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Date : 20170914


Dossier : T-348-17

Référence : 2017 CF 830

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2017

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

ISTVAN PESTI

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 [Loi sur les Cours fédérales], à l’encontre d’une décision rendue par un délégué du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, à la Division des appels de la Direction des recours de l’Agence des services frontaliers du Canada (le délégué), visant à imposer au demandeur une amende de 2 500 $ aux termes de l’article 29 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, LC 2000, c 17 [LRPCFAT], pour avoir omis de déclarer une somme de plus de 10 000 $ en espèces qu’il avait en sa possession à son départ du Canada, en violation de l’article 12 de la LRPCFAT.

II.  Résumé des faits

[2]  Le demandeur, Istvan Pesti, est âgé de 74 ans et a immigré au Canada depuis la Hongrie et la Suisse il y a 46 ans. Il a exploité une entreprise de mobilier et de design intérieur à Vancouver jusqu’à sa retraite à Kelowna, il y a environ 16 ans. Le demandeur et son épouse sont nés en Hongrie, et s’y rendent régulièrement pour rendre visite à des parents et à des amis.

[3]  Le 14 juin 2016, un agent des services frontaliers a abordé le demandeur à l’Aéroport international de Calgary alors qu’il s’apprêtait à prendre un vol pour Amsterdam. L’agent des services frontaliers a demandé au demandeur combien d’argent il transportait, ce à quoi le demandeur a répondu « 8 000 $ ». Le demandeur a ensuite présenté une enveloppe à l’agent des services frontaliers et a déclaré qu’elle contenait 10 000 $ et qu’il n’avait pas d’autres espèces.

[4]  Les bagages du demandeur ont été fouillés, et on y a trouvé sept enveloppes contenant de l’argent en espèces. Le montant total que le demandeur avait en sa possession s’élevait à 17 651,20 $CAN et à 1 070,00 $US.

[5]  L’agent des services frontaliers a conclu que le demandeur avait contrevenu à l’article 12 de la LRPCFAT en omettant de déclarer qu’il avait en sa possession une somme de plus de 10 000 $ en espèces. L’agent des services frontaliers a saisi les devises, conformément au paragraphe 18(1) de la LRPCFAT, et a refusé de les rendre au motif qu’il avait des motifs raisonnables de soupçonner qu’il s’agissait de produits de la criminalité, au sens du paragraphe 18(2) de la LRPCFAT.

[6]  Le 12 septembre 2016, le demandeur a interjeté appel de la saisie par l’agent des services frontaliers auprès du délégué, demandant à ce que les devises lui soient rendues sans pénalité. Il soutenait que l’argent avait été retiré de son épargne-retraite et devait servir comme mise de fonds pour l’achat d’une résidence près de Budapest. En outre, il a affirmé que son voyage avait commencé à Kelowna, où le personnel de sécurité avait vu et fait des remarques sur les devises dans ses bagages, et avait été informé de son intention d’acheter une maison en Hongrie. Il a présumé que ces remarques constituaient une divulgation aux autorités. Enfin, le demandeur a affirmé qu’il était plutôt intimidé par les autorités, étant donné ses antécédents culturels et un malentendu de bonne foi avec des agents des services frontaliers survenu deux ans plus tôt.

[7]  Dans une lettre ultérieure en date du 4 novembre 2016, le demandeur a expliqué qu’il n’avait jamais été questionné à propos de sommes en espèces lors de départs précédents du Canada. Dans son esprit, la question des espèces était toujours liée à l’arrivée au Canada. Il a été étonné et embarrassé lorsque l’agent des services frontaliers a commencé à le questionner, et il craignait de se voir refuser l’embarquement en étant honnête avec l’agent des services frontaliers.

[8]  Le délégué a examiné l’appel du demandeur et a demandé de plus amples renseignements financiers. Après avoir reçu et examiné les documents du demandeur, le délégué s’est dit convaincu que les espèces avaient été obtenues de façon légitime.

