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Date : 20171027


Dossier : IMM-1060-17

Référence : 2017 CF 960

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2017

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

NASIR DAG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur est un citoyen turc, originaire du village d’Elbistan. Il revendique le statut de réfugié en raison à la fois de son profil religieux ou ethnique en tant que Kurde alévi, et de ses opinions politiques perçues en raison des liens entre son village et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Le 18 janvier 2017, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au Canada, ce qui a mené à la présente demande de contrôle judiciaire.

[2]  Le demandeur a obtenu un visa pour les États-Unis au mois de janvier 2012, avec l’aide d’un représentant, qui a apparemment été mis en état d’arrestation et tué, bien que ce fait ne soit pas mentionné dans l’exposé circonstancié du demandeur. Il a quitté la Turquie à destination de Seattle le 14 janvier 2012 avec l’intention de venir ultimement au Canada. Il a donc traversé la frontière canadienne près de Vancouver et s’est rendu à Toronto pour présenter une demande d’asile. Le demandeur allègue quatre incidents survenus lors de sa détention et de mauvais traitements par les autorités turques. Au mois de janvier 2007, il a été battu et détenu après avoir été accusé d’avoir assisté aux funérailles d’un terroriste (premier incident). Au mois de décembre 2008, il a été détenu et battu après avoir assisté à la commémoration du massacre des Kurdes de Marash; il a été faussement accusé d’avoir scandé des slogans et assisté aux funérailles de certains membres du PKK (deuxième incident). Au mois de mai 2010, après une manifestation contre les autorités turques dans un village voisin, il a été détenu avec de nombreuses autres personnes et relâché après avoir été battu et interrogé (troisième incident). Au mois d’août 2011, la maison du demandeur a fait l’objet d’une descente par des policiers qui ont tout saccagé et ont battu le demandeur devant sa conjointe et ses enfants. Il aurait également été enlevé par la police après avoir été accusé de propagande chrétienne. Il a par la suite été accusé d’être un terroriste et un séparatiste; il a été détenu pendant quatre jours (quatrième incident).

[3]  Le 9 décembre 2013, la Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande d’asile, mais notre Cour a par la suite annulé cette première décision, le 5 février 2015. La demande d’asile a été renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué et des audiences ont été tenues le 21 septembre 2016, le 17 novembre 2016 et le 14 décembre 2016. Sa demande d’asile a été rejetée une seconde fois le 18 janvier 2017, ce qui a mené à la présente demande de contrôle judiciaire. Dans la décision contestée, la Section de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur n’était pas crédible en ce qui concerne les éléments importants de sa demande d’asile et que son profil ne révélait pas plus qu’une simple possibilité de menace future à laquelle le demandeur serait exposé. L’agent a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau d’établir qu’il serait exposé à une possibilité sérieuse de persécution pour l’un des motifs prévus à la Convention, ou le fait qu’il puisse être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou à des traitements ou des peines cruels et inhabituels s’il devait retourner en Turquie.

[4]  En résumé, le demandeur soulève trois motifs distincts de contrôle : 1) un certain nombre de conclusions importantes touchant les premier et quatrième incidents et le traitement par l’agent sont abusifs et rendent déraisonnable la conclusion sur la crédibilité; 2) la Section de la protection des réfugiés a mal compris l’objet des éléments de preuve psychologique et a également rejeté des éléments de preuve corroborants sur la foi de fondements erronés; et 3) l’évaluation du risque par la Section de la protection des réfugiés n’a pas pris en compte la situation la plus récente dans le pays et le fait que le demandeur est connu comme un Kurde alévi.

[5]  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[6]  Il est possible de constater que la Section de la protection des réfugiés a pris en compte tous les éléments de preuve pertinents versés au dossier, y compris les transcriptions de l’audience précédente, l’abondante preuve documentaire présentée par le demandeur, les rapports médicaux corroborant les blessures du demandeur et deux autres rapports attestant de son état psychologique. Dans l’ensemble, je conclus que la conclusion tirée par la Section de la protection des réfugiés est raisonnable et qu’il y a lieu que la Cour la maintienne. À cet égard, les longs motifs de la Section de la protection des réfugiés sont clairement et distinctement rédigés. Ils constituent un fondement rationnel au rejet de la demande d’asile du demandeur. Les arguments présentés par le demandeur sont sans fondement.

