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Date : 20171101


Dossier : IMM-1345-17

Référence : 2017 CF 979

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er novembre 2017

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

VADIM SCENIOV

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Aperçu

[1]               La demande de résidence permanente présentée par M. Sceniov, au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, a été rejetée au motif que la personne le parrainant a manqué à un engagement de parrainage antérieur. Il a reçu l’ordre de se présenter pour son renvoi du Canada en mars 2017. Sa demande en vue du report de ce renvoi a été rejetée, et c’est cette décision qui fait aujourd’hui l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire dont est saisie la Cour.

[2]               M. Sceniov avance que la décision de l’agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs de rejeter sa demande de report était déraisonnable, parce que l’agent : 1) a mal interprété les circonstances liées au statut de sa demande de résidence permanente; 2) a sous-évalué les difficultés auxquelles lui et les membres de sa famille seraient confrontés s’il était renvoyé du Canada; 3) a omis d’évaluer correctement l’intérêt supérieur des enfants. Le défendeur affirme que le pouvoir discrétionnaire de l’agent d’accueillir ou non la demande de report était limité, que la demande de parrainage avait pris fin un an auparavant, que l’agent a pris en considération l’intérêt des enfants à court terme et que l’appréciation des difficultés était raisonnable.

[3]               La présente demande soulève la question suivante :

La décision de l’agent de ne pas reporter le renvoi du Canada était-elle déraisonnable parce que l’agent :

                                               i.            a mal interprété les circonstances liées au statut de la demande de parrainage;

                                             ii.            a écarté des éléments de preuve ou omis de les évaluer correctement dans son appréciation des difficultés?

[4]               Après avoir examiné le dossier du tribunal et les observations écrites et orales des parties, je ne peux conclure que l’intervention de la Cour est justifiée. La décision de l’agent était raisonnable pour les motifs qui suivent.

II.                 Contexte

[5]               M. Sceniov est citoyen de la Moldova. Il est arrivé au Canada en 2008 et a déposé une demande d’asile. Il a épousé sa femme en mars 2011. En mai 2012, il a retiré sa demande d’asile, choisissant plutôt de présenter une demande de parrainage d’un conjoint.

[6]               Son épouse a été acceptée en tant que parrain en août 2012, et M. Sceniov a reçu l’approbation à l’étape 1 lui permettant de présenter une demande de résidence permanente.

[7]               En janvier 2016, le défendeur a envoyé une lettre à l’épouse de M. Sceniov, l’informant qu’elle pourrait ne pas être admissible pour parrainer M. Sceniov puisque des renseignements indiquaient qu’elle avait manqué à un engagement antérieur. La lettre de janvier 2016 l’informait qu’elle avait 30 jours pour présenter des observations et que son inadmissibilité pourrait entraîner le rejet de la demande.

[8]               En février 2016, le défendeur a informé M. Sceniov, par une lettre, que sa demande avait été rejetée puisqu’il n’avait pas de parrain valide. Cette lettre a été envoyée à la même adresse que la lettre de janvier 2016, mais a été renvoyée au défendeur avec la mention [traduction« déménagé/retourner à l’expéditeur, adresse inconnue ».

[9]               En mars 2016, le défendeur a envoyé une troisième lettre adressée à M. Sceniov indiquant que la demande relative au conjoint avait été transférée du bureau de Vegreville du défendeur au bureau d’Etobicoke du défendeur.

[10]           Le représentant de M. Sceniov a par la suite présenté une demande d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels (AIPRP) concernant la demande de parrainage. La réponse, reçue en avril 2016, incluait la lettre de février 2016 indiquant le rejet de la demande.

[11]           M. Sceniov a été avisé en juin 2016 qu’il était admissible à un examen des risques avant renvoi (ERAR) et il a déposé une demande d’ERAR le mois suivant. Une décision défavorable quant à l’ERAR a été rendue en décembre 2016, laquelle a été communiquée en personne à M. Sceniov le 5 février 2017. Le 1er mars 2017, M. Sceniov a reçu l’ordre de se présenter pour son renvoi le 26 mars 2017. Le 28 février 2017, M. Sceniov a déposé un paiement pour régler le manquement de son épouse à son engagement de parrainage précédent.

