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Date : 20171102


Dossier : IMM-1100-17

Référence : 2017 CF 986

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

ENAYAT SHARIATY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS :

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) d’une décision rendue par le délégué du ministre (le délégué) de refuser la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur.

II.  Résumé des faits

[2]  Le demandeur est né en Afghanistan en 1989 et est un citoyen afghan. Il est venu au Canada à l’âge de 11 ans à titre de résident permanent, parrainé, tout comme son père, par son frère aîné qui était un réfugié au Canada.

[3]  La mère du demandeur est décédée quand il était enfant, il n’avait jamais rencontré son frère avant de déménager au Canada et il n’avait pas une relation étroite avec son père. Au Canada, il y a eu une rupture des liens familiaux et il a fini par être pris en charge par des foyers d’accueil et de groupe. Il est devenu dépendant des drogues à un jeune âge et a commencé à vendre de la drogue pour gagner sa vie.

[4]  En conséquence, en 2010 le demandeur avait un casier judiciaire important, y compris des déclarations de culpabilité de possession d’une substance contrôlée; de possession en vue d’en faire le trafic (cinq déclarations de culpabilité); d’omission de se conformer à une condition d’une promesse ou d’un engagement (deux déclarations de culpabilité); de défaut d’arrêter lors d’un accident; de défaut de se conformer à une décision; de s’être évadé d’une garde légale; d’omission de comparaître; de s’évader pendant qu’il est poursuivi; de conduite dangereuse d’un véhicule; d’utilisation non autorisée d’une arme à feu à autorisation restreinte chargée; de possession non autorisée d’un dispositif prohibé; de voies de fait causant des lésions corporelles.

[5]  En 2010, le demandeur a été signalé aux fins d’interdiction de territoire pour grande criminalité. En février 2011, le demandeur a été frappé d’une mesure de renvoi. Il a présenté une demande d’ERAR, mais la demande a été refusée en novembre 2012.

[6]  En septembre 2013, le demandeur a été reconnu coupable de voies de fait et de voies de fait contre un agent de la paix. En décembre 2013, il a été reconnu coupable de deux chefs d’accusation de vol.

[7]  En novembre 2014, le demandeur a été placé en détention liée à l’immigration et la date de son renvoi a été fixée.

[8]  En décembre 2015, le demandeur a présenté une demande de sursis de renvoi et une deuxième demande d’ERAR. Le sursis a été accordé et une opinion favorable quant à l’ERAR a été donnée.

[9]  En janvier 2016, l’opinion favorable quant à l’ERAR a été acheminée au délégué aux fins d’une « évaluation des restrictions » en application de l’alinéa 112(3)b), du sous-alinéa 113d)(i) et de l’alinéa 114(1)b) de la LIPR. Ces dispositions indiquent que, puisque le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité, le risque qu’il pose serait évalué uniquement en application de l’article 97 de la LIPR et qu’une décision favorable n’aura pas pour effet de conférer un statut de réfugié, mais uniquement de surseoir à la mesure de renvoi.

[10]  De plus, en raison de son interdiction de territoire, le demandeur constituait une exception au moratoire sur le renvoi de ressortissants vers l’Afghanistan, conformément à l’article 230 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR ou le Règlement).

[11]  Le fondement de la demande d’ERAR du demandeur était que sa vie serait en péril s’il était renvoyé en Afghanistan, en raison d’une combinaison de caractéristiques personnelles : il est d’origine ethnique Hazara, un athée et une personne occidentalisée.

[12]  Dans le cadre de la demande d’ERAR de décembre 2015, le demandeur a présenté un rapport d’expert du professeur Brian Williams (professeur Williams) au sujet des risques auxquels le demandeur serait confronté en Afghanistan en raison de son identité en tant que personne d’origine ethnique Hazara, occidentalisée et qui ne croit pas en l’Islam (le rapport d’expert).

[13]  En octobre 2016, dans le cadre de sa réponse à une demande d’observations supplémentaires, le demandeur a présenté des éléments de preuve indiquant que la situation ne s’était pas améliorée en Afghanistan depuis le dépôt de sa demande d’ERAR en décembre 2015 et que, en réalité, les conditions s’étaient détériorées.

[14]  Le 21 février 2017, le délégué a rejeté la demande d’ERAR et a conclu que la preuve était insuffisante pour établir que le demandeur était susceptible d’être exposé à la mort, à la torture ou à des traitements ou peines cruels ou inusités s’il retournait en Afghanistan.