[7]  La conclusion défavorable de la Section de la protection des réfugiés sur la crédibilité est fondée sur l’effet cumulatif de plusieurs omissions, contradictions, manques d’explications et invraisemblances. Le demandeur n’a pas contesté ou sérieusement remis en question les conclusions suivantes :

  • a) Lorsqu’il a été interrogé à l’audience, le demandeur ne pouvait se rappeler ni la date de naissance ni l’âge de sa conjointe et de ses enfants, même s’il avait prétendu que sa famille était la raison de ses retours en Turquie entre de longues périodes de travail à l’étranger. Même si ce fait ne représente pas un « doute extrêmement important concernant la crédibilité », la Section de la protection des réfugiés l’a néanmoins mentionné (au paragraphe 14);

  • b) Il y avait également plusieurs contradictions dans son historique d’antécédents professionnels à l’étranger allégués. Le Formulaire de renseignements personnels (FRP) a été modifié plusieurs fois et les pays énumérés ont été modifiés. Lorsqu’il a été interrogé à ce sujet, le demandeur a affirmé qu’il ne se souvenait pas d’un bon nombre de choses. De plus, le demandeur a présenté de nombreux éléments de preuve attestant de son travail à l’étranger, mais n’a pas produit de passeport pour corroborer ses déplacements (au paragraphe 25). Il n’y a aucun élément de preuve pour confirmer sa présence en Turquie aux moments allégués (au paragraphe 25);

  • c) Le témoignage du demandeur concernant son emploi en Turquie ne concordait pas non plus avec ses documents (aux paragraphes 26 et 27). Le demandeur a également fait une allégation « choquante » durant son témoignage, selon laquelle le système informatique du gouvernement turc contenait une note l’associant au PKK (au paragraphe 28). Cela remonterait à 2004, mais le demandeur a affirmé que son nom était inscrit sur la liste en raison d’une plainte formulée en 2007 (au paragraphe 28). Lorsque cette contradiction a été portée à l’attention du demandeur, il est devenu très vague et a réorienté son récit pour dire qu’il avait été persécuté en raison de sa nationalité (et non pas de son affiliation politique). La Section de la protection des réfugiés avait de sérieux doutes au sujet de cette omission et de ces incohérences. Ces doutes ont mené la Section de la protection des réfugiés à conclure que le demandeur avait probablement manqué de sincérité envers le tribunal concernant ses activités passées (au paragraphe 29);

  • d) Peu d’éléments de preuve situent le demandeur en Turquie ces derniers temps, et l’on constate une interruption totale de ses activités entre les années 1994 et 2004 (au paragraphe 30);

  • e) Le témoin Salman Vural, un cousin du demandeur, ne pouvait pas dire où en Turquie était ce dernier après 1988 (au paragraphe 31). Ce témoin est maintenant un citoyen canadien. Il a témoigné qu’il retourne souvent en Turquie pour y prendre des vacances, ce qui a porté l’agent à croire que le risque général auquel font face les Kurdes alévis n’était pas si élevé (au paragraphe 32);

  • f) Le demandeur a présenté une lettre du docteur Hoca dans laquelle ce dernier pose un diagnostic d’anxiété et de dépression chez le demandeur du fait qu’il est séparé de sa famille (au paragraphe 44). La Section de la protection des réfugiés a conclu que ce fait ne corroborait pas les allégations du demandeur concernant ce qui s’est passé en Turquie et qu’il ne dissipe pas ses doutes sur la crédibilité;

  • g) La Section de la protection des réfugiés a conclu que les fréquents voyages aller-retour du demandeur en Turquie sont incompatibles avec une crainte justifiée et qu’ils minent ses allégations de persécution (au paragraphe 45).

[8]  J’examinerai maintenant les motifs de contestation des principales conclusions décrites ci-dessus invoqués par le demandeur.

