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Date : 20170914


Dossier : T-128-17

Référence : 2017 CF 832

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2017

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

ANDRE LAFRAMBOISE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7, visant une décision rendue par la directrice générale de la Sûreté aérienne au nom du ministre des Transports (la déléguée) de refuser au demandeur une habilitation de sécurité aéroportuaire aux termes de la Loi sur l’aéronautique, LRC (1985), c A-2.

II.  Résumé des faits

[2]  Le demandeur, Andre Laframboise, était employé à l’Aéroport international de Fort McMurray de 2009 à 2016 (l’Aéroport). Au cours de son emploi, l’aéroport s’est vu attribuer le statut international; par conséquent, le demandeur a dû demander une habilitation de sécurité et une carte d’identité de zone réglementée. Le demandeur a présenté sa demande en avril 2015, a reçu un laissez-passer temporaire et a continué de travailler à l’aéroport.

[3]  Pendant le processus de vérification, Transports Canada a reçu un rapport de vérification des antécédents criminels (le rapport de VAC) de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Le rapport de VAC décrivait une plainte détaillée présentée à la GRC par l’ancien employeur du demandeur (le plaignant). Le plaignant soupçonnait le demandeur d’avoir commis une fraude d’environ 35 000 $ à ses dépens. La plainte comptait les renseignements suivants :

  • Le plaignant fournissait du matériel à des points de vente au détail maritimes.

  • Le demandeur a été au service du plaignant pendant environ 20 ans.

  • Le demandeur a été gérant de succursale pendant environ deux ans.

  • Un audit annuel a révélé un écart d’inventaire de 35 000 $.

  • Cet écart représentait 40 % de l’inventaire.

  • L’écart normal se situe entre 5 % et 10 %.

  • Un témoin a fourni un chèque oblitéré et un relevé de vente d’un achat effectué à la succursale gérée par le demandeur.

  • Le chèque était fait à l’ordre du demandeur, mais aurait dû être à l’ordre du plaignant seulement.

  • La copie du reçu de vente du témoin indiquait un total de 4 600 $, mais la copie du bureau indiquait une vente de seulement 22,77 $.

[4]  Le rapport de VAC indiquait qu’à la suite de la plainte, la GRC a obtenu des renseignements auprès de la banque du demandeur. Les renseignements incluaient plusieurs chèques des clients du plaignant, faits directement à l’ordre du demandeur, pour un montant total d’environ 38 000 $. La GRC a obtenu des dépositions de témoins et a déterminé que le demandeur avait utilisé des stocks du plaignant pour faire des travaux « en parallèle » et émettre une facture directement à ses clients.

[5]  Le rapport de VAC indiquait également que la GRC avait accusé le demandeur de vol de plus de 5 000 $; cependant, l’accusation a été rejetée en novembre 2011, parce que le service de police n’a pas produit le dossier à temps pour le procès.

[6]  Le 31 mars 2016, le demandeur a reçu une lettre de Transports Canada l’informant de ses préoccupations entourant son admissibilité à une habilitation de sécurité et décrivant en détail les renseignements contenus dans le rapport de VAC. Dans la lettre, Transports Canada demandait également au demandeur de communiquer, dans un délai de 20 jours, toute information supplémentaire sur les circonstances entourant les incidents mentionnés dans le rapport de VAC ou toute autre information ou explication pertinente, y compris des circonstances atténuantes.

[7]  Le 7 avril 2016, le demandeur a fait parvenir un courriel de réponse à Transports Canada contenant les explications suivantes :

  • L’accusation avait été abandonnée parce que les faits allégués étaient faux et qu’il n’y avait pas de preuve.

  • Il avait vendu des casiers à homards à un témoin, mais ceux-ci étaient d’occasion et il y avait effectué des réparations mineures pour ensuite les revendre pour un profit d’environ 200 $.

  • Lorsque la Couronne a découvert que les casiers étaient d’occasion, le témoin a été invité à ne pas comparaître.

  • Au moment des accusations, il a pu démontrer que l’argent qu’il recevait d’autres clients provenait de travaux effectués en dehors des heures d’ouverture, en plus de la pêche comme membre d’équipage à bord de leurs bateaux.

  • Le reçu de vente en question ne portait pas son écriture et il n’était pas au courant de son existence.

  • Le même scénario avait eu lieu avec deux autres gestionnaires, et chacun des scénarios s’est terminé de la même manière.

  • Les ruptures de stock avaient commencé dix ans auparavant et provenaient de pénuries d’expédition à l’étranger qui n’ont pas fait l’objet d’une enquête par la direction après avoir été signalées.

