cruels ou inusités, advenant un retour dans son pays d’origine. C’est pourquoi la SPR a rejeté la demande d’asile suivant les articles 96 et 97(1) de la LIPR, le 22 février 2017. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

V.                 Questions en litige

[17]           La Cour reformule les questions en litige comme suit :

1.      Compte tenu de l’ensemble de la preuve, la SPR a-t-elle erré en concluant que le demandeur n’était pas crédible?

2.      La conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’est pas une personne à protéger en raison de son ethnicité au sens de l’article 97 de la LIPR est-elle raisonnable?

[18]           La Cour considère que la norme de contrôle applicable à la conclusion de la SPR sur la crédibilité du demandeur est celle de la décision raisonnable (Garcia Arreaga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 977 au para 30; Devanandan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 768 au para 15). Quant à la question de savoir si le demandeur est une personne à protéger en raison de son appartenance à l’ethnie tutsie, la Cour considère qu’il s’agit d’une question mixte de droit et de fait soumise à la norme de la décision raisonnable (Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1055 au para 26).

VI.              Dispositions pertinentes

[19]           Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes en l’espèce :

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Décision sur la demande d’asile

Decision on Claim for Refugee Protection

107 (1) La Section de la protection des réfugiés accepte ou rejette la demande d’asile selon que le demandeur a ou non la qualité de réfugié ou de personne à protéger.

107 (1) The Refugee Protection Division shall accept a claim for refugee protection if it determines that the claimant is a Convention refugee or person in need of protection, and shall otherwise reject the claim.

VII.            Analyse

[20]           Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[21]           La Cour est d’accord avec le demandeur pour conclure que la décision de la SPR est déraisonnable. Les questions en litige sont traitées dans leur ensemble, suite aux propos prononcés clairement par la preuve devant la SPR elle-même, pour démontrer le péril auquel les Tutsis font face au Burundi.

[22]           Comme il n’y a aucune contradiction soulevée par la SPR quant au fait que le demandeur soit tutsi, cela démontre un manque d’évaluation approfondie de la part du tribunal à l’égard du groupe ethnique auquel appartient le demandeur.

[23]           Bien que la SPR soit présumée avoir étudié l’ensemble de la preuve, il reste que cette présomption n’est pas irréfutable. La SPR n’a pas considéré, ni interprété, la preuve documentaire objective soulignant le péril auquel font face les Tutsis et provenant des instances et entités internationales reconnues au niveau international. Malgré que le demandeur se soit contredit dans son récit, sans émettre aucun doute sur le fait qu’il soit Tutsi, cela ne change pas le fait que, en tant que Tutsi, sa personne soit en danger. D’ailleurs, des informations claires, nettes et précises, qui émanent de la documentation provenant du tribunal lui-même à l’égard des conditions du pays, ont été soumises par le demandeur et n’ont pas été contredites par le défendeur.

[24]           La Cour soulève que la SPR a « le droit de se fonder sur une preuve documentaire de préférence à un témoignage rendu par un revendicateur », et ce, même si la SPR conclut que le témoignage du demandeur est crédible et digne de foi (Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 400 au para 18; Zhou c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 1087 (QL)). Toutefois, en l’espèce, la SPR a mal apprécié la preuve documentaire objective devant elle. La SPR a erronément conclu que le demandeur ne présentait pas un risque de persécution au Burundi en raison de son appartenance à l’ethnie tutsie.

[25]           Dans sa décision, la SPR est arrivée à la conclusion suivante, suite à son analyse de la preuve au dossier :

Quant à l’origine ethnique du demandeur, il a été soulevé qu’un génocide contre les Tutsis est en préparation au Burundi. À cet égard, la preuve documentaire est à l’effet qu’un ou des haut-placés du Burundi auraient fait des déclarations à caractère raciste à l’encontre des Tutsis. Cependant, rien dans la preuve documentaire n’indique que ces déclarations ne soient pas que des incidents malheureux et isolés, et surtout rien ne signale qu’il y aurait présentement une chasse aux Tutsis, bien que des discours à caractère ethnique aient recommencé. Pour le moment, la preuve documentaire signale essentiellement que la crise actuelle revêt un caractère politique. À cet égard, le demandeur n’a pas d’activités politiques et le tribunal n’a pas cru que le demandeur a participé aux manifestations en avril et mai 2015. De plus, le demandeur n’a pas fait la preuve d’une possibilité sérieuse d’être persécuté en raison de son ethnie Tutsie.