[9]  En commençant par le premier incident en 2007, le demandeur l’a attribué dans son témoignage à une plainte formulée par un propriétaire de magasin nationaliste, contrairement à la déclaration contenue dans son FRP (aux paragraphes 15 et 16). Lorsque la contradiction a été soulevée, le demandeur a répondu qu’il avait omis d’inclure ce renseignement dans son FRP parce que [traduction] « c’était une longue histoire » (au paragraphe 16). La Section de la protection des réfugiés a également examiné une lettre d’un codétenu qui faisait mention de cette plainte, mais l’a rejetée parce qu’elle n’avait pas été présentée sous la forme d’un affidavit (au paragraphe 16). Devant notre Cour, le demandeur soutient que, ce faisant, la Section de la protection des réfugiés a agi de façon déraisonnable parce que son témoignage ne contredisait pas son exposé circonstancié, et ne faisait plutôt que fournir des renseignements complémentaires. Dans son exposé circonstancié, le demandeur a affirmé qu’il avait été arrêté en revenant des funérailles d’une personnalité religieuse alévie et qu’il avait été mis en état d’arrestation en raison de la perception selon laquelle il revenait des funérailles d’un terroriste. Il a mentionné dans son témoignage que son arrestation était attribuable à une plainte formulée par un propriétaire de magasin nationaliste turc. Je souscris à la thèse du défendeur voulant qu’il fut raisonnable qu’une conclusion défavorable soit tirée quant à la crédibilité du fait que le demandeur avait omis de mentionner la plainte. La Section de la protection des réfugiés a explicitement conclu qu’il s’agissait d’une omission importante parce que la plainte aurait signifié qu’il était tout particulièrement ciblé par les autorités, plutôt que d’avoir été appréhendé au hasard. De plus, il a été fait référence à cette plainte tout au long du témoignage et elle aurait donc dû être mentionnée dans l’exposé circonstancié.

[10]  En ce qui concerne le quatrième incident – dont le demandeur se souvient comme étant le « plus mémorable », la Section de la protection des réfugiés fait remarquer que le témoignage du demandeur sur la date et les détails des événements contredisait une fois de plus le FRP. La date était déplacée d’un an, et le récit des événements était totalement différent (au paragraphe 17). Le demandeur a affirmé dans son témoignage que le motif de son arrestation était la plainte de 2007, contrairement à ce qui était affirmé dans son FRP (au paragraphe 18). En outre, le demandeur ne se souvenait plus d’avoir été accusé d’avoir lancé un cocktail Molotov, même si cette affirmation figurait dans son exposé circonstancié (au paragraphe 19). La Section de la protection des réfugiés a reconnu l’état psychologique fragile du demandeur, mais était également d’avis qu’un événement aussi important dans sa vie aurait dû occuper une plus grande place dans son esprit. La Section de la protection des réfugiés a conclu que l’événement ne s’est probablement pas produit tel qu’il a été décrit, ce qui nuisait à l’ensemble des éléments de preuve portant sur les détentions antérieures (au paragraphe 19). Devant notre Cour, le demandeur soutient maintenant que la Section de la protection des réfugiés a attaqué sa crédibilité en se fondant sur deux contradictions qui n’existent pas. Premièrement, selon son exposé circonstancié, il a été accusé d’être un séparatiste et un terroriste, ce qui contredit son témoignage au sujet de sa détention en raison de ses liens avec le PKK. Il soutient qu’il n’a jamais été affirmé dans son exposé circonstancié qu’il avait été détenu en raison du [traduction] « livre chrétien ». Il mentionne également que le fait d’avoir oublié le cocktail Molotov n’était ni contradictoire ni incohérent, mais le résultat d’un trouble de mémoire attribuable à son état psychologique. Le demandeur reconnaît que la Section de la protection des réfugiés peut mal interpréter l’exposé circonstancié, et affirmer que le livre chrétien était la raison de la détention. Pourtant, le demandeur a, en réalité, omis de mentionner ce renseignement dans son témoignage et dans son récit de l’événement de 2011, et la Section de la protection des réfugiés pouvait tirer de cette omission une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Je suis d’accord avec le défendeur qui soutient qu’il était raisonnable de la part de la Section de la protection des réfugiés de souligner les incohérences entre les différentes versions du récit de la détention de 2011 rendu par le demandeur dans son FRP et son témoignage. Il n’a mentionné ni le livre chrétien ni le cocktail Molotov dans son témoignage, même si ces deux faits semblaient importants selon son FRP. Il s’est plutôt concentré sur la mystérieuse plainte de 2007 dont il n’est nullement question dans le FRP. Je conclus également que la Section de la protection des réfugiés a reconnu les troubles psychologiques possibles du demandeur, et qu’elle a tenté de poser des questions ouvertes, comme en témoigne l’examen des transcriptions de l’audience.