[12]           M. Sceniov a demandé que son renvoi soit reporté. Il a affirmé qu’une certaine confusion entourait le statut de sa demande de parrainage d’un conjoint : la correspondance postérieure à l’avis de refus de février 2016 laissait entendre que la demande était toujours active et qu’il faudrait un certain temps avant de confirmer le statut de la demande, ou de permettre au demandeur de présenter une nouvelle demande si la demande n’était plus valide. La demande de report faisait également état des difficultés que vivrait la famille par suite du renvoi.

[13]           L’agent a rejeté la demande de report, n’étant pas convaincu par les observations concernant la confusion entourant la validité de la demande de résidence permanente, et a souligné que M. Sceniov avait la responsabilité de fournir au défendeur une adresse postale valide. Dans son appréciation des difficultés, l’agent a souligné qu’il n’était pas du ressort d’un agent de report d’effectuer une appréciation complémentaire des motifs d’ordre humanitaire, que le report d’un renvoi est prévu dans les cas d’empêchements pratiques temporaires et n’a pas pour but de servir de remède à long terme.

[14]           L’agent a examiné les circonstances concernant les enfants en cause, a tenu compte de la contribution de M. Sceniov à la famille et a pris en considération les problèmes de santé de sa femme, de son père et de sa grand-mère. L’agent a conclu que ces motifs à eux seuls ne justifiaient pas un report du renvoi, et a rejeté l’idée que la séparation de M. Sceniov de sa famille pourrait être pour une durée indéfinie si on devait lui interdire de revenir au Canada, parce qu’elle relevait de l’hypothèse.

III.               Norme de contrôle

[15]           La Cour doit examiner les décisions en matière de report d’un renvoi en fonction de la norme de la décision raisonnable (Baron c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81, au paragraphe 25 [Baron]). Dans son évaluation du caractère raisonnable de la décision d’un agent d’exécution, la Cour doit établir si la décision est justifiée, transparente et intelligible et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

IV.              Analyse

[16]           La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), exige que les mesures de renvoi soient exécutées dès que possible (paragraphe 48(2) de la LIPR). Ainsi, le pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution de reporter le renvoi est très limité (Baron, au paragraphe 51).

A.                 Est-ce que l’agent a mal interprété les circonstances entourant le statut de la demande de parrainage?

[17]           M. Sceniov affirme que la lettre de mars 2016 constituait le dernier élément de correspondance relativement à la demande et l’agent a indiqué à tort dans sa décision que la lettre de refus de février 2016 était la [traduction] « dernière lettre » envoyée. Cette conclusion de fait erronée et le défaut par l’agent de prendre en considération la confusion suscitée par la lettre de mars 2016 rendent la décision déraisonnable. Je ne suis pas d’accord.

[18]           La décision indique que l’agent était au courant que la lettre du 8 février 2016 avait été retournée au défendeur et que la lettre du 22 mars 2016 avait été envoyée. Cependant, l’agent souligne que M. Sceniov avait la responsabilité de [traduction] « tenir à jour son adresse postale et son adresse domiciliaire (qui je le souligne sont différentes) auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) et de toute autre organisation ». C’est dans ce contexte que l’agent fait référence à la lettre du 8 février 2016 rejetant la demande de parrainage comme étant la dernière lettre. Cet énoncé n’est ni erroné ni incohérent avec les faits et les circonstances.

[19]           M. Sceniov s’appuie sur la décision Gurshomov c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 1212 [Gurshomov], pour affirmer que la confusion quant au statut d’une demande de parrainage est un facteur pertinent qu’un agent d’exécution doit prendre en considération. Même si je ne suis pas en désaccord, en l’espèce, l’agent a conclu de manière raisonnable qu’il n’existait pas de confusion concernant le statut de la demande de parrainage.

[20]           Les faits en cause dans la décision Gurshomov diffèrent passablement des faits en l’espèce. Dans la décision Gurshomov, il existait de nombreux éléments de preuve d’une confusion – autant pour le demandeur que le défendeur – entourant le statut d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (demande CH). En outre, le demandeur dans la décision Gurshomov a immédiatement déposé une nouvelle demande CH après avoir appris que la demande CH initiale avait été rejetée plus d’un an auparavant.