(Motifs de la décision, au para 1 à la suite du para 24 (dû à une erreur de numérotation de paragraphes dans la décision).)

L’extrait de la SPR est erroné puisqu’elle se sert du mot « rien » d’une façon hors contexte à l’égard des propos traités plus bas, tirés de sources fiables et disant clairement le contraire. Le moratoire énoncé sur le Burundi à l’heure actuelle au Canada confirme les informations de ces sources fiables.

[26]           Cependant, d’après la preuve objective documentaire au dossier, « les autorités burundaises cherchent à propager une méfiance et une haine contre « l’ennemi commun » tutsi et ont recours à une sémantique génocidaire qui n’est pas sans rappeler celle utilisée en 1994 au Rwanda par le gouvernement « Hutu Power » appelant l’élimination systématique des Tutsis » (Dossier du tribunal, dans le Cartable national de documentation à l’égard du Burundi qui émane de la CISR sur les conditions du pays, Fédération internationale des droits de l’Homme-Burundi : Répression aux dynamiques génocidaires, à la p 103).

[27]           Le rapport de l’EINUB, établi conformément à la résolution S-24/1 du Conseil des droits de l’homme, indique clairement que « Nous sommes gravement préoccupés par la tendance générale à l’utilisation d’une rhétorique de division ethnique par le gouvernement, et par d’autres, qui pourrait entraîner la situation dans une spirale incontrôlable, y compris au-delà des frontières du Burundi » (Dossier du Tribunal, à la p 90).

[28]           Également, « [c]ertains partis politiques hutu souhaitent depuis longtemps que cet événement soit qualifié officiellement de génocide. Cependant, certains rescapés tutsis de 1972 considèrent que cette thèse du « double génocide » vise à occulter le plan d’extermination des Tutsi qui aurait été mis sur pied par l’Umugambwe w’Abakozi b’Ubburundi (Parti des Travailleurs du Burundi) » (Dossier du tribunal, dans le Cartable national de documentation à l’égard du Burundi qui émane de la CISR sur les conditions du pays, Fédération internationale des droits de l’Homme-Burundi : Répression aux dynamiques génocidaires, à la p 105).

[29]           « [L]es discours extrêmement violents des autorités burundaises contre le Rwanda et son président tutsi Paul Kagame battent leur plein et participent à renforcer l’idée que le Burundi est menacé par un « ennemi commun extérieur », dont le plan est de commettre un génocide contre les Hutu burundais » (Dossier du tribunal, dans le Cartable national de documentation à l’égard du Burundi qui émane de la CISR sur les conditions du pays, Fédération internationale des droits de l’Homme-Burundi : Répression aux dynamiques génocidaires, à la p 107).

[30]           La Cour est convaincue que la SPR « a omis d’étudier les éléments de preuve à la lumière de la situation particulière du requérant » (Jeyachandran, ci-dessus, aux para 9-10). Les conditions du pays n’ont pas été lues dans leur ensemble. Cette omission démontre un trou majeur dans la compréhension de la SPR, qui a analysé et évalué la preuve documentaire de façon erronée. La Cour souligne à cet effet que le contexte socio-politique, la culture et l’historique du pays sont primordiaux pour comprendre une logique particulière, différente de celle pouvant émaner de la situation dans un autre pays (Ye, ci-dessus).

[31]           Bref, le fait de ne pas avoir considéré l’ensemble de la preuve objective au dossier constitue une lacune importante de la part de la SPR. Pour ces motifs, la Cour conclut que la décision de la SPR est déraisonnable et ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

VIII.         Conclusion

[32]           La présente demande de contrôle judiciaire est accordée.