[11]  Une « étonnante révélation » a également été entendue durant l’audience, que la Section de la protection des réfugiés a jugée « très importante » (au paragraphe 20). Le demandeur a dévoilé à l’audience qu’il avait versé 37 000 $ à un agent pour obtenir le visa américain. Cet agent a par la suite été mis en état d’arrestation et tué. Le demandeur a indiqué à l’audience qu’il craignait que l’agent n’eût dévoilé son nom aux autorités avant son exécution. Le demandeur a affirmé que, si ce n’eut pas été de cette exécution, il serait retourné en Turquie. L’agent a conclu que, d’après cette affirmation, le demandeur n’avait pas vraiment d’ennuis avec les autorités turques. De plus, il n’y a eu aucune mention de cette exécution et de son effet sur le demandeur lors de l’instance précédente devant la Section de la protection des réfugiés, devant la Cour fédérale ou dans toutes les modifications apportées au FRP (au paragraphe 21). La Section de la protection des réfugiés a conclu que cette omission très importante avait une incidence défavorable sur la crédibilité du demandeur d’asile et a ajouté que « ce témoignage, en particulier la déclaration selon laquelle il serait retourné en Turquie s’il n’y avait pas eu la situation concernant Ahmet laisse fortement entendre que le demandeur d’asile n’a pas eu de démêlés avec les autorités en Turquie, qu’il n’est pas recherché et qu’il a fabriqué cette demande d’asile de toutes pièces » (au paragraphe 21).

[12]  Devant notre Cour, le demandeur conteste l’interprétation par la Section de la protection des réfugiés de son témoignage concernant l’exécution de son agent. Il soutient que la Section de la protection des réfugiés a mal interprété cet aspect de son témoignage comme le seul fondement de risque, et a pensé que cela signifiait qu’il avait retiré toute autre allégation de crainte de persécution. Il soutient qu’il était injustifiable de conclure que sa crédibilité était entachée par cette conclusion et de conclure qu’il avait fabriqué la totalité de la demande d’asile. Il fait plutôt valoir qu’il n’a fourni cet exemple que pour expliquer la communication possible de son nom aux autorités et la raison de sa crainte des autorités. Vu le poids excessif accordé par la Section de la protection des réfugiés à cette seule et unique conclusion, la décision était déraisonnable. Je suis en désaccord avec l’interprétation que fait le demandeur de la décision de la Section de la protection des réfugiés. Tout d’abord, à la lecture du témoignage, on constate qu’il était raisonnable de la part de la Section de la protection des réfugiés d’interpréter les paroles du demandeur comme signifiant que, n’eût été cette exécution, il aurait songé à retourner en Turquie. Bien entendu, une autre interprétation aurait été possible, mais le rôle de notre Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire n’est pas de réexaminer les éléments de preuve. En effet, la transcription était rédigée ainsi :

[traduction]

Commissaire : Alors, si cet incident avec Ahmed ne s’était pas produit, auriez-vous pu retourner en Turquie?

Demandeur : J’avais peur. Comme cet homme avait été tué, je croyais qu’il pouvait m’arriver la même chose. J’avais peur. C’est pour cela que je n’ai pas voulu y retourner. Autrement, qui voudrait être loin de ses enfants?

