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Date : 20170824


Dossier : T-1774-15

Référence : 2017 CF 786

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 août 2017

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

EMAD IBRAHIM AL OMANI, LINA HOUSNE HAMZA NAHAS, ET SULTAN EMAD AL OMANI (UN MINEUR), LULWA EMAD IBRAHIM AL OMANI (UNE MINEURE), HAYA EMAD IBRAHIM AL OMANI (UNE MINEURE), REPRÉSENTÉS PAR LEURS TUTEURS À L’INSTANCE, EMAD IBRAHIM AL OMANI ET LINA HOUSNE HAMZA NAHAS

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Les demandeurs forment une famille, originaire de l’Arabie saoudite, qui a présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Ils ont soumis une déclaration dans laquelle ils allèguent de multiples causes d’action donnant lieu à divers chefs de dommages à l’encontre de la défenderesse, en raison du traitement dont ils ont fait l’objet dans le système d’immigration. En outre, ils sollicitent ou avisent de leur intention de solliciter des jugements déclaratoires portant que certaines dispositions de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7 (Loi sur les Cours fédérales) et de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) sont inconstitutionnelles. La défenderesse demande la radiation de la déclaration dans son intégralité. La Cour doit décider si la défenderesse a établi que la déclaration ne satisfait pas aux exigences applicables aux actes de procédure qui sont énoncées dans les Règles des Cours fédérales, DORS 98-106 (les Règles). À la demande des demandeurs, la Cour doit aussi décider si elle doit autoriser la modification des allégations qui sont radiées.

I. Faits énoncés dans la déclaration

[2] Le demandeur principal, Emad Al Omani, a d’abord présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés, conformément au paragraphe 12(2) de la LIPR, en septembre 2006. Cette demande englobait l’épouse du demandeur, Lina Housne Hamza Nahas, et leurs deux enfants, Lulwa Ehmad Al Omani et Sultan Emad Al Omani, comme personnes à charge qui les accompagnent. Leur troisième enfant, Haya Emad Ibrahim Al Omani, a été ajoutée ultérieurement à la déclaration.

[3] Le haut-commissariat du Canada à Londres a traité la demande et l’a refusée en décembre 2009, parce qu’il lui manquait deux points sur les 67 points nécessaires pour qu’une décision favorable soit rendue. Les demandeurs contestent principalement les notes de 4/10 pour l’« adaptabilité » et de 10/16 pour la connaissance de l’anglais, que l’agent des visas a attribuées en application du paragraphe 76(1) et des dispositions connexes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR). Le demandeur principal maintient qu’il devrait avoir reçu cinq points pour l’adaptabilité parce que son frère est Canadien, et au moins trois points de plus pour l’adaptabilité parce que son épouse détient un grade universitaire. En ce qui concerne la maîtrise de la langue, il fait valoir que l’agent des visas aurait dû prendre en considération les autres éléments de preuve concernant ses compétences linguistiques :

[traduction]

A/ en ce qui concerne l’adaptabilité, le Règlement et le site Web de CIC prévoient que le demandeur, Emad Al Omani, aurait dû obtenir cinq points sous l’« adaptabilité », parce qu’il a un « frère » qui est citoyen canadien, et trois points de plus parce que son épouse détient un grade universitaire, soit au moins huit points sur 10 pour l’« adaptabilité », et que ces huit points sur 10, qui sont prévus par la loi, doivent être attribués avant même de tenir compte des autres facteurs d’adaptabilité, comme le fait que le demandeur et son épouse détiennent tous deux un grade universitaire décerné par une université de langue anglaise, possèdent une valeur nette patrimoniale de 2,3 millions de dollars (CAN), dont la moitié en liquides, et ont de la famille au Canada et disposent d’une offre d’emploi au Canada, dans la société que possède et dirige le frère du demandeur;

B/ en ce qui concerne la maîtrise de la langue (anglais), le demandeur, Emad Al Omani, n’a reçu que 10 points sur 16, même s’il est indiqué dans le Règlement et dans les déclarations de CIC que l’examen d’anglais prescrit n’est pas le seul moyen permettant de se voir reconnaître la maîtrise de la langue, et même si le demandeur a soulevé la question de la nécessité de passer l’examen écrit, alors qu’en réalité, il a obtenu un diplôme d’une université de langue anglaise, a travaillé en anglais pour diverses sociétés et était inscrit en troisième année d’un programme de maîtrise en administration des affaires (MBA), offert en anglais, qu’il n’a pas encore achevé en raison d’exigences professionnelles, et que l’agent était en possession de la confirmation de tous les éléments mentionnés ci-dessus et a refusé d’exercer sa compétence d’évaluer la maîtrise de l’anglais du demandeur, compte tenu des circonstances, dans le contexte de sa « capacité à réussir son établissement économique au Canada ».

(au sous-alinéa 20b)(ii) de la demande)

[4] La décision a été contestée en Cour fédérale. En août 2010, elle a été annulée par la Cour fédérale et l’affaire a été renvoyée pour nouvel examen par un autre agent des visas.

[5] Dans le cadre du nouvel examen, le demandeur principal a présenté d’autres documents à la demande de la défenderesse et a été convoqué à une entrevue en janvier 2014. Il est allégué que l’entrevue a duré une quinzaine de minutes. L’agent a prié le demandeur principal d’expliquer une modification apportée à sa description de poste. Vers la fin de l’entrevue, l’agent aurait soudainement demandé au demandeur principal s’il [traduction] « appartenait, ou était associé d’une façon quelconque à “un groupe ou une organisation comme Al‑Qaïda en Iraq” ». Le demandeur principal a répondu catégoriquement, selon la déclaration, qu’il n’appartenait à aucun groupe comme Al‑Qaïda, ni à Al‑Qaïda lui-même, et n’y était pas associé (déclaration, alinéa 26b)). Lorsque le demandeur principal a demandé plus de précisions sur la question, l’agent a refusé de préciser en raison de préoccupations liées au [traduction] « secret ».

[6] En mars 2014, le nouvel examen de la demande de résidence permanente des demandeurs s’est soldé par une deuxième décision défavorable. Le refus se fondait sur l’explication suivante : [traduction] « il y a des motifs raisonnables de croire que [le demandeur principal appartient] à la catégorie de personnes interdites de territoire qui est visée à l’alinéa 34(1 f) » de la LIPR.

[7] En septembre 2014, la Cour fédérale a ordonné encore une fois que la deuxième décision défavorable soit annulée et que l’affaire soit renvoyée pour nouvel examen. D’après le dossier dans son état actuel, les demandeurs n’avaient pas eu de nouvelles de la Couronne au sujet de ce deuxième nouvel examen. Les demandeurs ont intenté une poursuite.

II. Thèses des parties

[8] Essentiellement, les demandeurs soutiennent que le système d’immigration canadien les a maltraités à un point tel que cela justifie une compensation. Ils allèguent que la défenderesse est responsable de fautes dans l’exercice d’une charge publique, d’abus de pouvoir, d’abus de procédure, de négligence et d’enquête négligente, de complot et de violations de leurs droits fondés sur les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11 (la Charte).

[9] Les demandeurs sollicitent ce qui suit :

  1. des dommages-intérêts généraux de 200 000 $ par demandeur;

  2. des dommages-intérêts majorés de 50 000 $ par demandeur;

  3. des dommages-intérêts punitifs de 50 000 $ par demandeur;

  4. des dommages-intérêts pour les pertes financières invoquées, qui seront calculés au moment du procès;

  5. un jugement déclaratoire ou une conclusion portant que l’article 49 de la Loi sur les Cours fédérales, qui exclut les procès devant jury en Cour fédérale, est inconstitutionnel et, par conséquent, inopérant;

  6. un jugement déclaratoire ou une conclusion portant que l’exigence prévoyant de demander l’autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision administrative rendue au titre de la LIPR, en application de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales et conformément au paragraphe 72(1) de la LIPR, enfreint le droit garanti par la constitution au contrôle judiciaire et à un système judiciaire équitable et indépendant et est, par conséquent, inopérante;

  7. l’adjudication des dépens sur la base procureur-client liés à la présente instance et toute autre mesure de redressement que la Cour estimera équitable.

[10] La défenderesse prétend, dans sa requête en radiation, que la déclaration ne démontre aucune des causes d’action alléguées et ne fait pas valoir suffisamment les dommages subis. La défenderesse demande, en outre, la radiation des deux ministres désignés (Affaires étrangères et Citoyenneté et Immigration) de l’instance, en faveur de Sa Majesté la Reine, ainsi que la radiation des prétentions constitutionnelles des demandeurs concernant la Loi sur les Cours fédérales et la LIPR.

III. Droit applicable à une requête en radiation

[11] La Cour est saisie de la requête en radiation introduite au nom de la défenderesse. Le paragraphe 221(1) des Règles permet à la Cour de radier une demande pour certains motifs :

221(1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221(1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

b) qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant;

(b) is immaterial or redundant,

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

d) qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder;

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

e) qu’il diverge d’un acte de procédure antérieur;

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

La défenderesse se fonde principalement sur l’alinéa 221(1)a), qui autorise la radiation d’une allégation si elle « ne révèle aucune cause d’action valable ». L’alinéa 221(1)c) entre aussi en jeu.

[12] Le critère applicable à la radiation d’une allégation aux termes de l’article 221 des Règles place très haut la barre. En premier lieu, on présume que les faits énoncés dans la déclaration peuvent être prouvés. La Cour doit conclure qu’il est évident et manifeste, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, que l’acte de procédure ne révèle aucune cause d’action raisonnable : R. c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 RCS 45, au paragraphe 17; Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959 [Hunt], à la page 980. Il incombe à la défenderesse de remplir ce critère : Sivak c Canada, 2012 CF 272, 406 FTR 115 [Sivak], au paragraphe 25.

[13] Dans l’arrêt Hunt, la Cour suprême a penché en faveur de la formulation de la règle en Angleterre, au motif que « si le demandeur a une chance de réussir, il ne devrait pas alors être [TRADUCTION] “privé d’un jugement” » (page 980), ce qui, à vrai dire, place haut la barre pour avoir gain de cause dans une requête en radiation. La chance suffira ou, comme l’a affirmé le juge Estey dans l’arrêt Procureur général du Canada c Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 RCS 735 : « Sur une requête comme celle-ci, un tribunal doit rejeter l’action ou radier une déclaration du demandeur seulement dans les cas évidents et lorsqu’il est convaincu qu’il s’agit d’un cas “au-delà de tout doute” » (page 740).

[14] Pour démontrer qu’il a une cause d’action raisonnable, le demandeur doit soulever dans sa déclaration les faits substantiels qui satisfont à tous les éléments constitutifs des causes d’action alléguées : Mancuso c Canada (Santé nationale et Bien-être social), 2015 CAF 227, 476 NR 219 [Mancuso], au paragraphe 19; Benaissa c Canada (Procureur général), 2005 CF 1220 [Benaissa], au paragraphe 15. Le demandeur doit expliquer au défendeur « par qui, quand, où, comment et de quelle façon » sa responsabilité a été engagée (Mancuso, au paragraphe 19; Baird c Canada, 2006 CF 205, aux paragraphes 9 à 11, conf. par 2007 CAF 48).

[15] Par conséquent, il semble y avoir un équilibre. D'une part, la chance de réussir suffit pour que l’affaire soit instruite. D'autre part, les faits substantiels doivent être démontrés avec suffisamment de précision pour qu’il y ait une cause d’action. Les actes de procédure ont pour but d’aviser la partie adverse et de définir les questions en litige de manière à lui permettre de comprendre comment les faits étayent les diverses causes d’action. Comme la Cour d’appel l’a formulé dans l’arrêt Mancuso : « [l]’instruction d’un procès requiert du demandeur qu’il allègue des faits matériels suffisamment précis à l’appui de la déclaration et de la mesure sollicitée » (au paragraphe 16). Les demandeurs soulignent qu’il peut être donné suite aux actes de procédure même s’ils sont « loin d’être des modèles de clarté juridique » (Manuge c Canada, 2010 CSC 67, [2010] 3 RCS 672, au paragraphe 23). Mais il demeure que les demandeurs doivent faire valoir des faits substantiels suffisants. Les parties ne peuvent pas faire des allégations générales dans leur déclaration, dans l’espoir d’entamer ensuite des « recherches à l’aveuglette » pour découvrir les faits : Kastner c Painblanc (1994), 176 NR 68, 51 ACWS (3d) 428 (CAF), à la page 2.

[16] Les paragraphes 174 et 181 des Règles définissent aussi les exigences minimales applicables à une déclaration. Conformément au paragraphe 174, tout acte de procédure doit contenir les faits substantiels sur lesquels la partie se fonde.

174 Tout acte de procédure contient un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde; il ne comprend pas les moyens de preuve à l’appui de ces faits.

174 Every pleading shall contain a concise statement of the material facts on which the party relies, but shall not include evidence by which those facts are to be proved.

Selon le paragraphe 181, un acte de procédure doit contenir des précisions sur l’état mental allégué d’une personne ou sur une intention malicieuse ou frauduleuse.

181(1) L’acte de procédure contient des précisions sur chaque allégation, notamment :

181(1) A pleading shall contain particulars of every allegation contained therein, including

a) des précisions sur les fausses déclarations, fraudes, abus de confiance, manquements délibérés ou influences indues reprochés;

(a) particulars of any alleged misrepresentation, fraud, breach of trust, wilful default or undue influence; and

b) des précisions sur toute allégation portant sur l’état mental d’une personne, tel un déséquilibre mental, une incapacité mentale ou une intention malicieuse ou frauduleuse.

(b) particulars of any alleged state of mind of a person, including any alleged mental disorder or disability, malice or fraudulent intention.

[17] Mais en quoi consistent les « faits substantiels »? Il ne peut s’agir de conclusions ni de simples : Merchant Law Group c Canada Agence du revenu, 2010 CAF 184, au paragraphe 34, 321 DLR (4th) 301 [arrêt Merchant]; arrêt Mancuso, aux paragraphes 17 et 18. Pour plaider que la mauvaise foi constitue un fait substantiel, il ne suffit pas d’utiliser des formulations telles que « délibérément ou négligemment », ou encore « l’indifférence la plus complète » : Zündel c Canada, 2005 CF 1612, au paragraphe 16, conf. par 2006 CAF 356. Il doit y avoir un minimum de narration. La déclaration doit contenir suffisamment de faits pour que la défenderesse comprenne, par exemple, sur quoi se fonde l’allégation de mauvaise foi.

[18] La jurisprudence donne à penser qu’un acte de procédure peut se ranger dans l’une de trois catégories en fonction des degrés suivants : il ne démontre aucun semblant de cause d’action, auquel cas la requête en radiation serait accueillie; il démontre un semblant de cause d’action, auquel cas des modifications peuvent être autorisées, ou il démontre une cause d’action raisonnable. Dans l’arrêt Mancuso, la Cour d’appel fédérale a expliqué dans le même ordre d’idées que les faits substantiels et les simples allégations sont des points d’une même ligne continue :

[18] Il n’existe pas de démarcation très nette entre les faits matériels et les simples allégations ni entre l’exposé de faits matériels et l’interdiction de plaider certains éléments de preuve. Ce ne sont que deux points d’une [sic] même ligne continue, et il appartient au juge de première instance, lequel dispose d’une vue d’ensemble des actes de procédure, de voir à ce que les actes de procédure cernent les questions en litige avec une précision suffisante pour assurer la saine gestion et l’équité de l’instruction et des phases préparatoires à l’instruction;

IV. Questions en litige

[19] Les requêtes en radiation peuvent comprendre de brèves questions et de longues réponses. Conformément au droit susmentionné, nous devons nous pencher sur les deux principales questions en litige suivantes en l’espèce :

1. Est-il clair et évident que la déclaration ne révèle aucune cause d’action raisonnable à l’égard d’une partie ou de l’ensemble des allégations?

2. Certaines des allégations qui pourraient être radiées contiennent-elles néanmoins un semblant de cause d’action qui permettrait d’autoriser les demandeurs à les modifier?

