Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20171027


Dossier : IMM-1290-17

Référence : 2017 CF 961

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2017

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

JONOS BOZIK

JANOSNE BOZIK

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Jonos et Janosne Bozik demandent le contrôle judiciaire de la décision d’une agente chargée de l’examen des risques avant renvoi qui a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils risqueraient d’être persécutés du fait de leur origine rome s’ils devaient retourner en Hongrie.

[2]  Pour les motifs suivants, je conclus que l’agente a commis plusieurs erreurs dans son évaluation du risque auquel les Bozik pouvaient être exposés en Hongrie. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

I.  Résumé des faits

[3]  Les Boznik sont venus au Canada pour la première fois au mois de février 2012, après quoi ils ont présenté une demande d’asile. Ils ont par la suite retiré leur demande et sont retournés en Hongrie lorsque la mère de Mme Boznik est tombée malade et a eu besoin d’un aidant familial. Les Bozik affirment avoir continué à faire l’objet de persécution une fois de retour en Hongrie, ce qui les a amenés à la décision de retourner au Canada au mois d’octobre 2016.

[4]  Étant donné que les Boznik avaient retiré leur demande d’asile antérieure, la seule évaluation du risque à laquelle ils avaient droit consistait en un examen des risques avant renvoi (ERAR). Ils ont fourni une documentation volumineuse pour étayer leur demande d’ERAR, notamment des observations écrites de leur avocat, une déclaration sous serment de M. Bozik, des rapports médicaux et des renseignements relatifs à la situation dans le pays.

[5]  Dans une décision relativement brève, l’agente chargée de l’ERAR a mentionné que d’autres habitants du voisinage des Bozik vivaient aussi la violence et les événements décrits dans la demande d’ERAR des Bozik. L’agente a conclu que les Bozik n’avaient pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir que les actes auxquels ils avaient eux-mêmes fait face du fait de leur origine rome étaient graves au point de constituer de la persécution.

[6]  En tirant cette conclusion, l’agente a mentionné que les Bozik avaient un domicile lorsqu’ils habitaient en Hongrie et qu’ils n’avaient pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’ils avaient été expulsés de leur domicile. De plus, les Bozik avaient eu accès à des soins de santé et à d’autres formes d’aide sociale pendant qu’ils vivaient en Hongrie. Ces éléments ont amené l’agente à conclure que les Bozik n’avaient pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir que la discrimination dont ils avaient fait l’objet dans la prestation de services de soins de santé, d’hébergement, d’éducation et d’autres services sociaux constituait de la persécution.

[7]  L’agente a mentionné que, bien que les Bozik prétendaient avoir vu des néonazis attaquer leurs voisins, et des policiers traîner des Roms hors de leur domicile et détruire leurs possessions, les éléments de preuve établissant que le couple avait demandé l’aide de la police à quelconque moment étaient insuffisants. En indiquant que la Hongrie est une démocratie, l’agente a affirmé qu’il incombait aux Bozik d’épuiser les recours qui s’offraient à eux, y compris le fait de demander l’aide d’organismes non gouvernementaux, avant de demander la protection du Canada.

[8]  Enfin, l’agente a conclu que le fait que les Bozik soient retournés en Hongrie en 2012 laissait croire qu’ils n’avaient pas de crainte subjective de persécution.

[9]  Ces conclusions ont amené l’agente à conclure que les Bozik n’avaient pas établi qu’ils faisaient face à plus qu’une simple possibilité d’être persécutés en Hongrie, pas plus qu’ils n’avaient établi qu’ils ont qualité de personnes à protéger aux termes de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27;

II.  Discussion

[10]  Les Bozik ont soulevé plusieurs questions dans leur demande de contrôle judiciaire, dont certaines peuvent être tranchées rapidement.

A.  Les demandes d’asile d’autres membres de la famille Bozik

[11]  Je ne peux conclure que l’agente a commis une erreur en ne traitant pas explicitement l’obtention du statut de réfugié au Canada par plusieurs membres de la famille des Bozik. Il est vrai que notre Cour a conclu qu’une décision relative à une demande d’asile ne peut être maintenue dans le contexte où plusieurs personnes se voient octroyer le statut de réfugié et la demande d’une autre personne est rejetée, sur la foi des mêmes faits et éléments de preuve : Djouah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 884, au paragraphe 25, 438 FTR 178.

[12]  Les Bozik n’ont toutefois pas établi que les demandes accueillies par des membres de leur famille étaient fondées sur les mêmes faits et éléments de preuve que leurs propres demandes sur l’existence de risques. Les seuls renseignements fournis à l’agente chargée de l’ERAR concernant les demandes d’asile des membres de la famille des Bozik consistaient en une seule page intitulée [traduction]« Avis de décision » pour chaque dossier. Les motifs de la Commission pour accueillir les demandes n’ont pas été fournis et aucun renseignement n’a été fourni en ce qui concerne la nature des demandes ou les éléments de preuve à la disposition de la Commission dans chacun de ces dossiers.