(Voir le dossier certifié du tribunal, à la page 1553)

[13]  En outre, à la lecture de la décision, on constate que la Section de la protection des réfugiés affirme par ailleurs clairement qu’elle tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité en raison de l’omission du demandeur de mentionner l’exécution jusqu’à son audience, et non pas parce que l’importance de l’exécution pour le demandeur signifie qu’il « retirait ses autres allégations de crainte », comme le soutient le demandeur. La Section de la protection des réfugiés croit que cette histoire a pu être embellie à l’audience et peut révéler l’absence d’autres ennuis avec les autorités. La Section de la protection des réfugiés peut tirer des conclusions défavorables sur la crédibilité en raison d’omissions, et il était raisonnable de la part de la Section de la protection des réfugiés de le faire dans ce cas. L’exécution de l’agent, si elle s’était réellement produite, aurait été fortement révélatrice d’un risque auquel le demandeur était exposé en Turquie. Par conséquent, il était raisonnable pour la Section de la protection des réfugiés de s’interroger sur la raison de l’omission.

[14]  Je rejette également l’argument du demandeur voulant que la Section de la protection des réfugiés ait par ailleurs rejeté de façon déraisonnable des éléments de preuve corroborants.

[15]  Le neveu du demandeur, Seyit Dag, a fourni un affidavit pour étayer la demande d’asile (au paragraphe 33). Le demandeur n’avait toutefois pas vu le neveu depuis longtemps, et le neveu n’a nullement participé aux événements cités au dossier. Il était mentionné dans l’affidavit que le neveu avait été témoin des descentes, mais il en avait en réalité seulement entendu parler. La Section de la protection des réfugiés a jugé l’affidavit frauduleux, ce qui minait la crédibilité de la totalité des éléments de preuve (au paragraphe 33). Quoi qu’il en soit, Seyit, qui avait revendiqué le statut de réfugié au Canada, est retourné en Turquie malgré ses allégations de risque du fait qu’il est un Kurde alévi (au paragraphe 34). La Section de la protection des réfugiés n’a donc accordé aucun poids aux autres éléments de preuve documentaire présentés (lettres et photographies de personnes non identifiées), parce qu’aucun d’eux n’avait été fait sous serment et n’était accompagné de documents d’identification (au paragraphe 35).

[16]  Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de contester ces éléments de preuve corroborants parce qu’ils n’avaient pas été faits sous serment et que les auteurs des lettres n’étaient pas présents. Les exigences de la preuve ne doivent pas être interprétées trop strictement, et cela compte tenu des difficultés de la situation dans laquelle se trouve le demandeur du statut de réfugié. Le défendeur répond que la Section de la protection des réfugiés a conclu de manière raisonnable que l’affidavit du neveu était frauduleux, en raison de la contradiction manifeste et inexpliquée puisque le neveu n’avait en fait pas été témoin des descentes. Quant aux autres documents, le défendeur soutient qu’il était raisonnable de leur accorder peu de poids à la lumière de l’affidavit frauduleux et de l’évaluation globale de la crédibilité du demandeur. Je suis d’accord avec le défendeur. Même si les exigences de la preuve ne doivent pas être interprétées trop strictement devant la Section de la protection des réfugiés, et qu’il y a lieu qu’elle ne rejette pas les documents du seul fait qu’ils n’ont pas été faits sous serment, le fait qu’un témoin ait menti dans son affidavit constitue un facteur pertinent dont il faut tenir compte. En outre, à la lumière des nombreuses conclusions défavorables quant à la crédibilité, je conclus que ces documents à eux seuls ne seraient pas déterminants.

[17]  Le demandeur conteste également le fait que la Section de la protection des réfugiés a accordé peu de poids aux éléments de preuve à caractère psychologique.

[18]  Le demandeur a déposé la lettre de 2012 d’un médecin exerçant au Canada, le docteur Gumuskemer, laquelle faisait mention d’une visite à l’hôpital à Elbistan en 1998 pour une blessure à la tête (au paragraphe 36). Le médecin ne fait que reprendre le récit du demandeur. Lors de la première audience concernant la demande d’asile, le demandeur a mentionné avoir vu un médecin seulement parce qu’il avait besoin de ce rapport. La Section de la protection des réfugiés a donc douté de l’impartialité du médecin et de la source de la lettre. La Section de la protection des réfugiés lui a accordé peu de poids (au paragraphe 36). Une seconde lettre d’un médecin canadien, le docteur Hirsch, corrobore l’allégation de voie de fait en 1998 (au paragraphe 37). Une fois de plus, le médecin ne fait que rapporter ce que le demandeur lui a dit. Ce récit contredit également le FRP. La Section de la protection des réfugiés a accordé peu de poids à la lettre (au paragraphe 37). La Section de la protection des réfugiés n’a pas non plus accordé de poids au rapport psychologique du docteur Devin faisant état d’un trouble dépressif majeur et du trouble de stress post-traumatique (aux paragraphes 38 et 42). La Section de la protection des réfugiés a rejeté le rapport du médecin rédigé uniquement sur la foi des éléments de preuve jugés non crédibles fournis par le demandeur. La Section de la protection des réfugiés a ajouté qu’un rapport psychologique présenté en preuve ne saurait constituer une panacée pour pallier toutes les faiblesses dans le témoignage d’un demandeur.