V. Analyse de chacune des causes d’action alléguées

[20] La Cour doit prendre la déclaration telle qu’elle est. Elle doit la lire de façon aussi généreuse que possible, en évitant d’accorder du poids à des éléments qui peuvent s’avérer être des lacunes de rédaction. Cependant, il ne s’agirait pas de lacunes de rédaction si des éléments constituaient des spéculations visant à relever des faits à l’appui des allégations lors de l’interrogatoire préalable. En réalité, le juge saisi des requêtes recherche les faits, tenus pour avérés à cette étape, qui satisferont à tous les éléments applicables à la cause d’action.

A. Faits substantiels

[21] Nous trouvons une orientation dans la décision exécutoire que la Cour d’appel fédérale a rendue dans l’arrêt Mancuso concernant les exigences applicables pour qu’une déclaration résiste à une requête en radiation au titre du paragraphe 221 des Règles.

[22] Le thème principal de l’arrêt Mancuso est l’exigence voulant que des faits substantiels suffisants soient soulevés; ces faits doivent être suffisants pour appuyer la demande et la mesure de redressement sollicitée. Cela veut dire, par conséquent, qu’il faut présenter des faits permettant d’établir la cause d’action, ce qui donnera lieu à un redressement approprié. La Cour d’appel fédérale était d’accord avec le juge dans l’arrêt Mancuso, les « actes de procédure jouent un rôle important pour aviser les intéressés et définir les questions à trancher, et la Cour et les parties adverses n’ont pas à émettre des hypothèses sur la façon dont les faits pourraient être organisés différemment pour appuyer diverses causes d’action » (au paragraphe 16). S’il veut avoir gain de cause dans une requête en radiation, le demandeur ne doit pas se contenter d’énoncer des faits, de présenter une sorte d’exposé tenu pour avéré, puis de présenter une série de causes d’action alléguées.

[23] Un demandeur souhaitera optimiser sa souplesse dans une déclaration. Le demandeur doit « énoncer, avec concision, mais suffisamment de précision, les éléments constitutifs de chacun des moyens de droit ou de fait soulevé ». L’acte de procédure doit indiquer au défendeur par qui, quand, où, comment et de quelle façon sa responsabilité a été engagée (Mancuso, au paragraphe 19). Comme c’est souvent le cas, le principe sous-jacent à la règle aide à comprendre la portée de l’exigence. Ainsi, nous lisons ce qui suit au paragraphe 17 de l’arrêt Mancuso :

[17] La dernière partie de cette exigence, soit l’exposé de faits matériels suffisamment précis, constitue le fondement des actes de procédure correctement rédigés. Si un juge autorisait les parties à avancer de simples affirmations de fait, ou de simples conclusions de droit, les actes de procédure ne rempliraient pas le rôle qui leur revient, soit celui de cerner les questions en litige. Il est essentiel que le défendeur ait en main des actes de procédure correctement rédigés de façon à préparer son système de défense. Les faits matériels servent à encadrer les interrogatoires préalables et permettent aux avocats de conseiller leur client, à préparer leurs moyens et à établir une stratégie en vue du procès. Qui plus est, les actes de procédure permettent de définir les paramètres d’appréciation de la pertinence d’éléments de preuve lors des interrogatoires préalables et de l’instruction du procès.

[24] Par conséquent, il faut présenter des actes de procédure suffisants dès le début; des faits substantiels suffisants sont exigés expressément. Comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale au paragraphe 20 de l’arrêt Mancuso : « [l]e demandeur ne peut déposer des actes de procédures qui ne sont pas suffisants et ensuite compter sur le défendeur pour présenter une demande de précisions, pas plus qu’il ne peut les compléter au moyen de précisions visant à les rendre suffisants : AstraZeneca Canada Inc. c Novopharm Limited, 2010 CAF 112 ».

[25] Cela se traduit par l’exigence voulant qu’une réclamation en responsabilité délictuelle soit précisée et que les faits substantiels soient énoncés, de façon à réunir les éléments de la réclamation en responsabilité délictuelle. À mon avis, cela fait largement défaut dans la présente déclaration, ce qui a eu pour effet de compliquer quelque peu l’examen de la requête en radiation.

B. La structure de la déclaration

[26] La déclaration est difficile à saisir et est plutôt compliquée. Elle débute par de simples allégations de diverses violations, qu’il s’agisse d’abus de procédure, d’abus de pouvoir, d’action fautive de nature publique, de négligence, d’enquête négligente, d’outrage à deux jugements de la Cour fédérale et de violation des articles 15 et 7 de la Charte. Pour faire bonne mesure, il y a aussi une allégation selon laquelle les articles 49 de la Loi sur les Cours fédérales (exclusion des procès devant jury) et 72 de la LIPR (exigence voulant qu’une autorisation soit accordée aux fins d’un contrôle judiciaire) sont inconstitutionnels et, par conséquent, inopérants.

[27] La déclaration se poursuit par une série de paragraphes où sont allégués des faits, ce qui constitue en réalité un exposé. Viennent ensuite divers paragraphes où sont présentés différents chefs de dommages, dont il est allégué qu’ils découlent des faits tels qu’ils sont présentés. Selon les mots introductifs du paragraphe 30, des dommages ont été subis par suite [traduction] « du retard inexcusable de la part des agents, de leurs allégations fausses et non fondées et de leur manquement à l’obligation de traiter la demande du demandeur principal ».

[28] Les paragraphes 32 à 35 de la déclaration des demandeurs énumèrent des causes d’action. Il est donc affirmé au paragraphe 32 qu’il y a eu :

  • [traduction] abus de pouvoir;

  • abus de procédure en common law et aux termes de l’article 7 de la Charte;

  • action fautive de nature publique.

Le paragraphe se termine par une simple déclaration, sans lien avec les faits, selon laquelle une [traduction] « conduite délictuelle a causé les dommages ». Les faits précis qui constituent la conduite délictuelle alléguée ne sont indiqués nulle part dans l’acte de procédure.

[29] Le paragraphe 34 de la déclaration cherche à être un peu plus précis, en laissant entendre que le retard entre les diverses instances constitue en soi un abus de pouvoir, ainsi qu’une action fautive de nature publique, la mauvaise foi étant alléguée au paragraphe 35.

[30] Les demandeurs ont décidé de plaider subsidiairement que les agents avaient été négligents et avaient mené une enquête négligente. En ce qui a trait à ces causes d’action, la déclaration ne fait pas mention des faits invoqués à l’appui des éléments essentiels. Il est plutôt simplement indiqué que les demandeurs bénéficient d’une obligation de diligence [traduction] « afin que leur demande soit traitée adéquatement, de façon compétente et avec la rapidité requise […] et qu’on enquête sur les allégations d’interdiction de territoire avec compétence et diligence » (au paragraphe 36).

[31] Subsidiairement encore, les demandeurs allèguent un complot visant à leur refuser la résidence permanente. Cette fois, les allégations ne sont guère plus précises, dans la mesure où les demandeurs allèguent [traduction] « un refus fallacieux, signifié de mauvaise foi », un retard et l’absence de fondement à l’égard de l’association avec Al‑Qaïda (au paragraphe 37). Je souligne, là encore, que les faits substantiels qui apporteraient des précisions au sujet du complot allégué ne sont pas énoncés. En réalité, il y a une allégation générale de complot, mais la mauvaise foi, le retard et l’absence de fondement ne constituent pas un complot, c’est-à-dire un cas où il existe une preuve d’entente et de mise à exécution. La défenderesse ignore par qui, quand, où, comment et de quelle façon sa responsabilité a été engagée.

C. Modification des actes de procédure

[32] Il ne suffit pas à la Cour de conclure qu’un acte de procédure est lacunaire. Selon le paragraphe 221 des Règles, la Cour doit se demander si un acte de procédure doit être radié avec ou sans autorisation de le modifier. La jurisprudence fait ressortir les diverses considérations qui entrent en jeu lorsqu’il s’agit de rendre une pareille décision.

[33] Les demandeurs ont soulevé la possibilité, dans le cas où la déclaration serait radiée en partie ou en totalité, que l’autorisation de modifier les actes de procédure soit accordée. Tant qu’un acte de procédure fait état d’un semblant de cause d’action, il ne sera pas radié s’il peut être corrigé par une modification : Hunt aux pages 976 à 978; Simon c Canada, 2011 CAF 6, au paragraphe 8 [Simon]; Collins c Canada, 2011 CAF 140, au paragraphe 30 [Collins]; décision Sivak, au paragraphe 94; Sweet c Canada (1999), 249 NR 17, au paragraphe 21 (CAF) [Sweet]; Larden c Canada, (1998) 145 FTR 140, au paragraphe 26; Kiely c Sa Majesté la Reine, (1987) 10 FTR 10 (CF 1re inst.), à la page 2; Waterside Ocean Navigation Co., Inc. c International Navigation Ltd., [1977] 2 CF 257, au paragraphe 4.

[34] La jurisprudence enseigne qu’un acte de procédure ne sera pas radié sans autorisation de le modifier, sauf dans les cas où il n’existe pas la moindre trace d’une cause d’action (McMillan c Canada, (1996) 108 FTR 32 [McMillan] et Sivak). Mais cette trace doit être présente. Comme l’a exprimé le juge en chef adjoint dans la décision McMillan : [traduction] « le fardeau qui incombe au demandeur aux termes de l’alinéa 419(1)a) des Règles est lourd, puisqu’on ne peut radier des parties d’un acte de procédure que s’il est clair que la déclaration ne peut être modifiée afin de démontrer une cause d’action suffisante » (au paragraphe 39).

[35] Cependant, il n’appartient pas à la Cour de refaire les actes de procédure. Dans l’arrêt Sweet, la Cour d’appel a mentionné ce qui suit : « [c]haque acte de procédure doit être évalué individuellement, compte tenu, notamment, de la situation dans laquelle se trouve la partie, des questions et des arguments soulevés, de la manière et du ton avec lesquels ils ont été soulevés, du nombre et de la proportion des allégations viciées et de la facilité avec laquelle les modifications nécessaires peuvent être apportées » (non souligné dans l’original, au paragraphe 21).

[36] En réalité, si un semblant de cause d’action a été plaidé, notre Cour peut être plus réticente à radier des allégations sans autorisation de les modifier, au cas où il s’agirait de la première version de l’acte de procédure, comme en l’espèce. Dans les arrêts Simon et Collins, la Cour d’appel a averti que l’inobservation des règles une fois que la modification des actes de procédure a été autorisée risque d’entraîner la radiation des actes de procédure (Simon, au paragraphe 17, et Collins, au paragraphe 31).

D. Causes d’action alléguées

[37] Dès le début de l’audience, les parties ont convenu que la liste des allégations établie par la défenderesse constituait une manière satisfaisante d’organiser la discussion. J’examinerai chacune des allégations dans cet ordre et me pencherai sur les deux questions en litige que j’ai précisées ci-dessus.

Première allégation : faute dans l’exercice d’une charge publique

[38] Dans la déclaration, les demandeurs allèguent un délit de faute dans l’exercice d’une charge publique. En raison du fait que cela constitue la cause d’action sur laquelle les demandeurs ont pris la décision de se fonder le plus fermement, j’ai tenté de réunir les divers paragraphes de la déclaration qui renvoient à la faute :

[traduction]

1. Les demandeurs prétendent que […] tous ces préjudices découlent de ce qui suit : […]

(ii) les actes et omissions des fonctionnaires et agents de la défenderesse, qui n’ont pas délivré les visas de résident permanent et ne se sont pas conformés aux ordonnances de la Cour fédérale, constituent un abus de procédure, un abus de pouvoir et de compétence, une action fautive de nature publique, ainsi que de la négligence et une enquête négligente, tous ces préjudices étant indemnisables aux termes de la common law, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (« LIPR ») et du paragraphe 24(1) de la Charte.

[...]

32. Les demandeurs affirment, et le fait est que :

a) les agents de la défenderesse ont, sciemment et délibérément, abusé de la procédure, commis un abus de pouvoir, outrepassé leur compétence et commis une action fautive de nature publique, en refusant de se conformer en toute légalité aux ordonnances de la Cour fédérale et aux conditions prévues par la LIPR et le Règlement, de délivrer des visas de résident permanent et de présenter des réponses convaincantes ou modérées aux demandeurs et à leur avocat, sauf de façon évasive et que les fonctionnaires et agents de la défenderesse ont : […]

(iii) commis une action fautive de nature publique qui a été établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Succession Odhavji c Woodhouse [2003] 3 RCS 263, dans la mesure où :

A/ les agents se sont livrés délibérément à une conduite illégitime dans l’exercice de leur charge publique;

B/ les agents savent que cette conduite est illégitime et susceptible de porter préjudice aux demandeurs;

C/ la conduite délictuelle des agents est la cause légale des dommages subis par les demandeurs qui sont plaidés aux présentes;

[...]

33. Les demandeurs affirment que les agents de la défenderesse ont l’obligation en common law et l’obligation d’origine législative fondée sur l’alinéa 3(1)f) de la LIPR, comme l’a interprété et confirmé la Cour dans les décisions Dragan c Canada QL [2003] ACF no 260 et Liang c Canada (M.C.I.) 2012 CF 758, de traiter les demandes uniformément et promptement […] et de rendre ces décisions conformément à la Charte, comme le prescrit l’alinéa 3(3)d) de la LIPR, qui prévoit ce qui suit :

3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

[…]

f) d’atteindre, par la prise de normes uniformes et l’application d’un traitement efficace, les objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral après consultation des provinces […]

34. Les demandeurs affirment que le retard inexcusable, démesuré et condamnable de la défenderesse, à la fois entre le premier contrôle judiciaire et la deuxième décision défavorable, et depuis le deuxième contrôle judiciaire à ce jour, constitue un abus de pouvoir et une action fautive de nature publique, dans la mesure où il a été établi dans la décision McMaster c Canada, [2009] ACF no 1071 qu’a rendue la Cour, entre autres, qu’un retard inexcusable constitue une action fautive de nature publique.

35. Les demandeurs affirment en outre que la conduite des agents, de même que la nature et le fond des deux décisions de leur refuser le statut de résident permanent, a été adoptée de mauvaise foi et en l’absence de bonne foi, et qu’en outre, elle constitue une action fautive de nature publique, comme il est établi ci-dessus dans la déclaration.

[39] Comme je l’ai indiqué ci-dessus, les demandeurs doivent plaider avec suffisamment de précisions les éléments constitutifs de chaque cause d’action. Cependant, cela n’est pas suffisant. Les demandeurs doivent aussi soulever les faits substantiels avec suffisamment de précisions. Comme je l’ai déjà indiqué, le juge de première instance dans l’arrêt Mancuso a mentionné que « les parties adverses n’ont pas à émettre des hypothèses sur la façon dont les faits pourraient être organisés différemment pour appuyer diverses causes d’action » (au paragraphe 16), ce que la Cour d’appel a expressément approuvé. Je crains que le présent énoncé des faits ne souffre précisément de cette insuffisance. Les éléments d’un délit de faute dans l’exercice d’une charge publique sont définis dans l’arrêt Succession Odhavji c Woodhouse, 2003 CSC 69, [2003] 3 RCS 263, aux paragraphes 22 et 23 [Woodhouse]. Le délit peut prendre deux formes différentes, mais chacune d’elles doit comprendre les éléments qui sont communs aux deux, à savoir les suivants : « [p]remièrement, le fonctionnaire public doit avoir agi en cette qualité de manière illégitime et délibérée. Deuxièmement, le fonctionnaire public doit avoir été conscient du caractère non seulement illégitime de sa conduite, mais aussi de la probabilité de préjudice à l’égard du demandeur » (au paragraphe 23). Le délit peut être abordé de deux façons. Les deux éléments peuvent être établis de façon indépendante, ce qui exige de démontrer la conduite illégitime et la conscience que cette conduite sera vraisemblablement préjudiciable. Ou bien, les deux éléments peuvent être satisfaits en prouvant que le fonctionnaire a expressément l’intention de causer un préjudice à une personne parce que les agents en question ne sont pas habilités à exercer leurs pouvoirs dans un but inapproprié (Woodhouse, au paragraphe 23).

