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Date : 20171027


Dossier : IMM-1153-17

Référence : 2017 CF 959

[TRADUCTION FRANÇAISE]

À Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2017

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

NANCY BIBIANA SEPULVEDA CARDONA

ERICK NORBERTO ROMERO CORTES

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de la question

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) à l’encontre de la décision d’un représentant du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à l’ambassade du Canada à Bogota (Colombie) (le représentant du ministre) en date du 12 janvier 2017, en application de laquelle la demande de visa de résident permanent présentée par Nancy Bibiana Sepulveda Cardona (la demanderesse) en tant que membre de la catégorie du regroupement familial (la décision), parrainée par Erick Norberto Romero Cortes (le parrain), a été rejetée. Dans cette même demande, la demanderesse a également demandé le statut de résidente permanente pour des motifs d’ordre humanitaire, conformément au paragraphe 25(1) de la LIPR (la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire), statut qui lui a aussi été refusé.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande est accueillie.

II.  Exposé des faits

[3]  La demanderesse, citoyenne colombienne, et le parrain se sont rencontrés en février 2008 à Bogota (Colombie). La demanderesse et le parrain ont commencé à se fréquenter en août 2008. En novembre 2009, le parrain a présenté une demande de visa de résident permanent au Canada en tant que travailleur qualifié. La demanderesse et le parrain ont emménagé ensemble en mars 2011. En novembre 2011, le parrain a obtenu la résidence permanente au Canada. Le parrain s’est établi en juillet 2012. Il est devenu un membre prospère de la société canadienne, à laquelle il contribue.

[4]  Dans une demande de résidence permanente en application du programme des travailleurs qualifiés, le demandeur doit déclarer toutes les personnes à sa charge, ce qui comprend les conjoints de fait. Le parrain n’a pas déclaré la demanderesse en tant que personne à charge, parce qu’ils n’étaient pas mariés lorsqu’il a quitté la Colombie et parce que les parties avaient décidé de mettre fin à leur relation à son départ de la Colombie. Le parrain croyait aussi que, pour qu’une relation soit considérée comme une union de fait, les parties devaient avoir cohabité pendant deux ans. C’est effectivement le cas en Colombie, mais pas au Canada, où la cohabitation ne doit avoir duré qu’un an.

[5]  Après son arrivée au Canada, le parrain et la demanderesse sont demeurés en contact. En décembre 2012, le parrain est retourné en Colombie pour Noël et il a discuté avec la demanderesse de la possibilité qu’elle emménage avec lui au Canada. Ce n’est qu’en mai 2013, lorsque la demanderesse et lui ont commencé à voyager dans d’autres pays pour se rencontrer, qu’ils ont commencé à se pencher sérieusement sur la possibilité d’un parrainage.

[6]  En avril 2014, le parrain a présenté une demande de parrainage de la demanderesse à des fins de résidence permanente comme sa conjointe de fait.

[7]  En août 2014, la demande a été refusée, parce que le parrain n’avait pas déclaré la demanderesse en tant que personne à charge dans sa demande de résidence permanente (le premier refus). Le parrain indique qu’il ne comprenait pas le refus; il croyait qu’il pouvait annuler le premier refus si la demanderesse et lui se mariaient.

[8]  La demanderesse et le parrain se sont mariés en Colombie le 27 octobre 2014.

[9]  En novembre 2014, le parrain a présenté une nouvelle demande de parrainage de la demanderesse à des fins de résidence permanente et la demanderesse a présenté une demande de visa de résident temporaire en janvier 2015. En février 2015, la deuxième demande présentée par le parrain a été refusée pour les mêmes motifs que ceux invoqués dans le premier refus (le deuxième refus), c.-à-d. parce que le parrain n’avait pas déclaré la demanderesse en tant que membre à charge de la famille. La demande de visa de résident temporaire de la demanderesse a aussi été rejetée en février 2015.

[10]  En décembre 2015, le parrain a présenté une troisième demande de parrainage de la demanderesse, dans laquelle il indiquait qu’il n’avait pas inclus la demanderesse dans sa première demande parce qu’il ne comprenait pas bien la définition juridique d’un conjoint de fait au sens du droit canadien.

