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Date : 20171030


Dossier : IMM-1595-17

Référence : 2017 CF 967

Ottawa (Ontario), le 30 octobre 2017

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

VICTORINA BENITEZ VARELA VDA DE DELGADO

LILISARA IXCHEL GUINEA DELGADO

AMALIA EUNICE DELGADO BENITEZ

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demanderesses, Victorina Benitez Varela Vda De Delgado [demanderesse principale], Amalia Eunice Delgado Benitez [Amalia] et Lilisara Ixchel Guinea Delgado [Lilisara], contestent la raisonnabilité d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR], concluant qu’elles n’ont pas qualité de réfugiées au sens de la Convention ou de personnes à protéger tel qu’entendu par les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. À l’audition, la Cour a ordonné que l’intitulé de la cause soit modifié afin que le Ministre de la citoyenneté et de l’immigration soit dorénavant désigné comme défendeur.

[2]               Bien que les demanderesses aient allégué une persécution pour motif d’appartenance à un groupe social au sens de l’article 96 de la LIPR, la SPR a décidé de limiter son examen des revendications à un risque personnalisé prévu à l’article 97 de la LIPR. Cette dernière conclusion n’est pas contestée aujourd’hui par les demanderesses. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. La SPR pouvait raisonnablement conclure que les demanderesses n’avaient pas rempli leur fardeau de prouver de manière crédible le bien-fondé de leur crainte de persécution, ou que leur vie serait en danger advenant un retour dans leur pays.

[3]               Les demanderesses sont citoyennes de la république du El Salvador [Salvador]. Elles craignent l’ancien gouverneur de San Miguel, Sergio Benavides [Benavides], depuis qu’une des filles de la demanderesse principale, Albertina Delgado de Barrera [Albertina], a porté une plainte à caractère sexuel en 2013 contre ce dernier. Notons qu’Albertina a déjà obtenu l’asile au Canada en 2016. D’ailleurs, depuis le départ d’Albertina au Canada, les demanderesses disent avoir subi de la violence et des menaces au Salvador en 2016. Deux individus auraient intercepté la demanderesse principale à proximité de son domicile pour lui demander l’adresse exacte d’Albertina. Ils l’auraient poussée sur un mur et lui auraient donné des forts coups à l’épaule et à d’autres parties de son corps. La demanderesse principale soupçonne que Benavides est le commanditaire de l’agression. Sa fille Amalia est médecin; c’est elle qui a traité ses blessures. Lilisara, la petite fille du mari de la demanderesse principale, est venue rester avec elle pour l’assister dans les jours suivants. Les demanderesses ont quitté le Salvador en octobre 2016. Cela dit, un procès médiatisé contre Benavides est toujours en cours au Salvador. La demanderesse principale a même été citée par Benavides à comparaître comme témoin. Benavides aurait notamment demandé au mari d’Amalia, avocat représentant Albertina dans le procès, de se retirer du dossier. Il aurait même proféré des menaces à Amalia et son mari avec une arme à feu, et tenté d’obtenir des informations sur Albertina.

[4]               La non-crédibilité des demanderesses est le facteur déterminant dans cette affaire. Le raisonnement de la SPR et les motifs de refus sont exposés de façon transparente et intelligible.

[5]               La SPR ne met pas en doute le fait qu’une plainte d’agression sexuelle ait été portée au Salvador par Albertina contre Benavides. Il n’empêche, la SPR ne croit pas que, pour obtenir l’adresse d’Albertina au Canada, Benavides ait fait des menaces aux demanderesses. La demanderesse principale a été jugée non crédible en raison d’incohérences dans son témoignage relativement à l’agression dont elle dit avoir été l’objet. En particulier, dans son formulaire de fondement de la demande d’asile [FDA] elle affirme avoir été battue. Pourtant elle a témoigné à l’audience qu’elle n’avait pas reçue de coups de pied, de poing ou de claques (voir transcriptions de l’audience du 14 décembre 2016 à la p 578 du dossier certifié). La SPR l’a confrontée à ce sujet lors de la seconde audience (voir transcriptions de l’audience du 24 février 2017 à la p 539 du dossier certifié). La SPR trouve non crédible qu’elle dise seulement avoir été tiraillée, mais ensuite change son témoignage pour dire que c’était l’équivalent d’être battue (voir transcriptions de l’audience du 24 février 2017 à la p 540 du dossier certifié). De plus, bien qu’Amalia affirme dans son témoignage avoir constaté des ecchymoses sur l’épaule de la demanderesse, la SPR ne peut croire qu’il s’agit de blessures, puisqu’elle ne croit pas son histoire, tandis que la preuve documentaire atteste plutôt de problèmes d’arthrose (voir dossier certifié à la p 506).