[40] Le premier élément a essentiellement pour objectif d’établir si l’inconduite alléguée est délibérée et illégitime. Cela peut découler d’un acte ou d’une omission [TRADUCTION] « lorsqu’il y a contravention pure et simple aux dispositions législatives pertinentes, ou lorsque l’acte outrepasse les pouvoirs conférés ou sert une fin irrégulière » : Three Rivers District Council v Bank of England (No. 3), [2000] 2 WLR 1220, à la page 1269, cité dans l’arrêt Woodhouse, au paragraphe 24.

[41] Le deuxième élément sert à établir le lien entre le fonctionnaire visé et le demandeur, en exigeant que les défendeurs sachent que leur conduite était illégitime et vraisemblablement préjudiciable. On peut lire ce qui suit au paragraphe 29 de l’arrêt Woodhouse :

L’exigence portant que le défendeur doit avoir su que sa conduite illégitime causerait un préjudice au demandeur restreint davantage la portée du délit. L’insouciance flagrante à l’égard d’une fonction officielle n’emporte pas responsabilité; seul le fonctionnaire public qui, en plus, fait sciemment preuve d’insouciance devant les intérêts de ceux qui seront touchés par l’inconduite en question verra sa responsabilité retenue. Cette exigence établit le lien requis entre les parties. Toute conduite illégitime s’inscrivant dans l’exercice des fonctions publiques constitue un méfait public, mais en l’absence d’une quelconque connaissance du préjudice, rien ne permet de conclure que le défendeur a manqué à une obligation à laquelle il est tenu envers le demandeur individuellement. Et sans manquement par le défendeur à une obligation qui lui incombe à l’endroit du demandeur, il ne peut y avoir de responsabilité délictuelle.

La Cour a en outre indiqué qu’en fonction de cet élément, le défendeur doit à tout le moins avoir fait preuve « de témérité subjective ou d’aveuglement volontaire quant à la possibilité qu’un préjudice découle vraisemblablement de l’inconduite alléguée » (Woodhouse, au paragraphe 38).

[42] L’exigence voulant que la défenderesse ait su que la conduite était illégitime est essentielle au délit de faute dans l’exercice d’une charge publique. La décision d’un fonctionnaire peut être contraire aux intérêts de certaines personnes et être néanmoins licite :

[…] L’exigence selon laquelle le défendeur doit avoir eu connaissance du caractère illégitime de sa conduite reflète le principe bien établi voulant que la faute dans l’exercice d’une charge publique nécessite un élément de « mauvaise foi » ou de « malhonnêteté ». En démocratie, les fonctionnaires publics doivent conserver le pouvoir de prendre des décisions qui, le cas échéant, vont à l’encontre des intérêts de certains citoyens. La connaissance du préjudice ne permet donc pas de conclure que le défendeur a agi de mauvaise foi ou de façon malhonnête. Un fonctionnaire public peut de bonne foi rendre une décision qu’il sait être préjudiciable aux intérêts de certains membres du public. Pour qu’une conduite soit visée par le délit, le fonctionnaire doit agir délibérément d’une manière qu’il sait incompatible avec les obligations propres à ses fonctions.

(Woodhouse, au paragraphe 28)

[43] Compte tenu de cette compréhension du délit, j’évaluerai si la déclaration fait valoir suffisamment ces deux éléments dans chacun des actes de procédure des demandeurs concernant la faute d’exécution. Dans la déclaration, la faute d’exécution alléguée semble se fonder sur quatre motifs : i) le refus de se conformer aux ordonnances de la Cour fédérale; ii) le refus de délivrer des visas de résident permanent; iii) le refus de présenter des réponses [traduction] « convaincantes ou modérées » aux questions posées par les demandeurs; iv) le traitement tardif des demandes de résidence permanente des demandeurs. En ce qui a trait aux trois premiers motifs, les demandeurs allèguent que les mesures ont été prises [traduction] « sciemment et intentionnellement », mais aucune allégation similaire n’est formulée à l’égard du traitement tardif présumé.

1) Première allégation relative à la faute d’exécution : l’outrage

[44] Dans la première allégation, celle d’outrage, je ne vois aucune possibilité qu’il se soit agi d’une conduite illégitime délibérée. Il est affirmé dans la déclaration que selon les deux ordonnances du tribunal, la décision relative aux visas a été renvoyée pour nouvel examen. Rien n’indique comment le nouvel examen devait être effectué. La Cour n’a donné aucune directive. Le premier nouvel examen s’est soldé par une deuxième décision défavorable, et le deuxième nouvel examen est en suspens. Les actes de procédure ne contiennent aucun renseignement sur les faits, à plus forte raison les faits substantiels, visant à démontrer que les ordonnances n’ont pas été suivies. En réalité, c’est exactement le contraire qui s’est produit. Il n’y a eu aucun refus de se conformer aux ordonnances des tribunaux.

[45] Par conséquent, il m’est impossible de voir un semblant de cause d’action dans l’allégation des demandeurs selon laquelle la défenderesse ne s’est pas conformée aux ordonnances en agissant de mauvaise foi. Je radie l’allégation de faute d’exécution concernant le [traduction] « refus de se conformer aux ordonnances de la Cour fédérale » sans autorisation de la modifier.

2) Deuxième allégation de faute d’exécution : le refus de délivrer des visas de résident permanent

[46] La deuxième allégation ne vise pas, à première vue, une mesure illicite. Le refus de délivrer des visas de résident permanent découle régulièrement de la mise en œuvre de la LIPR. En l’espèce, il ne ressort pas clairement du dossier en quoi le refus de délivrer des visas constitue une faute d’exécution.

[47] Il est affirmé dans la déclaration que le premier agent des visas a attribué un nombre de points erroné au demandeur principal en vertu du RIPR, malgré les éléments de preuve à l’effet contraire, et que les visas ont été refusés [traduction] « sciemment et intentionnellement ». Les dispositions pertinentes prévoient l’attribution d’un nombre précis de points selon le critère de l’adaptabilité, ce qui laisse peu de marge de manœuvre à l’agent des visas pour attribuer des points si le demandeur a un proche au Canada ou si son épouse a un diplôme.

[48] Il est aussi affirmé que le deuxième agent des visas avait conclu à l’interdiction de territoire au Canada du demandeur principal sur le fondement de renseignements erronés. Les dispositions pertinentes de la LIPR concernant l’interdiction de territoire prévoient qu’emporte interdiction de territoire le fait d’« être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé [aux alinéas susmentionnés] » (alinéa 34(1)f) de la LIPR). Pour décider si une organisation se livre aux actes énumérés, l’agent doit avoir des « motifs raisonnables » de le croire, ce qui lui laisse une mesure d’appréciation. Cela ne nécessite pas un niveau de certitude au-delà d’un motif raisonnable. Le critère ne prévoit pas que l’agent soit convaincu selon la prépondérance des probabilités, soit la norme juridique dans les affaires civiles (Canada (Procureur général) c Hôtels Fairmont Inc., 2016 CSC 56, [2016] 2 RCS 720). Les motifs raisonnables de croire suffisent. Les demandeurs, d’un autre côté, affirment que la conclusion relative à l’interdiction de territoire est sans fondement.

[49] L’expression [traduction] « sciemment et intentionnellement » est une conclusion vague; cependant, les faits substantiels allégués au début de la déclaration sont suffisants pour juger que l’allégation selon laquelle les deux actions étaient délibérées est fondée. Il me semble qu’un semblant de cause d’action soit plaidé, quoique de manière imparfaite. Mais il faut plus de précision. Les faits substantiels doivent être bien établis et se rattacher aux éléments du délit allégué, y compris l’état mental requis (Mancuso, au paragraphe26).

[50] Le deuxième élément du délit est la connaissance que le refus de délivrer les visas était illégitime et susceptible de causer un préjudice aux demandeurs. Il est affirmé dans la déclaration que l’agent des visas a refusé la délivrance licite des visas [traduction] « sciemment et intentionnellement » et [traduction] « de mauvaise foi ». Si les agents ont attribué un nombre erroné de points et estimé que le demandeur principal était interdit de territoire au vu des éléments de preuve clairement contradictoires, cela suffit pour plaider que les agents savaient que leur conduite était illicite. Dans l’arrêt Woodhouse, le tribunal a statué qu’un acte de procédure ainsi formulé suffisait pour établir une cause d’action raisonnable à l’égard d’une faute d’exécution :

En ce qui a trait à la seconde exigence, la déclaration contient une allégation portant que les actes et les omissions des agents défendeurs [traduction] « constituent des manquements intentionnels aux obligations légales qui leur incombent en tant qu’agents de police ». Cela satisfait pleinement à l’exigence voulant que les agents connaissent le caractère illégitime du défaut allégué de collaborer à l’enquête. L’allégation ne se résume pas simplement à l’omission des agents de se conformer au par. 113(9) de la Loi sur les services policiers, mais fait également état du caractère intentionnel et délibéré de cette omission.

(Woodhouse, au paragraphe 36)

[51] L’unique renvoi à la connaissance que la conduite illicite serait vraisemblablement préjudiciable aux demandeurs se trouve au paragraphe 35, où il est affirmé que [traduction] « la conduite des agents, de même que la nature et le fond des deux décisions de leur refuser le statut de résident permanent, a été adoptée de mauvaise foi », et où il est allégué de façon générale que la faute d’exécution alléguée a été commise [traduction] « sciemment ». Les conclusions vagues telles que l’expression « de mauvaise foi » ne satisfont pas aux critères des faits substantiels (Merchant, au paragraphe 34). De plus, selon le paragraphe 181 des Règles, les demandeurs doivent préciser les faits substantiels qu’ils allèguent à l’appui de l’élément mental applicable au délit. En l’espèce, les demandeurs semblent souligner plusieurs faits circonstanciels pour faire valoir que la défenderesse a intentionnellement mal traité leurs demandes de résidence permanente sur une période de dix ans afin de les empêcher d’entrer au Canada.

[52] Si une personne présente une demande de visa de résident permanent, elle s’attend à ce que cette demande soit traitée adéquatement, parce qu’elle souhaite vivre au Canada. Il n’est pas exagéré de conclure que le refus inapproprié d’un pareil visa serait vraisemblablement préjudiciable aux demandeurs qui souhaitent immigrer au Canada. Bien entendu, la déclaration devrait soulever expressément les faits substantiels nécessaires pour faire ressortir ce deuxième élément du délit. Cela n’a pas été fait. Selon l’arrêt Mancuso, il faut préciser par qui, quand, où, comment et de quelle façon. La question doit être définie avec plus de précision afin d’assurer la maniabilité et l’équité de l’instance. Les actes de procédure modifiés devront faire état des faits substantiels, afin que la défenderesse sache ce qu’elle doit réfuter. À ce stade-ci, il faut en partie spéculer sur les faits qui constituent la cause d’action. Une plus grande et meilleure précision s’impose.

[53] Dans une requête en radiation, mon rôle ne consiste pas à décider si les demandeurs ont une chance de réussir compte tenu de l’argumentation (Minnes c Minnes (1962), 39 WWR 112). Parce que je vois, de justesse, un semblant de cause d’action, j’accorde aussi l’autorisation de modifier cette déclaration qui vise plus particulièrement le deuxième élément du délit (c’est-à-dire les faits substantiels qui étayent l’allégation selon laquelle les fonctionnaires [traduction] « savaient » que leur acte ou leur omission serait vraisemblablement préjudiciable au demandeur).

3) Troisième allégation de faute d’exécution : le refus de répondre

[54] Le fait que la défenderesse ait refusé de répondre aux questions des demandeurs ne prouve pas qu’il y a eu conduite illicite. Cela ne démontre pas une cause d’action, à plus forte raison une cause d’action raisonnable. Contrairement à ce qu’ils ont fait à l’égard de la décision relative au calcul des points et à l’interdiction de territoire, les demandeurs n’ont pas soulevé une obligation légale que les agents des visas auraient enfreinte, ni montré que ceux-ci avaient agi de manière illicite dans l’exercice de leur charge publique de façon générale. Par conséquent, je radie l’allégation de faute d’exécution concernant le [traduction] « refus de présenter des réponses “convaincantes ou modérées” aux questions posées par les demandeurs » sans autorisation de la modifier.

4) Quatrième allégation de faute d’exécution : le traitement tardif des demandes de visas

[55] En ce qui concerne la quatrième allégation de faute d’exécution, concernant les traitements tardifs, les demandeurs ont invoqué la décision McMaster c Canada, 2009 CF 937, 352 FTR 255 [McMaster] pour attester que le retard peut constituer une conduite illicite relevant d’une faute d’exécution. La décision McMaster concernait un détenu qui s’était vu refuser de façon répétée des souliers de tennis de la bonne pointure, malgré l’obligation légale de fournir des chaussures adéquates. L’obligation légale sur laquelle se fondent les demandeurs au sujet du retard dans le contexte de l’immigration est l’alinéa 3(1)f) de la LIPR, qui est interprété dans les décisions Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 758, au paragraphe 25, 413 FTR 145 [Liang] et Dragan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 211, au paragraphe 45, 227 FTR 272 [Dragan]. Cet alinéa prévoit ce qui suit :

3 (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

f) d’atteindre, par la prise de normes uniformes et l’application d’un traitement efficace, les objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral après consultation des provinces;

La Cour a jugé dans les décisions Liang et Dragan, à l’égard des demandes visant à obtenir un bref de mandamus, qu’un retard déraisonnable peut constituer un refus implicite de s’acquitter de l’obligation prévue par la loi de traiter les demandes de visa aux termes de la LIPR. Le juge Rennie, alors juge de la Cour, a conclu dans la décision Liang qu’une preuve prima facie de retard était établie lorsque des demandes exigeant un traitement étaient en suspens depuis une période de quatre ans et demi à dix ans.

[56] La défenderesse cherche à écarter les décisions Liang et Dragan au motif qu’elles portent sur des demandes visant à obtenir un bref de mandamus, et non sur les instances de droit privé. La partie défenderesse soutient que [traduction] « même s’il est conclu que les retards sont déraisonnables ou démesurés, cela ne donne pas lieu à une cause d’action en soi », en invoquant les décisions Farzam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1659, 284 FTR 158 [Farzam], au paragraphe 105, et Haj Khalil c Canada, 2007 CF 923, 317 FTR 32 [Khalil], au paragraphe 8 (conf. par Haj Khalil c Canada, 2009 CAF 66) (au paragraphe 28 de ses observations écrites). Les décisions Farzam et Khalil concernaient toutes deux une action fondée sur la négligence, et non une faute dans l’exercice d’une charge publique.

[57] Les demandes de visa des demandeurs sont effectivement en suspens depuis 10 ans, puisque ceux-ci attendent encore le résultat de leur deuxième nouvel examen. Cela tombe à l’extrême limite des délais suggérés par le juge Rennie lorsqu’il s’agit d’établir une preuve prima facie d’un retard déraisonnable dans le contexte d’une demande visant à obtenir un bref de mandamus. La défenderesse n’a présenté aucun texte officiel indiquant que le retard déraisonnable dans le traitement des demandes de visa ne peut constituer une conduite illicite aux fins de démontrer une faute d’exécution. Par conséquent, il semble s’agir d’une question qui doit être débattue au procès, et non dans une requête en radiation. La Cour suprême a mentionné ce qui suit dans l’arrêt Hunt : « [p]ourvu que le demandeur puisse présenter des questions de “fond”, cette affaire devrait être entendue » (à la page 975). Il est prématuré dans une requête en radiation de statuer sur l’affaire.