[11]  Le 30 novembre 2016, le représentant du ministre a interrogé la demanderesse et l’a informée que l’on craignait qu’elle ait été exclue parce que le parrain ne l’avait pas déclarée. La demanderesse a expliqué que le parrain et elle croyaient qu’elle n’était pas sa conjointe de fait, parce qu’ils n’avaient pas habité ensemble pendant deux ans. La demanderesse a aussi expliqué qu’elle n’avait pas l’intention de déménager au Canada parce qu’elle ne voulait pas quitter sa famille. Ce n’est qu’après que le demandeur se soit établi qu’elle a voulu le rejoindre au Canada.

[12]  Le 12 janvier 2017, la demanderesse a reçu le troisième refus pour les mêmes motifs que ceux invoqués dans le premier et le deuxième refus; c’est ce refus qui est l’objet du présent contrôle judiciaire.

[13]  La demanderesse a présenté cette demande le 13 mars 2017. Le défendeur a produit son mémoire le 11 mai 2017. Les demandeurs ont produit leur mémoire en réponse le 23 mai 2017. Le défendeur a produit un autre mémoire le 8 septembre 2017.

[14]  La Cour a entendu la demande le 25 septembre 2017; c’est à ce moment-là que, sans préavis, et à l’ouverture de l’audience, le défendeur a demandé à ce que la demande soit rejetée, en alléguant pour la première fois que la Cour n’avait pas compétence pour entendre la demande.

III.  Questions en litige

[15]  Il s’agit de déterminer si le refus de la demande de résidence permanente en tant que membre de la catégorie du regroupement familial présentée par la demanderesse est raisonnable et si la Cour a compétence pour entendre cette demande.

IV.  Norme de contrôle

[16]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 57 et 62 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a établi qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». La Cour a déjà conclu que la norme de contrôle prévue à l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) est celle de la décision raisonnable : Ling Du c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1094, au paragraphe 47 (le juge O’Keefe), et Sekinatu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 729, aux paragraphes 10 et 11 (le juge Shore).

[17]  Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[18]  La Cour suprême du Canada prescrit aussi que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision doit être considérée comme un tout (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34). De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte au vu du dossier, est raisonnable (Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir aussi l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62).

[19]  La norme de contrôle appropriée pour l’aspect des motifs d’ordre humanitaire de la décision en l’espèce est celle de la décision raisonnable : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 (Kanthasamy).

[20]  Les examens des motifs d’ordre humanitaire en application de l’article 25 de la LIPR offrent des motifs spéciaux supplémentaires pour accorder une dispense de l’application des lois canadiennes sur l’immigration qui sont autrement appliquées universellement. Le degré élevé de pouvoir discrétionnaire accordé par la loi vise à donner la souplesse requise pour approuver des cas dignes d’intérêt que la LIPR n’a pas prévus. Voir la décision du juge O’Keefe dans Mikhno c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 386.

V.  Analyse

Décision relative à l’alinéa 117(9)d) du RIPR

[21]  À mon humble avis, cette affaire doit être tranchée en faveur des demandeurs pour plusieurs motifs.

[22]  D’abord, je suis d’avis que la demande doit être accueillie pour les mêmes motifs que ceux invoqués par le juge Heneghan dans Odicho c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1039, dont voici les faits et les conclusions :

[11]  Il n’est pas contesté que l’époux n’a pas déclaré son épouse comme personne à charge ne l’accompagnant pas lorsqu’il est entré au Canada en janvier 2005. Aucune preuve ne permet de contester l’authenticité du mariage des demandeurs. Rien ne permet de contester que l’enfant mineur est bel et bien leur enfant. En fait, le défendeur n’a déposé aucun affidavit de l’agente des visas.

[12]  Il y a un fait crucial, et il s’agit de l’omission du demandeur de divulguer le changement de son état matrimonial lorsqu’il est entré au Canada. Cette omission a entraîné l’exclusion de son épouse conformément à l’alinéa 117(9)d) du Règlement qui prévoit :

117(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

117(9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

[13]  Le paragraphe 25(1) de la Loi, qui offre un moyen de surmonter les conséquences de l’inobservation des exigences de la Loi et du Règlement, prévoit : Le paragraphe 25(1) est rédigé ainsi :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

Humanitarian and compassionate considerations

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

[14]  Cette disposition de la Loi porte sur l’étude du « cas » de l’étranger qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas aux exigences légales, y compris les exigences réglementaires. Il s’agit d’une disposition apportant une amélioration.

