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Date : 20171101


Dossier : IMM-1408-17

Référence : 2017 CF 980

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er novembre 2017

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

LAJOS LAJHO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  M. Lajho, le demandeur, sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’un agent principal (agent) qui a rejeté sa demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) et conclu qu’il n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[2]  M. Lajho est un citoyen hongrois d’origine ethnique rome. Il est arrivé au Canada au mois de mars 2010 et a alors présenté une demande d’asile. Il a par la suite retiré cette demande et a quitté le Canada au mois de novembre 2010. Il est revenu au Canada au mois de septembre 2016, accompagné de son épouse, de son fils, de sa belle-fille et de son petit-fils. Les membres de la famille ont demandé l’asile. M. Lajho a été déclaré interdit de territoire en raison du retrait de sa première demande. Après la prise d’une mesure de renvoi contre lui, il a présenté une demande d’ERAR le 29 septembre 2016. Les autres membres de la famille attendent la tenue d’une audience devant la Section de la protection des réfugiés.

[3]  En rejetant la demande d’ERAR, l’agent a reconnu [traduction] « les difficultés de la population rome, qui fait face à des problèmes de droits de la personne telle la discrimination dans l’éducation, le logement, l’emploi et l’accès aux services sociaux ». L’agent a toutefois conclu qu’aucun des documents examinés ne [traduction] « mention[nait] le demandeur lui-même ou sa situation personnelle ».

[4]  M. Lajho soutient que la décision est déraisonnable pour de nombreuses raisons. Je n’ai pas à me pencher sur tous les points soulevés. Je suis d’avis que le défaut de l’agent de tenir compte des éléments de la preuve documentaire objective d’une manière significative et dans le contexte des témoignages produits par affidavit pour étayer la demande nuit à la transparence et ainsi au caractère raisonnable de la décision. La demande est accueillie pour les motifs exposés ci-après.

II.  Questions préliminaires

[5]  Dans ses observations écrites, M. Lajho a tenté de présenter de nouveaux éléments de preuve et fait valoir un manquement au principe de l’équité procédurale de la part de l’agent qui a commis une erreur en ne tenant pas d’entrevue. Ni l’un ni l’autre de ces deux arguments n’a été invoqué lors des débats. La demande a été examinée sur la foi du dossier dont disposait l’agent.

III.  Norme de contrôle

[6]  Les conclusions de fait, ou les conclusions mixtes de fait et de droit, tirées par un agent dans le contexte d’un ERAR sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Somasundaram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1166, au paragraphe 18). Dans son évaluation du caractère raisonnable de la décision d’un agent d’exécution, la Cour doit établir si la décision est justifiée, transparente et intelligible et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

IV.  Discussion

[7]  La demande d’ERAR de M. Lajho a été rejetée au motif que les documents relatifs aux conditions dans le pays étaient de nature générale et ne contenaient aucune précision sur M. Lajho lui-même ou sur sa situation personnelle et que la discrimination à laquelle il avait fait face en Hongrie n’atteignait pas le niveau de la persécution.

[8]  Il n’est pas certain si le refus de la demande d’ERAR faisait partie des issues raisonnables qui étaient permises à l’agent; la décision est loin de témoigner d’un processus décisionnel justifiable et transparent ou de démontrer que le résultat appartient aux issues possibles acceptables.

[9]  Pour étayer sa demande, M. Lajho s’est appuyé sur la preuve par affidavit de son épouse. Selon cet élément de preuve, les membres de la famille ont fait l’objet de discrimination, de harcèlement et d’attaques parce qu’ils sont Roms. L’affidavit décrit la discrimination vécue dans le système d’éducation et affirme qu’elle et son mari étaient sans emploi et n’avaient pas obtenu d’emploi parce qu’ils sont Roms. L’affidavit décrit des marches organisées par des groupes extrémistes et des paramilitaires de 2006 à 2010 durant lesquelles des maisons de Roms ont été endommagées et incendiées, des attaques ont été perpétrées contre des résidents roms de la localité et les policiers ne sont pas intervenus en raison de leurs liens avec ces extrémistes et de l’appui que ces groupes reçoivent à leur tour du gouvernement. Elle décrit des incidents impliquant sa fille lors desquels la police n’est pas intervenue en réponse à des allégations de violence familiale encore une fois d’après elle en raison de ses origines romes. Elle déclare que les membres de la famille vivaient dans une profonde pauvreté à cause du chômage qu’elle associe encore à leurs origines romes. Elle décrit un incident concernant son fils lors duquel il a été battu par la police en 2012. Elle décrit l’expulsion de la famille d’un ghetto de Miskolc en 2016. La famille avait reçu un avis, reconnaît-elle, mais a néanmoins été attaquée par un policer et deux paramilitaires. Elle déclare que M. Lajho a été battu par le policier et les paramilitaires durant cette expulsion, qu’il a eu le nez fracturé et qu’on lui a refusé des soins médicaux parce qu’il était sans abri. Elle décrit également une seconde expulsion de force survenue plus tard en 2016.