[58] Comme je l’ai souligné ci-dessus, contrairement à ce qu’ils ont fait à l’égard des trois premières allégations de faute d’exécution, les demandeurs n’ont pas plaidé expressément que le retard était « délibéré », mais plutôt qu’il avait été signifié [traduction] « de mauvaise foi », ce qui suppose la délibération dans une certaine mesure. Il y a des faits circonstanciels qui pourraient appuyer cet élément du délit, notamment l’invocation de motifs différents pour refuser les visas lors des premier et deuxième refus, mais la déclaration ne fait pas valoir clairement que les retards étaient délibérés. Dans l’arrêt Woodhouse, la Cour suprême a radié les allégations où n’apparaissaient pas les mots « délibéré » et « intentionnel », parce que l’inadvertance ou la négligence ne suffisent pas pour démontrer l’existence d’un délit d’exécution intentionnel :

37 Bien que l’allégation relative à l’omission délibérée du chef d’isoler les agents satisfasse à l’exigence d’un manquement intentionnel de sa part à son obligation de veiller au respect de la Loi sur les services policiers, on ne peut en dire autant de l’omission qui lui est reprochée de s’assurer que les agents défendeurs produisent leurs notes intégralement et dans les délais impartis, qu’ils se soumettent aux interrogatoires au moment voulu et qu’ils fassent un récit fidèle et complet de l’incident. Comme je l’ai déjà indiqué, l’inadvertance ou la négligence ne suffira pas; le simple défaut de s’acquitter des obligations propres à sa charge ne peut constituer une faute dans l’exercice d’une charge publique. Comme on a allégué l’omission délibérée du chef d’isoler les agents, il ne s’agit pas d’un motif justifiant la radiation de l’acte de procédure. Qu’il suffise de dire que l’omission du chef d’émettre des directives pour s’assurer de la collaboration des agents défendeurs à l’enquête n’équivaudra à une faute dans l’exercice d’une charge publique que si les demandeurs démontrent que le chef a délibérément omis de se conformer à la norme établie par l’al. 41(1)b) de la Loi sur les services policiers.

[Non souligné dans l’original.]

Dans l’exposé présenté comme s’il s’agissait de faits, je vois cependant un semblant de cause d’action à l’égard de ce premier élément du délit, mais les actes de procédure doivent faire suffisamment état de la cause d’action intégrale. Ils devront être modifiés considérablement.

[59] Comme dans le cas de la deuxième allégation de faute d’exécution, les actes de procédure concernant le deuxième élément du délit – la connaissance de la conduite illicite et de la vraisemblance du préjudice causé aux demandeurs – ne sont pas explicites et sont pratiquement vagues, ce qui ne satisfait pas aux exigences prévues aux articles 174 et 181 des Règles. En ce qui concerne la connaissance de la défenderesse à l’égard du fait que les retards étaient illicites, la déclaration ne soulève pas les faits substantiels démontrant que les fonctionnaires possédaient cette connaissance. Le premier agent, en 2009, était-il au courant d’un retard illicite pouvant vraisemblablement causer un préjudice, ou était-ce seulement le deuxième agent, en 2014, qui en était conscient? Ou bien était-ce d’autres personnes qui savaient que le retard était illicite?

[60] En ce qui concerne la connaissance alléguée de la défenderesse à l’égard du fait que les retards étaient illicites et risquaient vraisemblablement de porter préjudice aux demandeurs, je vois un semblant de cause d’action. Il est raisonnable de conclure qu’un retard allégué de 10 ans à l’égard du traitement ne satisfait pas à l’objet de la LIPR qui vise le « traitement efficace » et qu’il risquerait de porter préjudice à la famille qui est dans l’attente. Encore là, cependant, la déclaration doit faire suffisamment valoir les faits substantiels pour répondre aux critères d’une cause d’action raisonnable. Je ne radierais pas les actes de procédure sans autoriser la possibilité de les modifier afin de satisfaire aux exigences.

[61] Par conséquent, j’accorde l’autorisation de modifier la déclaration relative à la faute d’exécution concernant le premier élément du délit, ce qui constitue le prérequis pour démontrer que la conduite illicite était délibérée, et concernant le deuxième élément du délit, selon lequel les fonctionnaires [traduction] « savaient » que leur acte ou leur omission serait vraisemblablement préjudiciable au demandeur.

Deuxième allégation : les abus de pouvoir et de compétence

[62] Les demandeurs font maintes fois mention dans leurs actes de procédure des [traduction] « abus de pouvoir et de compétence », souvent en parallèle avec leurs allégations concernant la faute dans l’exercice d’une charge publique :

[traduction]

1. Les demandeurs prétendent que […] tous ces préjudices découlent de ce qui suit : […]

(ii) les actes et omissions des fonctionnaires et agents de la défenderesse, qui n’ont pas délivré les visas de résident permanent et ne se sont pas conformés aux ordonnances de la Cour fédérale, constituent un abus de procédure, un abus de pouvoir et de compétence, une action fautive de nature publique, ainsi que de la négligence et une enquête négligente, tous ces préjudices étant indemnisables aux termes de la common law, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (« LIPR ») et du paragraphe 24(1) de la Charte.

[...]

32. Les demandeurs affirment, et le fait est que :

a) les agents de la défenderesse ont, sciemment et délibérément, abusé de la procédure, commis un abus de pouvoir, outrepassé leur compétence et commis une action fautive de nature publique, en refusant de se conformer en toute légalité aux ordonnances de la Cour fédérale et aux conditions prévues par la LIPR et le Règlement, de délivrer des visas de résident permanent et de présenter des réponses convaincantes ou modérées aux demandeurs et à leur avocat, sauf de façon évasive et que les fonctionnaires et agents de la défenderesse : […]

(i) se sont livrés à des abus de pouvoir qu’a historiquement décrits la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Roncarelli v Duplessis, [1959] RCS, page 121 et suivantes [arrêt Roncarelli];

[...]

34. Les demandeurs affirment que le retard inexcusable, démesuré et condamnable de la défenderesse, à la fois entre le premier contrôle judiciaire et la deuxième décision défavorable, et depuis le deuxième contrôle judiciaire à ce jour, constitue un abus de pouvoir et une action fautive de nature publique, dans la mesure où il a été établi dans la décision McMaster c Canada, [2009] ACF no 1071 qu’a rendue la Cour, entre autres, qu’un retard inexcusable constitue une action fautive de nature publique.

[63] La défenderesse soutient que les abus de pouvoir et de compétence qu’allèguent les demandeurs font partie intégrante du délit de faute d’exécution. Je suis du même avis. L’analyse du délit de faute dans l’exercice d’une charge publique qui est présentée dans l’arrêt Woodhouse confirme que cela englobe les allégations relatives aux abus de pouvoir et de compétence qui sont décrits dans l’arrêt Roncarelli v Duplessis, [1959] RCS 121 :

18 Les origines du délit de faute dans l’exercice d’une charge publique remontent à l’arrêt Ashby c. White (1703), 2 Ld. Raym. 938, 92 E.R. 126, où le juge en chef Holt a estimé qu’une cause d’action pouvait être invoquée à l’encontre d’un fonctionnaire électoral qui, de façon malveillante et frauduleuse, avait privé M. White du droit de vote. Quoique le défendeur ait été investi du pouvoir de priver certaines personnes de leur droit de voter aux élections, il ne pouvait l’exercer à une fin irrégulière. Bien que son jugement initial ait donné à penser qu’il appliquait simplement le principe ubi jus ibi remedium, le juge en chef Holt a précisé, dans une version révisée, que c’était parce que la fraude et la malveillance avaient été établies que l’action pouvait être intentée : J. W. Smith, A Selection of Leading Cases on Various Branches of the Law (13e éd. 1929), p. 282. On peut donc soutenir que, dans sa forme la plus ancienne, le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique se limitait aux circonstances dans lesquelles un fonctionnaire public avait abusé d’un pouvoir qu’il possédait réellement.

19 Cependant, il ressort clairement des décisions subséquentes que le délit n’a pas une portée aussi étroite. Dans l’arrêt Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, notre Cour a tenu le défendeur, premier ministre du Québec, responsable d’avoir ordonné au directeur de la Commission des liqueurs du Québec de révoquer le permis d’alcool du demandeur. Bien que l’arrêt Roncarelli ait été tranché en partie du moins sur la base des règles du droit civil du Québec en matière de responsabilité délictuelle, il est largement considéré comme ayant reconnu l’existence au Canada du délit civil de la faute dans l’exercice d’une charge publique. Voir par exemple Powder Mountain Resorts Ltd. c. British Columbia (2001), 94 B.C.L.R. (3d) 14, 2001 BCCA 619; et Alberta (Minister of Public Works, Supply and Services) c. Nilsson (2002), 220 D.L.R. (4th) 474, 2002 ABCA 283. Dans Roncarelli, le premier ministre était autorisé à conseiller la Commission sur toute question juridique susceptible de se poser, mais il n’avait nullement le pouvoir d’intervenir dans une décision visant la révocation d’un permis en particulier. Comme le juge Abbott l’a fait observer à la p. 184, M. Duplessis [traduction] « n’était investi d’aucun pouvoir prévu par la loi pour intervenir dans l’administration ou la direction de la Commission des liqueurs du Québec ». Formulant une remarque similaire à la p. 158, le juge Martland a affirmé que la conduite de M. Duplessis mettait en cause [traduction] « l’exercice de pouvoirs qu’il ne possédait nullement en droit ». Ainsi, manifestement, le délit ne se limite pas à l’abus d’un pouvoir que confère véritablement la loi ou une prérogative. Si c’était le cas, aucun motif n’aurait permis de retenir la responsabilité de M. Duplessis.

[64] Par conséquent, je radie la mention de l’abus de pouvoir et de compétence à titre de cause d’action en soi. L’affaire devrait être abordée dans le cadre des allégations relatives à la faute d’exécution, une fois qu’elles auront été modifiées adéquatement.

Troisième allégation : l’abus de procédure

[65] La déclaration fait valoir le délit d’abus de procédure aux paragraphes auxquels j’ai renvoyé concernant la faute dans l’exercice d’une charge publique, et que j’ai cités largement au paragraphe 38 des présents motifs.

[66] La défenderesse prétend que l’abus de procédure [traduction] « suppose l’usage abusif du tribunal dans le but de forcer une personne à agir complètement en dehors du cadre de la demande en justice sur laquelle le tribunal est appelé à statuer » : au paragraphe 33 des observations écrites de la défenderesse citant Levi Strauss & Co c Roadrunner Apparel Inc, (1997), 76 CPR (3d) 129 (CAF), à la page 3.

[67] L’arrêt de la Cour suprême du Canada qu’ont invoqué les demandeurs, États-Unis d’Amérique c Cobb, 2001 CSC 19, [2001] 1 RCS 587 [Cobb], définit également l’abus de procédure au sens d’un usage abusif du tribunal :

37 Les tribunaux canadiens ont, en vertu de la common law, un pouvoir discrétionnaire inhérent et résiduel de contrôler leur propre procédure et d’empêcher qu’on en abuse. Notre Cour, dans R. c. Keyowski, [1988] 1 R.C.S. 657, p. 658‑659, décrit la réparation conçue par les tribunaux pour les cas d’abus de procédure et les circonstances dans lesquelles il convient de l’accorder :

La possibilité d’avoir recours à une suspension d’instance pour remédier à un abus de procédure a été confirmée dans l’arrêt R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128, dans lequel cette Cour a dit que le critère à appliquer pour déterminer s’il y a eu abus de procédure était celui initialement formulé par la Cour d’appel de l’Ontario dans R. v. Young (1984), 40 C.R. (3d) 289. Suivant ce critère, la suspension d’instance doit être accordée lorsque «forcer le prévenu à subir son procès violerait les principes de justice fondamentaux qui sous-tendent le sens du franc-jeu et de la décence qu’a la société» ou lorsqu’il s’agit d’une procédure «oppressive ou vexatoire» ([1985] 2 R.C.S., aux pp. 136 et 137). Dans l’affaire Jewitt, cette Cour a en outre adopté «la mise en garde que fait la cour dans l’arrêt Young, portant que c’est là un pouvoir qui ne peut être exercé que dans les «cas les plus manifestes»« (à la p. 137).

[68] Dans une décision similaire rendue à l’égard d’une requête en radiation, le protonotaire Aalto a aussi conclu que l’arrêt Cobb porte sur l’abus du tribunal et que le demandeur n’avait pas soulevé les faits qui faisaient ressortir ce délit :

[traduction]

[64] En ce qui a trait au délit d’abus de procédure, je souscris aux observations de la Couronne, à savoir que l’arrêt Cobb ne corrobore pas l’observation du demandeur selon laquelle ce délit existe à l’égard des faits en l’espèce. Dans l’arrêt Cobb, la Cour suprême a explicitement défini l’abus de procédure au sens de l’abus du tribunal, et cette définition n’englobe pas l’abus d’une procédure en vase clos de la part d’un fonctionnaire. Le demandeur ne soulève aucun fait lié à un abus du tribunal et n’invoque aucune jurisprudence démontrant que le délit d’abus de procédure peut avoir un sens plus large que celui qui est établi dans l’arrêt Cobb.

(Almacén c Sa Majesté la Reine, 2015 CF 957, décision confirmée par 2016 CF 300 et subséquemment confirmée par 2016 CAF 296)

[69] En outre, les demandeurs n’ont soulevé aucun fait substantiel démontrant des éléments de ce délit dans leur déclaration (c’est-à-dire quand ou comment il y a eu abus du tribunal). En réalité, lorsque notre Cour a été saisie des analyses des agents de l’immigration, à deux reprises elle les a renvoyées pour nouvel examen. Il est difficile de voir en quoi le fait que la Cour a été saisie du contrôle judiciaire sollicité par les demandeurs puisse constituer un abus du tribunal de la part de la défenderesse. Par conséquent, je radie cette allégation sans autorisation de la modifier.

Quatrième allégation : la négligence et l’enquête négligente

[70] La déclaration faisait valoir la négligence et l’enquête négligente en ces termes :

36. À titre subsidiaire, les demandeurs affirment que les agents de la défenderesse ont été négligents et ont mené une enquête négligente dans l’exercice de leurs obligations imposées par la common law, la loi et la constitution envers les demandeurs, dans la mesure où […]

(i) les agents de la défenderesse ont l’obligation de diligence, imposée par la common law, la loi et la constitution, de traiter convenablement, de façon compétente et avec la rapidité requise, une demande renvoyée judiciairement aux termes d’une demande de contrôle judiciaire relevant du régime législatif de la LIPR, et d’enquêter avec compétence et diligence sur les allégations d’interdiction de territoire;

(ii) les agents de la défenderesse ont manqué à cette obligation de diligence;

(iii) par suite de ce manquement, les demandeurs ont subi des pertes et des dommages, notamment :

A/ la souffrance morale et la détresse découlant de la séparation des demandeurs avec leur famille au Canada, un cas qui jouit également de la protection conférée par l’article 7 de la Charte;

B/ la perte irréparable de leur cercle d’amis, plus particulièrement en ce qui concerne les enfants;

C/ la perte financière, qui sera quantifiée au procès, découlant de diverses dépossessions, notamment :

(i) l’avantage pour le demandeur, Emad Al Omani, d’occuper la place qui lui revient dans l’entreprise commerciale conjointe de son frère au Canada et d’y participer;

(ii) les dépens engagés à ce jour, qui seront établis au procès;

D/ le stress mental et l’anxiété pour avoir été faussement accusés d’être associés à Al‑Qaïda, ou à de pareils groupes, ce qui, en outre, met leur vie même en danger;

E/ leur droit à un traitement égal et à la protection aux termes de la loi, comme le prévoit l’alinéa3(3)d) de la LIPR, les impératifs structurels de la constitution, ainsi que l’article 15 de la Charte, et la perte de leur dignité dans la mesure où ils font l’objet d’un traitement inégal aux termes de la loi.

[71] La défenderesse soutient que les demandeurs n’ont pas soulevé les faits substantiels se rattachant à chacun des éléments d’une action en négligence, plus particulièrement l’obligation de diligence et l’inobservation de la norme de diligence. Je suis du même avis. Les actes de procédure sont énonciatifs et n’établissent aucun lien entre les faits substantiels et les éléments du délit.

[72] Conformément à la décision rendue dans l’arrêt Cooper c Hobart, 2001 CSC 79, [2001] 3 RCS 537, au paragraphe 30, si l’obligation de diligence n’est pas clairement établie dans la jurisprudence, on utilise le critère de l’arrêt Anns pour décider s’il existe une obligation. La défenderesse a résumé ce critère au paragraphe 36 de ses observations écrites :

[traduction]

a) La relation entre les parties, vu les circonstances, dévoile-t-elle un préjudice raisonnablement prévisible et un lien de proximité suffisamment étroit pour établir une obligation de diligence prima facie?

b) Malgré l’existence d’une obligation de diligence prima facie, y a-t-il des considérations de politique résiduelles qui justifient l’annulation de l’obligation de diligence?

