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Date : 20171102


Dossier : IMM-1896-17

Référence : 2017 CF 990

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

JORGE ALBERTO VELASCO QUINTEROS

MARIA RUTHDEY ARGUETA DE VELASCO

TATIANA ARLETTE VELASCO ARGUETA

GEORGINA MICHELLE VELASCO ARGUETA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), à l’encontre d’une décision rendue par une agente d’immigration (l’agente), par laquelle elle a rejeté la requête présentée par les demandeurs de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada dont ils font l’objet, aux termes du paragraphe 48(2) de la LIPR, jusqu’à ce qu’une décision soit rendue concernant leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (demande CH).

II.  Résumé des faits

[2]  Les demandeurs forment une famille et sont originaires du Salvador. M. Velasco Quinteros et Mme Argueta de Velasco sont mariés et ont deux enfants, Tatiana et Georgina.

[3]  Les demandeurs auraient fait l’objet de menaces de mort et d’extorsion au Salvador de la part de la Mara Salvatrucha (la Mara), un gang international dont les membres sont principalement d’origine ethnique salvadorienne.

[4]  En janvier 2016, un membre du gang Mara aurait appelé les demandeurs et aurait menacé de les tuer s’ils ne lui versaient pas la somme de 1 500 $. Les demandeurs ont déposé une plainte à la police et sont allés se cacher chez un membre de la famille.

[5]  Le mois suivant, des membres du gang Mara auraient arrêté les demandeurs dans la rue à l’extérieur de leur maison. La Mara a demandé un versement mensuel de 2 000 $ et menacé de mort la famille. La Mara a également exigé que Georgina et Tatiana aident avec la livraison de messages et de drogues, et elle a indiqué clairement qu’elle savait où les quatre membres de la famille travaillaient et étudiaient. Les demandeurs ont déposé une deuxième plainte à la police.

[6]  En mars 2016, les demandeurs sont arrivés au Canada et ont présenté une demande d’asile fondée sur leurs expériences avec la Mara. Peu après leur arrivée, Georgina a découvert qu’elle était enceinte.

[7]  En juin 2016, la demande d’asile des demandeurs a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés. La Section de la protection des réfugiés n’avait pas de doutes quant à la crédibilité des demandeurs ou au fondement de leur demande d’asile; toutefois, elle n’a trouvé aucun lien entre leurs expériences et les motifs de persécution énumérés (aux termes de l’article 96 de la LIPR), et a jugé que le risque auquel ils étaient exposés était un risque généralisé, commun aux résidents du Salvador (aux termes de l’article 97 de la LIPR). En septembre 2016, la Cour a rejeté la demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés.

[8]  Après le rejet de leur demande d’asile, les demandeurs auraient appris que des membres du gang Mara étaient à leur recherche, qu’ils étaient entrés par effraction dans leur maison et avaient volé des renseignements personnels.

[9]  En novembre 2016, Georgina a donné naissance à un garçon appelé Milan.

[10]  Le 8 mars 2017, les demandeurs ont présenté une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[11]  Le 30 mars 2017, les demandeurs ont appris qu’ils seraient renvoyés du Canada le 30 avril 2017.

[12]  Le 7 avril 2017, les demandeurs ont présenté une demande en vue de surseoir à leur renvoi. Le 27 avril 2017, l’agente a rejeté la demande de sursis des demandeurs.

[13]  Le 27 avril 2017, les demandeurs ont déposé une requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, ainsi qu’une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agente. La Cour a ordonné un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à ce que la demande de contrôle judiciaire soit entièrement tranchée.

[14]  Dans ses motifs écrits expliquant son rejet de la demande de sursis, l’agente a souligné son pouvoir discrétionnaire limité de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi en application du paragraphe 48(2) de la LIPR et le fait que, même si elle choisissait d’exercer son pouvoir discrétionnaire, la mesure de renvoi devrait quand même être exécutée dès que possible.

[15]  L’agente a reconnu la demande CH et les observations présentées à l’appui de la demande; toutefois, elle a estimé que le traitement de la demande ne nécessitait pas la présence des demandeurs au Canada. En outre, les demandes CH ne donnent pas ouverture à un empêchement ou à sursis de l’exécution de la mesure de renvoi prévu par la loi; la politique publique permet le traitement de ces demandes après le renvoi.

