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Date : 20171101


Dossier : T-329-17

Référence : 2017 CF 975

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er novembre 2017

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

LE MAJOR (À LA RETRAITE) KENNETH KING

demandeur

et

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Introduction

[1]               Le présent contrôle judiciaire porte sur la décision rendue par le chef d’état-major de la défense [CEMD], soit le rejet du grief du demandeur.

Ce grief porte sur le montant remboursé par les Forces canadiennes sur les dépenses scolaires engagées par le demandeur lors d’une affectation au pays de Galles.

II.                 Contexte

[2]               Les faits sont assez simples. Le demandeur qui est pilote a eu une affectation de trois ans au pays de Galles. Sa femme et ses enfants l’accompagnaient.

[3]               Ses enfants ont fréquenté l’école privée de langue anglaise, puisque la langue d’instruction des écoles de la région est le gallois. Les droits annuels de scolarité ont été payés par le demandeur au début de l’année scolaire avant d’être remboursés par les Forces armées canadiennes [FAC].

[4]               Les indemnités scolaires sont prévues au chapitre 10 des Directives sur la rémunération et les avantages sociaux applicables aux Forces canadiennes [DRAS]. Aux fins du présent litige, l’article 10.12.03(1) du DRAS constitue une disposition importante :

10.12.03(1) (Éducation des enfants à charge) Un militaire a droit à une indemnité scolaire, au remboursement des frais de déplacement à des fins éducatives et à une indemnité de déplacement pour réunion de famille conformément aux modalités et conditions que prévoient respectivement le DES 2, 30, 34, 35, 51 et 70, sous réserve de le DSME 10.12.04 (Vérification).

10.12.03(1) (Education of dependent children) A member is entitled to an education allowance, an allowance for education travel and a family reunion travel allowance in accordance with the terms and conditions set out in FSD 2, 30, 34, 35, 51 and 70, respectively, subject to MFSI 10.21.04 (Verification).

[5]               L’abréviation DSE réfère aux Directives sur le service extérieur qui établit les indemnités auxquelles les employés de la fonction publique ont droit et que le Conseil du Trésor approuve; ces directives sont incorporées par renvoi aux DRAS. L’article 34.1.6 des DSE est d’une grande pertinence :

34.1.6 Les indemnités prévues dans la présente directive peuvent être versées n’importe quand après la date à laquelle le fonctionnaire est officiellement informé par écrit de son affectation imminente à une mission, jusqu’à la fin de la dernière année scolaire ayant commencé pendant son service à l’étranger, sous réserve de l’article 34.8 et des restrictions du paragraphe 34.10.1.

34.1.6 Entitlements under this directive are available any time after the date on which an employee is officially notified in writing of an impending posting and continue to be available until the end of the last academic year that commenced while the employee was stationed abroad, subject to the provisions of Section 34.8 and to limitations specified in subsection 34.10.1.

[6]               Dans l’avis du 7 décembre 2014, soit environ huit mois avant que ne prenne fin son obligation de service prévue en août 2015, le demandeur indique son intention de prendre son congé de fin de service par anticipation à l’extérieur du Canada.

[7]               Les FAC l’informent peu de temps après de leur intention de récupérer [traduction« les frais et les fonds que nous avons versés pour vos enfants à charge » et qu’ils demanderaient un remboursement des droits de scolarité de la session à venir.

[8]               Lorsque le demandeur informe l’école le 9 janvier 2015 de son intention de retirer ses enfants de l’établissement, celle-ci l’avise qu’elle ne rembourserait pas la session d’été parce que l’école a besoin d’en être informée une session à l’avance. La session d’hiver avait déjà commencé avant le 9 janvier 2015.

[9]               La demande adressée aux FAC visant à faire approuver les indemnités scolaires jusqu’à la fin de l’année scolaire en cours a été refusée pour les motifs suivants : en raison des articles 10.2.07 des DRAS et 34 des DSE, [traduction] « toutes les prestations versées en service extérieur [...] prendront fin avec le congé de fin de service et le montant des indemnités sera réévalué avec calcul au prorata et récupéré si nécessaire ». L’article 10.2.07 des DSE prescrit ce qui suit :

10.2.07 – LIBÉRATION À L’EXTÉRIEUR DU CANADA

10.2.07 – RELEASE OUTSIDE CANADA

Si un militaire choisit de rester à l’extérieur du Canada au moment de sa libération, les indemnités et avantages auxquels il a droit en vertu du présent chapitre cessent le dernier jour du mois au cours duquel le militaire commence son congé de fin de service en vertu de l’article 16.18 - Congé de fin de service des ORFC ou si le militaire choisit une indemnité forfaitaire de congé, le jour de sa libération.

If a member elects to remain outside Canada on release, the allowances and benefits in this chapter shall cease as of the last day of the month in which the member begins retirement leave, under article 16.18 - Retirement Leave of the QR&O or if the member takes a cash-out of leave, the day of the member’s release.