[73] Les seules allégations que les demandeurs ont plaidées concernant l’obligation de diligence ont consisté à affirmer que la défenderesse a l’obligation de diligence de i) [traduction] « traiter convenablement, de façon compétente et avec la rapidité requise, une demande renvoyée judiciairement aux termes d’une demande de contrôle judiciaire relevant du régime législatif de la LIPR » et ii) [traduction] d’« enquêter avec compétence et diligence sur les allégations d’interdiction de territoire » (au paragraphe 36 de la déclaration). Les demandeurs n’ont soulevé aucun fait quel qu’il soit se rattachant à l’un ou l’autre élément du critère de l’arrêt Anns (Anns v Merton London Borough Council, [1978] AC 728 (HL)).

[74] Les demandeurs n’ont guère soulevé, non plus, les faits se rattachant au manquement à cette obligation de diligence présumée. En reprenant les points déjà invoqués, ils allèguent que la défenderesse n’a pas traité convenablement une demande renvoyée par suite d’un contrôle judiciaire et n’a pas enquêté suffisamment sur les allégations d’interdiction de territoire. À mon avis, cela est excessivement ténu.

[75] Les demandeurs ont affirmé qu’il existe une obligation de diligence, sans même alléguer comment il pourrait en être ainsi. En quoi consiste l’obligation de diligence qui incombait aux agents d’immigration? La Cour d’appel de l’Angleterre a conclu dans l’affaire W. v Home Office, [1997] EWJ no 3289 (QL) [W. v Home Office], il y a vingt ans, qu’il n’y a aucun lien de proximité suffisamment étroit pour qu’il existe une obligation de diligence entre un demandeur et des agents d’immigration. On peut lire ce qui suit au paragraphe 28 :

[traduction]

Le processus par lequel l’organisme chargé de prendre la décision recueille des éléments d’information et en arrive à une décision ne peut faire l’objet d’une action fondée sur la négligence, ne serait-ce qu’en raison de l’absence du lien de proximité requis. En recueillant des renseignements et en en tenant compte, les défendeurs agissent conformément aux pouvoirs que la loi leur confère et dans les limites de leurs pouvoirs discrétionnaires où seul un abus de pouvoir délibéré pourrait donner droit à un recours de nature privée. Il serait incompatible avec l’exercice de leurs fonctions que les agents d’immigration soient tenus à une obligation de diligence envers les immigrants. Lorsqu’ils recueillent ces renseignements et qu’ils prennent des décisions au sujet des immigrants, notamment lorsqu’ils décident si ceux-ci doivent être détenus pendant qu’ils recueillent les renseignements en question, les agents d’immigration agissent en qualité de fonctionnaires auxquels les considérations susmentionnées s’appliquent.

C’est le point de vue adopté par notre Cour dans la décision Premakumaran c Canada, 2005 CF 1131 [Premakumaran].

[76] Dans cette décision, s’appuyant sur l’arrêt A.O. Farms Inc c Canada, [2000] ACF no 1771, 28 Admin LR (3d) 315 (CAF), la Cour a conclu que les agents d’immigration, en tant que mandataires du gouvernement, ont « une obligation de diligence à l’égard du public en général, mais non pas à l’égard de demandeurs particuliers. Les demandeurs ne peuvent être considérés comme des “voisins” à ces fins et aucune relation de ce genre ne peut être créée entre la défenderesse et les membres du public » (Premakumaran, au paragraphe 25). La Cour d’appel fédérale était d’accord. Elle a conclu ceci : « Aucune obligation de diligence ne s’impose toutefois en l’espèce. Comme le juge des requêtes l’a conclu à juste titre, aucun lien spécial de proximité et de confiance ne s’applique dans les faits de l’espèce » (Premakumaran c Canada, 2006 CAF 213, [2007] 2 RCF 191, au paragraphe 24). Alléguer que des actes accomplis dans le cadre d’une charge publique constituent une faute d’exécution est une chose, fonder sa déclaration sur une obligation de diligence donnant lieu à une action en négligence en est une autre. La faute d’exécution et la négligence sont des choses complètement différentes, qui ciblent des états d’esprit différents.

[77] La décision W. v Home Office a trouvé écho à la Cour dans la décision Benaissa. La Cour y a conclu que le processus par lequel l’organisme chargé de prendre la décision recueille des éléments d’information et en arrive à une décision ne peut faire l’objet d’une action fondée sur la négligence. Il peut y avoir, à mon avis, des circonstances dans lesquelles un certain lien de proximité suffira. Cependant, la simple assertion que des agents d’immigration non identifiés ont délibérément omis de traiter la demande de résidence permanente en temps opportun ne fait pas valoir l’obligation de diligence qui permettrait d’établir une distinction entre cette affaire et les faits qui révèleraient le fondement factuel de l’allégation de négligence. Cela ne révèle pas une cause d’action raisonnable. Je ne vois aucun semblant de cause d’action. Il n’y a pas même l’amorce d’un élément qui pourrait être modifié.

[78] Le juge Russell s’est heurté à une déclaration similaire dans la décision Sivak. Il a radié l’allégation de négligence en raison du défaut de soulever les faits substantiels se rattachant aux éléments essentiels du délit de négligence :

[45] Je suis également d’accord avec les défendeurs que les demandeurs n’ont ni plaidé ni prouvé les éléments essentiels du délit de négligence.

[46] Comme le font remarquer les défendeurs, une déclaration qui soutient un délit de négligence doit comprendre suffisamment de faits pour appuyer les éléments essentiels au délit. Ces derniers incluent une obligation de diligence, un manquement à cette obligation et un lien de causalité entre ce manquement et le préjudice et la perte effectivement subis. Une telle déclaration doit comprendre toutes les précisions sur les malfaisances ainsi que la négligence, « notamment en ce qui concerne la nature, la date et l’auteur de chacun des actes fautifs en question et les faits pertinents les entourant. » Voir Benaissa c Canada (Procureur général), 2005 CF 1220, au paragraphe 24.

[47] Les demandeurs font des accusations sans fondement au paragraphe 28b) de la déclaration soutenant que [traduction] « les représentants des défendeurs ont été négligents dans l’exercice de leurs fonctions en matière de droit commun, de législation et de droit constitutionnel auxquelles les demandeurs avaient droit » et que ces fonctions concernaient le processus de leur demande d’asile conformément à Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Ce qui est suivi de déclarations sans fondement concernant [traduction] « le manque à l’obligation de diligence de la part des représentants » et la perte subie par les demandeurs.

[48] Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que de telles déclarations ne sont rien de plus que des conclusions et ne sont pas suffisantes pour soutenir un acte de procédure de délit de négligence. Aucune précision n’a été fournie sur l’identité des [traduction] « représentants des défendeurs », pour expliquer leurs rôles et responsabilités par rapport aux demandeurs ni n’établit leur lien de causalité à aucune des parties. De même, la déclaration garde le silence sur les actes particuliers des [traduction] « représentants des défendeurs » ou sur leurs omissions par lesquels les demandeurs soutiennent qu’ils ont été négligents et aucun fait n’est inclus pour soutenir les allégations précises du manque prétendu [traduction] « dans l’exercice de leurs fonctions en matière de droit commun, de législation et de droit constitutionnel ». Il me semble que les exigences générales pour établir la responsabilité du délit n’ont pas été respectées et il serait impossible d’effectuer l’examen nécessaire pour décider si cette responsabilité pourrait être établie. Comme le font remarquer les défendeurs, cela est particulièrement ardu lorsque le défendeur est un acteur du gouvernement. Des questions se posent quant aux pouvoirs discrétionnaires du droit public d’établir des fonctions en matière de droit privé à des personnes en particulier ou si les décisions en question étaient des décisions qui s’appuyaient sur des politiques ou des besoins opérationnels. Ces questions sont très complexes et des précisions factuelles sont nécessaires pour arriver de manière appropriée à une décision sur l’existence d’une cause d’action.

[Non souligné dans l’original.]

[79] À mon avis, l’allégation telle qu’elle est plaidée ne fait pas ressortir une cause d’action raisonnable; à vrai dire, il n’y a pas même un semblant de cause d’action. Les actes de procédure ne renferment rien de plus que des allégations et des conclusions générales, sans faire mention des faits substantiels requis, ni même alléguer en quoi consisterait l’obligation de diligence. Des conclusions gratuites ne sont pas des allégations de faits substantiels. Les demandeurs se contentent de déclarer qu’il existe une obligation de diligence. Dans la décision Sivak, la Cour s’est appuyée sur la décision Kisikawpimootewin c Canada, 2004 CF 1426 [Kisikawpimootewin] et l’arrêt Murray c Canada (1978), 21 NR 230 (CAF) pour tirer la conclusion suivante : « [u]ne requête, qui ne fait pas état de faits suffisants sur lesquels appuyer un acte de procédure, de manière qu’il est impossible pour le défendeur d’y répondre ou pour la Cour d’en déterminer l’action, est un acte de procédure vexatoire » (au paragraphe 30). Les demandeurs ont fait valoir cette déclaration à titre subsidiaire. Ce faisant, ils n’ont pas fait mention de faits substantiels pertinents à une allégation de négligence qui auraient étayé ce qui est par ailleurs une déclaration vague, fondée sur de simples observations et des conclusions gratuites.

[80] À l’égard du délit d’enquête négligente, les demandeurs doivent soulever les faits liés à la conduite de l’enquête sur la décision d’interdiction de territoire pour établir une cause d’action raisonnable (Hill c Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton‑Wentworth, 2007 CSC 41, au paragraphe 68). La défenderesse soutient ce qui suit : [traduction] « dans les rares cas où il a été conclu qu’il y avait eu inobservation de la norme de diligence, la conduite des enquêteurs a donné lieu à un comportement extrême et trop zélé » (au paragraphe 45 des observations écrites de la défenderesse). Entre autres exemples de cette conduite, je mentionnerai [traduction] « la mise à l’écart d’éléments de preuve disculpatoires ou d’autres éléments de preuve substantiels » et [traduction] « la prise de décisions fondées principalement sur des hypothèses ou des stéréotypes » (Safa Almalki v Canada, 2012 ONSC 3023, au paragraphe 17). Rien de tel n’est même allégué par les demandeurs dans la présente instance.

[81] La Cour suprême a aussi souligné dans l’arrêt Woodhouse que les citoyens n’ont droit ni à un certain niveau d’approfondissement dans une enquête, ni à un certain résultat :

40 […] Les citoyens peuvent souhaiter qu’une enquête soit approfondie, ou même qu’elle aboutisse à un certain résultat, mais ils ne sont pas en droit d’obtenir réparation si l’enquête ne s’avère pas approfondie ou s’ils n’obtiennent pas le résultat escompté […]

[82] La déclaration ne relate que l’entrevue de 15 minutes du demandeur principal, où celui-ci a été questionné au sujet d’Al‑Qaïda; il y est affirmé que l’agent a refusé d’expliquer le motif de la question et plaidé que ces allégations sont sans fondement :

[traduction]

24. Le 13 janvier 2014, le demandeur, Emad Al Omani, a été convoqué à une très brève entrevue concernant le nouvel examen de sa demande.

25. Le 17 mars 2014, le demandeur, Emad Al Omani, a reçu une deuxième décision défavorable, qui faisait état des conclusions suivantes, sans aucun motif :

[traduction] « Plus particulièrement, il y a des motifs raisonnables de croire que vous appartenez à la catégorie de personnes interdite de territoire qui est visée à l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés » [...]

26. Le demandeur, Emad Al Omani, avise qu’à aucun moment il n’a :

a) été avisé de ces conclusions et allégations outrageantes et mensongères;

b) vu des éléments de preuve ou des renseignements permettant de réagir à ces conclusions et allégations mensongères.

Pendant l’entrevue, on a posé au demandeur une question floue, nébuleuse et hors contexte au sujet d’Al‑Qaïda. En réalité, pendant l’entrevue de quinze (15) minutes, le demandeur, Emad Al Omani, s’est vu poser uniquement les deux questions suivantes :

a) expliquer la modification de sa description de poste […]

b) l’agent lui a demandé s’il appartenait, ou était associé d’une façon quelconque, à « un groupe ou une organisation comme Al‑Qaïda en Iraq », ce à quoi le demandeur a répondu catégoriquement qu’il n’appartenait à aucun groupe comme Al‑Qaïda, ni à Al‑Qaïda lui-même, et n’y était pas associé.

Le demandeur a ensuite prié l’agent de préciser les raisons pour lesquelles il allait même jusqu’à poser une pareille question, mais l’agent d’immigration a refusé, en invoquant le « secret » qui l’empêchait de divulguer des renseignements appartenant au gouvernement canadien.

27. La demande antérieure, qui avait été refusée, n’avait pas soulevé de telles allégations ou conclusions quant au refus. Elle avait été refusée parce qu’il manquait certains documents concernant Emad Al Omani, et en raison d’une erreur de calcul et d’erreurs flagrantes dans l’application des critères de sélection, ce pourquoi la demande avait été renvoyée pour nouvel examen sur ordonnance de la Cour fédérale.

[83] Ces allégations mises à part, aucun fait substantiel n’est présenté. Il n’y a rien au sujet de la conduite de l’enquête qui a mené à la décision d’interdiction de territoire. Je conviens avec la défenderesse que la déclaration ne soulève pas de faits, à plus forte raison de faits substantiels suffisants pour établir le délit d’enquête négligente, sauf pour laisser entendre que les demandeurs sont mécontents de la conclusion portant qu’ils sont interdits de territoire. Les actes de procédure ne donnent pas même un indice à l’appui d’une allégation générale selon laquelle l’enquête pourrait avoir été négligente. Je ne vois aucun semblant d’argumentation et je radie cette allégation sans autorisation de la modifier. Il n’y a pas même la moindre allégation de nature à suggérer par qui, quand, où, comment et de quelle façon la responsabilité a été engagée. Il est évident et manifeste que l’appel est voué à l’échec. Les demandeurs lancent une accusation sans rien indiquer à l’appui. Il n’y a rien à modifier. En réalité, les demandeurs n’ont pas même tenté de préciser comment l’allégation pourrait être modifiée (Ward c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 568, au paragraphe 30). Force est d’admettre qu’il n’y a aucune cause d’action, compte tenu des faits substantiels soulevés. Le problème n’est pas tant qu’il y a des lacunes qui pourraient être corrigées en apportant une modification. Aucune cause d’action n’est plaidée.

Cinquième allégation : le complot

[84] Dans ce qui semble être présenté subsidiairement encore, les demandeurs allèguent, au paragraphe 37 de leur déclaration, que la défenderesse a participé à un complot :

[traduction]

37. Les demandeurs affirment en outre que les agents de la défenderesse :

a) (i) ont participé et participent, par leur conduite et leurs communications, à un complot visant à refuser aux demandeurs des droits prévus par la loi et la constitution et issus de traités internationaux, leur résidence permanente aux termes du droit canadien, ainsi que l’évaluation équitable et impartiale de leur demande, un complot qui a été décrit, entre autres, par la Cour suprême du Canada selon le critère établi dans l’arrêt Hunt c Carey et la jurisprudence qui y est citée, à savoir :

A/ conclure une entente visant le recours à des moyens et à des comportements licites et illicites ayant principalement pour but de causer préjudice aux demandeurs;

B/ conclure une entente visant le recours à des moyens et des comportements illicites ayant principalement pour but de causer préjudice aux demandeurs ou qui, comme le savaient les agents des défendeurs, causeraient probablement, et ont causé, préjudice aux demandeurs dans les circonstances;

Voici la description détaillée de ce ou ces complot(s) :

b) le premier refus était un refus fallacieux, signifié de mauvaise foi et en l’absence de bonne foi, entièrement conçu et fabriqué pour rejeter, en contravention de la loi, la demande des demandeurs;

c) le retard démesuré, inexcusable et condamnable entre la décision découlant du premier contrôle judiciaire et le deuxième refus, ainsi que le retard démesuré, inexcusable et condamnable depuis le deuxième contrôle judiciaire jusqu’à maintenant, visent tous à faire obstacle aux demandeurs et à leur refuser les droits substantiels et procéduraux au traitement de leurs demandes;

d) les allégations sans fondement, fausses et entièrement fallacieuses d’interdiction de territoire pour cause d’association avec Al‑Qaïda, ou de tels groupes, ont été conçues et fabriquées simplement pour nier les droits procéduraux et fondamentaux des demandeurs au traitement de leurs demandes aux termes de la LIPR.