IX.              Obiter

[33]           Le Canada, signataire de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, réalise avec le moratoire sur le Burundi que les Tutsis y sont en effet en péril; d’autant plus que l’erreur fatale commise au niveau international à l’égard du Rwanda ne devrait pas se répéter au Burundi, d’après les extraits (parmi tant d’autres sur le Burundi) cités plus haut.

[34]           N’oublions pas également que la communauté internationale a fait faillite encore une fois en ne dénonçant pas la situation actuelle en République du Myanmar à l’égard de la tragédie qui a été dévoilée, suite aux violations reconnues par le Canada et les Nations Unies comme des crimes contre l’humanité qui ont été commis contre les musulmans rohingyas.

[35]           Les événements qui se sont produits au Rwanda, ainsi que la situation en République du Myanmar, démontrent que la communauté internationale accepte l’erreur qui a été commise en raison du défaut d’agir en temps opportun. Le Rwanda et son génocide ne devraient pas être une leçon manquée par la communauté internationale.

[36]           Selon les documents dans ce dossier, la situation des Tutsis est en effet plus que précaire au Burundi. Selon les propos contenus à l’intérieur de la preuve documentaire objective, ce serait une erreur monumentale de ne pas considérer la preuve convaincante soulignant le danger auquel font face les Tutsis au Burundi. Sans une analyse des documents soumis à la Cour et devant la SPR, cela constituerait une inadvertance inconsciente, ou plutôt un aveuglement volontaire.

[37]           Il faut certes agir avant l’exposition des cadavres par les médias. L’obligation selon la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés est de s’assurer que des vies sont sauvées avant qu’un compte rendu sur un génocide ne soit prononcé. Le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés propose un cheminement des procédures à suivre aux décideurs qui traitent des demandes de statut de réfugié, pour s’assurer que la lettre et l’esprit de la Convention soient respectés pour éviter des erreurs fatales autant que possible.

198. Une personne qui, par expérience, a appris à craindre les autorités de son propre pays peut continuer à éprouver de la défiance à l'égard de toute autre autorité. Elle peut donc craindre de parler librement et d'exposer pleinement et complètement tous les éléments de sa situation.

199. Si normalement un seul entretien doit suffire pour faire la lumière sur la position du demandeur, une entrevue supplémentaire peut être nécessaire pour permettre à l'examinateur de résoudre les inconséquences apparentes et les contradictions et pour trouver l'explication de toute représentation fausse ou dissimulation de faits matériels. En elles-mêmes, des déclarations inexactes ne constituent pas une raison pour refuser le statut de réfugié et l'examinateur a la responsabilité d'évaluer de telles déclarations à la lumière des diverses circonstances du cas.

44. Si la qualité de réfugié doit normalement être établie sur une base individuelle, il y a cependant des cas où des groupes entiers ont été déplacés dans des circonstances qui indiquent que des membres du groupe peuvent être considérés individuellement comme des réfugiés. En pareil cas, il est souvent nécessaire d'agir d'urgence pour leur prêter secours. Il se peut qu'on ne puisse pas procéder, pour des raisons purement pratiques, à une détermination cas par cas de la qualité de réfugié de chaque membre du groupe. On a donc suivi, dans de tels cas, une procédure dite de «détermination collective» de la qualité de réfugié, selon laquelle, sauf preuve contraire, chaque membre du groupe est considéré à première vue (prima facie) comme un réfugié.

45. Mis à part les cas envisagés au paragraphe précédent, il appartient normalement à la personne qui réclame le statut de réfugié d'établir, elle-même, qu'elle craint avec raison d'être persécutée. On peut supposer qu'une personne est fondée à craindre des persécutions lorsqu'elle en a déjà été la victime pour l'une des causes énumérées dans la Convention de 1951. Cependant, la crainte d'être persécuté n'est pas censée être réservée aux personnes qui ont déjà été persécutées; elle peut être également le fait de celles qui veulent éviter de se trouver dans une situation où elles pourraient l'être.

(Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, UNHCR 1979.)


JUGEMENT au dossier IMM-1505-17

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit accordée, la décision soit annulée et le dossier soit renvoyé à la SPR pour un examen à nouveau par un panel différemment constitué. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

OBITER

Le Canada, signataire de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, réalise avec le moratoire sur le Burundi que les Tutsis y sont en effet en péril; d’autant plus que l’erreur fatale commise au niveau international à l’égard du Rwanda ne devrait pas se répéter au Burundi, d’après les extraits (parmi tant d’autres sur le Burundi) cités plus haut.

