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Date : 20171026


Dossier : IMM-1424-17

Référence : 2017 CF 954

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2017

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

ERAKIL CHACHUA

aussi connu sous le nom de

IRAKLI CHACHUA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le demandeur affirme avoir été battu et menacé, lorsqu’il habitait en Géorgie, en raison de son appui au parti politique du Mouvement national uni (MNU). Le demandeur, croyant que les suspects étaient des policiers qui étaient toujours à sa recherche, est arrivé au Canada en décembre 2015. Il a présenté une demande d’asile auprès de la Section de la protection des réfugiés qui l’a rejetée en raison de l’insuffisance des éléments de preuve. Le demandeur a par la suite interjeté appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés, que la Section d’appel des réfugiés a confirmée.

[2]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) ni une personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision n’est pas raisonnable parce qu’elle n’est pas transparente. Par conséquent, la présente demande est accueillie.

II.  Résumé des faits

[3]  Lorsqu’il habitait en Géorgie, le demandeur soutenait le parti politique MNU. Il se décrit comme un militant qui a notamment placardé des affiches du MNU, distribué de la propagande et accueilli des personnes. Le parti politique au pouvoir depuis 2012 est la Coalition rêve géorgien (CRG).

[4]  C’est en juin 2014 que le demandeur a commencé à avoir des problèmes avec la CRG. À titre d’exemple, le coordonnateur principal de la CRG a averti le demandeur de cesser de soutenir le MNU, sans quoi il aurait de [traduction] « graves problèmes ». Des militants de la CRG ont également proféré des menaces et des insultes au demandeur pendant qu’il posait des affiches électorales pour le MNU.

[5]  Le 18 juin 2014, la situation a pris une tournure violente. Le demandeur a été amené à l’hôpital après avoir été battu par trois hommes sortis d’une Skoda aux vitres teintées. Ces hommes lui ont dit que ce passage à tabac se voulait un dernier avertissement sur ses activités. Le demandeur a porté plainte devant le bureau du procureur, où on lui a toutefois répondu que ses ennuis se poursuivraient s’il ne cessait pas de soutenir le MNU.

[6]  Deux semaines plus tard, le 3 juillet 2014, deux personnes se sont rendues à la maison du demandeur et ont demandé à sa femme de leur donner le numéro de téléphone du demandeur. Le demandeur a ensuite déménagé dans une autre ville et logeait dans l’auberge de ses beaux-parents. Il a commencé à recevoir des appels sur son téléphone, mais il ne répondait pas.

[7]  En mai 2015, son beau-père a remarqué la présence d’un véhicule suspect aux environs de sa maison. C’est ce qui a poussé le demandeur à déménager dans une autre ville, où il a habité avec sa belle-sœur. Le demandeur, qui affirme que seuls les policiers conduisent des Skoda en Géorgie, a quitté le pays puisqu’il croyait que les hommes à sa recherche étaient des policiers. Il a présenté une demande d’asile au Canada en décembre 2015 parce qu’il croit qu’il sera de nouveau persécuté s’il retourne en Géorgie.

[8]  Le 19 avril 2016, le demandeur a comparu à une audience concernant le statut de réfugié. Dans ses motifs datés du 2 juin 2016, la Section de la protection des réfugiés a rejeté sa demande en raison de l’insuffisance d’éléments de preuve.

[9]  Dans l’appel qu’il a interjeté devant la Section d’appel des réfugiés, le demandeur a demandé et obtenu la permission de produire de nouveaux éléments de preuve. Le nouvel élément de preuve est une lettre datée du 23 juin 2016 envoyée par des membres du MNU. On a rejeté sa demande de témoigner de vive voix puisque sa crédibilité n’était pas contestée. La Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés ont toutes deux conclu que le demandeur était crédible.

[10]  Le 20 juin 2016, la Section d’appel des réfugiés a confirmé la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés, en indiquant que cette dernière n’avait pas [traduction] « commis d’erreur au point de rendre la décision incorrecte ». Après une évaluation indépendante, la Section d’appel des réfugiés a conclu [traduction] « les éléments de preuve ne suffisent pas à conclure qu’il y a plus qu’une simple possibilité que [le demandeur] soit victime de persécution ».

III.  Questions en litige

[11]  La question que je trancherai est importante, malgré sa simplicité :

La Section d’appel des réfugiés a-t-elle rendu une décision raisonnable, intelligible et transparente?

IV.  Question préliminaire

[12]  Comme il l’indique dans son mémoire des faits et du droit, le titre du défendeur est incorrect. Le demandeur ne s’est pas montré en désaccord. L’intitulé sera modifié afin d’indiquer : « le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ».

V.  Norme de contrôle

[13]  La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica], a indiqué que la Section d’appel des réfugiés doit faire sa propre évaluation des éléments de preuve et tirer ses propres conclusions. La Section d’appel des réfugiés doit appliquer la norme de contrôle de la décision correcte, mais doit faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de la Section de la protection des réfugiés en matière de crédibilité puisque la Section de la protection des réfugiés jouit d’un avantage certain en la matière.

[14]  La Cour doit soumettre la décision de la Section d’appel des réfugiés à la norme de contrôle de la décision raisonnable [Huruglica].

VI.  Discussion

[15]  Le demandeur fait valoir que l’erreur susceptible de révision a été commise lorsque la Section d’appel des réfugiés s’est penchée sur la façon dont la Section de la protection des réfugiés a abordé son explication de la raison pour laquelle il était ciblé.