Les demandeurs affirment que tous les agents connus (et inconnus) d’eux ayant participé à l’enquête, au traitement et au refus de leur demande ont comploté dans le but de leur signifier un refus, par tous les moyens nécessaires, et sont par conséquent responsables d’un complot qui a été décrit par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hunt c Carey, en ces termes [le critère énoncé ci-dessus est réitéré].

38. Le demandeur affirme, et le fait est, qu’en conséquence directe des actes illégaux et de la conduite délictuelle des agents de la défenderesse, les demandeurs ont subi et subiront un préjudice qui est énoncé aux présentes.

[85] Comme l’ont souligné les demandeurs, il est expliqué dans l’arrêt Hunt que le délit de complot peut être établi sur les deux fondements suivants : i) le demandeur peut alléguer un complot visant à lui nuire si au moins deux personnes s’entendent et s’associent pour recourir à des moyens légaux ou illégaux dans le but prédominant de nuire au demandeur, qui subit effectivement un préjudice; ou bien, ii) le demandeur peut alléguer un complot reposant sur des actes illégaux si au moins deux personnes s’entendent et s’associent pour adopter une conduite illégale dirigée contre le demandeur, dont ils auraient dû savoir qu’elle serait vraisemblablement préjudiciable audit demandeur, qui subit effectivement un préjudice.

[86] La défenderesse a renvoyé à l’arrêt Normart Management Ltd v West Hill Redevelopment Co Ltd, (1998), 37 OR (3d) 97 (ONCA), où est dressée la liste des éléments qui doivent être plaidés pour établir une cause d’action fondée sur le complot. La Cour d’appel de l’Ontario écrit ce qui suit au paragraphe 21 :

[traduction]

[21] Dans l’arrêt H.A. Imports of Canada Ltd. v General Mills Inc. (1983), 42 OR (2d) 645, 150 DLR (3d) 574 (HCJ), le juge O’Brien, qui était saisi d’une action civile fondée sur un complot, a cité l’ouvrage de Bullen, Leake et Jacob intitulé Precedents of Pleadings, 12e éd. (London, Sweet & Maxwell, 1975), où il est indiqué ce qui suit aux pages 646 et 647 :

La déclaration devrait préciser l’identité des parties et les liens qu’elles ont entre elles. Elle devrait alléguer l’entente conclue entre les défendeurs aux fins d’un complot, faire précisément état du but ou des objets du complot allégué, puis indiquer ensuite, avec clarté et précision, les actes manifestes qui ont censément été posés par chacun des présumés comploteurs pour donner effet au complot; en dernier lieu, la déclaration devrait alléguer le préjudice et les dommages que le complot a causés au demandeur.

[87] La déclaration qui fait l’objet du contrôle évoque les refus d’accorder la résidence permanente fondés sur des motifs peu convaincants, qui ont été suivis par de longues périodes d’inactivité de la part du gouvernement. Cependant, il est précisé que les personnes mêlées à ce vaste complot présumé sont [traduction] « tous les agents connus (et inconnus) des demandeurs ayant participé à l’enquête, au traitement et au refus de leur demande » (au paragraphe 37). Manifestement, cela ne constitue pas une identification personnelle. Il ne s’agit pas non plus d’une identification à un groupe, ni à un poste. Les demandeurs identifient les agents en fonction de leur allégation selon laquelle les personnes qui se sont chargées de l’affaire ont comploté, puisque la résidence permanente a été refusée. La déclaration ne précise pas les liens que les présumés comploteurs ont entre eux, sauf pour supposer qu’il s’agit des personnes qui ont travaillé à la demande des demandeurs à un moment donné. C’est comme si les demandeurs cherchaient à voir un complot contre eux en se fondant sur les deux refus et les périodes écoulées entre ces incidents.

[88] La déclaration ne précise pas la nature de l’entente conclue entre les présumés comploteurs. Elle fait valoir une démarche générale présumée – le refus de traiter la demande de résidence permanente des demandeurs [traduction] « par tous les moyens nécessaires » –, mais ne soulève pas les faits substantiels étayant le but de l’entente conclue entre les agents connus et inconnus. Il est utile d’avoir une théorie de complot, mais elle doit être expliquée. Crier au « complot » ne suffit pas pour faire ressortir une cause d’action raisonnable.

[89] Même en lisant les actes de procédure de manière aussi généreuse que possible, il n’y a aucun moyen de décrypter en quoi peut consister l’entente, qui sont les comploteurs, si le complot allégué comporte le but prédominant de nuire aux demandeurs, plutôt qu’autre chose, et si le complot allégué vise le recours à des moyens légaux ou illégaux. Autrement dit, il ne reste qu’une simple allégation, les demandeurs n’ayant pas même tenté de définir les éléments essentiels du délit allégué et, manifestement, de présenter un fait, substantiel ou non, pour étayer l’allégation.

[90] Au lieu de préciser le volet du délit de complot sur lequel ils souhaitent se fonder pour énoncer les faits substantiels qu’ils invoquent effectivement, les demandeurs formulent une allégation tout à fait générale, sans plus. Il n’y a pas même une justification de la possibilité de complot, par opposition, par exemple, à la simple connaissance ou à une opinion sur la cause du comportement. Il faut présenter une preuve de l’entente et de sa mise à exécution. Rien de tel n’est allégué avec des faits substantiels à l’appui.

[91] Tout ce que nous savons, c’est les demandeurs se sont vu refuser la résidence permanente à deux reprises. Le contenu des actes de procédure, à mon avis, équivaut à une absence totale de définition du délit et de ses éléments. Il est clair et évident qu’il n’y a aucune cause d’action raisonnable. C’est comme si les demandeurs laissaient entendre que compte tenu des refus qu’ils ont essuyés à deux reprises et des retards, il doit y avoir un complot d’une manière ou d’une autre. La déclaration ne fait pas valoir le complot, mais présente une simple allégation des faits et, sans plus, suggère une entente dont le but est inconnu. En d’autres termes, les demandeurs semblent alléguer que leur expérience des autorités de l’immigration est de telle nature qu’un complot doit avoir été ourdi quelque part.

[92] Les actes de procédure sont également si lacunaires au plan factuel que la défenderesse serait incapable de savoir comment répondre. Ils comportent de simples assertions qui sont sans fondement; non seulement ils ne font ressortir aucune cause d’action raisonnable, mais ils pourraient être radiés en raison de leur caractère frivole ou vexatoire (Senechal v Muskoka (District Municipality), [2003] OJ no 885; décision Kisikawpimootewin, précitée).

[93] Pour ce qui est des actes manifestes, qui tendraient à démontrer l’existence d’une entente de collaboration et pourraient être invoqués contre les cocomploteurs, la déclaration fait simplement renvoi au premier refus des demandes de visa, au retard entre le premier contrôle judiciaire et le deuxième refus des demandes de visa, au retard depuis le deuxième contrôle judiciaire et aux allégations d’interdiction de territoire. Il n’y a aucune trace d’une entente, seulement des incidents discrets. Les demandeurs ont soulevé une série d’incidents indépendants, et n’ont présenté aucun détail tendant à démontrer que les comploteurs avaient convenu de poser ces actes pour donner effet au complot; ils se fondent plutôt sur leur déclaration principale selon laquelle la défenderesse avait pour objectif de refuser le traitement de leur demande, sans plus.

[94] La nature d’un complot exige qu’il y ait des participants, dont certains sont connus et d’autres non, qui conviennent de faire quelque chose qui causera un préjudice (Cement LaFarge c B.C. Lightweight Aggregate, [1983] 1 RCS 452). En l’espèce, les faits substantiels qui permettraient de conclure à une entente font défaut. La date, l’objet et le but d’une entente entre des participants inconnus ne sont même pas soulevés. Aucun acte manifeste de la part des participants en vue de donner effet au complot n’est indiqué dans les actes de procédure. Ceux-ci comprennent de simples allégations visant des personnes non désignées, sans même indiquer l’ombre d’une entente, ce qui est essentiel à une allégation de complot. Comme il est conclu dans la décision Sivak, au paragraphe 55, cela constitue un acte de procédure vexatoire (voir aussi la décision Kisikawpimootewin). Sur le fondement des présents actes de procédure, il n’est pas possible pour la défenderesse de savoir comment répondre. L’acte d’instance est « si vicié qu’il défie toute correction par simple modification » (Krause c Canada, [1999] 2 RCF 476 (CAF)). Les demandeurs n’ont jamais indiqué comment ils pourraient modifier leurs actes de procédure sur ce point de façon à permettre d’évaluer « la facilité avec laquelle les modifications nécessaires peuvent être apportées », selon les mots de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sweet.

[95] Je conviens avec la défenderesse que les demandeurs n’ont pas plaidé tous les éléments du délit de complot. On pourrait soutenir qu’aucun n’a été plaidé. Les éléments essentiels du délit font entièrement défaut. Compte tenu de l’absence totale de précisions sur l’entente alléguée, je ne vois aucun semblant d’argumentation. Par conséquent, je radie cette allégation sans autorisation de la modifier.

Sixième allégation : la violation des droits des demandeurs au titre des articles 7 et 15 de la Charte

[96] Les demandeurs allèguent des violations des articles 7 et 15 de la Charte à diverses reprises dans leur demande. Ils soulignent que les décisions rendues aux termes de la LIPR doivent être appliquées conformément à la Charte :

[traduction]

33. Les demandeurs affirment que les agents de la défenderesse ont l’obligation en common law et l’obligation d’origine législative fondée sur l’alinéa 3(1)f) de la LIPR, comme l’a interprété et confirmé la Cour dans les décisions Dragan c Canada QL [2003] ACF no 260 et Liang c Canada (M.C.I.) 2012 CF 758, de traiter les demandes uniformément et promptement […] et de rendre ces décisions conformément à la Charte, comme le prescrit l’alinéa 3(3)d) de la LIPR, qui prévoit ce qui suit :

(3) L’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet […]

d) d’assurer que les décisions prises en vertu de la présente loi sont conformes à la Charte canadienne des droits et libertés, notamment en ce qui touche les principes, d’une part, d’égalité et de protection contre la discrimination et, d’autre part, d’égalité du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada;

[97] Les allégations fondées sur l’article 7 figurent aux paragraphes 30, 32 et 36 :

[traduction]

30. Par suite du retard inexcusable, des allégations fausses et sans fondement et du manquement à l’obligation de traiter la demande des demandeurs principaux de la part des agents de la défenderesse, les demandeurs ont subi les préjudices suivants : […]

a) en ce qui concerne l’épouse et les enfants de M. Emad Al Omani, le danger extrême, la stigmatisation indélébile, la détresse morale et la souffrance, sachant que le haut-commissariat soulève des allégations fausses et sans fondement selon lesquelles M. Emad Al Omani est associé avec Al‑Qaïda, ou de pareils groupes, ainsi que la souffrance morale de ne pas être réunis avec les frères du demandeur et leurs familles au Canada et le préjudice financier de ne pas pouvoir collaborer avec ses frères à leur entreprise au Canada, dans laquelle le demandeur a des intérêts financiers;

b) le stress mental, l’anxiété et la mise en danger de leur vie, sachant que de fausses allégations d’association avec Al‑Qaïda ou de pareils groupes ont été faites, ce qui expose leur vie à un risque en Arabie saoudite;

[...]

32. Les demandeurs affirment, et le fait est que :

a) les agents de la défenderesse ont […]

(iv) enfreint les droits constitutionnels des demandeurs à la primauté du droit et au constitutionnalisme, ainsi que leurs droits au titre articles 7 et 15 de la Charte;

et que cette conduite délictuelle a causé les préjudices énoncés au paragraphe 30 de la présente déclaration.

[...]

36. À titre subsidiaire, les demandeurs affirment que les agents de la défenderesse ont été négligents et ont mené une enquête négligente dans l’exercice des obligations imposées par la common law, la loi et la constitution envers les demandeurs, dans la mesure où […]

(iii) par suite de ce manquement, les demandeurs ont subi des pertes et des dommages, notamment :

A/ la souffrance morale et la détresse découlant de la séparation des demandeurs avec leur famille au Canada, un cas qui jouit également de la protection conférée par l’article 7 de la Charte [...]

D/ le stress mental et l’anxiété pour avoir été faussement accusés d’être associés à Al‑Qaïda, ou à de pareils groupes, ce qui, en outre, met leur vie même en danger;

[98] Les allégations fondées sur l’article 15, aux paragraphes 1, 30, 32 et 36, se concentrent sur l’allégation selon laquelle les demandeurs ont été traités de façon inéquitable en raison de la race et de l’origine nationale parce qu’ils sont Saoudiens :

[traduction]

1. Les demandeurs affirment ce qui suit : […]

iii) les actes et les omissions du bureau des visas du haut‑commissariat du Canada à Londres, en Angleterre, constituent […] une violation du droit des demandeurs à la primauté du droit, au constitutionnalisme et à un traitement égal, tant aux termes des impératifs sous-jacents à la constitution que de l’article 15 de la Charte.

30. Par suite du retard inexcusable, des allégations fausses et sans fondement et du manquement à l’obligation de traiter la demande des demandeurs principaux de la part des agents de la défenderesse, les demandeurs ont subi les préjudices suivants : […]

c) la perte de leur dignité pour avoir fait l’objet d’un traitement inégal en contravention de l’alinéa 3(3)d) de la LIPR, des principes non écrits de la constitution et de l’article 15 de la Charte, en raison de leur race et de leur origine nationale, c’est-à-dire parce qu’ils sont Saoudiens.

32. Les demandeurs affirment, et le fait est que :

a) les agents de la défenderesse ont […]

(iv) enfreint les droits constitutionnels des demandeurs à la primauté du droit et au constitutionnalisme, ainsi que leurs droits au titre articles 7 et 15 de la Charte;

et que cette conduite délictuelle a causé les préjudices énoncés au paragraphe 30 de la présente déclaration. [...]

36. À titre subsidiaire, les demandeurs affirment que les agents de la défenderesse ont été négligents et ont mené une enquête négligente dans l’exercice des obligations imposées par la common law, la loi et la constitution envers les demandeurs, dans la mesure où […]

(iii) par suite de ce manquement, les demandeurs ont subi des pertes et des préjudices, notamment; […]

E/ leur droit à un traitement égal et à la protection aux termes de la loi, comme le prévoit l’alinéa3(3)d) de la LIPR, les impératifs structurels de la constitution, ainsi que l’article 15 de la Charte, et la perte de leur dignité dans la mesure où ils font l’objet d’un traitement inégal aux termes de la loi.

[99] La question préliminaire à trancher relativement à l’allégation des demandeurs est celle de savoir s’ils détiennent des droits, en vertu des articles 7 et 15 de la Charte, dont il peut y avoir eu violation. Les demandeurs sont désignés sous le nom de « ressortissants saoudiens » dans la déclaration, et il semble que seul le demandeur principal ait interagi avec les agents d’immigration du haut-commissariat du Canada à Londres, au Royaume-Uni. Les demandeurs ont allégué avoir subi des préjudices au motif qu’ils n’ont pas pu rejoindre leur famille au Canada. Ils ne sont pas Canadiens, et il n’est pas évident non plus qu’ils se soient trouvés au Canada au moment des violations présumées de la Charte.

[100] Comme la défenderesse n’a pas soulevé cette question comme motif de radiation de la déclaration, je ne la prendrai pas en considération dans ma décision concernant la présente requête. Cependant, compte tenu de la nature essentielle de cette question préjudicielle, je pense qu’il est utile de présenter un résumé du droit récent portant sur ce thème.