[21]           En l’espèce, l’agent a pris connaissance des observations alléguant de nombreuses erreurs de la part du défendeur, mais a conclu que la décision de refus contenue dans la [traduction« dernière lettre » datée du 8 février 2016 avait été communiquée. Même si des observations ont été présentées selon lesquelles la lettre du 22 mars 2016 avait créé de la confusion, il y avait suffisamment de renseignements au dossier pour appuyer la conclusion de l’agent selon laquelle ce n’était pas le cas : 1) l’épouse de M. Sceniov a été informée par une lettre datée du 8 février 2016 qu’elle n’était pas admissible pour parrainer son mari et qu’une décision finale devait lui être communiquée; 2) en avril 2016, le représentant de M. Sceniov a pris connaissance et a été en possession d’une copie de la lettre de refus; 3) l’épouse de M. Sceniov, dans une lettre visant à défendre le report du renvoi, justifie ce report au motif qu’il lui permettra [traduction] « de déposer [sa] demande de parrainage instamment »; 4) la belle-mère de M. Sceniov fait également référence à la [traduction] « demande de parrainage que [sa] fille [...] doit déposer instamment ». Par conséquent, je ne peux conclure que l’agent a mal interprété les circonstances entourant le statut de la demande de parrainage.

B.                 Est-ce que l’agent a écarté des éléments de preuve ou omis de les évaluer correctement dans son appréciation des difficultés?

[22]           Il est allégué que l’agent a omis de tenir compte des difficultés que le renvoi causerait à M. Sceniov et à sa famille, et n’a pas pris en considération la situation financière de la famille, les problèmes de santé des autres membres de la famille et l’intérêt supérieur des enfants. En ce qui concerne les enfants, il affirme que les circonstances sont exceptionnelles étant donné que deux des trois enfants ont des besoins spéciaux et qu’il n’est pas seulement la personne qui prend soin de la famille mais aussi le soutien de famille.

[23]           L’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants dans le contexte d’une demande de report d’un renvoi diffère de celle qui se fait dans le contexte d’une demande CH. Dans le contexte d’une demande de report, l’agent n’a pas à effectuer une analyse exhaustive de l’intérêt supérieur des enfants, mais il doit se montrer réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants à court terme (Uthayakumar c. Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 998, au paragraphe 12; Pegito London c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 942, aux paragraphes 16 et 17 [London]).

[24]           En l’espèce, l’agent a reconnu les circonstances concernant les enfants, y compris les problèmes de santé dont souffrent les deux plus jeunes enfants et leurs besoins spéciaux. L’agent a également reconnu le rôle de M. Sceniov dans le soutien financier, émotif et physique offert aux enfants. L’agent a reconnu que le départ de M. Sceniov aurait des répercussions sur les enfants, mais a également souligné que les enfants demeureraient confiés aux soins de leur mère et qu’ils continueraient à avoir accès à des services éducatifs, médicaux et sociaux.

[25]           M. Sceniov affirme que cette analyse réduit son rôle dans la famille et, s’appuyant sur la décision London, que l’agent a omis de prendre en considération l’absence de dispositions adéquates pour le soin des enfants en son absence. Je ne suis pas convaincu. Les circonstances concernant les enfants ont été recensées et l’agent s’est montré attentif et sensible aux conséquences du renvoi sur les enfants. Le rôle de M. Sceniov dans le soin donné aux enfants a été pris en considération, mais contrairement à la situation qui prévalait dans la décision London, où « la demande de report [de M. London] confirmait qu’il est la principale personne qui s’occupe [des trois enfants] » (London, au paragraphe 18), M. Sceniov n’était pas la principale personne à s’occuper des enfants. Il est plutôt décrit par sa femme et sa belle-mère comme un membre important de la famille et comme quelqu’un qui aide avec les enfants. En fait, la description de son rôle dans l’aide apportée aux membres plus âgés de la famille de sa femme est plus détaillée que la description de son rôle concernant les enfants. En indiquant que les enfants demeureraient confiés aux bons soins de leur mère, l’agent a, selon les faits en l’espèce, pris les dispositions nécessaires concernant leur soin et pris en considération leur intérêt supérieur à court terme.

[26]           Dans la même veine, il n’était pas déraisonnable pour l’agent de conclure que les difficultés de la séparation telles que décrites dans la demande de report étaient une conséquence inhérente au processus de renvoi et n’atteignaient pas un niveau justifiant le report du renvoi.

V.                 Conclusion

[27]           La demande est rejetée. Les parties n’ont pas soulevé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1345-17

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

VADIM SCENIOV c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 1er novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Cemone Morlese

 

Pour le demandeur

 

Leanne Briscoe

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Cemone Morlese

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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