[15]  Les motifs du délégué comprenaient des citations des observations écrites du demandeur et du rapport d’expert qui étaient axées sur la situation qui se détériore en Afghanistan, les menaces auxquelles sont confrontés les Hazaras, et sur le fait que le risque auquel le demandeur est exposé est aggravé par le fait qu’il est un athée occidentalisé.

[16]  Le délégué a retenu l’argument portant sur les antécédents de persécution des Hazaras et sur le fait que le demandeur est peut-être visiblement identifié comme membre de ce groupe ethnique. Toutefois, le délégué a conclu qu’il était difficile de déterminer si les Hazaras étaient ciblés en raison de leur ethnicité ou le fait qu’ils pratiquent l’Islam chiite. En conséquence, l’absence d’intérêt dont fait preuve le demandeur en matière de religion est susceptible de réduire le risque qu’il soit une victime de la violence sectaire à l’intention des chiites.

[17]  Le délégué a également retenu l’argument selon lequel le demandeur ne croit pas en l’Islam, mais il n’a constaté aucune preuve que les non-croyants étaient exposés à un risque en Afghanistan en tant que facteur de risque distinct.

[18]  Le délégué a conclu que les risques les plus graves provenaient des éléments opposés au gouvernement, comme les talibans et l’État islamique en Iraq et en Syrie (EIIS). Tant les maniérismes occidentaux que l’identité Hazara du demandeur l’exposent à un risque de la part des éléments opposés au gouvernement. En conséquence, l’essence de toute menace à la sécurité du demandeur consisterait à savoir comment et pourquoi il serait identifié par les éléments opposés au gouvernement, s’il existe des régions où il pourrait demeurer en sécurité et s’il existe une protection de l’État.

[19]  Le délégué a conclu qu’il existait peu d’éléments pour suggérer que le demandeur avait un profil d’importance pour les éléments opposés au gouvernement. Il n’était pas employé par une organisation internationale, un membre d’un groupe politique ou social ni un journaliste ou un militant. De plus, des mesures pourraient être prises pour réduire la perception selon laquelle il est une personne occidentalisée, comme ne pas voyager avec des documents ou des symboles qui permettraient d’établir un lien entre lui et le gouvernement afghan ou les pays occidentaux. En outre, le style de vêtement en Afghanistan est tel qu’il serait habituel que le demandeur ne montre pas son avant-bras sur lequel il a un tatouage de style occidental.

[20]  Le délégué a retenu l’argument selon lequel l’ethnicité Hazara du demandeur l’expose à un risque de la part des éléments opposés au gouvernement, mais une protection de l’État contre les éléments opposés au gouvernement existait dans les régions contrôlées par le gouvernement. Il a indiqué que 57 % des districts du pays étaient contrôlés par le gouvernement, y compris Kaboul. Les régions contrôlées par le gouvernement obtenaient un soutien des forces américaines et des forces de la coalition, ainsi que des Nations-Unies. En outre, les régions urbaines étaient les plus sécuritaires et une réinstallation à l’intérieur du pays était possible pour les personnes jouissant d’une faible notoriété.

[21]  Le délégué a conclu que le demandeur n’était pas susceptible d’être exposé à la mort, à la torture ou à des traitements ou peines cruels ou inusités s’il retournait en Afghanistan. Le gouvernement afghan a déployé des efforts pour protéger les civils dans les régions contrôlées par le gouvernement, y compris les Hazaras. Même si ces mesures n’étaient pas parfaites et les éléments opposés au gouvernement ont continué de cibler les civils dans les régions contrôlées par le gouvernement, il existe peu d’éléments pour suggérer qu’ils s’intéresseraient particulièrement à cibler le demandeur puisque son profil n’était pas d’importance pour les éléments opposés au gouvernement. Si le demandeur résidait à Kaboul, il serait dans un environnement populeux où les groupes ethniques et religieux étaient mixtes, y compris les Hazaras. En outre, s’il s’adaptait rapidement et se comportait de manière appropriée, il existe peu d’éléments pour suggérer qu’il serait ciblé parce qu’il est associé aux croyances et aux coutumes occidentales.

[22]  Le 9 mars 2017, le demandeur a déposé devant la Cour une demande de contrôle judiciaire de la décision du délégué.