[15]  En l’espèce, l’agente des visas n’a apparemment pas tenu compte des documents présentés relativement au « cas » de l’époux qui a omis de déclarer le changement de son état matrimonial au moment où il est entré au Canada. À mon avis, les demandeurs ont présenté la preuve essentielle, c’est-à-dire l’existence du mariage, de la famille, et du désir de vivre ensemble. L’époux a expliqué pourquoi il n’avait pas au départ divulgué le changement de son statut matrimonial et, selon moi, il n’y a rien à ajouter. Les demandeurs ont présenté les faits pertinents. Les demandeurs doivent prouver que l’exercice du pouvoir discrétionnaire est justifié, mais, à mon avis, ils n’ont pas, pour s’acquitter de ce fardeau, à produire une preuve surabondante.

[16]  La décision de l’agente des visas ne fait pas état d’une compréhension de l’objet du paragraphe 25(1), qui est de surmonter les conséquences de l’inobservation des exigences légales. La décision initiale du 6 février 2007, dans laquelle l’enfant ainsi que l’épouse avaient été exclus, met en évidence un zèle excessif de la part du décideur initial, sinon une mauvaise interprétation de l’article 117 du Règlement.

[17]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision du 3 mai 2007 sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre agent de l’ambassade du Canada en Syrie pour qu’il procède à un nouvel examen.

[23]  Selon moi, la décision relative à l’alinéa 117(9)d) du RIPR est aussi déraisonnable parce qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Voici ce qui est indiqué au dossier : [traduction]

  • Lorsque le parrain a présenté sa demande de résidence permanente au Canada, à la fin de l’année 2009, il n’habitait pas avec la demanderesse;

  • Pendant leur période de cohabitation, ils ne se considéraient ni l’un ni l’autre comme des conjoints de fait; ils se traitaient comme petit-ami/petite-amie qui habitaient ensemble, en sachant qu’il était très possible que leur relation se termine si le parrain quittait la Colombie;

  • Le parrain et la demanderesse ont mis fin à leur relation lorsque le parrain a quitté la Colombie, parce que la demanderesse ne souhaitait pas quitter le pays à ce moment-là;

  • Au moment visé, le parrain croyait qu’une union de fait n’était confirmée qu’après deux années de cohabitation, comme c’est le cas en application de la loi colombienne et il n’avait pas habité aussi longtemps avec la demanderesse.

[24]  Je suis d’avis que cet élément de preuve a bel et bien été occulté; dans ce dossier, il n’était pas loisible au représentant du ministre de conclure que le parrain vivait en union de fait avec la demanderesse au moment où il a présenté sa demande de résidence permanente et au moment où il s’est vu accorder la résidence permanente au Canada. Cet aspect de la décision ne se justifie pas au regard des faits.

Décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire

[25]  Voici ce qui est indiqué au dossier en ce qui concerne la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire : [traduction]

  • La demanderesse et le parrain ont une relation solide qui dure depuis plus de huit ans;

  • Le parrain habite au Canada depuis près de cinq ans, soit la même période pendant laquelle ils ont été séparés;

  • Le parrain est résident permanent du Canada, où il est bien établi;

  • La demanderesse et le parrain souhaitent fonder une famille au Canada;

  • Il serait difficile pour la demanderesse de continuer à vivre séparément de son mari;

  • Ils ont essayé à plusieurs reprises d’être réunis au Canada, y compris en présentant trois demandes de parrainage et une demande de visa de résident temporaire;

  • Pendant les années où la demanderesse et le parrain étaient séparés, ils ont fait environ 13 voyages à différents endroits pour passer du temps ensemble, en couple;

  • Ils n’ont jamais eu l’intention de présenter des renseignements erronés aux autorités canadiennes.