[16]  L’agente a également reconnu la naissance récente de Milan et que son intérêt supérieur devait être pris en considération. Elle a indiqué que Milan est un citoyen canadien et n’est pas assujetti à la mesure de renvoi, qu’il jouit de la liberté de circulation et qu’il a droit aux soins de santé et autres programmes sociaux. De plus, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant que Milan ne bénéficierait pas du fait d’être réuni avec son père, qui se trouvait au Salvador.

[17]  En outre, l’agente n’a constaté aucun élément de preuve nouveau et convaincant concernant le risque. Les observations des demandeurs n’indiquaient pas que les conditions au Salvador s’étaient détériorées depuis que la Section de la protection des réfugiés avait examiné la demande d’asile des demandeurs. En outre, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que la récente introduction par effraction dans leur maison du Salvador avait été perpétrée par des membres de la Mara. L’agente a souligné qu’un sursis au renvoi est une mesure temporaire visant à alléger les cas exceptionnels et ne constitue pas le recours approprié pour contourner des mesures prévues par la loi visant à préserver l’intégrité du système canadien d’immigration.

[18]  Enfin, l’agente a écarté un rapport présenté par une psychothérapeute agréée, qui a diagnostiqué chez les demandeurs un trouble de stress post-traumatique (TSPT), un trouble anxieux généralisé et une dépression grave, liés à leurs expériences au Salvador. L’agente a indiqué que le rapport avait été rédigé le même jour qu’a eu lieu une entrevue de 60 minutes, qu’il n’avait pas été rédigé sur la recommandation d’un fournisseur de soins de santé, et qu’il semblait avoir été rédigé à la demande de l’avocat pour appuyer la demande CH. De plus, aucun élément de preuve n’indiquait que les demandeurs ne pourraient pas traiter leurs problèmes de santé mentale au Salvador.

[19]  L’agente a conclu que les difficultés découlant du renvoi n’étaient pas insurmontables et que les éléments de preuve n’établissaient pas un cas exceptionnel qui justifiait un sursis au renvoi.

III.  Questions en litige

[20]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. L’agente a-t-elle omis de tenir compte de manière raisonnable de la santé mentale des demandeurs et de leur sécurité physique?
  2. L’agente a-t-elle omis d’évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant Milan?

IV.  Norme de contrôle

[21]  La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Shpati, 2011 CAF 286 [Shpati], au paragraphe 27; Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81 [Baron], au paragraphe 25).

V.  Discussion

A.  L’agente a-t-elle omis de tenir compte de manière raisonnable de la santé mentale des demandeurs et de leur sécurité physique?

[22]  Les demandeurs soutiennent que l’agente avait le pouvoir discrétionnaire de tenir compte d’un vaste éventail de circonstances et qu’en omettant de tenir compte du témoignage des demandeurs concernant leurs problèmes incontestables de santé mentale et leur sécurité physique, elle a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et a rendu une décision déraisonnable. Les demandeurs ont invoqué le rapport de la psychothérapeute, Nancy Riback, pour affirmer que l’agente n’avait pas abordé de manière raisonnable les problèmes de santé mentale des demandeurs.

[23]  Le défendeur soutient que la Section de la protection des réfugiés et la Cour disposaient toutes deux déjà des éléments de preuve concernant le risque et la santé mentale des demandeurs, et qu’elles ont toutes deux rejeté la demande des demandeurs. L’agente a conclu de manière raisonnable que les conditions au Salvador ne s’étaient pas sérieusement détériorées depuis le rejet de leur demande. En outre, les motifs fournis par l’agente pour écarter le rapport de la psychothérapeute étaient raisonnables.

[24]  Le pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution de la loi, aux termes de l’article 48 de la LIPR, est très restreint. Comme notre Cour l’a affirmé dans Simoes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 187 FTR 219 [Simoes], au paragraphe 12 :

[…] le pouvoir discrétionnaire que l’agent chargé du renvoi peut exercer est fort restreint et, de toute façon, il porte uniquement sur le moment où une mesure de renvoi doit être exécutée. En décidant du moment où il est « raisonnablement possible » d’exécuter une mesure de renvoi, l’agent chargé du renvoi peut tenir compte de divers facteurs comme la maladie, d’autres raisons à l’encontre du voyage et les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n’ont pas encore été réglées à cause de l’arriéré auquel le système fait face.