[10]           Le demandeur a été libéré des FAC au pays de Galles, comme il le demandait, en mars 2015. Les FAC ont récupéré du demandeur les droits de scolarité pour le reste de l’année scolaire, soit d’avril à juillet, qu’elles avaient remboursés au demandeur précédemment. Une déduction prélevée sur les indemnités de départ du demandeur a permis de récupérer la somme.

[11]           Le grief du demandeur portait sur la récupération de cette somme. Ce grief a été entendu en dernière étape par le CEMD.

[12]           Le CEMD rejette le grief, puisqu’il constate que la fin du service militaire a été le choix du demandeur, qu’en mars 2015, il n’était plus membre des FAC et que ses indemnités scolaires prenaient fin à la fin mars. En prenant son congé de service, le demandeur ne satisfaisait plus aux critères des DSE en matière de droits de scolarité à titre de « fonctionnaire en service à l’étranger ». Par conséquent, il convenait de récupérer les indemnités scolaires qui avaient été remboursées.

III.               Analyse

[13]           Le demandeur soutient que la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision correcte en partie parce que la décision demande l’interprétation d’une disposition des DSE, les DSE étant une politique approuvée par le Conseil du Trésor et qui a été produite par le Conseil national mixte et non par les Forces armées.

[14]           Dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654, au paragraphe 30, la Cour suprême du Canada a conclu que la révision d’une décision fondée sur la « loi constitutive » d’un décideur appelle, par présomption, la norme de la décision raisonnable.

[15]           En l’espèce, le choix de la norme de la décision raisonnable est encore plus clair. En effet, c’est sur la politique des Forces armées que le chef d’état-major de la défense arbitrait, politique qui comprend les DSE incorporées par renvoi.

[16]           Dans la décision François v. Canada (Attorney General), 2017 FC 154, au paragraphe 33, 277 ACWS (3d) 96, le juge Gascon indique très clairement que la politique des FAC relève carrément du domaine d’expertise du CEMD et que c’est la norme de la décision raisonnable qui doit régir son application. Le juge Boswell rend une conclusion semblable dans la décision MacPhail v Canada (Attorney General), 2016 FC 153, au paragraphe 8, 264 ACWS (3d) 117.

Je ne vois pas de bonne raison de ne pas suivre le principe énoncé dans ces décisions. La norme de la révision qui s’applique est donc celle de la décision raisonnable.

[17]           Le demandeur fonde sa contestation au motif qu’il existe un conflit : d’une part l’article 34.1.6 des DSE donne droit à des prestations de scolarité lorsqu’il est tenu compte de l’article 10.12.03(1) des DRAS, et d’autre part, l’article 10.2.07 des DRAS élimine les indemnités dès la libération du militaire à l’extérieur du Canada.

[18]           Étant donné cette apparence de conflit, le demandeur soutient la nécessité de recourir aux règles de conflit de loi, comme la règle des exceptions limitées et la règle contra proferentem ainsi qu’aux notions de préjudice et d’injustice, ce qui résoudrait le conflit en sa faveur.

[19]           Or, la lecture des textes législatifs ou quasi législatifs doit se faire en harmonisant le contexte avec l’ensemble. Selon les principes de l’interprétation législative, « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27, au paragraphe 21, qui cite E. Driedger, Construction of Statutes (2nd ed 1983) à la p. 87).

[20]           À mon avis, il n’existe pas de conflit à résoudre. L’article 10.12.03(1) des DRAS accorde une indemnité scolaire conformément à l’article 34 des DSE. L’article 34.1.6 dispose que cette indemnité peut être versée au fonctionnaire jusqu’à la fin de la dernière année scolaire « pendant son service à l’étranger ».

[21]           L’article 10.2.07 des DRAS vient compléter le régime des indemnités en précisant ce qui se produit lorsqu’un militaire décide de se libérer et de rester à l’étranger : les indemnités cessent à la fin du mois où le militaire commence son congé de fin de service.

[22]           Structurellement, l’article 10.2.07 des DRAS, qui s’applique à un membre des Forces armées se retirant des FAC à l’extérieur du Canada, est plus précis que l’article 34 des DSE, dont l’application est générale et concerne l’ensemble des fonctionnaires.

[23]           Le CEMD conclut raisonnablement, en vertu de l’article 10.2.07 des DRAS, que le demandeur n’était plus en droit de recevoir une indemnité scolaire à la fin du mois de sa libération.

[24]           Cette décision constitue une interprétation raisonnable du régime des indemnités et compte parmi les issues acceptables.

IV.              Conclusion

Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire. Vu le montant en jeu et l’absence de précédent en matière d’interprétation des DRAS, les dépens ne seront pas accordés.


JUGEMENT dans l’affaire T-329-17

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire sans dépens.

« Michael L. Phelan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-329-17

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

LE MAJOR (À LA RETRAITE) KENNETH KING c. CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 1er novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Michel Drapeau

Joshua M. Juneau

 

Pour le demandeur

 

Jennifer Bond

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet juridique Michel Drapeau

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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