[26]  La décision rendue par l’agent des visas (la décision relative aux motifs d’ordre humanitaire), comme il l’indique dans ses notes du Système mondial de gestion des cas, se résume à une phrase à la fin de la décision, que voici :

[TRADUCTION]

Décision : Le parrain est devenu résident permanent du Canada le 19 juillet 2012. Au moment de son établissement, le parrain n’a pas déclaré qu’il vivait en union de fait avec la demanderesse. Étant donné que le parrain n’a pas déclaré qu’il vivait en union de fait avec la demanderesse avant de devenir un résident permanent, la demanderesse est maintenant exclue. Le parrain pouvait divulguer des détails sur la relation, comme il était indiqué sur le formulaire de la demanderesse au moment du dépôt de sa demande et de son établissement en 2012. Je conclus que la demanderesse est exclue en vertu de l’alinéa 117(9)d) du Règlement. Admissibilité : ne répond pas aux éléments de motifs d’ordre humanitaire. Je ne suis pas convaincu que des motifs suffisants d’ordre humanitaire existent pour soutenir la demande et l’exception à l’exclusion.

[Non souligné dans l’original.]

[27]  Je ne suis pas convaincu du fait que la décision relative aux motifs d’ordre humanitaire était raisonnable dans ces circonstances et je ne peux pas l’accepter. Elle est hâtive, c’est le moins que l’on puisse dire, sèche et méprisante. Qui plus est, le motif invoqué pour refuser les mesures spéciales pour motifs d’ordre humanitaire est le même que celui invoqué pour les refuser au départ : cela n’est pas raisonnable, car il s’agit d’un cercle vicieux. En outre, ces motifs sont inadéquats, sans le moindre doute; il convient toutefois de reconnaître que le caractère inadéquat des motifs ne justifie pas en soi un contrôle judiciaire. Dans ses motifs, le représentant du ministre n’explique toutefois pas comment il a établi un équilibre entre une relation de longue date solide, où la demanderesse et le parrain ont tenté à de nombreuses reprises d’être réunis pour fonder une famille au Canada, et les motifs d’ordre humanitaire à évaluer, conformément à Kanthasamy. Je suis contraint d’être d’accord avec le fait que les motifs invoqués par le représentant du ministre ne sont pas justifiés, transparents et intelligibles, comme l’exige Dunsmuir. Par conséquent, le présent contrôle judiciaire doit être accueilli.

Requête tardive visant à obtenir le rejet pour défaut de compétence

[28]  Au début de l’audience et sans préavis, le défendeur a déposé une requête en vue de rejeter la demande au motif que la Cour n’avait supposément pas compétence pour en être saisie.

[29]  Le défendeur fait valoir que la Cour ne peut pas être saisie d’une contestation de l’analyse des motifs d’ordre humanitaire faite par le représentant du ministre, parce que la demanderesse est frappée d’une interdiction légale de présenter une demande de contrôle judiciaire. Le défendeur soutient aussi qu’une personne parrainée peut uniquement demander le contrôle judiciaire d’une décision relative aux motifs d’ordre humanitaire après avoir accepté la conclusion selon laquelle elle n’est pas membre de la catégorie du regroupement familial, conformément à l’alinéa 117(9)d) du RIPR.

[30]  Le défendeur s’appuie sur Somodi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 288 [Somodi] (et d’autres décisions). Dans Somodi, la Cour fédérale a répondu par l’affirmative à la question de droit certifiée qui suit : l’article 72 de la LIPR interdit-il au demandeur d’une demande de parrainage par l’époux de présenter une demande de contrôle judiciaire pendant que le parrain exerce son droit d’interjeter appel en application de l’article 63 du RIPR?

[31]  Le juge Mosley a établi une différence avec Somodi dans Phung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 585 [Phung]. Dans Phung, une Vietnamienne a épousé un Canadien au Vietnam. Le couple a eu un enfant au Vietnam et la famille a déménagé au Canada. Au moment de son arrivée au Canada, la femme n’a pas déclaré qu’elle avait eu un autre fils d’un père différent. Un agent d’immigration avait plus tard rejeté la demande présentée par le fils aîné parce qu’il était réputé exclu de la catégorie du regroupement familial. En annulant la décision rendue par l’agent des visas, le juge Mosley a conclu qu’à première vue, il semblerait que l’alinéa 72(2)a) de la LIPR interdirait de présenter une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision jusqu’à ce que le droit d’interjeter appel devant la Section d’appel de l’immigration ait été refusé. Cependant, le juge Mosley a aussi conclu que le mineur n’avait d’autre voie procédurale à suivre que de présenter une demande distincte en application de l’article 25 de la LIPR, ce que le demandeur mineur avait déjà fait en demandant à obtenir une exemption à l’interdiction de territoire prévue à l’article 25.