[16]  Le demandeur affirme que la Section de la protection des réfugiés, dans sa décision, n’a ni abordé ni analysé les explications qu’il a présentées. Il cite d’abord à l’appui de son affirmation la transcription, où il présente son motif, puis la décision de la Section de la protection des réfugiés, au paragraphe 15, qui indique ce qui suit :

[traduction]

[a]ucun motif n’a été présenté ou ne ressort de la preuve dans son ensemble afin d’expliquer pourquoi les autorités seraient à la recherche d’un partisan du MNU de si bas niveau, qui n’en était ni un membre ni un candidat, et qui ne jouait aucun rôle au sein du parti.

[17]  La transcription confirme que le demandeur a expliqué à la Section de la protection des réfugiés qu’il était un militant et qu’il a indiqué pourquoi les autorités seraient à sa recherche. Le demandeur a souligné que c’est la Section d’appel des réfugiés elle-même qui a indiqué que la Section de la protection des réfugiés n’avait pas abordé son explication. Par conséquent, le demandeur soutient que la Section de la protection des réfugiés ne peut conclure que les éléments de preuve ne correspondent pas à l’explication, puisque cette dernière n’a pas été examinée. Le demandeur fait valoir que l’analyse plus approfondie menée par la Section d’appel des réfugiés sur la question avait atténué l’erreur importante commise par la Section de la protection des réfugiés et qu’une autre agression liée à ses activités politiques pourrait probablement se produire s’il retournait dans son pays. Le demandeur a aussi souligné que les éléments de preuve documentaire montrent que les militants, les dirigeants et les membres correspondent tous au profil des personnes ciblées.

[18]  Après avoir entendu le plaidoyer présenté par le demandeur, le défendeur s’est appuyé sur ses observations écrites et n’a formulé aucun argument oral supplémentaire.

[19]  La Section d’appel des réfugiés n’a présenté aucune analyse qui indique en quoi l’explication fournie par le demandeur ne constitue pas une preuve suffisante. Plutôt que de présenter une analyse, la Section d’appel des réfugiés a reconnu que la Section de la protection des réfugiés n’avait pas abordé cet élément de preuve, tout en indiquant qu’il [traduction] « ne s’agit pas d’une erreur qui suffit à rendre la décision erronée dans son ensemble ». La Section d’appel des réfugiés n’explique pas comment il est possible de conclure que la preuve n’était pas suffisante, tout en concluant à la crédibilité du demandeur; en croyant que l’attaque est survenue; en croyant qu’il a refusé de cesser de soutenir le membre du MNU David Zhgenti (même après avoir été averti de cesser); en croyant que des hommes louches ont rendu visite à sa femme; et en croyant qu’une voiture de marque Skoda correspondant à la description de celle ayant servi à commettre l’agression a été aperçue à maintes reprises. Le seul élément d’analyse fourni par la Section d’appel des réfugiés est l’insuffisance de la preuve. Vu la tenue d’élections au cours de l’année et à la lumière des éléments de preuve documentaire à l’appui de l’explication donnée par le demandeur à la Section d’appel des réfugiés et à la Section de la protection des réfugiés, une analyse s’impose.

[20]  La Section de la protection des réfugiés a conclu à tort qu’aucun motif n’avait été présenté pour expliquer pourquoi le demandeur serait recherché et elle ne l’a pas interrogé davantage sur ses raisons de croire qu’on l’attaquait. Pourtant, la Section d’appel des réfugiés a conclu que la Section de la protection des réfugiés avait interrogé adéquatement le demandeur et qu’elle avait exploré la question en lui demandant de justifier pourquoi il avait attendu pour quitter la Géorgie. Cependant, je suis d’accord avec le demandeur lorsqu’il affirme qu’il s’agit là de deux questions distinctes. Vu l’impossibilité d’appliquer la preuve adéquatement si le fondement factuel est incomplet, la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés ne peut pas être raisonnable.

[21]  Une décision doit être étayée par un raisonnement. La Section d’appel des réfugiés a conclu – sans expliquer comment elle est parvenue à cette conclusion – que le demandeur n’était pas ciblé. La Section d’appel des réfugiés n’indique pas pourquoi les éléments de preuve sont insuffisants, face aux éléments de preuve documentaire de 2014 et de 2015 démontrant que les personnes ayant un profil de militant étaient exposées à un risque. Le demandeur a le droit de savoir pourquoi la Section d’appel des réfugiés conclut qu’il ne sera pas ciblé au cours des prochaines élections considérant les éléments de preuve plutôt que des déclarations générales. Il ne suffit pas à la Section d’appel des réfugiés d’affirmer tout simplement qu’il y a « insuffisance d’éléments de preuve ». Ces déclarations générales font en sorte que la décision manque de transparence et qu’elle n’est donc pas raisonnable.

[22]  Par conséquent, la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés se fonde sur un fait erroné et ses motifs sont insuffisants, ce qui va à l’encontre de l’arrêt Dunsmuir. Le caractère raisonnable d’une décision tient à sa justification, à sa transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12).

[23]  Je conclus que la décision de la Section d’appel des réfugiés n’est pas transparente et qu’elle est donc déraisonnable.

[24]  Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1424-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. L’intitulé sera modifié afin de remplacer « le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté » par « le ministre de la Citoyenneté et de  l’Immigration ».

  2. La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à la Section d’appel des réfugiés pour être entendue de nouveau par un autre décideur.

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1424-17

 

INTITULÉ :

ERAKIL CHACHUA aussi connu sous le nom de IRAKLI CHACHUA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 octobre 2017

 

COMPARUTIONS :

Bjorn Harsanyi

POUR LE DEMANDEUR

Maria Green

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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