  • S’il avait su que cette affaire poserait un problème si longtemps après l’abandon des accusations, il aurait conservé la [traduction] « montagne » d’éléments de preuve et de déclarations qu’il avait à l’époque.

  • Il n’a jamais été déclaré coupable de quoi que ce soit, sauf de deux contraventions pour vitesse lorsqu’il était plus jeune.

[8]  Le demandeur a aussi envoyé par courriel une lettre de recommandation à Transports Canada de la part du vice-président, Exploitation de l’aéroport. La lettre affirmait que, pendant la période d’emploi du demandeur à l’aéroport [traduction] « [...] il a occupé des postes qui l’exposaient à des renseignements de nature confidentielle et délicate. Il n’y a pas eu de situation ou d’incident préoccupant et il a l’entière confiance de la direction. Je peux attester avec conviction qu’Andre est digne de confiance et ne vois aucun obstacle ou indicateur qui l’empêcherait d’obtenir une [habilitation de sécurité] ».

A.  La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[9]  Le 22 juin 2016, l’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport (l’Organisme consultatif) de Transports Canada a recommandé de refuser l’habilitation de sécurité du demandeur. L’Organisme consultatif a noté ce qui suit :

  • Les renseignements contenus dans le rapport de VAC.

  • L’observation du demandeur qu’il n’avait fait un profit que d’environ 200 $ de la vente de casiers à homards, et que la portée des travaux ne correspondait pas aux sommes qu’il avait reçues.

  • L’Organisme consultatif estimait que les renseignements ne correspondaient pas.

  • Les incidents soulevaient de graves préoccupations concernant le jugement, l’honnêteté et la fiabilité du demandeur.

  • Les incidents exigeaient un certain niveau de perfectionnement et étaient délibérés, organisés et prémédités.

  • Bien que les accusations aient été rejetées, l’Organisme consultatif n’était pas convaincu de son innocence.

[10]  L’Organisme consultatif a conclu ce qui suit :

[traduction]
Un examen approfondi des renseignements retrouvés au dossier a amené l’Organisme consultatif à raisonnablement croire, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur pouvait être sujet ou être incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile. En outre, les observations du demandeur ne fournissaient pas suffisamment de renseignements pour dissiper les préoccupations de l’Organisme consultatif.

[11]  Le 30 novembre 2016, la décision finale de refuser l’habilitation de sécurité du demandeur a été prise par la déléguée. Elle a noté ce qui suit :

·  Les renseignements contenus dans le rapport de VAC.

·  Le demandeur occupait un poste de confiance lorsqu’il a commis les vols.

·  L’incident a soulevé de graves préoccupations concernant le jugement, l’honnêteté et la fiabilité du demandeur.

·  Même si les accusations ont été rejetées, la déléguée du ministre n’était pas convaincue de l’innocence du demandeur.

[12]  La déléguée a conclu ce qui suit :

[traduction]
Un examen approfondi des renseignements retrouvés au dossier m’amène raisonnablement à croire, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur peut être sujet ou être incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile. J’ai tenu compte de la déclaration présentée par la demande; cependant, les renseignements présentés, n’abordant pas expressément la différence entre les reçus de vente de la manière expliquée plus haut, n’ont pas suffi à répondre à mes préoccupations.

[13]  Le 25 janvier 2017, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la déléguée.

III.  Questions en litige

[14]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. Le demandeur a-t-il bénéficié de l’équité procédurale?
  2. La décision de la déléguée de refuser une habilitation de sécurité était-elle raisonnable?

IV.  Norme de contrôle

[15]  Comme convenu entre les parties, la norme de contrôle applicable à la question de l’équité procédurale est la norme de la décision correcte (Clue c Canada (Procureur général), 2011 CF 323 [Clue], au paragraphe 14). La décision de la déléguée est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable.

V.  Discussion

A.  Le demandeur a-t-il bénéficié de l’équité procédurale?

[16]  Le demandeur prétend que la révocation d’une habilitation de sécurité fait intervenir un niveau d’équité procédurale plus élevé qu’une situation comportant la délivrance. En outre, le demandeur soutient que cette situation est semblable à une révocation, puisqu’on lui avait émis un laissez-passer temporaire et qu’il effectuait des tâches dans le cadre de son emploi au moyen de ce laissez-passer. Par conséquent, le défendeur devait lui permettre de répondre aux préoccupations soulevées et prendre une décision qui n’était pas fondée sur une conclusion de faits erronée et de façon à ce que toute l’importance soit accordée aux documents présentés dans le cadre du contrôle judiciaire.