[6]               Amalia a également été jugée non crédible par la SPR en raison d’incohérences dans son témoignage et dans la preuve documentaire présentée. Elle a d’abord témoigné que son mari aurait reçu des menaces de mort, fin août-début septembre 2016, pour qu’il se retire comme avocat au dossier du procès d’Albertina (voir transcriptions de l’audience du 14 décembre 2016 aux pp 582-583 du dossier certifié). Il se serait effectivement retiré du procès le 8 septembre 2016 (voir pièce C-40 à la p 435 du dossier certifié). Elle affirme qu’il a encore reçu des menaces après s’être retiré. Interrogée sur les raisons de ces menaces, elle prétend que c’est pour obtenir l’adresse d’Albertina. Or, dans sa dénonciation à la police datée du 22 septembre 2016, le mari mentionne qu’il a été menacé pour cesser d’exercer, mais il ne fait aucune référence à des menaces pour savoir où Albertina se trouvait (voir pièce C-48 à la p 501 du dossier certifié). La SPR trouve incohérent que le mari n’ait pas dénoncée cette menace, surtout si elle visait plusieurs membres de la famille depuis le mois d’août 2016. La SPR ne donne donc aucune valeur probante à la dénonciation. Enfin, Amalia a aussi mentionné dans son témoignage qu’elle était présente lorsque Benavides aurait demandé à son mari de cesser d’exercer le 19 septembre 2016, ce qui semble incohérent avec la preuve à l’effet que son mari a cessé d’exercer le 8 septembre 2016. Elle n’a pas su répondre lorsque la SPR l’a interrogée à ce sujet (voir transcriptions de l’audience du 24 février 2017 à la p 542 du dossier certifié).

[7]               En outre, la SPR a conclu que rien ne démontrait que la vie de Lilisara était menacée ou qu’elle risquait de subir un traitement cruel ou inusité. Lorsque la SPR lui a demandé pourquoi elle demandait l’asile, Lilisara a vaguement répondu qu’elle croyait que les choses allaient se calmer avec le départ d’Albertina mais que l’inverse s’était produit (voir transcriptions de l’audience du 14 décembre 2016 à la p 570 du dossier certifié). Elle a néanmoins admis ne jamais avoir reçu directement de menaces de Benavides ou ses acolytes. Le seul risque allégué serait que Benavides aurait dit à Amalia et son mari qu’il pourrait facilement trouver des informations personnelles au sujet de Lilisara.

[8]               Enfin, la SPR a examiné tout danger personnalisé que les demanderesses pourraient objectivement subir advenant leur retour au Salvador. Les demanderesses affirment qu’elles seraient en danger parce que Benavides voudrait se venger contre la famille d’Albertina pour avoir causé du tort à sa carrière de gouverneur. Or, celui-ci a perdu son poste en 2013, et aucune menace n’est alléguée avant 2016. De plus, il n’y a aucune preuve documentaire au dossier à cet effet. La SPR note que les autres membres de la famille n’ont pas eu de problèmes avec Benavides. Elle n’accorde aucune valeur probante à une conversation Facebook entre la fille d’Albertina et un ami qui mentionne une demande de Benavides pour obtenir l’adresse d’Albertina.

[9]               Aujourd’hui, les demanderesses soumettent essentiellement que la SPR a erré dans son évaluation de leur crédibilité et du risque personnalisé. La SPR a minimisé l’importance du procès contre Benavides, alors que la demanderesse principale a été citée comme témoin. La SPR s’est attardée sur des aspects secondaires pour autrement ignorer ou écarter la preuve concluante de menaces directes et indirectes. Or, le témoignage de la demanderesse principale était clair : elle a fourni la même version des faits et n’a pas fait d’ajustements. Dans le cas d’Amalia, la SPR a accordé trop d’importance à la dénonciation faite à la police par son mari et s’est trompée sur le nombre et la nature des menaces. D’ailleurs, Amalia ne pouvait pas se mettre à la place de son mari, qui n’était même pas présent à l’audience. La conclusion sur Lilisara est également spéculative : la SPR a inféré qu’elle n’était pas en danger puisqu’elle n’était pas menacée directement. De plus, la SPR n’a accordé aucune valeur probante au message Facebook, alors que le message attestait que d’autres membres de la famille subissaient encore des menaces en 2016.

[10]           En résumé, le défendeur rétorque que la décision contestée s’appuie sur la preuve au dossier et que les conclusions de non-crédibilité sont raisonnables. La présomption de véracité invoquée par les demanderesses n’est pas irréfragable et le bénéfice du doute ne peut être donné à un demandeur d’asile que lorsque sa crédibilité a été établie. Il incomberait en l’espèce aux demanderesses d’établir, de façon crédible, les allégations qu’elles invoquent à l’appui de leur crainte de persécution ou de danger à leur vie. Le défendeur soumet que la SPR peut tirer des inférences négatives des omissions, contradictions et disparités importantes relevées entre les diverses déclarations d’un demandeur d’asile et son témoignage, lorsque ces dernières portent sur des éléments centraux de la demande d’asile, ce qui est le cas ici. En conclusion, le défendeur soumet que les demanderesses ne font que substituer leur propre appréciation de la preuve à celle du décideur. Elles ne font que réitérer les mêmes explications ayant été soumises devant la SPR et qui ont été raisonnablement rejetées par la SPR.