[32]  Le juge Mosley s’est appuyé sur la décision rendue par le juge Martineau dans Huot c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 180, aux paragraphes 26 et 28 :

[26]  Un droit d’appel de la décision d’un agent des visas n’est utile que si la procédure d’appel permet d’examiner les questions que peut soulever cette décision.

[28]  En l’espèce, comme dans l’affaire Huot, les demandeurs avaient présenté à l’agente d’amples observations relatives à des motifs d’ordre humanitaire. Je conviens avec le juge Martineau qu’en pareilles circonstances, la restriction prévue à l’alinéa 72(2)a) de la LIPR ne met pas en échec la compétence de la Cour pour examiner si l’agent a commis une erreur lorsqu’il a examiné les facteurs d’ordre humanitaire. La conclusion contraire aurait pour effet de priver les étrangers appartenant à la catégorie du regroupement familial d’un recours efficace et serait incompatible avec le vaste pouvoir discrétionnaire d’accorder une dispense, particulièrement lorsque l’intérêt supérieur d’un enfant est en jeu.

[33]  Le juge Mosley a conclu ainsi, au paragraphe 37 :

37  [...] L’agente n’a pas fait fi des considérations d’ordre humanitaire, mais l’examen qu’elle en a fait était superficiel par contraste avec son analyse des occasions où la demanderesse principale aurait pu déclarer son fils mais ne l’avait pas fait. La connaissance qu’avait l’agente des fausses déclarations que la demanderesse principale avait faites lorsque l’agente avait eu affaire à elle dans le passé et l’impression de l’agente selon laquelle la demanderesse principale avait omis de veiller à l’intérêt de son fils lorsqu’elle en avait eu l’occasion auparavant ont influé, à mon avis, sur l’examen que l’agente a fait des facteurs.

[34]  Je suis aussi d’accord avec les conclusions du juge Martineau, aux paragraphes 14 et 15 de Huot :

[14]   En temps normal, lorsqu’une autorisation est accordée, la procédure doit céder le pas devant le droit. On peut comprendre que dans les cas d’absence de compétence ou d’ordonnance prorogeant le délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire, il soit nécessaire de trancher préliminairement ces questions. Toutefois, l’audition devant le juge chargé d’entendre la demande de contrôle ne doit pas devenir une arène où toutes et chacune des requêtes et des objections préliminaires possibles, non antérieurement décidées ou entendues, peuvent être présentées derechef par une partie.

[15]  La Cour doit pouvoir contrôler les procédures qui sont devant elle de façon à éviter les abus. À ce chapitre, l’absence d’intérêt d’une partie devrait normalement avoir été décidée avant l’audition au fond, par le biais de la présentation d’une requête en radiation, le cas échéant. […]

[Non souligné dans l’original.]

[35]  Je suis aussi d’accord avec le juge Near (comme il l’était à ce moment-là), dans Mahmood c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 433, aux paragraphes 13 à 16 :

A. Le demandeur a-t-il la qualité requise pour agir?

[13]  Le défendeur a fait valoir que le demandeur, en tant que personne parrainant Mme Bashir, n’avait pas qualité pour contester le rejet de la demande, dans la mesure où il n’était pas « directement touché » par la décision, comme le requiert le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C., 1985, ch. F-7). La jurisprudence de la Cour étaye ce point de vue. Le défendeur a cité, à cet égard, la décision Carson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 95 FTR 137, au paragraphe 4 :

[4]  Bien que Mme Carson ait un intérêt dans la présente procédure, étant donné qu’elle a parrainé la demande de droit d’établissement de M. Carson au Canada et qu’elle a été interrogée dans le cadre de l’entrevue concernant le mariage afin de déterminer si des raisons d’ordre humanitaire pouvaient s’appliquer, ces faits ne sont pas suffisants pour lui donner la qualité pour agir dans la présente procédure de contrôle judiciaire. Mme Carson est citoyenne canadienne et elle n’a besoin d’aucune dispense d’application de la Loi sur l’immigration ou de ses règlements. En outre, qu’elle ait ou non qualité pour agir dans la présente action n’a aucune incidence sur l’issue de l’affaire. Par conséquent, le nom de la requérante Tonya Carson est radié comme partie à la présente procédure.