[10]  Malgré cet élément de preuve décrivant la situation personnelle, l’agent conclut que les éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays sont de nature générale et ne reflètent pas la situation personnelle de M. Lajho. Cette conclusion est déroutante. Les éléments de preuve de nature générale relatifs à la situation dans le pays, comme l’agent l’a reconnu, démontrent que la population rome fait l’objet de discrimination dans l’éducation, le logement, l’emploi et l’accès aux services sociaux, et ne pouvaient pas raisonnablement être examinés séparément des éléments de preuve à caractère personnel décrits ci-dessus et sans mention de ces éléments. Comme l’a affirmé le juge James Russel dans Racz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 824 [Racz], au paragraphe 37, [traduction] « Les documents généraux sur le pays ne sont pas de nature “générale” en l’espèce. Ils étayent et confirment l’expérience personnelle des demandeurs. »

[11]  De façon semblable, l’analyse de la protection de l’État fait défaut. L’agent conclut [traduction] « que des agents de l’État peuvent protéger les Roms en Hongrie », mais les agents de protection de l’État ne sont pas nommés et la conclusion n’est pas rattachée aux éléments de preuve documentaire sur les conditions dans le pays. L’agent fait effectivement état de mécanismes de dépôt de plaintes contre la police et d’une disposition constitutionnelle établissant une fonction d’ombudsman, mais n’aborde pas l’efficacité de ces mécanismes. De plus, il est de jurisprudence constante en ce qui concerne notre Cour que ces mécanismes ne donnent pas matière à conclure que la protection offerte par l’État en Hongrie est adéquate (Racz, au paragraphe 38).

[12]  Enfin, en évaluant la demande de M. Lajho fondée sur l’article 96, l’agent affirme ce qui suit :

[traduction] Je reconnais que le demandeur a subi des actes de discrimination à certains moments de sa vie en Hongrie et que le fait d’être insulté et menacé est à la fois désagréable et troublant; toutefois, je conclus que le demandeur n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve démontrant objectivement qu’il avait fait l’objet d’une discrimination grave, systématique et à répétition. Bien que le demandeur ait fait l’objet de certains incidents ponctuels de discrimination, la discrimination n’équivalait pas à de la persécution.

[13]  En parvenant à cette conclusion, l’agent n’a pas précisé les actes de discrimination qu’il avait évalués. L’agent fait effectivement état d’insultes et de menaces, mais ne divulgue pas les insultes et les menaces alléguées. Les éléments de preuve décrivent plutôt des expulsions de force, des coups et, à tout le moins, une discrimination fondée sur les origines ethniques et tolérée par l’État, ce qui a un effet sur l’accès à l’emploi, au logement, aux soins de santé et à l’éducation.

[14]  Pour établir une crainte justifiée d’être persécuté, un demandeur doit démontrer : 1) qu’il éprouve une crainte subjective d’être persécuté et 2) que la crainte subjective est objectivement justifiée (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à la page 723). Aux termes de l’article 96, un demandeur n’a pas à établir qu’il a été personnellement persécuté; l’article exige plutôt du demandeur qu’il démontre une crainte justifiée d’être persécuté. L’absence totale d’analyse pour étayer la conclusion tirée nuit à la transparence et à l’intelligibilité de la décision.

V.  Conclusion

[15]  La décision de l’agent repose sur un examen expéditif des éléments de preuve et sur des conclusions passe-partout. Bien qu’un décideur n’ait pas à commenter chacun des éléments de preuve ou à rechercher des éléments de preuve contraires à la conclusion tirée et à les commenter, il ne peut dans la même veine se contenter de conclure que [traduction] « les éléments de preuve sont mélangés quant au degré des actes de discrimination ». Un décideur doit en faire plus; il doit aborder les éléments de preuve variés (Racz, au paragraphe 41).

[16]  Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour réexamen. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1408-17

 

INTITULÉ :

LAJOS LAJHO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1er novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

John Grice

 

Pour le demandeur

 

Suran Bhattacharyya

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davis & Grice

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour les défendeurs

 

 

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