[11]           Après avoir considéré les représentations des procureurs à la lumière des motifs fournis par la SPR, des éléments de preuve au dossier et des témoignages entendus par la SPR, je suis d’avis que les conclusions de non-crédibilité sont raisonnables en l’espèce. Notre Cour doit faire preuve de déférence devant l’appréciation de la crédibilité du demandeur par le tribunal spécialisé qu’est la SPR (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 89). Les demanderesses s’appuient sur la présomption énoncée dans Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[1980] 2 CF 302, 1 ACWS (2d) 167 (CA) à l’effet que le témoignage d’un demandeur doit être présumé véridique. Cependant, il s’agit d’une présomption réfragable qui peut être renversée lorsque le décideur conclut au manque de crédibilité du demandeur d’asile. Il est bien établi que la SPR peut considérer un demandeur comme non crédible en raison d’invraisemblances, d’omissions, de contradictions ou d’incohérences diverses. Elle peut, bien sûr, tenir compte de la manière dont la personne a témoigné. Rappelons aussi que la SPR bénéficie d’un net avantage sur la Cour pour émettre de telles conclusions, puisqu’elle a la chance de voir et d’entendre le demandeur d’asile (voir Aguebor c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 NR 315, 42 ACWS (3d) 886 au para 4 (CAF)).

[12]           En l’espèce, les conclusions négatives de crédibilité sont fondées sur la preuve au dossier et reposent sur des incohérences ou des invraisemblances ayant trait à des éléments importants des revendications des demanderesses. S’agissant de la crédibilité de la demanderesse principale, la SPR ne s’est pas concentrée sur des détails non pertinents, via un examen microscopique de son témoignage comme le prétend devant moi son procureur. L’agression dont la demanderesse principale dit avoir été l’objet en 2016 est un élément fondamental des revendications. Or, la SPR a décelé une contradiction dans le témoignage de la demanderesse principale qui dit avoir être battue tout en affirmant qu’elle n’a pas reçu de coups, mais a été poussée, alors qu’elle interchange librement les expressions « tiraillée » et « battue ». La SPR a l’avantage d’avoir examiné la demanderesse principale et était très bien placée pour apprécier sa crédibilité. La SPR pouvait également conclure que le témoignage de la demanderesse principale était vague et imprécis. La SPR a également identifié plusieurs incohérences dans le récit d’Amalia particulièrement au niveau des dates. Ces incohérences sont fondées sur la preuve documentaire et sur le témoignage d’Amalia.

[13]           Les demanderesses allèguent également de manière générale que la décision contestée ne s’appuie pas sur la preuve. En particulier, la SPR n’accorde pas suffisamment d’importance aux circonstances entourant le procès de Benavides. Il s’agit d’un simple désaccord sur l’interprétation de la preuve. Aussi, il n’y a pas lieu d’intervenir en l’espèce. D’ailleurs, la SPR n’avait pas à mentionner tous les arguments soulevés ou faire référence à tous les documents au dossier. Elle pouvait très bien décider de ne pas accorder beaucoup de poids au fait que la demanderesse principale avait été citée à comparaître dans le procès de Benavides. La décision fait d’ailleurs brièvement référence au procès, ce qui indique que cet élément a été considéré malgré tout. La SPR pouvait également trouver étrange que Benavides ait attendu à 2016 pour s’en prendre aux demanderesses au motif qu’elles auraient entaché sa carrière, alors qu’il avait perdu son poste depuis 2013. Pour ce qui est de la conversation Facebook, je ne suis pas d’accord avec les demanderesses que cette preuve a été ignorée. La SPR l’a plutôt considérée et a choisi de lui accorder peu de force probante. Cette conclusion est tout à fait raisonnable.

[14]           Enfin, pour ce qui est de Lilisara, il était raisonnable pour la SPR de considérer que la preuve de crainte objective de risque était insuffisante dans son cas également, et ce, même si elle acceptait son témoignage. En effet, Lilisara a admis ne jamais avoir été directement visée par des actions de Benavides ou de ses acolytes. La seule allégation serait que Benavides aurait dit à Amalia et son mari qu’il pourrait facilement obtenir des informations sur elle. Cela me paraît effectivement insuffisant pour conclure à un risque de torture ou de traitement cruel ou inusité au sens de l’article 97 de la LIPR.

[15]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de droit d’importance générale n’a été soulevée par les parties.


JUGEMENT au dossier IMM-1595-17

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1595-17

 

INTITULÉ :

VICTORINA BENITEZ VARELA VDA DE DELGADO, LILISARA IXCHEL GUINEA DELGADO, AMALIA EUNICE DELGADO BENITEZ c LE MINISTRE DE CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 octobre 2017

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 octobre 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Alfredo Garcia

 

Pour les demanderesses

Me Evan Liosis

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Alfredo Garcia

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour les demanderesses

Procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

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