[9]  Le 8 février 2017, le délégué a ordonné la restitution des fonds saisis moins une pénalité de 2 500 $, en application de l’article 29 et du paragraphe 12(1) de la LRPCFAT. Le délégué a conclu que, nonobstant la légitimité de la provenance des fonds, le demandeur avait contrevenu à l’article 12 de la LRPCFAT, en omettant de déclarer qu’il avait en sa possession plus de 10 000 $CAN en espèces.

[10]  Dans ses motifs, le délégué a souligné la présomption du demandeur selon laquelle il avait divulgué les espèces au personnel de sécurité à l’aéroport de Kelowna. Il ne fait pas mention du fait que le demandeur s’est senti intimidé et embarrassé lorsqu’il a été interrogé par l’agent des services frontaliers. Le délégué a conclu ce qui suit :

[traduction] À la lumière de ce qui précède, même si la saisie des espèces est maintenue, le niveau de contravention a été réduit au niveau 2, puisqu’une fausse déclaration a été faite à l’égard des espèces. Pendant le contrôle, on a indiqué que vous n’aviez pas déclaré les espèces et aviez affirmé avoir 8 000 $ lorsque questionné par l’agent. Lorsque l’agent vous a demandé de montrer les devises, vous avez présenté une seule enveloppe, affirmant qu’elle contenait 10 000,00 $ et que vous n’aviez pas d’autres espèces. Cependant, la fouille de vos bagages a révélé la présence de sept enveloppes contenant d’autres espèces. Par conséquent, vous avez eu plus d’une occasion de déclarer la somme totale des espèces en votre possession, vous avez omis de le faire, et vous avez été trouvé en possession d’autres espèces.

[11]  Le 9 mars 2017, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du délégué, en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

A.  Questions préliminaires

[12]  Bien que les observations du demandeur n’établissent pas clairement les questions à trancher, il semble qu’il conteste le montant de la pénalité et la décision selon laquelle il a omis de déclarer des espèces en violation de la LRPCFAT.

[13]  Le demandeur soutient que la pénalité devrait être réduite à zéro dollar (0,00 $), au motif que l’agent des services frontaliers et le délégué ont omis de tenir compte de tous les faits pertinents relatifs à la saisie des espèces.

[14]  Dans son affidavit, le demandeur affirme qu’il sollicite une ordonnance visant l’annulation de la décision du délégué et le renvoi de l’affaire pour une nouvelle détermination selon les directives de la Cour, ainsi que tout autre recours que l’avocat pourrait conseiller et que la Cour pourrait autoriser. À cet égard, le demandeur affirme que les motifs de la demande sont les suivants : [traduction]

a.  J’ai perdu plus de 5 000 $ à cause de cette petite erreur!

b.  Cette pénalité est trop élevée, je n’ai commis aucun crime!

c.  Le rapport que l’agent de l’ASFC a envoyé à Ottawa était fabriqué!

d.  L’agent de l’ASFC a fait fi de ma demande d’appeler ma banque à Kelowna Ouest pour prouver que les fonds étaient légitimes!

e.  Je pense que le personnel de sécurité, à l’aéroport de Kelowna, a remarqué que j’avais trop de fonds dans mes bagages et qu’il l’a signalé à l’aéroport de Gagary [sic] pour qu’on inspecte mes fonds. Ce qui m’est arrivé à l’aéroport de Gagary [sic] me fâche, l’agent de l’ASFC a abusé de son « autorité »!

f.  Je demande à la Cour d’annuler la pénalité; le transporteur aérien m’a aussi imposé une pénalité, qui était également injuste.

g.  Je ne connaissais pas la règle, je regrette ce qui est arrivé et je suis vraiment désolé; j’espère que la Cour accepte mes excuses.

[sic]

[15]  La défenderesse soutient que, dans la mesure où le demandeur s’oppose à la conclusion du délégué, selon laquelle il y a eu violation de l’article 12 de la LRPCFAT, la demande devrait être rejetée.