[19]  Devant notre Cour, le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de douter de l’impartialité du docteur Gumuskemer du seul fait que le frère du demandeur avait été en mesure d’obtenir la lettre pour lui. Il s’agit d’un motif discutable et spéculatif de contestation des éléments de preuve. Comme dans le cas de la lettre du docteur Hirsh, le demandeur soutient que la Section de la protection des réfugiés a rejeté cet élément de preuve objectif en raison de dates contradictoires données à une audience antérieure devant la Section de la protection des réfugiés qui a ensuite émis l’avis que le docteur n’avait pas raison, que cette question ne relevait pas de son expertise. Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de rejeter le rapport du docteur Devin pour l’unique raison qu’il était fondé exclusivement sur les déclarations que le demandeur lui avait faites et qui ont été jugées non crédibles. Rejeter les conclusions d’un psychologue ou d’un psychiatre en raison de conclusions sur la crédibilité constitue un raisonnement circulaire, alors qu’en réalité, le rapport a pour but de signaler à la Section de la protection des réfugiés que les effets du trouble de stress post-traumatique peuvent avoir une incidence sur des conclusions relatives à la crédibilité.

[20]  Le défendeur soutient que la Section de la protection des réfugiés a eu raison d’accorder peu de poids aux éléments de preuve psychologiques en expliquant ses doutes concernant la crédibilité du demandeur. En effet, la Section de la protection des réfugiés a fait preuve de sensibilité en tenant compte des troubles psychologiques du demandeur en le questionnant, en lui posant des questions ouvertes et en tentant de lui permettre de raconter les événements avec la plus grande facilité possible. Pourtant, aucun rapport psychologique ne saurait constituer une panacée pour pallier toutes les faiblesses dans le témoignage d’un demandeur. Je suis d’accord avec le défendeur. La Section de la protection des réfugiés pouvait accorder peu de poids à des conclusions qui avaient simplement été relatées par le demandeur. Même si le rapport du docteur Devin contenait certaines conclusions fondées sur son observation directe du demandeur, je ne peux conclure que l’admission en preuve du rapport aurait changé la décision de la Section de la protection des réfugiés. Le rapport recommandait essentiellement d’agir avec sensibilité compte tenu de l’état psychologique du demandeur et de lui accorder des pauses au cours de l’audience, deux recommandations qui ont été suivies. En outre, la Section de la protection des réfugiés avait tout de même le droit d’accorder peu de poids aux propos que le demandeur n’a fait que relater au psychiatre, dont ses allégations de pertes de mémoire. Ainsi, la Section de la protection des réfugiés a tout de même tiré d’importantes conclusions sur la crédibilité en se fondant sur les contradictions entre le témoignage et le FPR.