B.  Les erreurs typographiques et grammaticales contenues dans la décision relative à l’ERAR

[13]  Bien que la décision relative à l’ERAR contienne plusieurs erreurs typographiques et grammaticales, les erreurs ne reflètent pas une incompréhension des éléments de preuve et ne suffiraient pas en soi pour justifier l’infirmation de la décision : Petrova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 506, au paragraphe 51, 251 FTR 43.

C.  L’itinérance

[14]  Je conclus toutefois que l’agente a commis une erreur en concluant que les Bozik n’avaient pas établi qu’ils seraient probablement sans abri s’ils retournaient en Hongrie.

[15]  Les renseignements fournis à l’agente chargée de l’ERAR comprenaient une déclaration sous serment de M. Bozik dans laquelle il disait qu’à compter de 2014, des policiers et des [traduction] « commandos » avaient commencé à expulser de leur domicile les Roms du voisinage des Bozik. Selon la déclaration sous serment de M. Bozik, des policiers et des commandos auraient traîné des Roms hors de leur domicile et auraient jeté leurs possessions dans la rue.

[16]  Il était mentionné plus loin dans la déclaration sous serment de M. Bozik qu’en l’espace de quelques semaines au printemps de 2016, des policiers et des commandos avaient expulsé presque tous les voisins des Bozik de leur domicile, et les Bozik savaient qu’ils seraient les prochains. M. Bozik a affirmé que le couple, plutôt que d’attendre son expulsion et la destruction de ses possessions, a décidé de vendre tous ses biens et de fuir vers le Canada. M. Bozik a également affirmé que si le couple devait retourner en Hongrie, il n’aurait nulle part où habiter et se retrouverait à la rue, comme cela a été le cas pour plusieurs membres de sa famille.

[17]  Se fondant sur l’insuffisance des éléments de preuve, l’agente a conclu que les Bozik n’avaient pas établi qu’ils seraient probablement sans abri s’ils retournaient en Hongrie. Les Bozik ont toutefois présenté des éléments de preuve qui étaient à la fois détaillés et sous serment. Ils étaient de plus étayés par des renseignements sur la situation dans le pays dont l’agente chargée de l’ERAR disposait et qui traitaient des évincements survenus dans le voisinage des Bozik au cours de la période en question.

[18]  L’agente ne pouvait conclure que les Bozik n’avaient pas établi leur expulsion imminente que si elle ne croyait les éléments de preuve présentés sous serment par M. Bozik à ce sujet. Je conclus donc que ce que l’agente a qualifié d’éléments de preuve insuffisants était en réalité une conclusion défavorable quant à la crédibilité concernant une question essentielle pour établir le risque que les Bozik courraient en Hongrie.

[19]  Avant de tirer une telle conclusion défavorable quant à la crédibilité, l’agente était contrainte d’examiner si une audience était nécessaire, en application des dispositions de l’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés : Majali c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 275, au paragraphe 29, [2017] ACF no 276.

[20]  Je constate une divergence dans la jurisprudence de notre Cour quant à la question de savoir si le défaut de tenir une audience pour rendre une décision relative à un ERAR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable ou de la décision correcte : Zmari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 132, aux paragraphes 10 à 13, 39 Imm. LR (4th) 92. Il n’est toutefois pas nécessaire de trancher cette question en l’espèce étant donné ma conclusion selon laquelle il était déraisonnable pour l’agente de tirer ce qui était en substance une conclusion défavorable quant à la crédibilité concernant une question qui était essentielle pour établir le risque allégué dans la demande d’ERAR sans tenir d’audience et le fait que le défaut de l’agente d’en tenir une constitue une erreur susceptible de contrôle qui justifie l’annulation de la décision relative à l’ERAR.

[21]  De plus, comme il est expliqué ci-dessous, l’erreur de l’agente quant à l’itinérance mine les autres conclusions tirées dans la décision relative à l’ERAR.

D.  La capacité des Bozik d’obtenir des soins de santé en Hongrie

[22]  Pour conclure que les Bozik pourraient obtenir des services sociaux en Hongrie, y compris les soins de santé dont Mme Bozik a besoin en raison de son affection cardiaque, l’agente s’est fondée sur le fait qu’elle avait pu recevoir de tels services par le passé. Comme M. Bozik l’a toutefois expliqué dans sa déclaration sous serment, qui accompagnait les observations fournies par le couple dans le cadre de sa demande d’ERAR, l’accès à des soins de santé en Hongrie nécessite la présentation d’une carte d’adresse valide. Mme Bozik avait une carte d’adresse valide dans les années ayant précédé le départ du couple de Hongrie, ce qui leur a permis d’obtenir des soins de santé. Cette carte d’adresse n’est toutefois plus valide.