III.  Questions en litige

[23]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. Un déni de justice naturelle a-t-il eu lieu lorsque le délégué a omis de donner au demandeur l’occasion de répondre à ses préoccupations concernant le rapport d’expert?
  2. Le délégué a-t-il commis une erreur lorsqu’il n’a pas tenu compte du rapport d’expert et lorsqu’il s’est fondé de façon sélective sur le reste des éléments de preuve?

IV.  Norme de contrôle

[24]  La norme de contrôle en matière d’équité procédurale liée au déni de justice naturelle est celle de la décision correcte.

[25]  La norme de la décision raisonnable s’applique à l’appréciation de la preuve concernant la demande d’ERAR du demandeur.

V.  Analyse

Dispositions applicables

[26]  Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a imposé un sursis aux mesures de renvoi vers l’Afghanistan en application de l’alinéa 230(1)a) du Règlement; toutefois, le sursis ne s’applique pas au demandeur en application de l’alinéa 230(3)c) du Règlement :

Sursis

Sursis : pays ou lieu en cause

230 (1) Le ministre peut imposer un sursis aux mesures de renvoi vers un pays ou un lieu donné si la situation dans ce pays ou ce lieu expose l’ensemble de la population civile à un risque généralisé qui découle :

a) soit de l’existence d’un conflit armé dans le pays ou le lieu

Stay of Removal Orders

Considerations

230 (1) The Minister may impose a stay on removal orders with respect to a country or a place if the circumstances in that country or place pose a generalized risk to the entire civilian population as a result of

(a) an armed conflict within the country or place

Exception

(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas dans les cas suivants :

c) il est interdit de territoire pour grande criminalité ou criminalité au titre des paragraphes 36(1) ou (2) de la Loi

Exceptions

(3) The stay does not apply to a person who

(c) is inadmissible under subsection 36(1) of the Act on grounds of serious criminality or under subsection 36(2) of the Act on grounds of criminality;

[27]  L’alinéa 112(3)b), le sous-alinéa 113d)(i) et l’alinéa 114(1)b) de la LIPR prévoient que lorsqu’un demandeur est interdit de territoire pour grande criminalité, le risque qu’il pose est évalué uniquement en application de l’article 97 de la LIPR et une décision favorable ne donne pas lieu au statut de réfugié, mais seulement à un sursis au renvoi :

Protection

Demande de protection

Restriction

(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada pour une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

Protection

Application for protection

Restriction

112 (3) Refugee protection may not be conferred on an applicant who […]

(b) is determined to be inadmissible on grounds of serious criminality with respect to a conviction in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years or with respect to a conviction outside Canada for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years;

Examen de la demande

113 Il est disposé de la demande comme il suit :

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3) — sauf celui visé au sous-alinéa e)(i) ou (ii) —, sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada

Consideration of application

113 Consideration of an application for protection shall be as follows:

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3) — other than one described in subparagraph (e)(i) or (ii) — consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada

Effet de la décision

114 (1) La décision accordant la demande de protection a pour effet de conférer l’asile au demandeur; toutefois, elle a pour effet, s’agissant de celui visé au paragraphe 112(3), de surseoir, pour le pays ou le lieu en cause, à la mesure de renvoi le visant.

Effect of decision

114 (1) A decision to allow the application for protection has

(b) in the case of an applicant described in subsection 112(3), the effect of staying the removal order with respect to a country or place in respect of which the applicant was determined to be in need of protection.

A.  Un déni de justice naturelle a-t-il eu lieu lorsque le délégué a omis de donner au demandeur l’occasion de répondre à ses préoccupations concernant le rapport d’expert?

[28]  L’avocate du demandeur a reconnu à l’audience que ce n’est que si la Cour conclut que le traitement du rapport d’expert par le délégué était déraisonnable que l’on devrait déterminer s’il y a eu manquement à la justice naturelle.

[29]  Le demandeur soutient que le délégué a manqué à l’équité procédurale lorsqu’il lui a refusé la possibilité de répondre à ses préoccupations concernant le rapport d’expert. Ce rapport était essentiel à l’argumentation du demandeur et les titres de compétence de cet expert étaient inattaquables et ce rapport aurait constitué une contre-preuve. Vu ce manquement à l’équité procédurale, le demandeur demande à la Cour de retenir maintenant la contre-preuve de l’expert.

[30]  Le défendeur soutient que les motifs du délégué n’indiquent aucun problème ou préoccupation particuliers concernant le rapport d’expert. Le délégué a soupesé tous les éléments de preuve, y compris le rapport, et il est parvenu à une conclusion raisonnable. En outre, le délégué a donné au demandeur l’occasion de soumettre des observations à jour sur le risque avant de prendre une décision.