[21]  Enfin, malgré les réserves quant à la crédibilité du récit du demandeur et de ses allégations de persécution en Turquie, la Section de la protection des réfugiés a retenu qu’il était un Kurde alévi, et a procédé à l’analyse du risque auquel il pourrait être exposé en raison de son origine nationale ou de son appartenance religieuse. Pourtant, la Section de la protection des réfugiés n’a pas pu conclure que son profil suffirait pour justifier que l’asile lui soit accordé. La Section de la protection des réfugiés a fondé cette décision sur un rapport national du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni publié en 2016, dans lequel il est reconnu que les Kurdes sont exposés à des actes de discrimination de la part des autorités turques, mais que ceux-ci ne constituent ni des actes de persécution au sens de la Convention ni une autre forme de traitement inhumain ou dégradant. Un autre rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni a mené la Section de la protection des réfugiés à tirer des conclusions semblables à l’égard des alévis : ils sont exposés à de la discrimination, mais ne sont pas persécutés. La Section de la protection des réfugiés a également affirmé qu’elle avait pris en compte le changement de situation depuis le coup d’État du mois de juillet 2016, compte tenu des renseignements fournis par l’avocat du défendeur et des nombreux éléments de preuve documentaire. La Section de la protection des réfugiés ne pouvait toutefois conclure que tous les Kurdes alévis sont actuellement exposés à un risque en Turquie. La Section de la protection des réfugiés a fondé cette décision sur les affaires Dudu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 626 et Birkas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1184, au paragraphe 8, où, dans les deux cas, il a été décidé que, pour l’essentiel, les demandes d’asile fondées sur un profil unique ne seront accueillies que si toutes les personnes de même profil (c.-à-d., les Kurdes alévis) craignent avec raison d’être persécutées ou qu’elles démontrent qu’elles sont personnellement exposées à un risque ou à une menace. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce.

[22]  Devant notre Cour, le demandeur soutient que l’évaluation par la Section de la protection des réfugiés du risque fondé sur son profil d’homme kurde alévi d’Elbistan a été menée sans prendre en compte les éléments de preuve liés à son profil de risque et concernant la nature cumulative de la persécution alléguée. Le demandeur soutient que la Section de la protection des réfugiés s’est fondée sur de la documentation périmée sur la situation dans le pays et a fait fi des éléments de preuve convaincants démontrant la détérioration de la situation après le coup d’État du mois de juillet 2016, notamment des nombreux cas de violence envers des personnes se trouvant dans la même situation. Il critique le manque d’analyse propre à chaque élément de preuve versé au dossier, ce qui équivaut à « rejeter d’emblée tous les éléments de preuve au dossier relatifs à la période postérieure au coup d’État » et mène à l’inférence voulant que les éléments de preuve sur la situation dans le pays postérieurs au coup d’État n’aient pas tous été examinés. Les arguments du demandeur ne sont pas convaincants. La Section de la protection des réfugiés a bel et bien mentionné le coup d’État du mois de juillet 2016 (au paragraphe 48), et il n’était pas déraisonnable qu’elle se fonde sur le rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni de 2016. Le demandeur aurait probablement préféré une analyse plus détaillée des éléments de preuve, mais la Section de la protection des réfugiés n’est pas tenue d’énumérer et de commenter chaque document. Il est possible de constater que la Section de la protection des réfugiés a également pris en compte les éléments de preuve relatifs à la situation postérieure au mois de juillet 2016.

[23]  Devant notre Cour, le demandeur soutient également que la Section de la protection des réfugiés n’a pas pris en compte son profil de risque particulier. Il est dans une position plus vulnérable du fait qu’il ne peut pas dissimuler son identité kurde en raison de son nom, de son lieu de naissance et de son accent : tous des facteurs que la Section de la protection des réfugiés aurait dû prendre en compte. Ces facteurs sont pertinents en ce qu’ils démontrent que bien des Kurdes se protègent en dissimulant leur identité. La Section de la protection des réfugiés aurait également dû examiner l’effet cumulatif d’être Kurde et alévi. Ces motifs de contestation sont également infondés, selon l’avis de la Cour. La Section de la protection des réfugiés a en fait pris en compte le profil du demandeur comme Kurde alévi des régions agitées de la Turquie dans l’évaluation de son risque. La Section de la protection des réfugiés a également évalué le risque cumulatif. Je suis également d’accord avec le défendeur qui soutient que le risque prospectif fondé sur quelque affiliation perçue avec le PKK a été pris en compte et dûment rejeté comme non crédible. Cela ressort des questions posées au sujet de la plainte de 2007 (transcriptions, aux pages 1556 à 1558).

[24]  Dans l’ensemble, lorsqu’elle est considérée comme un tout, la décision contestée est raisonnable.

[25]  Par les motifs ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER 1060-17

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1060-17

 

INTITULÉ :

NASIR DAG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 octobre 2017

 

COMPARUTIONS :

Joshua Blum

 

Pour le demandeur

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will and Associates

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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