(voir également Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 183 FTR 309, 4 Imm LR (3d) 145, au paragraphe 15).

[14]  Le défendeur a fait valoir que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée sur cette seule base.

[15]  J’ai eu l’occasion de prendre connaissance des motifs rédigés par mon collègue le juge Luc Martineau dans l’affaire Huot c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 180. Dans cette décision, il avait conclu que les déclarations faites dans Carson et Wu, « propos tenus à une autre époque […] sous l’ancienne Loi de l’immigration », ne le liaient pas et n’étaient pas déterminantes, et que la Cour devait considérer les faits particuliers à l’affaire dont elle est saisie lorsqu’elle exerçait son pouvoir discrétionnaire de reconnaître la qualité pour agir d’une partie (au paragraphe 20). En l’espèce, j’aimerais faire écho à l’avis exprimé par le juge Martineau aux paragraphes 14 et 15 :

[14]  […] l’audition devant le juge chargé d’entendre la demande de contrôle ne doit pas devenir une arène où toutes et chacune des requêtes et des objections préliminaires possibles, non antérieurement décidées ou entendues, peuvent être présentées derechef par une partie.

[15]  La Cour doit pouvoir contrôler les procédures qui sont devant elle de façon à éviter les abus. À ce chapitre, l’absence d’intérêt d’une partie devrait normalement avoir été décidée avant l’audition au fond, par le biais de la présentation d’une requête en radiation, le cas échéant. […]

[16]  Par souci de justice, je suis d’avis qu’il y aurait lieu de rejeter cette objection préliminaire émise par le défendeur à ce stade tardif de l’affaire. Quoi qu’il en soit, si je fais erreur, compte tenu de ma conclusion quant au caractère raisonnable de la décision de l’agent, il n’est pas nécessaire de tirer une conclusion au sujet de la qualité d’agir du demandeur.

[Non souligné dans l’original.]

[36]  Le retard considérable dans le dépôt de la requête désavantage aussi le défendeur. Le ministre pouvait et, s’il était enclin à le faire, il aurait dû faire rejeter la demande d’autorisation d’interjeter appel pour des motifs de compétence; il ne l’a pas fait. La Cour a donc octroyé l’autorisation. L’octroi de l’autorisation a donné au défendeur une autre occasion de soulever la question de la compétence, soit dans le mémoire supplémentaire permis par l’ordonnance qui octroyait l’autorisation. Là encore, le défendeur n’a rien dit.

[37]  Comme il est indiqué, cette question a uniquement été soulevée le matin de l’audience. Même si l’avocat du demandeur a tenté de joindre l’avocat de la demanderesse par téléphone le vendredi précédant l’audience, il n’a rien envoyé par écrit à ce moment à la Cour ou à la demanderesse; on ne peut pas encourager le défaut d’informer la Cour et l’avocat de la partie adverse par écrit. En principe, des requêtes de ce genre doivent être signifiées; cette règle, en plus d’être salutaire, profite aux parties et à la Cour. J’ai entendu les arguments oraux exposés sur ce point et j’ai accordé aux parties du temps pour produire des documents supplémentaires après l’audience.

[38]  La requête du défendeur visant à rejeter la demande est rejetée.

Question certifiée

[39]  Les avocats n’ont pas proposé de question à certifier et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire, les décisions ci-dessous sont annulées, les questions doivent être réexaminées par un organe décisionnel différemment constitué, aucune question n’est certifiée et aucune ordonnance n’est rendue en ce qui concerne les dépens.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour de décembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1153-17

 

INTITULÉ :

NANCY BIBIANA SEPULVEDA CARDONA, ERICK NORBERTO ROMERO CORTES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 septembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 octobre 2017

 

COMPARUTIONS :

Luis Antonio Monroy

Pour les demandeurs

 

Asha Gafar

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Luis Antonio Monroy

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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