[101] Dans la décision Tabingo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 377; [2014] 4 RCF 150, le juge Rennie s’est demandé si les ressortissants étrangers détenaient des droits en vertu de la Charte et a résumé la jurisprudence applicable à cette question aux paragraphes 61 à 79 de ses motifs. Le juge a conclu qu’en règle générale, la jurisprudence n’étend pas les droits protégés par la Charte aux non-Canadiens, ni aux personnes se trouvant à l’extérieur du Canada, mais comme les parties ne contestaient pas cette question, il n’a pas tiré sa propre conclusion :

[75] D’autres jugements récents de la Cour ont statué que la Charte ne conférait généralement pas de droits aux non-citoyens à l’extérieur du Canada : Zeng c Canada (Procureur général), 2013 CF 104, aux paragraphes 70 à 72; Kinsel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1515, aux paragraphes 45 à 47; Toronto Coalition to Stop the War c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 957, aux paragraphes 81 et 82. Dans ces trois décisions, la Cour a souscrit à la conclusion du juge Blanchard lorsque celui‑ci statuait que seul peut invoquer la Charte un individu qui est présent au Canada, qui est assujetti à des procédures criminelles au Canada ou qui possède la citoyenneté canadienne.

[76] Cette restriction à l’application de la Charte n’est pas un développement récent. Même avant la décision Slahi, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale avaient interprété l’arrêt Singh comme empêchant que les non-citoyens à l’extérieur du Canada puissent invoquer la Charte : Conseil canadien des Églises c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 CF 534 (CA) (conf. pour d’autres motifs par [1992] 1 RCS 236); Ruparel c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 615; Lee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 242; Deol c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 1034 (conf. pour d’autres motifs 2002 CAF 271).

[77] La seule exception que les avocats ont relevée était le cas d’un demandeur qui revendiquait le droit à la citoyenneté plutôt que le privilège de l’immigration : Crease c Canada, [1994] 3 CF 480. Dans cette affaire, le demandeur avait demandé la citoyenneté au Canada et sa mère était Canadienne.

[78] Le défendeur ne conteste ni la qualité pour agir des demandeurs ni l’application de la Charte. Les parties semblent adopter l’idée que les demandes TQF établissent un lien suffisant avec le Canada pour étendre la portée des articles 7 et 15. La jurisprudence ne soutient pas cette concession. La question en litige porte sur les répercussions à l’étranger d’une loi canadienne. En l’espèce, il n’y a aucune question portant sur une application à l’étranger de la Charte qui serait associée aux actions de responsables canadiens à l’étranger, ni de question, comme je l’ai conclu en fonction de la preuve, portant sur une application de la loi non conforme à la Charte. La question en litige en l’espèce est celle de savoir si les protections prévues aux articles 7 et 15 s’appliquent aux ressortissants étrangers qui habitent à l’extérieur du Canada et du territoire canadien.

[79] Malgré mes réserves quant à la justesse de la concession, comme il n’y a aucun litige entre les parties à ce sujet, je ne trancherai pas la question. La jurisprudence relative à la Charte devrait s’établir par étapes en fonction de positions et d’intérêts opposés. De toute façon, il n’est pas nécessaire de trancher la question, puisque je conclus que les allégations de violation ne sont pas fondées.

[102] En appel devant la Cour d’appel fédérale (Tabingo c Canada, 2014 CAF 191; [2015] 3 RCF 346 [Tabingo]), la juge Sharlow a reconnu les observations du juge Rennie dans la décision Tabingo, mais elle a également conclu qu’elle n’avait pas à tirer une conclusion sur la question :

[53] Devant notre Cour, le ministre soutient que les demandeurs de visa ne jouissent d’aucun droit sous le régime de l’article 7 et du paragraphe 15(1) de la Charte. Cependant, comme il ressortira de l’analyse qui suit, je n’estime pas nécessaire d’exprimer d’opinion sur ce point.

[103] Mise à part cette question préliminaire, si je me penche sur les causes d’action qui sont plaidées, la déclaration doit faire valoir les faits substantiels ayant trait à chacun des éléments d’une violation présumée de la Charte. Une fois de plus, l’arrêt Mancuso fournit une orientation utile, au paragraphe 21 :

[21] Il n’existe pas de règles distinctes visant les actes de procédure dans les affaires relatives à la Charte. L’exigence des faits substantiels vise autant les moyens tirés de violations de la Charte qu’aux moyens tirés de la common law. La Cour suprême du Canada a défini par sa jurisprudence l’essence de chaque droit garanti par la Charte, et le demandeur est tenu d’alléguer des faits substantiels suffisants pour répondre au critère applicable à la disposition en cause. Il ne s’agit pas là d’une simple formalité, « au contraire, elle est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte » : Mackay c Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, à la page 361.

[104] Selon l’article 7 de la Charte, il doit être établi qu’il y a eu violation du droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité. Les actes de procédure ne précisent pas quel droit a été enfreint. Comme il a été établi, il y a plus de 30 ans, les trois intérêts protégés par l’article 7 sont distincts (Singh c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 RCS 177; Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 RCS 486). Rien n’indique, dans les actes de procédure, quel intérêt est en cause si un visa de résident permanent est refusé à un étranger.

[105] Non seulement les intérêts ne sont pas précisés, ce qui aurait permis de cerner les éléments qui doivent être prouvés compte tenu de la portée de chacun des intérêts, mais les actes de procédure n’indiquent pas comment un intérêt pourrait être en cause. En d’autres termes, aucun fait substantiel n’est soulevé. Quels sont les faits à l’appui d’une allégation de menace à la vie, à la liberté ou à la sécurité d’une personne qui n’est pas autorisée à immigrer au Canada, un privilège qui n’a pas été élevé au niveau d’un droit (Medovarski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 RCS 539)? Au mieux, les actes de procédure parlent du stress mental et de l’anxiété découlant des actes du gouverneur. Il peut convenir de noter que la Cour suprême a commenté cette question dans l’arrêt Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 RCS 307 [Blencoe], et qu’elle a conclu que le stress, la stigmatisation et l’angoisse n’ont pas porté atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne :

97 En résumé, le stress et l’angoisse que l’intimé a éprouvés et la stigmatisation dont il a été victime n’ont pas porté atteinte à son droit à la liberté ou à la sécurité de sa personne. Les rédacteurs de la Charte ont choisi d’utiliser les termes « vie, […] liberté et […] sécurité de [l]a personne », de sorte que l’art. 7 ne garantit que ces trois droits. Même si des notions de dignité et de réputation sous‑tendent maints droits garantis par la Charte, ce ne sont pas des droits distincts qui déclenchent en soi l’application de l’art. 7. La protection contre le genre d’angoisse et de stress que l’intimé a éprouvés et contre le genre de stigmatisation dont il a été victime en l’espèce ne devrait pas être élevée au rang de droit constitutionnel garanti par l’art. 7.

Si les demandeurs souhaitent avoir gain de cause, et ce, malgré l’arrêt Blencoe, ils doivent soulever les faits substantiels, ce qu’ils n’ont pas fait. Cela est essentiel (Mackay c Manitoba, [1989] 2 RCS 357 [Mackay]), d’autant plus, peut-être, que la Cour suprême a déjà conclu que la protection contre le stress, la stigmatisation et l’angoisse d’une personne vivant au pays n’était pas élevée au rang de droit constitutionnel garanti. Je ne veux pas dire que cela ne peut pas se faire dans un cas pertinent; simplement, il est particulièrement important que les faits soient soulevés afin qu’il puisse y avoir une cause d’action raisonnable. Autrement, « le défendeur aurait à deviner la teneur de la thèse qu’il doit réfuter pour répondre à une atteinte aux droits garantis par l’article 7 » (Mancuso, au paragraphe 23).

[106] Je suis d’autant plus convaincu de ma conclusion qu’une conclusion similaire a été tirée dans la décision Sivak, où la Cour a déclaré ce qui suit au sujet des demandeurs : « [ils] n’ont pas indiqué de quelle façon il y avait eu violation d’un ou de plusieurs de leurs intérêts, et n’ont pas non plus précisé les circonstances ou le contexte dans lesquels les violations auraient eu lieu. Je dois convenir avec les défendeurs que les allégations à cet égard sont formulées sous forme de conclusions dépourvues de fondement factuel ». (au paragraphe 73). Je cite l’arrêt Mackay, à la page 362 : « [l]es décisions relatives à la Charte ne peuvent pas être fondées sur des hypothèses non étayées qui ont été formulées par des avocats enthousiastes ».

[107] La déclaration fait aussi mention de la souffrance morale et des préjudices financiers découlant du refus des demandes de visas, l’un et l’autre n’étant pas suffisants pour fonder une allégation au titre de la Charte en l’absence de faits substantiels, comme l’a énoncé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Tabingo :

[97] Les appelants sont des ressortissants étrangers résidant à l’extérieur du Canada. Leur seul lien avec le Canada est le fait d’avoir demandé, sous le régime d’une loi canadienne, le droit de devenir résidents permanents dans notre pays. Ils n’ont aucun droit légal au statut de résident permanent, ni aucun droit d’entrer au Canada et d’y séjourner à moins d’obtenir ce statut. Ils avaient le droit de demander le statut de résident permanent sous le régime de la LIPR et, quand ils l’ont fait, ils avaient le droit de voir examiner leurs demandes sous ce même régime. Cependant, aucun de ces droits ne constitue un droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne. Lorsque le paragraphe 87.4(1) a mis fin à leurs demandes de visa, ils n’ont été privés d’aucun des droits que garantit l’article 7 de la Charte.

[98] Si l’on avait accueilli leurs demandes, font valoir les appelants, ils auraient acquis le droit d’entrer au Canada et d’y séjourner, et il s’ensuit nécessairement qu’ils auraient aussi acquis tous les droits garantis par la Charte, sauf ceux qui sont réservés aux citoyens canadiens. Selon les appelants, étant donné l’importance que revêt pour eux leur désir de devenir résidents permanents du Canada, la perte de leur droit à l’examen de leurs demandes de visa de résident permanent porte un tel coup à leur intégrité psychologique et physique qu’elle devrait être interprétée comme la perte d’un droit entrant dans le champ d’application de l’article 7 de la Charte.

[99] Je dois rejeter cet argument. Je ne doute nullement que le terme mis à l’examen de leurs demandes de visa de résident permanent ait causé une perte financière aux appelants, mais la perte financière ne suffit pas à elle seule à faire intervenir les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Je veux bien admettre que le fait de mettre fin au traitement de leurs demandes leur ait causé une profonde déception et peut‑être même, à certains d’entre eux, des troubles psychologiques, mais la preuve n’établit pas le niveau élevé de préjudice psychologique dont dépend la constatation d’une atteinte au droit à la sécurité de la personne; voir Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307.

[108] Les demandeurs n’ont pas non plus soulevé des faits se rattachant à l’analyse intrinsèque, au titre de l’article 7, en ce qui concerne les principes de la justice fondamentale. La privation du droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité d’une personne conformément aux principes de justice fondamentale ne constitue pas une violation de l’article 7. Cela ne suffit tout simplement pas pour alléguer de façon générale qu’il y a eu violation des droits garantis par l’article 7 de la Charte.

[109] En ce qui concerne les allégations fondées sur l’article 15, elles présentent les mêmes lacunes. La défenderesse soutient que les demandeurs doivent démontrer qu’il y a eu distinction fondée sur un motif énuméré ou un motif analogue, et que cette distinction crée un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes, afin de faire valoir adéquatement une déclaration fondée sur l’article 15 : R. c Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 RCS 483 [Kapp], au paragraphe 17; Withler c Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 RCS 396, aux paragraphes 30 et 31. Il y est soutenu que même s’il y a suffisamment de faits pour démontrer un effet préjudiciable fondé sur un motif énuméré, la déclaration n’invoque pas de faits montrant en quoi le traitement constitue de la discrimination. Cette analyse comprend notamment les facteurs suivants :

[…] (1) le désavantage préexistant dont peut être victime le groupe demandeur; (2) le degré de correspondance entre la différence de traitement et la situation réelle du groupe demandeur; (3) la question de savoir si la loi ou le programme a un objet ou un effet améliorateur; (4) la nature du droit touché […]

Kapp, au paragraphe 19

[110] Je conviens avec la défenderesse que les demandeurs n’ont pas présenté des faits substantiels établissant de quelle façon ils avaient été victimes de discrimination.

[111] La déclaration ne fait pas valoir les éléments fondamentaux des deux allégations faites au titre de la Charte. Les actes de procédure sont là encore si viciés qu’ils défient toute correction par simple modification. Aucune cause d’action raisonnable n’est divulguée. Comme je ne vois aucun semblant de cause d’action à corriger, je dois radier les deux allégations, sans autorisation de les modifier.

Septième allégation : les préjudices

[112] La défenderesse soutient que les préjudices énumérés par les demandeurs devraient être radiés pour manque de précisions. Les préjudices sont allégués principalement aux paragraphes 1, 30 et 36 de la déclaration :

[traduction]

1. Les demandeurs réclament ce qui suit :

a) des dommages-intérêts généraux de 200 000 $ par demandeur;

b) des dommages-intérêts majorés de 50 000 $ par demandeur;

c) des dommages-intérêts punitifs de 50 000 $ par demandeur;

d) des dommages-intérêts pour les pertes financières invoquées, qui seront calculés au moment du procès;

[...]

30. Par suite du retard inexcusable, des allégations fausses et sans fondement et du manquement à l’obligation de traiter la demande des demandeurs principaux de la part des agents de la défenderesse, les demandeurs ont subi les préjudices suivants : […]

a) en ce qui concerne l’épouse et les enfants de M. Emad Al Omani, le danger extrême, la stigmatisation indélébile, la détresse morale et la souffrance, sachant que le haut-commissariat soulève des allégations fausses et sans fondement selon lesquelles M. Emad Al Omani est associé avec Al‑Qaïda, ou de pareils groupes, ainsi que la souffrance morale de ne pas être réunis avec les frères du demandeur et leurs familles au Canada et le préjudice financier de ne pas pouvoir collaborer avec ses frères à leur entreprise au Canada, dans laquelle le demandeur a des intérêts financiers;

b) le stress mental, l’anxiété et la mise en danger de leur vie, sachant que de fausses allégations d’association avec Al‑Qaïda ou de pareils groupes ont été faites, ce qui expose leur vie à un risque en Arabie saoudite;

c) la perte de leur dignité pour avoir fait l’objet d’un traitement inégal en contravention de l’alinéa 3(3)d) de la LIPR, des principes non écrits de la constitution et de l’article 15 de la Charte, en raison de leur race et de leur origine nationale, c’est-à-dire parce qu’ils sont Saoudiens.

[...]

36. À titre subsidiaire, les demandeurs affirment que les agents de la défenderesse ont été négligents […]

(iii) par suite de ce manquement, les demandeurs ont subi des pertes et des dommages, notamment :

A/ la souffrance morale et la détresse découlant de la séparation des demandeurs avec leur famille au Canada, un cas qui jouit également de la protection conférée par l’article 7 de la Charte;

B/ la perte irréparable de leur cercle d’amis, plus particulièrement en ce qui concerne les enfants;

C/ la perte financière, qui sera quantifiée au procès, découlant de diverses dépossessions, notamment :

(i) l’avantage pour le demandeur, Emad Al Omani, d’occuper la place qui lui revient dans l’entreprise commerciale conjointe de son frère au Canada et d’y participer;

(ii) les dépens engagés à ce jour, qui seront établis au procès;

D/ le stress mental et l’anxiété pour avoir été faussement accusés d’être associés à Al‑Qaïda, ou à de pareils groupes, ce qui, en outre, met leur vie même en danger;

E/ leur droit à un traitement égal et à la protection en vertu de la loi, comme le prévoient l’alinéa 3(3)d) de la LIPR, les impératifs structurels de la constitution, ainsi que l’article 15 de la Charte, et la perte de leur dignité dans la mesure où ils font l’objet d’un traitement inégal en vertu de la loi.

