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Date : 20171030


Dossier : IMM-1602-17

Référence : 2017 CF 968

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 octobre 2017

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

YANG LIU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, M. Yang Liu, est un citoyen de la République populaire de Chine. Il est arrivé au Canada en 2013 pour étudier. Un permis de travail postdiplôme lui a été délivré en juillet 2015 et, en août 2015, il a obtenu un poste de directeur adjoint de restaurant. Le 31 octobre 2016, il a présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie de l’expérience canadienne (CEC).

[2]  La demande de M. Liu a été rejetée. Des incohérences dans les heures de travail de M. Liu ont été observées lors d’une entrevue téléphonique au cours de laquelle M. Liu décrivait son horaire de travail. Ces incohérences ont incité l’agent à conclure que M. Liu n’avait pas réussi à accumuler le minimum requis d’une année d’expérience de travail à plein temps ou l’équivalent à temps partiel avant de présenter sa demande. Dans son analyse menant au rejet de la demande de M. Liu, l’agent a retenu la déposition orale de ce dernier en ce qui a trait à son horaire de travail plutôt que les autres éléments de preuve présentés, notamment, les talons de paye, les feuillets T4 de 2015 et de 2016 préparés par le comptable agréé de son employeur.

[3]  M. Liu soutient que cette décision était déraisonnable. Je suis d’accord. M. Liu soutient également que certains éléments du processus étaient inéquitables sur le plan procédural. Puisque je conclus que la décision était déraisonnable, je n’ai pas à aborder la question de l’équité. La demande est accueillie pour les motifs exposés ci-après.

II.  Intitulé

[4]  La demande initiale nommait le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada comme partie défenderesse. Dans les observations subséquentes, le répondeur indiqué est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration; cependant, aucune modification de l’intitulé n’a été inscrite au dossier de la Cour. Dans les observations de vive voix, les parties s’entendent pour dire que le défendeur en l’espèce est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, au paragraphe 5(2), et Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, au paragraphe 4(1)). L’intitulé est modifié en conséquence. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration remplace le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté à titre de défendeur. (Article 76, Règles des Cours fédérales, DORS/98-106).

III.  Norme de contrôle

[5]  Les conclusions d’un agent à l’égard de la catégorie de l’expérience canadienne supposent des conclusions de fait et de droit et sont, de ce fait, susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable (Arachchige c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1068, au paragraphe 8). Le caractère raisonnable des décisions tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

IV.  Discussion

[6]  La demande de résidence permanente présentée par M. Liu au titre du programme de la CEC comprenait une lettre d’emploi dans laquelle il est indiqué qu’il travaille comme directeur adjoint dans un restaurant depuis le 31 août 2015, qu’il occupe toujours ce poste et que son revenu annuel est de 23 400 $, revenu fondé sur une semaine de travail de 30 heures. Il est indiqué dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC] du défendeur que l’authenticité de l’expérience de travail du demandeur comme directeur de restaurant devait faire l’objet d’une enquête en raison de l’absence de lien entre cet emploi et son expérience de travail antérieure à tire de professeur de langue.

[7]  L’employeur de M. Liu a été contacté dans le cadre de cette enquête. Son employeur a confirmé le contenu de la lettre d’emploi et le fait que M. Liu travaillait 30 heures par semaine et effectuait des quarts fractionnés (11 h à 14 h et 18 h à 21 h) 5 jours par semaine. M. Liu a également été contacté. Lors de cette entrevue téléphonique, il a réitéré qu’il travaillait 30 heures par semaine et qu’il avait une journée de congé et vraisemblablement deux par semaine. Il a par la suite décrit ses quarts de travail, confirmant par la même occasion qu’il y avait un quart de travail à la période de dîner et un quart à la période du souper, mais qu’il ne travaillait habituellement les deux quarts de travail que le dimanche. Cette information ne concordait pas avec les renseignements selon lesquels il travaillait 30 heures par semaine et, par conséquent, une lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée. La lettre relative à l’équité procédurale faisait état des incohérences entre les réponses fournies par M. Liu lors de l’entrevue téléphonique et les renseignements produits par M. Liu et son employeur.

[8]  En réaction à la lettre relative à l’équité procédurale, M. Liu a indiqué qu’il s’était mal exprimé et qu’il n’avait pas réussi à expliquer clairement sa situation. Il a alors présenté son horaire de travail comme étant une semaine de travail de 30 heures et il a ajouté des documents provenant du comptable de l’employeur, notamment une feuille de paye T4, des feuillets T4 pour les années 2015 et 2016 et des talons de paye visant la période de septembre 2015 à décembre 2016. Les documents relatifs à la paye indiquaient une semaine de travail de 30 heures à 15 $ l’heure, sauf pour une période de deux semaines en février 2016 où aucun versement n’a été effectué.

[9]  Après avoir examiné la réponse à la LEP, l’agent a conclu que les détails relatifs à l’horaire de travail de M. Liu ne concordaient pas avec l’information produite par son employeur ou avec la réponse qu’il avait lui-même donnée dans son entrevue téléphonique. L’agent a de plus conclu que le salaire annuel de M. Liu de 23 400 $ indiqué dans la lettre d’emploi ne concordait pas avec le salaire annuel indiqué dans les documents relatifs à la paye. Plus précisément, les notes du SMGC font état de ce qui suit :

La réponse à la lettre relative à l’équité procédurale comprend la lettre du comptable de l’entreprise, y compris une ventilation du salaire, et des talons de paye. La réponse à la lettre relative à l’équité procédurale comprend également un T4 pour les années 2015 et 2016 ainsi que des talons de paye visant l’ensemble de la période d’emploi. J’observe que le demandeur principal n’a produit aucun avis de cotisation, ce qui confirmerait le revenu d’emploi tel qu’il a été déclaré à l’Agence de revenu du Canada. J’observe qu’aucune date n’est indiquée sur les talons de paye. De plus, j’observe qu’il manque certains éléments de professionnalisme sur les talons de paye, y compris une faute d’orthographe dans le titre du demandeur principal. J’accorde aux talons de paye et à la lettre du comptable moins de poids qu’aux renseignements fournis par le demandeur principal et son employeur lors des entrevues téléphoniques.