[25]  De plus, notre Cour a défini plusieurs principes concernant les sursis d’exécution dans la décision Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 CF 682 [Wang], aux paragraphes 44, 45 et 48 :

  • [traduction] Divers facteurs peuvent avoir une influence sur le moment du renvoi, même si on donne une interprétation très étroite à l’article 48 de la LIPR, comme les arrangements de voyage, les états de santé qui ont une incidence sur la capacité de voyager, le calendrier scolaire des enfants et les naissances ou décès imminents.
  • La décision de différer l’exécution doit donc comporter une justification pour ne pas se conformer à une obligation positive, imposée par la Loi, d’exécuter une mesure de renvoi valable. Vu l’obligation qui est imposée par l’article 48, et l’obligation de s’y conformer, il y a lieu d’accorder beaucoup d’importance à l’existence d’une réparation autre, comme le droit de retour, puisqu’il s’agit d’une réparation autre que celle qui consiste à ne pas respecter une obligation positive imposée par la Loi.
  • Un exemple de politique qui respecte à la fois l’obligation d’exécuter et le pouvoir discrétionnaire de différer est de réserver l’exercice de ce pouvoir aux demandes ou procédures où le défaut de différer ferait que la vie du demandeur serait menacée, ou qu’il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain. Dans de tels cas, on ne pourrait annuler les conséquences d’un renvoi en réadmettant la personne au Canada.

[26]  Les propos de notre Cour dans les décisions Simoes et Wang ont été cités et approuvés par la Cour d’appel fédérale (Baron, aux paragraphes 49 et 51; Shpati, aux paragraphes 43 et 44). En outre, l’article 48 de la LIPR a plus récemment été modifié afin de remplacer l’expression « dès que les circonstances le permettent » par l’expression « dès que possible ».

[27]  La raison invoquée par l’agente pour écarter le rapport de la psychothérapeute était raisonnable. Elle a accordé peu de poids à cet élément de preuve en raison des circonstances dans lesquelles il a été créé, et du manque d’éléments de preuve indiquant que les demandeurs ne pourraient avoir accès à des services de santé mentale au Salvador. Elle avait le droit de tirer cette conclusion et le rôle de la Cour n’est pas de soupeser à nouveau les éléments de preuve.

[28]  Qui plus est, je suis d’accord avec le défendeur pour affirmer que Mme Riback n’est pas qualifiée pour donner une opinion à propos du diagnostic de trouble de stress post-traumatique et d’autres conditions médicales dûment diagnostiquées par des psychiatres, des psychologues et des médecins.

[29]  De plus, quand elle a affirmé que [traduction] « compte tenu des risques et des difficultés auxquels cette famille sera vraisemblablement exposée si elle est forcée de retourner au Salvador » (à la page 241 du dossier des demandeurs), Mme Riback a franchi la limite et est devenue une intervenante, en offrant une opinion qu’elle ne pouvait justifier et pour laquelle elle n’avait aucune expertise; son opinion sur ce point n’a aucune valeur probante (Egbesola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 204, aux paragraphes 13 à 15).

[30]  Toutefois, il était déraisonnable pour l’agente de conclure qu’il n’existait aucun élément de preuve nouveau ou convaincant concernant le risque. Les demandeurs ont déposé de nouveaux éléments de preuve pour étayer leur allégation d’un risque grave et personnalisé auquel ils seraient exposés à leur retour au Salvador. L’agente a écarté ces éléments de preuve parce qu’ils [traduction] « ne prouvaient pas que les auteurs allégués de l’entrée par effraction étaient liés à [la Mara] », mais elle n’a donné aucune autre explication et n’a mentionné aucun élément de preuve contradictoire.