[23]  L’évaluation du risque est toutefois censée être prospective. Selon les éléments de preuve que M. Bozik avait mis à la disposition de l’agente chargée de l’ERAR, le couple serait sans abri s’il retournait en Hongrie. M. Bozik a mentionné que, sans carte d’adresse valide, le couple ne pourrait pas recevoir des services sociaux en Hongrie, y compris des soins de santé. Étant donné que l’agente n’a manifestement pas cru l’assertion de M. Bozik selon laquelle le couple serait sans abri, elle n’a pas cherché à savoir si ce changement de circonstances aurait une incidence sur la capacité des Bozik d’obtenir des soins de santé à l’avenir.

[24]  Avant de tourner la page sur la question de l’accès aux soins de santé, je dois également me pencher sur l’hystérectomie subie par Mme Bozik.

[25]  Comme il a été observé précédemment, l’agente chargée de l’ERAR a mentionné les soins de santé que les Bozik avaient reçus par le passé, y compris l’hystérectomie que Mme Bozik avait subie dans la trentaine. Ce que l’agente semble avoir négligé d’examiner, c’est la déclaration des Bozik faite sous serment selon laquelle Mme Bozik aurait subi l’ablation de son utérus sans son consentement. Cela s’est produit il y a de nombreuses années, il est vrai, mais il était abusif pour l’agente de conclure qu’une atteinte aussi profonde à l’intégrité physique d’une femme établit qu’elle avait pu obtenir des soins de santé en Hongrie.

E.  La protection de l’État

[26]  Le dernier problème pour ce qui est de la décision relative à l’ERAR concerne la conclusion de l’agente selon laquelle les éléments de preuve démontrant que les Bozik avaient déjà demandé l’aide de la police hongroise étaient insuffisants. Selon l’agente chargée de l’ERAR, la Hongrie étant une démocratie, les Bozik devaient se prévaloir de tous les recours qui s’offraient à eux avant de demander la protection auxiliaire au Canada.

[27]  Selon les éléments de preuve non contestés de M. Bozik, cependant, les policiers participaient activement à la persécution de la population rome en Hongrie et jouaient un rôle intégral dans les expulsions forcées perpétrées dans le voisinage des Bozik. M. Bozik avait affirmé, de plus, dans sa déclaration sous serment que [traduction] « [c’]est une perte de temps que de s’adresser aux policiers; ils ne nous aident pas ».

[28]  Bien qu’il soit vrai que la Hongrie est une démocratie, les démocraties ne sont pas toutes équivalentes. Comme notre Cour l’a souligné dans l’affaire Capitaine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 98, aux paragraphes 20 à 22, [2008] ACF no 181, les démocraties s’inscrivent dans un éventail. Il y a donc lieu d’examiner où se trouve un pays dans cet éventail afin de déterminer ce qu’il faudra pour réfuter la présomption selon laquelle un État est disposé et apte à protéger ses citoyens.

[29]  Un demandeur peut être tenu d’épuiser tous les recours dont il dispose dans les démocraties développées comme les États-Unis et Israël : Capitaine, précitée, au paragraphe 21, renvoyant à l’affaire Hinzman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, 362 NR 1; Sow c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 646, au paragraphe 12. Cette proposition ne s’applique pas, cependant, à tous les pays, indépendamment de leur emplacement dans « l’éventail démocratique » : Capitaine, précitée, au paragraphe 22.

[30]  Les évaluateurs du risque doivent donc examiner les éléments de preuve présentés quant à la capacité et la disposition d’un pays à protéger ses citoyens avant de décider si un État est disposé et apte à protéger les personnes dans leur pays d’origine.

[31]  Bien que l’agente chargée de l’ERAR ait disposé de renseignements relatifs à la situation dans le pays qui traitaient du refus de la police hongroise d’aider les citoyens roms du pays, l’agente n’a pas examiné ces éléments de preuve. Comme il a été mentionné ci-dessus, l’agente chargée de l’ERAR a simplement conclu que puisque la Hongrie est une démocratie, les Bozik devaient épuiser les recours qui s’offraient à eux pour réfuter la présomption selon laquelle la protection de l’État leur serait offerte en Hongrie. L’agente n’a pas cherché à savoir si la protection qui serait offerte aux personnes dans la situation des Bozik serait adéquate.

III.  Conclusion

[32]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Je conviens avec les parties que la présente affaire repose sur des faits qui lui sont propres et ne soulève pas de question à certifier.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1290-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour réexamen.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1290-17

 

INTITULÉ :

JONOS BOZIK JANOSNE BOZIK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 octobre 2017

 

COMPARUTIONS :

Jordan Duviner

 

POUR LES DEMANDEURS

 

David Cranton

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.