[16]  Je suis d’accord avec la défenderesse. Si une personne souhaite contester une conclusion selon laquelle il y a eu violation de l’article 12 de la LRPCFAT, l’article 25 prévoit qu’elle peut faire appel auprès du ministre et l’article 27 exige que le ministre rende une décision. Si une personne souhaite interjeter appel de la décision rendue par le ministre en application de l’article 27, elle doit présenter une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, conformément à l’article 30 de la LRPCFAT, et non au titre de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (Dobrovolny c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 526, aux paragraphes 17 à 19).

[17]  Je suis aussi d’accord avec la défenderesse pour dire qu’une décision rendue en application de l’article 29 de la LRPCFAT, concernant une pénalité imposée par le ministre lorsqu’il y a eu contravention à l’article 12, peut faire l’objet d’un appel au moyen d’un contrôle judiciaire, suivant l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (Tourki c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CAF 186 [Tourki], au paragraphe 18).

[18]  Puisqu’il s’agit en l’espèce d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, seule la décision concernant une pénalité de 2 500 $ imposée en application de l’article 29 relève de la compétence de la Cour.

III.  Norme de contrôle

[19]  En ce qui concerne les décisions rendues en application de l’article 29 de la LRPCFAT, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Sellathurai c Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 255, au paragraphe 25; Dag c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CAF 95, au paragraphe 4).

IV.  Question en litige

[20]  La question en litige est de savoir si la décision du délégué d’imposer au demandeur une amende de 2 500 $ pour avoir contrevenu à l’article 12 de la LRPCFAT était raisonnable.

V.  Discussion

[21]  Même si les observations du demandeur n’établissent pas clairement les fondements qui permettraient à la Cour de conclure que la décision du délégué était déraisonnable, il semble soutenir que la pénalité était trop sévère et qu’il ne connaissait pas la règle. Dans ses observations présentées au délégué, le demandeur a affirmé qu’il était effrayé et troublé, intimidé par l’autorité, et a présumé qu’il avait divulgué la somme en espèces au personnel de sécurité à l’aéroport de Kelowna.

[22]  Dans son affidavit, le demandeur conteste également les faits contenus dans le rapport de l’agent des services frontaliers. Cette question n’a pas été soulevée dans les observations que le demandeur a présentées au délégué et, par conséquent, elle ne peut pas être entendue par la Cour.

[23]  La défenderesse soutient que le demandeur a contrevenu de manière flagrante à l’article 12 de la LRPCFAT, et a été condamné à l’amende prévue au Règlement sur la déclaration des mouvements transfrontaliers d’espèces et d’effets, DORS/2002-412 (le Règlement); par conséquent, le délégué a exercé de manière raisonnable son pouvoir discrétionnaire d’imposer cette pénalité.

[24]  L’article 29 de la LRCPFAT confère au ministre le pouvoir discrétionnaire d’imposer des pénalités pour défaut de se conformer à l’article 12. Le demandeur ne conteste pas le fait qu’il a omis de se conformer à l’article 12. Le ministre a refusé d’annuler ou de réduire la pénalité correspondante, au motif que des raisons de principe impérieuses justifiaient de ne pas le faire.

[25]  Dans l’arrêt Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Huang, 2014 CAF 228 [Huang], aux paragraphes 55 et 56, la Cour d’appel fédérale a résumé plusieurs principes concernant le pouvoir discrétionnaire du ministre prévu à l’article 29 de la LRPCFAT. Puisqu’une violation de l’article 12 est une condition préalable à un contrôle en application de l’article 29, le point de départ est que les espèces confisquées sont déjà la propriété de la Couronne. La seule question consiste à savoir si un demandeur peut convaincre le ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder un allègement de la saisie. Le demandeur y parvient en démontrant que les fonds ne sont pas des produits de la criminalité.