[31]  Les nouveaux éléments de preuve portent sur une introduction par effraction dans la maison des demandeurs qui a eu lieu plusieurs mois après le rejet de leur demande d’asile. Un proche de leur neveu vivait dans la maison des demandeurs depuis leur arrivée au Canada. Dans un affidavit, ce proche a présenté deux photos montrant l’état de la maison après l’introduction par effraction, et a fait la déclaration suivante :

[traduction] […] j’ai constaté que les deux portes avaient été forcées au point où elles ne sont plus fonctionnelles. Tout l’intérieur de la maison était sans dessus dessous, et ils avaient pris les télévisions et les ordinateurs et, je l’ai constaté plus tard, ils avaient également pris des photos, d’importants documents, des cartes de crédit et des contrats personnels – tous ces documents concernaient ma tante, mon oncle et leurs filles, ce qui m’a semblé difficile à comprendre, vu qu’aucun de mes documents personnels n’a été touché. Je n’ai pu déposer une plainte, parce qu’ils m’ont dit que le dossier de mon oncle se trouvait déjà au bureau du procureur général, et qu’en raison de la plainte précédemment déposée, seul mon oncle [...] pouvait ajouter quelque chose.

[32]  Dans leurs observations écrites à l’intention de l’agente, les demandeurs ont affirmé ce qui suit :

[traduction] [...] La famille Velasco est convaincue qu’il s’agissait de membres de la Mara parce que leurs documents personnels ont été volés, et seuls quelques articles précieux ont été emportés. Les membres de la Mara cherchaient probablement les documents pour localiser la famille Velasco. Comme la famille Velasco le souligne dans son affidavit, si les intrus avaient été de simples voleurs, ils auraient vraisemblablement volé plus d’articles et n’auraient pas touché aux documents personnels.

Je vous renvoie aux photos figurant à la pièce « E » des portes endommagées par lesquelles les membres de la Mara sont entrés dans la maison et à l’affidavit d’Angel Rivera Argueta, à la pièce « F » de l’affidavit de la famille Velasco.

Ces renseignements sont nouveaux et n’étaient pas disponibles lorsque la Section de la protection des réfugiés a fait son examen. Ils sont particulièrement pertinents puisqu’ils montrent que la famille Velasco est réellement exposée à un risque personnalisé au Salvador. La Mara les a non seulement ciblés par téléphone et en personne lorsque la famille vivait au Salvador, mais elle continue maintenant de les cibler même après leur départ. Encore une fois, la seule raison invoquée par la Section de la protection des réfugiés pour rejeter la demande de la famille fondée sur l’article 97 est liée à une conclusion de risque généralisé. Les nouveaux éléments de preuve que la famille Velasco a maintenant en mains militent contre cette conclusion antérieure. Il s’agit d’éléments de preuve qui devraient être évalués par un agent d’ERAR autorisé et qualifié pour faire des évaluations du risque. Comme la famille Velasco aura droit à un ERAR à compter du 7 juin 2017, il serait raisonnable de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi afin de leur permettre de présenter une demande d’ERAR et d’attendre la décision rendue.

[33]  Les nouveaux éléments de preuve indiquent la probabilité d’un risque personnalisé et, par conséquent, pourraient permettre de renverser la décision antérieure de la Section de la protection des réfugiés. Étant donné que les demandeurs ont fait l’objet de menaces et d’extorsions répétées de la part de membres de la Mara, il est raisonnable de croire que cette introduction par effraction était liée à ces expériences antérieures. En outre, la Mara pourrait maintenant détenir de nombreux documents contenant les renseignements personnels des demandeurs.

[34]  La Section de la protection des réfugiés n’avait aucun doute quant à la crédibilité des demandeurs et a rejeté leur demande fondée sur l’article 97 uniquement en raison d’un risque généralisé. Non seulement ces nouveaux éléments de preuve étayent une conclusion de risque personnalisé, mais encore, la décision de l’agente a été rendue moins de deux mois avant que les demandeurs ne soient admissibles à présenter une demande d’ERAR.

[35]  À part indiquer que les éléments de preuve étaient [traduction] « insuffisants », l’agente n’a fait aucune mention de ce développement important. L’agente n’a donné aucune autre explication pour cette conclusion, et n’a pas fait référence à des éléments de preuve contradictoires, ni au fait que la Section de la protection des réfugiés n’avait tiré aucune conclusion défavorable concernant la crédibilité des demandeurs.