[10]  Le défendeur soutient que l’agent avait le droit d’accorder moins de poids aux documents du comptable et que la Cour ne devrait pas s’appuyer sur ce fait pour conclure que la décision était déraisonnable. Le défendeur soutient que la jurisprudence appuie la position de l’agent selon laquelle les fautes d’orthographe diminuent l’importance à accorder aux documents et qu’il faut préférer les réponses spontanées obtenues lors des entrevues téléphoniques aux documents produits pour répondre à la lettre relative à l’équité procédurale. Le défendeur soutient également que l’agent n’a pas mal interprété les éléments de preuve lorsqu’il a constaté une incohérence entre le revenu annuel indiqué dans la lettre d’emploi et le revenu indiqué dans les documents relatifs à la paye.

[11]  Je ne conteste pas les principes généraux sur lesquels s’appuie le défendeur, mais j’estime que ces principes s’appliquent de façon minimale aux faits en cause en l’espèce.

[12]  Le défendeur, s’appuyant sur Jadallah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1240 [Jadallah], soutient que des erreurs sur un document pourraient fort bien constituer un motif suffisant pour conclure que le document n’est pas authentique ou que peu de poids mérite d’y être accordé. Cependant, en l’espèce, la Cour examinait des documents d’identité, plus précisément un certificat de naissance qui « comportait de nombreuses fautes d’orthographe […] [et] […] était sensiblement différent de celui de sa sœur, qui ne comportait pas de telles erreurs » (Jadallah, au paragraphe 9). En l’espèce, l’agent s’appuie sur une faute d’orthographe dans le titre du poste de M. Liu, « directeur adjoint », sur les talons de paye pour soutenir la conclusion selon laquelle il faut accorder moins de poids aux documents relatifs à la paye. Une faute d’orthographe dans le titre d’un poste dans un formulaire produit par ordinateur, une situation où il est raisonnable de croire que le titre en question n’aurait été inscrit qu’une fois, se distingue à la fois en degré et en importance des circonstances dans la décision Jadallah.

[13]  De même, l’agent souligne qu’aucune date n’est inscrite sur les talons de paye pour appuyer le point de vue selon lequel il faudrait accorder moins de poids aux éléments de preuve documentaire. Mais chaque talon de paye indique la période de paye pertinente par date ainsi qu’une note manuscrite quant au mode de paiement (en espèces ou par chèque) et, dans certains cas, la date du paiement et dans d’autres, le numéro du chèque.

[14]  Le défendeur se fonde sur la décision Bhatti c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 186 [Bhatti] pour appuyer le point de vue selon lequel l’agent avait le droit d’accorder plus de poids aux réponses spontanées fournies lors d’une entrevue téléphonique qu’aux réponses fournies dans une lettre relative à l’équité procédurale. Cependant, dans la décision Bhatti, on a conclu qu’une lettre frauduleuse avait été produite et que des modifications avaient été apportées à des déclarations antérieures de mis en cause en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. En l’espèce, les documents produits en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale ont été écartés en raison des préoccupations de l’agent liées à l’absence de date sur les talons de paye, à l’absence [traduction] « d’éléments de professionnalisme » et à la présence d’une faute d’orthographe. Bien que les conclusions de l’agent puissent laisser entendre une certaine préoccupation quant à l’authenticité des documents relatifs à la paye, aucune conclusion en ce sens n’a été tirée. Il convient également de souligner que les documents en question comprennent des feuillets T4, lesquels concordent avec les éléments de preuve de l’employeur et de M. Liu relativement aux heures de travail hebdomadaires.

[15]  Je suis également convaincu que l’agent a mal interprété les éléments de preuve lorsqu’il a conclu que le salaire annuel tel qu’il est indiqué dans la lettre d’emploi ne concordait pas avec l’information contenue dans les documents relatifs à la paye. Comme l’a indiqué l’avocate de M. Liu à la fois dans ses observations orales et écrites, M. Liu n’a pas été rémunéré durant une période de deux semaines en février 2016. Cette période de deux semaines explique l’incohérence entre son salaire échelonné sur un an à raison de 30 heures par semaine comme il est indiqué dans la lettre d’emploi et le salaire réel reçu en 2016.

[16]  En l’espèce, la décision de l’agent suppose l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire très étendu et doit faire l’objet d’une grande retenue. Toutefois, le pouvoir discrétionnaire pas plus que la retenue ne soustraient une décision aux éléments de transparence et d’intelligibilité. La conclusion de l’agent selon laquelle les documents relatifs à la paye qui confirment les éléments de preuve de l’employeur et de M. Liu méritaient qu’on leur accorde moins de poids que les réponses spontanées de M. Liu lors d’une entrevue téléphonique manque de transparence et d’intelligibilité lorsque l’on examine l’ensemble du dossier. Par conséquent, je conclus que la décision n’est pas raisonnable.

[17]  Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale et aucune question n’a été soulevée.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.  La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée pour qu’elle soit réexaminée par un autre décideur.

2.  L’intitulé est modifié par le retrait de « ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté » à titre de défendeur et par l’ajout de « ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration » à titre de détendeur;

3.  Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1602-17

 

INTITULÉ :

YANG LIU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 octobre 2017

 

COMPARUTIONS :

Negar Achtari

 

Pour le demandeur

 

Kevin Palframan

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Achtari Law PC

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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