[17]  Le défendeur soutient que le niveau d’équité procédurale requis dans les questions visant une demande d’habilitation de sécurité est minimal. Même dans les cas où une habilitation de sécurité existante est révoquée, les garanties procédurales se limitent au droit de connaître les faits allégués et au droit de faire des observations concernant ces faits. En outre, le laissez-passer du demandeur était temporaire et n’a pas droit au niveau d’équité procédurale accordée dans le cas de la révocation d’une habilitation de sécurité existante.

[18]  Dans la décision Pouliot c Canada (Transports), 2012 CF 347 [Pouliot], au paragraphe 10, la Cour a maintenu ce qui suit :

Dans les cas où une habilitation de sécurité existante est révoquée ou non renouvelée, la norme applicable est légèrement plus rigoureuse, mais elle demeure minimale. Dans Rivet c Canada (Procureur général), 2007 CF 1175, au paragraphe 25, la Cour a statué :

Considérant ces facteurs, je suis d’accord avec le défendeur que l’obligation d’équité procédurale, en l’espèce, est plus que minimale, sans exiger un niveau de protection procédurale élevé (voir, par exemple, DiMartino c Ministre des Transports, 2005 CF 635, [2005] ACF no 876 (CF) (QL), au paragraphe 20). Ainsi, les protections procédurales dont bénéficie le demandeur en l’instance se limitent au droit de connaître les faits reprochés contre lui et au droit de faire des représentations à l’égard de ces faits. Ces garanties procédurales ne comprennent pas le droit à une audience.

[Non souligné dans l’original]

[19]  Par conséquent, le demandeur avait le droit de connaître les faits qui lui étaient reprochés, et il avait le droit de faire des observations à l’égard de ces faits. Après avoir permis au demandeur de répondre, la déléguée ne devait pas rendre une décision qui n’était pas fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments qui lui avaient été présentés (Motta c Canada (Procureur général), 2000 CanLII 14801 (CF), au paragraphe 13).

[20]  Le demandeur a été informé par une lettre datée du 31 mars 2016 des préoccupations entourant son admissibilité à une habilitation de sécurité. Cette lettre relatait les renseignements tirés du rapport de VAC. Le demandeur a eu l’occasion de répondre et l’a fait au moyen d’un courriel en date du 7 avril 2016 ainsi que d’une lettre de recommandation. Dans sa lettre en date du 30 novembre 2016, la déléguée a affirmé clairement dans ses motifs qu’elle a tenu compte des explications du demandeur et les a considérées comme insuffisantes pour la convaincre de son innocence.

[21]  Je conclus que le demandeur a bénéficié de l’équité procédurale.

B.  La décision de la déléguée de refuser une habilitation de sécurité était-elle raisonnable?

[22]  Le demandeur soutient que la décision de la déléguée était déraisonnable. Il soutient que la preuve fournie par la GRC était présumée fiable et la preuve contradictoire n’a pas été prise en compte, que la déléguée a omis de tenir compte de la lettre de recommandation, et que le fondement de la décision n’est pas logique, car la déléguée a rendu une décision équivoque « blanche ou noire ».

[23]  Le défendeur soutient que la déléguée a raisonnablement refusé d’accorder l’habilitation de sécurité. La déléguée avait le droit de préférer la preuve de la GRC et de considérer l’explication du demandeur comme insuffisante. En outre, les motifs de la déléguée n’avaient pas à mentionner chaque élément de preuve et la lettre de recommandation n’était pas très pertinente par rapport à l’analyse de la déléguée. Enfin, le fondement de la décision est clair : la participation soupçonnée à un vol constitue un motif raisonnable de préoccupation relativement au jugement, à la fiabilité et à l’honnêteté.

[24]  À mon avis, les deux premiers arguments du défendeur ne tiennent pas. Premièrement, la déléguée s’est déraisonnablement appuyée sur le rapport de VAC dans la mesure où elle affirme que le demandeur avait commis le vol, et cela soulève des préoccupations quant à son état d’esprit lorsqu’elle a examiné le dossier du demandeur. Deuxièmement, la lettre de recommandation traite directement du caractère du demandeur, et il était déraisonnable pour la déléguée de ne pas l’aborder du tout dans ses motifs.