[113] Les demandeurs soutiennent qu’il n’est pas nécessaire de calculer précisément les dommages-intérêts à ce stade-ci. Il y a des éléments à l’appui de cette position dans l’arrêt Woodhouse :

41 Bien que les tribunaux soient prudents lorsqu’il s’agit de protéger le droit individuel à un certain bien‑être mental, l’octroi d’une indemnité pour des dommages relevant de cette catégorie n’est pas étranger au droit de la responsabilité délictuelle. Dans l’état actuel du droit, le fait que l’appelant ait subi ou vécu un trouble émotionnel ne suffit pas. Il est néanmoins bien établi que le demandeur qui souffre d’une « maladie visible et prouvable » ou de « dommages physiques ou psychopathologiques perceptibles » peut réclamer une indemnité pour problèmes psychiatriques : voir par exemple Guay c. Sun Publishing Co., [1953] 2 R.C.S. 216, et Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99. En conséquence, même si les demandeurs pouvaient démontrer qu’ils ont souffert de problèmes psychiatriques — sous forme d’anxiété ou de dépression —, ils devraient tout de même prouver que ces problèmes découlaient de l’inconduite alléguée et qu’ils étaient d’une importance telle qu’ils justifiaient l’octroi d’une indemnité. Les questions relatives à la causalité et à l’importance des problèmes psychiatriques devront toutefois être tranchées au procès. Au stade des actes de procédure, il suffit que les demandeurs allèguent dans leur déclaration que l’inconduite alléguée leur a causé des souffrances morales, de la colère, de la dépression et de l’anxiété.

[...]

74 Comme nous l’avons vu s’agissant des actions pour faute dans l’exercice d’une charge publique, les tribunaux sont prudents lorsqu’ils sont appelés à protéger le droit individuel à un certain bien‑être mental; il est toutefois bien établi que le demandeur qui souffre d’une « maladie visible et prouvable » ou de « dommages physiques ou psychopathologiques perceptibles » peut réclamer une indemnité pour problèmes psychiatriques. Au stade des actes de procédure, il suffit que les demandeurs allèguent dans leur déclaration que la négligence des défendeurs a été la cause de leurs souffrances morales, de leur colère, de leur dépression et de leur anxiété. Les questions relatives à la causalité et à l’importance des problèmes psychiatriques devront être tranchées au procès.

[Non souligné dans l’original.]

[114] La même règle s’applique à d’autres catégories de préjudices. Sauf pour ce qui est des dommages qui découleraient de violations de la Charte qui ont été radiés, je conviens avec les demandeurs que la défenderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau, soit de démontrer pourquoi les dommages devraient être radiés. Il reste à établir si les demandeurs seront en mesure de démontrer qu’ils ont subi des dommages, notamment que leur bien-être d’ordre psychiatrique a été affecté plus gravement que par le chagrin, le trouble émotionnel ou la détresse. Cependant, le critère à appliquer n’est pas la chance de réussir, mais plutôt la cause d’action raisonnable. Je fais droit aux dommages afin que l’instance soit instruite de la façon dont elle est plaidée.

Huitième allégation : la question de savoir si des ministres devraient être désignés dans la déclaration

[115] La déclaration présente la description suivante des défendeurs désignés :

[traduction]

3. a) La défenderesse, Sa Majesté la Reine, est légalement et indirectement responsable des actes et des omissions de ses fonctionnaires aux termes des paragraphes 17(1) à (5) de la Loi sur les Cours fédérales et du paragraphe 24(1) et de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1867, et plus particulièrement de toute prétendue prérogative de la Couronne, le cas échéant après le rapatriement de la Loi constitutionnelle de 1982 et de la Loi de 1982 sur le Canada, à savoir les employés du haut-commissariat du Canada à Londres, en Angleterre, qui sont ceux des défendeurs, le ministre des Affaires étrangères ou celui de Citoyenneté et Immigration;

b) Le défendeur, le ministre des Affaires étrangères, est légalement et constitutionnellement responsable du maintien et de la dotation des bureaux canadiens des visas à l’étranger;

c) Le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration est légalement et constitutionnellement responsable de l’application de la LIPR et du Règlement connexe.

[116] Les défendeurs demandent la radiation des deux ministres désignés (Affaires étrangères et Citoyenneté et Immigration) en faveur d’un unique défendeur, Sa Majesté la Reine, qui devient ainsi la défenderesse. Les défendeurs soulignent que les ministres désignés ne sont pas responsables eux-mêmes des préjudices invoqués en l’espèce (R. c Federation of Newfoundland Indians, 2003 CFPI 383, au paragraphe 30). Dans la décision Cairns c Société du crédit agricole, [1992] 2 CF 115; 49 FTR 308, le juge Denault a écrit ce qui suit :

[traduction]

[6] Les demandeurs ont désigné l’honorable William McKnight comme défendeur dans cette action. Un ministre de la Couronne ne peut être poursuivi en sa qualité de représentant, pas plus qu’en sa qualité personnelle, à moins que les allégations portées contre lui se rapportent à des gestes qu’il aurait posés en sa qualité personnelle (Re Air India (1987), 62 OR (2d) 130, (sub nom. Air India Flight 182 Disaster Claimants v Air India) 44 DLR (4th) 317 (HC)). Les demandeurs n’ayant rien allégué contre le ministre au sujet de gestes qu’il aurait posés en sa qualité personnelle, l’honorable William McKnight doit être rayé de la liste des parties à l’action.

Nous retrouvons des observations similaires dans l’arrêt Mancuso c Canada (Santé nationale et Bien-être social), au paragraphe 180. À l’audience relative à cette affaire, l’avocat des demandeurs a pratiquement reconnu ce point. Quoi qu’il en soit, cela semble être l’état du droit (Sibomana c Canada, 2016 CF 943, aux paragraphes 32 et 33).

[117] Je ne vois aucune raison de nommer ces deux ministres en l’espèce; par conséquent, je les radie de la déclaration en faveur de Sa Majesté la Reine, qui est l’unique défenderesse.

Neuvième allégation : les arguments constitutionnels concernant les procès devant jury aux termes de la Loi sur les Cours fédérales et l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire en application de la LIPR

[118] Les demandeurs ont indiqué qu’ils prévoient contester sur le plan constitutionnel l’article 49 de la Loi sur les Cours fédérales, qui exclut les procès devant jury, au motif qu’il enfreint [traduction] « les impératifs constitutionnels de la primauté du droit et du constitutionnalisme, ainsi que le droit à un procès devant jury établi dans la Grande Charte, à l’alinéa 11f) de la Charte dans le contexte pénal et dans la clause résiduelle de l’article 7 de la Charte dans le contexte civil […] » (déclaration, au paragraphe 39).

[119] Les demandeurs sollicitent aussi un jugement déclaratoire portant que le paragraphe 72(1) de la LIPR est inconstitutionnel, au motif que les fonctionnaires de la défenderesse [traduction] « peuvent perpétuellement refuser une demande fondée, en conséquence de quoi, tôt ou tard, une demande d’autorisation sera refusée » et qu’une demande d’autorisation ne constitue pas, en soi, un contrôle judiciaire (aux alinéas 40a) et c) de la déclaration).

[120] La défenderesse soutient que ces deux arguments devraient être radiés parce qu’ils ne sont pas pertinents à la présente action.

[121] Dans l’arrêt Mancuso, la Cour d’appel fédérale s’est heurtée à une question similaire à l’égard d’une requête en radiation dans laquelle étaient sollicités des jugements déclaratoires concernant la validité constitutionnelle d’autres lois. La Cour d’appel a conclu que même s’il est possible d’accorder des jugements déclaratoires distincts en matière de constitutionnalité, ces jugements exigent un fondement factuel :

[32] Il est possible d’accorder des jugements déclaratoires distincts en matière de constitutionnalité : Canadian Transit Company c. Windsor (Corporation of the City), 2015 CAF 88. Toutefois, le droit d’obtenir une mesure ne permet pas de contourner les règles de procédure. Même les purs jugements déclaratoires de validité constitutionnelle exigent que des faits pertinents suffisants soient allégués à l’appui de la demande. Les questions relatives à la Charte ne peuvent être tranchées dans l’abstrait (Mackay c. Manitoba, précité), pas plus que des questions de compétence législative en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 ne peuvent être tranchées sans fondement factuel adéquat, lequel doit être exposé dans la déclaration. Cela est d’autant plus vrai lorsque le contentieux porte sur les effets de la loi contestée : Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086, à la page 1099.

[33] La Cour suprême du Canada a formulé au paragraphe 46 de l’arrêt Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44, les conditions préalables à la reddition d’un jugement déclaratoire : le juge a compétence sur l’objet du litige et la question dont il est saisi est réelle et non simplement théorique en ce que la personne qui la soulève a un intérêt véritable à le faire.

[34] Appliquant la jurisprudence Khadr, la Cour a insisté, aux paragraphes 77 à 79 de l’arrêt Canada (Affaires indiennes) c. Daniels, 2014 CAF 101 (autorisation d’appel accordée), sur les risques que comporte la contestation générale d’une loi non fondée sur des faits – en d’autres termes, une contestation qui ne remplit pas la deuxième condition formulée par la jurisprudence Khadr. La juge Dawson a signalé qu’il est possible de confirmer la validité d’une loi lorsqu’elle vise certaines circonstances, et de conclure à son inconstitutionnalité lorsqu’elle vise d’autres cas. Le juge doit saisir la portée d’une loi de façon à être en mesure d’apprécier si, et dans quelle mesure, cette loi excède la compétence du législateur. Il ne peut décider que le Parlement a outrepassé les limites de sa compétence législative et qu’il s’en est suivi des effets qui ne sont pas simplement accessoires sur des matières réservées aux provinces, sans examiner ce que sa loi accomplit réellement. Les faits sont essentiels pour délimiter les compétences législative et constitutionnelle. En l’espèce, ces risques sont particulièrement élevés; comme le juge l’a signalé, la loi en cause vise littéralement des milliers de suppléments de santé naturels.

[35] Cela ne constitue pas une règle de droit nouveau. Les demandeurs citent la jurisprudence Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821 laquelle reconnaîtrait l’existence du droit général de demander un jugement déclaratoire, mais cette jurisprudence enseigne également qu’il doit y avoir « une “véritable question” à trancher concernant [les] intérêts respectifs [des parties] ». Notre Cour ne peut conclure que cette exigence est remplie en l’absence d’allégations de faits qui précisent cette véritable question ainsi que son lien avec les demandeurs et leur demande.

[Non souligné dans l’original.]

[122] En ce qui a trait à l’allégation fondée sur l’article 49, je souligne que dans leur mémoire des faits et du droit, au paragraphe 18, les demandeurs expliquent qu’il ne s’agit pas d’une argumentation, mais plutôt d’un avis de redressement recherché. C’est tout. Dans la décision Cabral c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1040, le juge Zinn a radié une argumentation similaire fondée sur l’article 49, parce qu’elle n’était pas pertinente à l’action. Je suis du même avis. Si la déclaration n’est rien de plus qu’un avis annonçant quelque chose d’autre à venir, elle est inutile; en outre, ledit avis ne tient même pas compte de l’article 26 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC (1985), c C-50. Il s’agit d’une question différente de nature procédurale qui ne répond pas aux critères d’une déclaration. Elle doit être radiée de la déclaration. Ce faisant, je ne veux pas dire que la constitutionnalité de l’article 49 ne peut pas être attaquée dans la présente instance.

[123] En ce qui a trait à l’allégation des demandeurs concernant le paragraphe 72(1) de la LIPR, je conviens avec la défenderesse que ce plaidoyer n’est pas pertinent à ce stade-ci. Les demandeurs ont obtenu que soient annulées et renvoyées pour contrôle judiciaire deux décisions relatives à leurs demandes de visas. Chaque fois, l’autorisation a manifestement été accordée. La déclaration renvoie à un futur refus hypothétique d’accorder l’autorisation. Cela ne peut pas constituer le fondement d’une contestation de la loi en l’espèce. Cela n’est rien de plus qu’une question théorique, assurément pas une question réelle concernant les faits de l’affaire. Par conséquent, en raison de l’absence complète de fondement factuel sur lequel appuyer cette allégation, je la radie sans autorisation de la modifier.

VI. Conclusion

[124] Si une compensation doit être accordée, ce n’est pas en invoquant le droit relatif au complot ou à la négligence, mais plutôt le droit en matière de faute dans l’exercice d’une charge publique, une fois qu’il sera plaidé adéquatement. Il n’y a tout simplement rien dans la déclaration qui puisse donner à penser que les éléments essentiels du délit aient même été envisagés. Il ne suffit tout simplement pas d’alléguer la « négligence » ou le « complot ». Il en faut plus pour établir un semblant de cause d’action. Les éléments essentiels d’une cause d’action ne sont pas les mêmes que ceux d’une autre. Une faute d’exécution ne constitue pas de la négligence, et la négligence ne constitue pas un complot. Les faits substantiels relatifs à chacun de ces cas varient. L’approche adoptée consistait effectivement à présenter une version générale, sans relier les faits aux causes d’action alléguées plus loin dans le document. En fin de compte, nous nous retrouvons face à un exposé qui étaye une cause d’action visant une faute d’exécution, laquelle doit être soulevée avec plus de précision, mais qui fait cruellement défaut en ce qui a trait aux causes d’action subsidiaires invoquant la négligence et le complot. À mon avis, il y a un semblant de cause d’action dans la faute d’exécution soulevée, de sorte qu’en apportant les modifications pertinentes pour alléguer les faits substantiels requis, l’affaire pourrait être instruite.

[125] Par conséquent, certaines allégations sont radiées sans autorisation de les modifier :

1. la faute dans l’exercice d’une charge publique – le refus de se conformer à une ordonnance de la Cour;

2. la faute dans l’exercice d’une charge publique – le refus de répondre aux questions;

3. l’abus de pouvoir et de compétence;

4. l’abus de procédure;

5. la négligence et l’enquête négligente;

6. le complot;

7. les violations des articles 7 et 15 de la Charte;

8. les allégations constitutionnelles concernant l’article 49 de la Loi sur les Cours fédérales et l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

[126] Certaines allégations sont radiées avec autorisation de les modifier :

1. la faute dans l’exercice d’une charge publique – le refus de délivrer des visas et les délais pour l’obtention de visas;

2. la faute dans l’exercice d’une charge publique – le délai pour l’obtention de visas

3. les dommages – les violations de la Charte.

[127] En dernier lieu, les ministres désignés sont radiés en faveur de Sa Majesté la Reine.

[128] Compte tenu du succès partagé à l’égard de la requête, aucuns frais et dépens ne seront adjugés.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-1774-15

LA COUR ORDONNE que pour les motifs exposés ci-dessus, les causes d’action suivantes soient radiées de la déclaration, sans autorisation de les modifier, en application du paragraphe 221(1) des Règles des Cours fédérales :

1. la faute dans l’exercice d’une charge publique – le refus de se conformer à une ordonnance de la Cour;

2. la faute dans l’exercice d’une charge publique – le refus de répondre aux questions;

3. l’abus de pouvoir et de compétence;

4. l’abus de procédure;

5. la négligence et l’enquête négligente;

6. le complot;

7. les violations des articles 7 et 15 de la Charte;

  1. les allégations constitutionnelles concernant l’article 49 de la Loi sur les Cours fédérales et l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Pour les motifs exposés ci-dessus, que les causes d’action suivantes soient radiées de la déclaration, avec autorisation de les modifier, en application du paragraphe 221(1) des Règles des Cours fédérales :

1. la faute dans l’exercice d’une charge publique – le refus de délivrer des visas et les délais pour l’obtention de visas;

2. la faute dans l’exercice d’une charge publique – le délai pour l’obtention de visas

  1. les dommages – les violations de la Charte.

Compte tenu du fait que les parties ont chacune eu partiellement gain de cause à l’égard de la présente requête en radiation, aucuns frais et dépens ne seront adjugés.

Sur consentement des deux parties, les demandeurs disposeront de 60 jours à compter de la date de la présente ordonnance pour déposer une déclaration modifiée, et la défenderesse disposera de 30 jours pour déposer une défense à compter de la date de la signification de la déclaration modifiée.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour d’août 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1774-15

 

INTITULÉ :

EMAD IBRAHIM AL OMANI, LINA HOUSNE HAMZA NAHAS, ET SULTAN EMAD AL OMANI (MINEUR), LULWA EMAD IBRAHIM AL OMANI (MINEURE), HAYA EMAD IBRAHIM AL OMANI, (MINEURE), REPRÉSENTÉS PAR LEURS TUTEURS À L’INSTANCE, EMAD IBRAHIM AL OMANI ET LINA HOUSNE HAMZA NAHAS c SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 septembre 2016

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 24 août 2017

 

COMPARUTIONS :

Rocco Galati

 

Pour les demandeurs

 

Susan Gans

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rocco Galati Law Firm

Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

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