[26]  Lorsqu’il conclut que les fonds ne sont pas des produits de la criminalité, le ministre a le pouvoir discrétionnaire de retenir une partie des fonds à titre de pénalité pour avoir contrevenu à l’article 12 (Huang, au paragraphe 64) :

Lorsqu’il y a eu violation du paragraphe 12(1), le ministre peut très bien souhaiter ne pas restituer intégralement la pénalité puisque l’imposition d’une pénalité vise à punir et à décourager le défaut de quiconque de s’acquitter de son obligation de déclaration. Toutefois, le ministre peut dans certains cas vouloir restituer une partie de la pénalité. Selon l’article 18 du Règlement, la pénalité applicable peut varier de 250 $ à 5 000 $. En permettant expressément la restitution partielle d’une pénalité, le législateur veille à accorder au ministre le pouvoir discrétionnaire de restituer une partie de la pénalité lorsque ce dernier conclut qu’était trop élevée, compte tenu des circonstances, la pénalité versée à l’origine.

[27]  Dans sa décision, le délégué a conclu de manière raisonnable que le demandeur avait fait une fausse déclaration en ce qui a trait aux espèces.

[28]  De plus, dans une lettre en date du 4 novembre 2016, adressée à l’ASFC, l’avocat du demandeur affirme que le demandeur savait que sa réponse selon laquelle il avait 8 000 $ était fausse, mais qu’il craignait d’admettre qu’il avait de 15 000 $ à 20 000 $, par peur qu’il ne puisse prendre l’avion.

[29]  De plus, il était raisonnable pour le délégué, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 29, de retenir 2 500 $ en pénalité conformément au montant prévu au sous-alinéa 18b)(i) du Règlement, malgré la peur qu’avait le demandeur des autorités, son embarras lorsque l’agent frontalier l’a interpellé, et la présomption selon laquelle ses remarques au personnel de sécurité à Kelowna constituaient une divulgation.

[30]  L’un des objectifs de la LRPCFAT est de détecter et de décourager le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes en obligeant la déclaration des mouvements transfrontaliers d’espèces (LRPCFAT, au sous-alinéa 3a)(ii)). Les exigences en matière de déclaration prévues à l’article 12 constituent la pierre angulaire du régime établi pour surveiller les mouvements transfrontaliers (Tourki, au paragraphe 23).

[31]  De plus, ceux qui omettent de faire cette déclaration sont assujettis à une responsabilité absolue (Thaiher Zeid c Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 539, au paragraphe 55) :

Le régime de déclaration obligatoire est un outil essentiel pour lutter contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. L’ignorance de la Loi serait non seulement difficile à vérifier, mais elle risquerait de compromettre l’objectif de politique générale visé par la Loi. Pour que la Loi soit efficace, il faut pouvoir infliger des sanctions sévères à tous ceux qui omettent de faire la déclaration exigée par l’article 12 et ce, indépendamment de leur situation personnelle.

[32]  La pénalité imposée au demandeur n’était pas [traduction] « trop sévère »; elle correspondait au montant minimal prévu par le Règlement, et était raisonnable compte tenu que le demandeur a de manière flagrante contrevenu à la LRPCFAT et fait sciemment de fausses déclarations. Le ministre a de manière raisonnable exercé son pouvoir discrétionnaire.

[33]  Pour ces motifs, il était loisible au délégué de rejeter la requête du demandeur visant à réduire la pénalité, et d’imposer la pénalité prescrite pour avoir fait une fausse déclaration. Même si j’ai une certaine sympathie à l’égard du demandeur concernant le montant de la pénalité, elle n’est pas déraisonnable.

[34]  La présente demande est rejetée.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-348-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est rejetée.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 2e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-348-17

 

INTITULÉ :

PESTI c SA MAJESTÉ LA REINE ET AL.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 septembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 septembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Istvan Pesti

Pour le demandeur

POUR SON PROPRE COMPTE

Ashley Caron

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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