[36]  En outre, l’agente a omis de renvoyer à ces nouveaux éléments de preuve en ce qui concerne l’intérêt supérieur de l’enfant. Comme je l’explique ci-dessous, l’agente était uniquement tenue de faire une analyse tronquée des intérêts à court terme; elle n’avait pas à effectuer une analyse complète de l’intérêt supérieur de l’enfant qu’exige la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, comme on l’énonce dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy]. Toutefois, l’agente n’a pas été « récepti[ve] et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant à court terme, compte tenu de ces nouveaux éléments de preuve et de leur incidence sur la décision antérieure de la Section de la protection des réfugiés ou sur une éventuelle demande d’ERAR.

B.  L’agente a-t-elle omis d’évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant Milan?

[37]  Les demandeurs soutiennent que l’agente a effectué une analyse inadéquate de l’intérêt supérieur de l’enfant, parce qu’elle n’a pas tenu compte des risques et des problèmes de santé mentale de la famille, qui influent directement sur l’enfant.

[38]  Le défendeur fait valoir que l’agente était uniquement tenue de prendre en compte l’intérêt immédiat et à court terme de l’enfant, et que cette obligation se limite aux circonstances où il n’existe aucune solution de rechange pratique à un sursis afin d’assurer les soins et la protection de l’enfant.

[39]  Lorsqu’ils traitent une demande de sursis, les agents chargés de l’exécution de la loi ne peuvent pas faire une analyse complète de l’intérêt supérieur de l’enfant, car cela équivaudrait à usurper la fonction des agents chargés d’examiner les circonstances d’ordre humanitaire en application de l’article 25 de la LIPR (Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130 [Lewis], au paragraphe 57). En outre, la jurisprudence Kanthasamy vise uniquement les décisions relatives aux considérations d’ordre humanitaire prises en application de l’article 25 de la LIPR (Lewis, au paragraphe 74).

[40]  Toutefois, l’agent d’exécution peut être tenu de se livrer à un examen de l’intérêt à court terme de l’enfant qui pourrait être touché par le renvoi de ses parents (Lewis, au paragraphe 58). Comme notre Cour l’a affirmé dans la décision Munar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1180 [Munar], aux paragraphes 38 et 40 :

38. […] l’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas une question de tout ou rien, mais bien une question de degré. Alors qu’une analyse approfondie est nécessaire dans le contexte d’une demande CH, un examen moins élaboré peut suffire dans le contexte d’autres décisions à prendre. Au vu de l’article 48 de la Loi, ainsi que de l’économie générale de celle-ci, […] l’obligation de l’agent [d’exécution] d’examiner l’intérêt des enfants nés au Canada se situe du côté d’un examen moins élaboré […].

40. […] [L’agent d’exécution] doit tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant à court terme. […]

[41]  Les tribunaux ont conclu que cet intérêt à court terme comprend : la nécessité pour un enfant de terminer son année scolaire pendant la période visée par la demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi (Munar, au paragraphe 40); le maintien du bien-être des enfants qui ont besoin de soins médicaux spécialisés continus au Canada (Danyi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 112, aux paragraphes 36 à 40); s’assurer qu’une personne sera disponible pour s’occuper de l’enfant après le renvoi de ses parents si l’enfant demeure au Canada (Munar, aux paragraphes 40 à 42); la nécessité pour un enfant autochtone de maintenir un certain lien avec sa culture, son patrimoine et son territoire (Lewis, aux paragraphes 85 à 88).

[42]  En l’espèce, l’agente a souligné que Milan a droit aux avantages conférés à un citoyen canadien et que les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour montrer que Milan ne bénéficierait pas du fait d’être réuni avec son père au Salvador, s’il était renvoyé avec sa mère. Même si ces considérations peuvent être pertinentes, l’intérêt à court terme le plus important de Milan a trait aux risques le concernant lui et à sa famille. L’agente n’a pas traité directement de ces risques dans le contexte de l’intérêt supérieur de Milan, et l’examen de l’intérêt supérieur de Milan effectué par l’agente à cet égard était déraisonnable.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1896-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour réexamen;

  2. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1896-17

 

INTITULÉ :

JORGE ALBERTO VELASCO QUINTEROS ET AL. c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Nathan Higgins

Pour les demandeurs

Michael Butterfield

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Evans de Vries Higgins LLP

Bradford (Ontario)

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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