[31]  Je suis d’accord avec le défendeur. Dans une demande d’ERAR, le fardeau de la preuve incombe au demandeur. Le délégué n’était tenu d’examiner que les éléments de preuve dont il était saisi. Il n’était pas tenu de demander au demandeur de lui fournir une meilleure preuve ou une preuve additionnelle (Ormankaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1089, aux paragraphes 31 à 34).

[32]  La jurisprudence citée par le demandeur se distingue. Dans Muliadi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 2 CF 205, la Cour était saisie d’une preuve émanant d’un tiers qui n’avait pas été communiquée au demandeur. Dans Malala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 290 (QL), la Cour était saisie d’une conclusion selon laquelle la demanderesse était évasive et peu plausible en raison d’anomalies et de contradictions dans son témoignage.

[33]  Toutefois, même si je retiens la contre-preuve au titre du rapport d’expert, je ne conclus pas qu’un manquement à la justice naturelle a été commis.

B.  Le délégué a-t-il commis une erreur lorsqu’il a rejeté le rapport d’expert et lorsqu’il s’est fondé de façon sélective sur le reste des éléments de preuve?

[34]  Le demandeur soutient que le rapport d’expert constituait l’élément de preuve essentiel à son argumentation et la seule preuve qui portait sur le risque auquel une personne ayant les caractéristiques particulières du demandeur serait confrontée. Toutefois, le délégué a rejeté implicitement le rapport en ne tenant pas compte des parties importantes du rapport, en choisissant parmi son contenu, en privilégiant des renseignements généraux et en tirant des conclusions qui contredisent l’importance du rapport, et ce, sans explication.

[35]  Le défendeur soutient que les motifs du délégué indiquent qu’il était au courant du contenu du rapport d’expert et qu’il en a tenu compte de manière équitable. Le délégué a cité d’autres sources documentaires fiables pour étayer la décision et il avait le droit de privilégier ces sources aux conclusions du rapport d’expert. Essentiellement, le demandeur demande à la Cour de procéder à une nouvelle pondération de la preuve.

[36]  Le délégué a omis de traiter les parties importantes du rapport d’expert, y compris sa conclusion selon laquelle le demandeur serait exposé à d’importants risques s’il était déporté en Afghanistan. Au mieux, le délégué a effectivement minimisé la valeur et l’importance du rapport d’expert. En outre, le délégué a choisi de se fonder de manière sélective sur une preuve documentaire générique pour parvenir à une décision contraire à ce que le rapport d’expertise étaye réellement.

[37]  Les décideurs sont censés avoir examiné et apprécié toute la preuve déposée, sauf indication contraire; toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments dont il disposait (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 157 FTR 35, au paragraphe 17).

[38]  La Cour a conclu que lorsqu’une preuve d’expert est déposée et que le décideur l’examine, une analyse poussée et détaillée est nécessaire si l’on veut la rejeter (Naeem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1375, au paragraphe 24).

[39]  De plus, la Cour a conclu que les décideurs ne sont pas autorisés à s’appuyer de façon sélective sur des éléments de preuve présentés au détriment du demandeur ou à écarter des éléments de preuve pertinents qui appuient sa demande d’asile (Zaatreh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 211, aux paragraphes 53 à 57). En réalité, dans le contexte de réfugiés, la Cour a conclu à maintes reprises qu’un décideur omet de tenir dûment compte des conditions auxquelles les Hazaras sont confrontés en Afghanistan (Barat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 443; et Hossain c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 313).

[40]  L’auteur du rapport d’expert, le professeur Williams, est un professeur d’Histoire islamique à l’Université du Massachusetts. Il a voyagé partout en Afghanistan, a été consulté par les gouvernements américain et afghan, a publié des livres sur l’histoire, les politiques et la guerre en Afghanistan, il a également rédigé des articles universitaires au sujet de la répression des minorités ethniques dans ce pays. La Cour avait reconnu ses compétences antérieurement (Re Harkat, 2010 CF 1241, au paragraphe 46; et Re Almrei, 2009 CF 1263, aux paragraphes 268 et 349 à 361).

[41]  Même si le délégué tient compte du rapport d’expert du professeur Williams, il omet des parties pertinentes du rapport, comme l’énoncé selon lequel le demandeur sera [traduction] « exposé à d’extrêmes dangers » en Afghanistan. Un exemple de la modification sélective du délégué est démontré par une comparaison d’une partie des motifs du délégué à la partie correspondante du rapport d’expert.