N’oublions pas également que la communauté internationale a fait faillite encore une fois en ne dénonçant pas la situation actuelle en République du Myanmar à l’égard de la tragédie qui a été dévoilée, suite aux violations reconnues par le Canada et les Nations Unies comme des crimes contre l’humanité qui ont été commis contre les musulmans rohingyas.

Les événements qui se sont produits au Rwanda, ainsi que la situation en République du Myanmar, démontrent que la communauté internationale accepte l’erreur qui a été commise en raison du défaut d’agir en temps opportun. Le Rwanda et son génocide ne devraient pas être une leçon manquée par la communauté internationale.

Selon les documents dans ce dossier, la situation des Tutsis est en effet plus que précaire au Burundi. Selon les propos contenus à l’intérieur de la preuve documentaire objective, ce serait une erreur monumentale de ne pas considérer la preuve convaincante soulignant le danger auquel font face les Tutsis au Burundi. Sans une analyse des documents soumis à la Cour, et devant la SPR, cela constituerait une inadvertance inconsciente, ou plutôt un aveuglement volontaire.

Il faut certes agir avant l’exposition des cadavres par les médias. L’obligation selon la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés est de s’assurer que des vies sont sauvées avant qu’un compte rendu sur un génocide ne soit prononcé. Le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés propose un cheminement des procédures à suivre aux décideurs qui traitent des demandes de statut de réfugié, pour s’assurer que la lettre et l’esprit de la Convention soient respectés pour éviter des erreurs fatales autant que possible.

198. Une personne qui, par expérience, a appris à craindre les autorités de son propre pays peut continuer à éprouver de la défiance à l'égard de toute autre autorité. Elle peut donc craindre de parler librement et d'exposer pleinement et complètement tous les éléments de sa situation.

199. Si normalement un seul entretien doit suffire pour faire la lumière sur la position du demandeur, une entrevue supplémentaire peut être nécessaire pour permettre à l'examinateur de résoudre les inconséquences apparentes et les contradictions et pour trouver l'explication de toute représentation fausse ou dissimulation de faits matériels. En elles-mêmes, des déclarations inexactes ne constituent pas une raison pour refuser le statut de réfugié et l'examinateur a la responsabilité d'évaluer de telles déclarations à la lumière des diverses circonstances du cas.

44. Si la qualité de réfugié doit normalement être établie sur une base individuelle, il y a cependant des cas où des groupes entiers ont été déplacés dans des circonstances qui indiquent que des membres du groupe peuvent être considérés individuellement comme des réfugiés. En pareil cas, il est souvent nécessaire d'agir d'urgence pour leur prêter secours. Il se peut qu'on ne puisse pas procéder, pour des raisons purement pratiques, à une détermination cas par cas de la qualité de réfugié de chaque membre du groupe. On a donc suivi, dans de tels cas, une procédure dite de «détermination collective» de la qualité de réfugié, selon laquelle, sauf preuve contraire, chaque membre du groupe est considéré à première vue (prima facie) comme un réfugié.

45. Mis à part les cas envisagés au paragraphe précédent, il appartient normalement à la personne qui réclame le statut de réfugié d'établir, elle-même, qu'elle craint avec raison d'être persécutée. On peut supposer qu'une personne est fondée à craindre des persécutions lorsqu'elle en a déjà été la victime pour l'une des causes énumérées dans la Convention de 1951. Cependant, la crainte d'être persécuté n'est pas censée être réservée aux personnes qui ont déjà été persécutées; elle peut être également le fait de celles qui veulent éviter de se trouver dans une situation où elles pourraient l'être.

(Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, UNHCR 1979.)

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1505-17

 

INTITULÉ :

MARC MADRIGAL MATORE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1er novembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 NOVEMBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

Lia Cristinariu

 

Pour le demandeur

 

Suzon Létourneau

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Lia Cristinariu, avocate

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur générale du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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