[25]  Pour ces motifs, la décision de la déléguée était déraisonnable. Bien que les avocats des parties aient porté à mon attention des décisions apparemment contraires concernant l’argument du demandeur lié à l’ambiguïté entourant la décision disjonctive quant à savoir si le demandeur pouvait être sujet ou incité à commettre un acte illégal ou aider ou inciter une personne à commettre un acte illégal (l’argument « blanc ou noir ») (Britz c Canada (Procureur général), 2016 CF 1286 et Ng c Canada (Procureur général), 2017 CF 376), il n’est pas nécessaire d’examiner si la décision « blanche ou noire » de la déléguée est une erreur susceptible de révision.

1)  Utilisation par la déléguée du rapport de VAC

[26]  Le demandeur soutient que la décision de la déléguée était déraisonnable parce que la preuve présentée par la GRC était présumée fiable et la preuve contradictoire n’a pas été prise en compte.

[27]  Le défendeur soutient que la déléguée avait le droit de préférer la preuve de la GRC et de considérer l’explication du demandeur comme insuffisante.

[28]  À mon avis, la déléguée avait le droit de s’appuyer exclusivement sur le rapport de VAC, mais seulement dans la mesure où il soulève des préoccupations à l’égard du demandeur. La déléguée a commis une erreur en affirmant que le demandeur avait commis le vol alors qu’en fait, il n’y a pas d’éléments de preuve pour appuyer une telle conclusion : cela soulève des préoccupations quant à son état d’esprit et une crainte possible de partialité dans l’examen du dossier du demandeur.

[29]  La Cour a eu jusqu’à maintenant à se prononcer à maintes reprises sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le ministre des Transports relativement à l’octroi d’une habilitation de sécurité. Aux paragraphes 26 à 29 de sa décision dans Sargeant c Canada (Procureur général), 2016 CF 893 (Sargeant), la Cour résume trois principes tirés de la jurisprudence :

  • a) L’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire d’accorder, de suspendre ou d’annuler une habilitation de sécurité, qui l’autorise à prendre en considération tout facteur qu’il juge pertinent.

  • b) Le ministre, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’article 4.8, peut pencher du côté de la sécurité du public au lieu des intérêts de la personne touchée.

  • c) Dans de telles affaires, l’accent est mis sur la propension des employés des aéroports à s’engager dans des activités susceptibles d’avoir une incidence sur la sécurité aérienne. Par conséquent, le refus ou l’annulation d’une habilitation de sécurité ne requiert qu’une conviction raisonnable, selon la prépondérance des probabilités, qu’une personne est sujette ou peut être incitée à commettre un acte susceptible d’interférer avec l’aviation civile. Toute conduite tendant à mettre en doute le jugement, la fiabilité et l’honnêteté d’une personne constitue par conséquent un motif suffisant pour refuser ou annuler une habilitation de sécurité.

[30]  En exerçant ce large pouvoir discrétionnaire, la déléguée avait le droit de s’appuyer sur le rapport de VAC. Dans la décision Singh Kailley c Canada (Transports), 2016 CF 52, au paragraphe 29, la Cour a affirmé ce qui suit :

La Cour a conclu que les renseignements fournis par la GRC sont suffisants pour les besoins du processus de vérification d’une habilitation de sécurité (Fontaine c Canada (Transports), 2007 CF 1160 [Fontaine], au paragraphe 75). En outre, la Cour soutient que le ministre peut s’appuyer uniquement sur un rapport de VAC ou un rapport de la GRC pour déterminer si un demandeur devrait recevoir une habilitation de sécurité (Brown c Canada (Procureur général), 2014 CF 1081, au paragraphe 65; Henri c Canada (Procureur général), 2014 CF 1141, au paragraphe 40).

[31]  La déléguée n’avait aucune obligation de vérifier ou de contre-vérifier l’exactitude des renseignements contenus dans le rapport de VAC (Sargeant, au paragraphe 31). En outre, il n’est pas nécessaire qu’une accusation criminelle mène à une déclaration de culpabilité pour que les allégations soient prises en considération par la déléguée pour rendre sa décision (Clue, au paragraphe 20).

[32]  Malgré le large pouvoir discrétionnaire de la déléguée décrit dans les décisions précitées, la déléguée n’avait aucun motif raisonnable de conclure à un vol en fonction des préoccupations soulevées dans le rapport de VAC.

[33]  Dans les motifs de sa décision, la déléguée affirme :

[traduction] Je note également que, puisque vous étiez le gérant de la succursale, vous étiez en position de confiance lorsque vous avez commis les vols.