Motifs du délégué : [traduction]

[…] les fanatiques talibans ont déclaré la guerre contre les Hazaras en Afghanistan et au Pakistan. [… ] Même si cette histoire a fait la une, la plupart des massacres des Hazaras ne l’ont pas fait parce qu’ils sont devenus routiniers au cours des dernières années […].

Énoncé initial : [traduction]

[…] les fanatiques talibans ont déclaré la guerre contre les Hazaras en Afghanistan et au Pakistan. Des centaines de Hazaras « infidèles » ont été systématiquement pourchassés et tués par les talibans dans les deux pays. La presse faisait régulièrement état de récits de Hazaras qui étaient enlevés d’autobus aux points de contrôle des talibans et abattus ou décapités, d’attentats suicides à la bombe aux rassemblements de Hazaras, entre autres. Aussi récemment qu’au milieu du mois de novembre 2015, sept Hazaras, y compris une fillette de neuf ans, ont été décapités dans la province afghane de Zabul. Même si cette histoire a fait les manchettes, la plupart des massacres des Hazaras ne l’ont pas fait parce qu’ils sont devenus routiniers au cours des dernières années et surtout au cours des derniers mois.

[Non souligné dans l’original]

[42]  Encore plus important, le délégué omet de faire un renvoi à la conclusion et à la recommandation figurant au rapport d’expert qui contredisent la conclusion du délégué :

[traduction] Le moins que l’on puisse dire, la situation [du demandeur] comporte un risque énorme et, s’il est expulsé vers sa terre ancestrale, il se trouvera en grand danger tant sur le plan personnel que le plan ethnique à titre de Hazara occidentalisé qui pourrait bien être déclaré comme un infidèle non seulement par les fanatiques talibans, mais également par les personnes à l’esprit fermé qui sont souvent des mullahs fanatiques ou des prêtres qui régissent la vie de son propre groupe ethnique chiite. […]

Dans ces circonstances, je déconseille fortement l’expulsion [du demandeur] vers la zone de guerre connue comme l’Afghanistan puisqu’il est confronté à la perspective d’un autre retrait des troupes américaines l’année prochaine et à d’autres conquêtes des talibans en pleine résurgence.

[Non souligné dans l’original]

[43]  Le délégué a choisi de se fonder de manière sélective sur une preuve documentaire générale pour tirer une conclusion qui contredit l’essentiel du rapport d’expert. Par exemple, le délégué a cité un rapport du Home Office du Royaume-Uni concernant le fait que le gouvernement afghan contrôle des secteurs du pays, que la réinstallation à l’intérieur du pays pourrait être possible pour les personnes jouissant d’une faible notoriété et que les secteurs urbains, plutôt que les secteurs ruraux, sont plus sécuritaires. Toutefois, le délégué n’a pas renvoyé à la section du rapport portant sur la protection de l’État. Plus particulièrement, le délégué ne mentionne pas cet énoncé figurant dans cette section :

[traduction] À Kaboul, et dans d’autres districts, villes et villages contrôlés par le gouvernement, les autorités peuvent avoir la volonté, mais elles ne seront souvent pas en mesure d’offrir une protection efficace vu les faiblesses structurelles des forces de sécurité et du système de justice […]

(Royaume-Uni : Home Office, Country Policy and Information Note – Afghanistan: Fear of anti-government elements (AGEs), le 29 novembre 2016, version 2.0 au paragraphe 2.4.3 [UK Home Office Report])

[Non souligné dans l’original]

[44]  Enfin, le rapport d’expert est conforme à la preuve documentaire. Les rapports du Home Office du Royaume-Uni, du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR) et de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui ont tous été cités longuement par le délégué, étayent la proposition selon laquelle les Hazaras, les non-croyants et les personnes occidentalisées font partie des profils à risque élevé en Afghanistan – la combinaison unique de ces trois caractéristiques du demandeur l’expose à un risque plus élevé et non à un risque réduit, tel que l’a conclu le délégué.

[45]  La décision est déraisonnable.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1100-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre délégué pour réexamen.

  2. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1100-17

 

INTITULÉ :

ENAYAT SHARIATY c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

[Date de l’audience]

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Leigh Salsberg

Pour le demandeur

Kevin Doyle

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Leigh Salsberg

Avocate

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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