[Non souligné dans l’original]

[34]  Tout au plus, la déléguée aurait pu remettre l’honnêteté en question en fonction de la conduite du demandeur, mais elle est allée plus loin et l’a déclaré coupable de vol – il n’y a pas de justification ni de raisonnement logique pour cette erreur.

[35]  La conclusion de vol de la déléguée soulève aussi des préoccupations quant à son état d’esprit au cours de son analyse. Plutôt que d’évaluer le caractère du demandeur en ce qui a trait à l’enquête et à son congédiement subséquent, son affirmation laisse entendre qu’elle a évalué son caractère en présumant qu’il avait commis le vol. Cela a causé un préjudice important au demandeur et a probablement rendu ses observations futiles.

[36]  Tel qu’il est noté plus haut, la déléguée possède un large pouvoir discrétionnaire pour s’appuyer sur le rapport de VAC, pour privilégier la sécurité publique et pour conclure, par une simple croyance raisonnable selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a des préoccupations à l’égard du demandeur. Cependant, il était déraisonnable de juger qu’il avait réellement commis le vol, un élément qui n’est pas tiré de la preuve, ce qui remet en question le reste de son analyse.

2)  Le défaut de la déléguée de mentionner la lettre de recommandation

[37]  Le demandeur soutient que la déléguée n’a pas tenu compte de la lettre de recommandation du vice-président, Exploitation de l’Aéroport. Il soutient que la Cour peut intervenir dans le processus de recherche des faits si elle conclut que le décideur n’a pas pris les mesures nécessaires pour pondérer la preuve ou n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve.

[38]  Le défendeur soutient que la déléguée n’était pas tenue d’aborder précisément chaque élément de preuve au dossier, et la lettre de recommandation n’était pas très pertinente par rapport à sa préoccupation principale.

[39]  Je suis d’accord avec le demandeur. La lettre de recommandation traitait directement du caractère du demandeur, et il s’agit d’un élément déterminant pour l’analyse de la déléguée.

[40]  Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [Newfoundland Nurses], au paragraphe 16). Un décideur n’est pas non plus tenu de mentionner tous les éléments de preuve qu’il a reçus qui sont contraires à sa conclusion et d’expliquer comment il les a traités (Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 NR 317 (CAF)).

[41]  Cependant, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs du décideur est importante, et plus la Cour sera disposée à inférer de ce silence que le décideur a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments dont il disposait (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 157 FTR 35 (CF), au paragraphe 17) (Cepeda-Gutierrez). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés (Cepeda-Gutierrez, précitée, au paragraphe 17).

[42]  En l’espèce, la préoccupation principale de la déléguée était le caractère du demandeur, c’est-à-dire s’il peut être sujet ou incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile. Les motifs de décision de la déléguée indiquent ses [traduction] « [...] préoccupations graves à l’égard du jugement, de l’honnêteté et de la fiabilité [du demandeur] [...] »

[43]  La lettre de recommandation traite directement du caractère du demandeur. Elle affirme que le demandeur bénéficie de [traduction] « [...] l’entière confiance de la direction [...] » et indique « Je peux attester avec conviction qu’Andre est digne de confiance et ne vois aucun obstacle ou indicateur qui l’empêcherait d’obtenir une [habilitation de sécurité] ». La lettre est signée par le vice-président, Exploitation, une personne de grande importance à l’Aéroport, qui semble parler au nom de toute la direction de l’Aéroport. Il s’agit de personnes qui ont travaillé directement avec le demandeur pendant ses six années d’emploi au poste même qui exige maintenant une habilitation de sécurité.

[44]  Par conséquent, il était déraisonnable pour la déléguée de ne pas mentionner la lettre dans ses motifs. La lettre vise directement le caractère du demandeur, et par conséquent, elle était très pertinente par rapport à sa préoccupation principale et à sa décision finale.

VI.  Conclusion

[45]  La décision de la déléguée manque de justification, de transparence et d’intelligibilité. La déléguée a commis une erreur en concluant que le demandeur avait commis le vol. Cette conclusion remet en question son état d’esprit au moment de l’évaluation du caractère du demandeur. En outre, ses motifs ne mentionnent pas l’élément de preuve qui était très pertinent par rapport à sa préoccupation principale. Pour ces motifs, sa décision était déraisonnable et doit être renvoyée pour réexamen. 

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-128-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande du demandeur est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre délégué pour réexamen.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-128-17

 

INTITULÉ :

ANDRE LAFRAMBOISE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 septembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 septembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Scott Wright

POUR LE DEMANDEUR

Kathleen Hamilton

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sutherland Jetté

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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